Canal Seine-Nord Europe: « Ce sont des hectares de terre engloutis en faveur de l’industrialisation de l’agriculture. Ils feraient mieux de moderniser les lignes de fret ferroviaire et de protéger nos marchés locaux »

Canal Seine-Nord Europe : les Soulèvements de la Terre dénoncent une « absurdité écocidaire » lors d’une manifestation contre le projet

Entre 1 000 et 2 000 manifestants se sont mobilisés, samedi, contre ce projet, présenté par ses promoteurs comme un moyen de verdir du transport de marchandises. Pour les opposants, il est disproportionné et inadapté aux sécheresses à venir. 

Par  (Thourotte (Oise), envoyé spécial)Publié hier à 18h59, modifié à 13h32 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/10/11/canal-seine-nord-europe-les-soulevements-de-la-terre-denoncent-une-absurdite-ecocidaire-lors-d-une-manifestation-contre-le-projet_6645785_3244.html

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Une pancarte « Méga bassines, Méga canal, Méga scandale » à l’avant de la manifestation des Soulèvements de la Terre contre le canal Seine-Nord Europe, à Thourotte, dans l’Oise, le 11 octobre 2025.
Une pancarte « Méga bassines, Méga canal, Méga scandale » à l’avant de la manifestation des Soulèvements de la Terre contre le canal Seine-Nord Europe, à Thourotte, dans l’Oise, le 11 octobre 2025.  FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Le fourgon de tête se met en travers de l’itinéraire prévu. « Prenez par la droite, on va aller voir le chantier », lance une jeune femme au porte-voix. Samedi 11 octobre, la manifestation de collectifs écologistes, dont les Soulèvements de la Seine, Extinction Rebellion et Méga canal non merci, tous opposés à la construction du Canal Seine-Nord Europe, avait été autorisée. Mais, les Soulèvements de la Terre avaient, comme souvent, prévu une action.

Le cortège de 1 000 à 2 000 de manifestants bifurque sur un chemin puis à travers un champ et un petit bois. Une trentaine de personnes se jette dans le canal latéral de l’Oise et va déployer une banderole « 8 milliards pour le canal, rien à l’hôpital » sous les yeux des gendarmes mobiles. Ces derniers tirent quelques grenades lacrymogènes avant que les manifestants ne retournent vers la commune de Thourotte (Oise), sans autres incidents. Deux personnes ont été interpellées et placées en garde à vue à l’issue du rassemblement, l’une pour port d’arme prohibé et l’autre pour dégradation de la voie publique, selon des informations communiquées par la préfecture à l’Agence France-Presse.

Cette mobilisation était la première journée nationale des Soulèvements et d’autres collectifs consacrée à la lutte contre ce grand projet de 107 kilomètres de long et 54 mètres de large, dont les excavations pourraient représenter dix fois celles du tunnel sous la Manche, selon les opposants. La Société Canal Seine-Nord Europe (SCNE) espère le mettre en service au mieux en 2032. Il doit permettre à des bateaux fluviaux de grands gabarits de relier l’agglomération parisienne à la Belgique et même au port de Rotterdam au Pays-Bas. Les opposants dénoncent une « absurdité écocidaire » qui nécessite la construction de quatre ports et de multiples écluses. Les travaux préparatoires ont commencé en 2022.

Pari du transfert modal

Le coût des travaux sur plus de 3 000 hectares a été estimé à 5 milliards d’euros à la fin des années 2010, puis à 6 à 7 milliards par Christophe Béchu, ancien ministre de la transition écologique (de 2022 à 2024). Les opposants pensent que le projet, soutenu par l’Union européenne, coûtera au final entre 8 et 10 milliards d’euros. « C’est une aberration écologique et un mensonge social. On va dépenser 10 milliards pour un canal qui existe déjà », a lancé Denis, un habitant d’une commune voisine, syndicaliste à la FSU, qui requiert l’anonymat comme les autres personnes présentes. Le Canal du Nord existe depuis des décennies mais il ne permet pas de faire passer les bateaux porte-conteneurs prévus et les immenses péniches dédiées au transport des céréales.

« Ce sont des hectares de terre engloutis en faveur de l’industrialisation de l’agriculture. Ils feraient mieux de moderniser les lignes de fret ferroviaire et de protéger nos marchés locaux », a poursuivi Elise, de la Confédération paysanne devant des protestataires masqués, déguisés ou venus en famille.

Les promoteurs de ce projet mettent en avant des gains considérables en termes de transfert modal. Dès 2035-2040, les bateaux permettraient de diminuer le trafic routier d’un million de camions en moins par an sur ce trajet et d’économiser 50 millions de tonnes de CO2 cumulées en 2070. Ils expliquent aussi avoir prévu quarante sites pour mettre en place des mesures compensatoires afin de recréer de la biodiversité, par exemple la reconstitution d’une rivière, la création de mares pour les batraciens mais surtout un spectaculaire pont-canal d’1,3 kilomètre de long pour protéger une partie de la vallée de la Somme.

Tout en émettant des réserves, le conseil national de la protection de la nature a émis un avis favorable et la plupart des collectivités soutiennent ce canal. « Il y a une ambition commune de réussir, c’est tout un territoire qui est en mouvement, affirme Pierre-Yves Biet, directeur partenariats et territoires à la SCSNE. C’est un super enjeu collectif de pouvoir intégrer un maillon fluvial dans une chaîne de logistique plus durable. »

Greenwashing

Des arguments contestés par les opposants, qui dénoncent une vaste opération de greenwashing. En ce qui concerne le transfert modal, l’autorité environnementale explique, dans son rapport de 2022, qu’il doit être « effectif ». Les associations soulignent que le transfert n’est pas parfait puisque des camions viendront forcément prendre les marchandises à l’arrivée des bateaux pour terminer le trajet. « Le transfert modal n’est bien sûr pas automatique, répond M. Biet. Pour l’améliorer, nous avons justement besoin de cette infrastructure performante et de politiques d’accompagnement. »

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Dans les études d’impacts fournis par la société du canal, l’augmentation prévue des marchandises transportées sur ce trajet passerait de 1 388 millions de tonnes à plus de 2 000 millions de tonnes en 2070. Logiquement, le trafic des camions augmentera de toute façon de six à huit millions de véhicules par an dès 2035, selon les opposants. De quoi relativiser la baisse du trafic permise par le canal.

« Ce projet sert surtout à accompagner la massification des flux et donc les bénéfices des multinationales, pense Eddies, des Soulèvements de la Seine, alors que le géant MSC a déjà investi dans une plateforme multimodale à Bruyères-sur-Oise. En tout cas, ça ne profite pas aux gens qui subissent les travaux ou aux bateliers traditionnels qui verront une partie de ce trafic leur échapper pour d’autres équipages. »

Tout en doutant des mesures compensatoires, notamment celles qui consistent à planter quelques arbres sur les remblais du canal, les protestataires décrivent le projet comme totalement irrationnel au vu du réchauffement climatique. Ce canal a été pensé pour résister à une pénurie d’eau équivalente à celle de 1976, année de grande sécheresse.

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Le canal a besoin de 21 millions de mètres cubes d’eau qui seront au début prélevés l’hiver dans l’Oise et non dans les nappes phréatiques. Une mégabassine (Louette) immense de 14 millions de mètres cubes, soit 22 fois la capacité de celle de Sainte-Soline, sera construite. En la vidant aux deux tiers, le canal peut affronter une canicule du type de 1976. Sauf que la dernière commission d’enquête publique souligne une « relative fragilité » du canal en cas de sécheresses longues qui se répètent. Exactement ce que prévoient les modèles climatiques. « Nous avons étudié la capacité de la retenue d’eau à partir de modèles scientifiques de réchauffement de + 4 °C en 2100 », assure M. Biet.

Les Soulèvements de la Terre se jettent à l’eau contre le « mégacanal » Seine-Nord

Par Erwan Manac’h et Pablo Patarin (photographies)

13 octobre 2025 à 09h53Mis à jour le 14 octobre 2025 à 18h03

https://reporterre.net/Les-Soulevements-de-la-terre-se-jettent-a-l-eau-contre-le-megacanal-Seine-Nord

Près de 2 000 personnes ont défilé, samedi 11 octobre dans l’Oise, contre le chantier du Canal Seine nord. La coalition des opposants s’apprête à contester chacun des 107 kilomètres de ce gigantesque chantier.

Thourotte, Montmacq, Longueil-Annel (Oise), reportage

La résistance fleurit, contre le « mégacanal » Seine-Nord Europe. Samedi 11 octobre, au moins 2 000 personnes selon les manifestants (1 000 selon la police) se sont réunies dans l’Oise pour dénoncer la démesure et les dégâts environnementaux de ce projet de canal de 107 kilomètres de long et 54 mètres de large. Il doit être percé en parallèle ou sur le tracé de l’actuel canal du Nord, pour permettre à des péniches géantes de rallier Paris depuis les grands ports du nord.

Paillettes, animaux totems et drapeaux colorés ont déambulé en musique sous un franc soleil à l’appel d’une vingtaine d’organisations. « Le canal Seine-Nord, c’est dix fois le tunnel sous la manche en matière d’excavation de terres », dit une organisatrice au micro. « J’avais une forêt devant chez moi. Ils ont absolument tout détruit. Ça me donne envie de chialer », ajoute Benoît, habitant de la zone, enseignant et militant à la Fédération syndicale unitaire.

Plus de 2 000 personnes, selon les organisateurs, se sont rassemblées à l’appel d’une vingtaine d’organisations. © Pablo Patarin / Reporterre

Le projet, qui pourrait coûter 5 à 8 milliards d’euros d’argent public et doit s’approprier 2 500 à 3 200 hectares de terres selon les sources, prend forme depuis une quinzaine d’années dans une relative confidentialité. Les premières valses de tractopelles, en 2022, à 2 kilomètres de Compiègne à vogue de péniche, ont fait éclore la mobilisation. Autour de militants historiques, réunis dans l’association Mégacanal non merci, des étudiants de l’école d’ingénieur de Compiègne et le groupe régional des Soulèvements de la Terre, se sont agrégés.

Alliances contre « l’empire logistique »

En mai 2025, cette coalition lançait un été des Soulèvements de la Seine, pour faire le lien entre les quatre luttes touchant à son bassin-versant et impliquant « l’empire logistique » qui fait pousser des aménagement XXL, notamment au bord du fleuve [1] Ces mois de mobilisations et les rendez-vous estivaux des luttes, comme les Résistantes, ont fait venir Extension Rebellion, Greenpeace, la FSE, Alternatiba, la Confédération paysanne ou encore Attac, achevant de donner à cette lutte une dimension nationale.

Les collectifs en lutte contre les autres projets d’artificialisation des terres autour de la Seine et en Île-de-France étaient présents à cette manifestation. © Pablo Patarin / Reporterre

Samedi, la vague joyeuse a éclaboussé la quiétude de l’Oise, pendant qu’une cinquantaine de vélos sillonnaient les environs pour distribuer des tracts. Les organisateurs avaient prévu un « surgissement », qui est intervenu après deux heures de manifestation, à Montmacq (Oise).

Au pas de course, sous l’œil d’un hélicoptère de la gendarmerie, les 2 000 manifestants ont délaissé le parcours officiel de la manifestation pour traverser un champ et rejoindre les rives du canal du Nord, en contrebas de la route.

Une partie du cortège a bifurqué à travers champs pour rejoindre le bord du canal. © Pablo Patarin / Reporterre

Là, des radeaux de fortunes, bodyboards, frites en mousses et bouées gonflables ont été sortis du bois et une cinquantaine de personnes se sont jetées à l’eau pour rejoindre l’autre rive, où s’étirent les premiers hectomètres de terrassement du futur chantier et un alignement d’une quinzaine d’engins de travaux.

Plouf et fumigènes

Une équipe de rameurs, en barque, s’ajoutaient à ce grand plouf, et une banderole était déployée pendant qu’une vingtaine de gendarmes mobiles dépassés arrivaient sur le chantier.

À la nage ou sur une embarcation de fortune, des manifestants ont réussi à rejoindre le chantier pour y déployer symboliquement une banderole. © Pablo Patarin / Reporterre

Dans la « mani’fiesta », Vincent, paysan à Nesle (Somme), raconte comment, pour les besoins du chantier, la Société d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) préempte les terres alentour. 450 000 euros ont été proposés au propriétaire des 20 hectares qu’il louait avec sa femme, plus du double du prix habituel à l’hectare, affirme l’agriculteur adhérent à la Confédération paysanne.

« J’étais en train de labourer, en décembre 2023, quand une dame de la Safer est venue me dire que ces terres n’étaient plus à moi. Nous ne sommes pas sur le tracé du canal, mais ces terres servent de réserve foncière pour les agriculteurs qui seront expropriés », dit-il.

La gendarmerie n’a pu que regarder les manifestants faire la traversée aller et retour vers le chantier. © Pablo Patarin / Reporterre

Les organisateurs ont réussi à faire grandir la mobilisation contre ce projet titanesque, attirer l’attention des riverains et prévenir le promoteur, la Société du canal Seine-Nord Europe (SCSNE) que les 107 kilomètres de travaux qui s’amorcent seront 107 kilomètres de bataille juridique, militante et économique.

Si aucun « désarmement » du chantier, par le sabotage, n’a été réalisé ce 11 octobre, le mouvement s’est inscrit dans le répertoire désobéissant. La gendarmerie mobile a fermement encadré le cortège et procédé à deux interpellations, dont une en intervenant violemment au cœur même de la manifestation. Les deux personnes interpellées ont été relâchées le lendemain matin, indique une source chez les organisateurs. Elles risquent des poursuites pour dégradation légère et port d’arme (un petit opinel).

Les forces de l’État, qui pointent ici une arme vers le cortège, ont en revanche arrêté deux personnes sur le trajet retour de la manifestation. © Pablo Patarin / Reporterre

En fin d’après-midi, après l’arrivée de la foule au camp installé le temps du weekend sur les terres d’agriculteurs visées par le projet, à Longueil-Annel, un « écureuillage », lui aussi surprise, était organisé sur un des arbres qui jouxtent un bras mort de l’Oise, sur une parcelle appartenant à la Société du canal, selon les organisateurs.

« Ce chantier ne sera jamais sécurisé ni sécurisable »

Une plateforme en palettes a été hissée par la foule à 15 mètres du sol. Elle pourra servir, le moment venu, à installer un campement suspendu pour retarder le chantier. « Les gendarmes ont très peur d’une occupation », a lancé au mégaphone un des « écureuils ».

« Avec cette cérémonie, nous avons annoncé l’occupation future d’un maximum d’arbres pendant toute la période de coupe, qui s’étendra jusqu’au mois de mars », communiquaient dimanche matin les organisateurs sur la messagerie TelegramPlus tard dans la soirée, plusieurs personnes se sont introduites sur le chantier de Montmacq pour allumer des feux d’artifice — preuve que ce chantier ne sera jamais sécurisé ni sécurisable au vu de sa taille colossale. »

«  Les gendarmes ont très peur d’une occupation  » des arbres, a dit au mégaphone l’un des «  écureuils  ». © Pablo Patarin / Reporterre

La suite de la lutte s’inscrit, pour l’heure, sur le front juridique. Un recours contre l’autorisation environnementale a été déposé en août 2024 et complété avec de nouveaux éléments ces derniers mois. Le projet est également fragilisé par la situation budgétaire de la France et les énormes besoins d’argent du réseau ferroviaire.

Le 9 juillet, la conférence de financement des transports aboutissait sur un principe de « priorisation » des grands chantiers, ouvrant, sans l’écrire, la porte à l’abandon de certains chantiers dispendieux dont certains sont déjà dans le viseur de Bercy.

Déjà engagé, le chantier du canal Seine-Nord Europe pourrait être rattrapé par son coût monstrueux. © Pablo Patarin / Reporterre

Le Conseil d’orientation des infrastructures doit inventorier les grands projets dans les prochains mois, pour désigner ceux qui seront considérés comme inutiles. Il compte dans sa composition certains fervents défenseurs du canal Seine-Nord, mais la pression financière demeure forte sur le projet, ce qui rend l’issue de ces échanges incertaine.

Officiellement, la SCSNE espère toujours mettre l’ouvrage en service en 2032 et affirme, sur son site« s’attacher à limiter au maximum l’impact des travaux sur l’environnement ».




Notre reportage en images :

« J’avais une forêt devant chez moi. Ils ont absolument tout détruit. Ça me donne envie de chialer », raconte Benoît, enseignant.

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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