Le Pape Léon XIV fustige les dérives de l’ultralibéralisme.

« Le pape Léon XIV adresse au monde un message directement politique avec sa première exhortation apostolique »

Tribune

Le pape a signé, le 4 octobre, le premier texte de son pontificat, l’exhortation apostolique « Dilexi te ». Cet écrit, que décryptent les théologiens Frédéric-Marie Le Méhauté et François Odinet, dans une tribune au « Monde », fustige les dérives de l’ultralibéralisme. Léon XIV prévient : « Si les hommes politiques n’écoutent pas les pauvres, la démocratie s’atrophie. »

Publié le 09 octobre 2025 à 12h30, modifié le 09 octobre 2025 à 16h29  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/09/le-pape-leon-xiv-adresse-au-monde-un-message-directement-politique-avec-sa-premiere-exhortation-apostolique_6645475_3232.html

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En devenant pape le 8 mai, Léon XIV a dû, comme ses prédécesseurs, assumer l’histoire longue et complexe de l’Eglise catholique. L’exhortation apostolique Dilexi te (« Je t’ai aimé »), qui paraît aujourd’hui, constitue le texte inaugural de son pontificat, et marque de quelle manière il s’inscrit dans cette histoire.

D’abord, la continuité avec le pontificat de François est évidente, puisque Léon XIV a complété et publié un texte préparé par son prédécesseur – son titre rappelle d’ailleurs celui de la quatrième et dernière encyclique du pape argentin, Dilexit nos (« Il nous a aimés »).

Surtout, c’est toute l’histoire du christianisme, depuis la Bible hébraïque jusqu’aux dernières décennies, qui est relue par Léon XIV à l’enseigne de l’attention réservée aux plus pauvres. On y croise de grandes figures inspirantes – Augustin d’Hippone, François d’Assise – autant que de multiples chrétiens anonymes, « témoins d’une Eglise qui sort des sentiers battus ».

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Cette relecture sert un objectif : le pape appelle l’Eglise catholique à se tenir à la hauteur de sa propre histoire, en vivant un réel engagement prioritaire aux côtés des plus pauvres. Le rapport que le pape entretient avec l’histoire qu’il raconte, dans laquelle il situe l’engagement des femmes autant que celui des hommes, n’est pas neutre : cette histoire, explique-t-il, oblige l’Eglise catholique. Une telle conviction se fraie un chemin entre deux bords opposés, plusieurs fois éreintés dans le texte.

Double dénonciation

D’un côté, l’ultralibéralisme, visé par les réflexions sur l’accumulation de richesses, sur le culte de la réussite individuelle ou la liberté du marché. Les arguments du pape sont moins économiques qu’anthropologiques : il dénonce des croyances illusoires comme le ruissellement des richesses, autant qu’un aveuglement difficile à briser, comme celui qui empêche de s’alarmer d’inégalités qui deviennent des « déséquilibres dramatiques ». On trouve ainsi des propos cinglants sur « la croissance de certaines élites riches qui vivent dans une bulle de conditions très confortables et luxueuses, presque dans un autre monde par rapport aux gens ordinaires ».

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D’un autre côté, Léon XIV se démarque d’une conception privatisée de la foi chrétienne, limitée à la prière et au témoignage. La force du propos ne tient pas seulement au rappel que l’amour et la justice sont inséparables de la foi : elle réside plus encore dans l’invalidation répétée d’une vie spirituelle ou ecclésiale qui ignorerait les besoins concrets des plus pauvres. Ainsi, écrit le pape, « l’amour des pauvres (…) est la garantie évangélique d’une Eglise fidèle au cœur de Dieu. En effet, tout renouveau ecclésial a toujours eu parmi ses priorités cette attention préférentielle envers les pauvres ».

Cette double dénonciation est nécessaire pour comprendre la lecture optimiste que Léon XIV propose de l’histoire du christianisme. Il n’évoque pas les hésitations tragiques des chrétiens face à l’esclavage ou à la colonisation, ni la réalité actuelle de diverses paroisses trop homogènes sur le plan social, parce qu’il met en valeur la raison d’être de l’Eglise : elle « réalise sa vocation la plus profonde : aimer le Seigneur [le Christ] là où il est le plus défiguré ».

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Cependant, sa relecture de l’histoire n’isole pas l’Eglise catholique de son contexte, bien au contraire : le nouveau pape adresse au monde un message directement politique. « La condition des pauvres est un cri qui, dans l’histoire de l’humanité, interpelle constamment nos vies, nos sociétés, nos systèmes politiques et économiques et, enfin et surtout, l’Eglise. »

Termes acides

C’est pourquoi, à diverses reprises, le pape appelle à un engagement qui ne se limite pas à soulager la pauvreté, mais qui cherche à éliminer ses causes. Pour cela, à la suite de François, il invite à dessiner une politique avec les pauvres, qui soit conçue à partir d’eux ; avec réalisme, il note que cela demande une écoute réelle des personnes qui connaissent la précarité, par le personnel politique autant que par les professionnels de l’aide social – ainsi que par les institutions ecclésiales. « Si les hommes politiques et les professionnels ne les [les pauvres] écoutent pas, la démocratie s’atrophie, devient un nominalisme, une formalité, perd de sa représentativité, se désincarne en laissant le peuple en dehors, dans sa lutte quotidienne pour la dignité, dans la construction de son destin. »

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La dimension politique est également présente lorsque le pape rappelle la nécessité que les Etats contrôlent les échanges économiques, pour éviter que ceux-ci ne profitent qu’à une « minorité heureuse ». Les termes se font acides au sujet des politiques d’austérité : « Il devient normal d’ignorer les pauvres et de vivre comme s’ils n’existaient pas. Le choix semble raisonnable d’organiser l’économie en demandant des sacrifices au peuple pour atteindre certains objectifs qui concernent les puissants. »

Voilà qui invite les communautés catholiques, autant que les théologiens, à sortir d’une certaine indifférence vis-à-vis du politique, pour allier leurs paroles aux voix des plus précaires, et faire résonner la question centrale posée par Léon XIV : « Les faibles n’ont-ils pas la même dignité que nous ? Ceux qui sont nés avec moins de possibilités ont-ils moins de valeur en tant qu’êtres humains, doivent-ils se contenter de survivre ? La réponse que nous apportons à ces questions détermine la valeur de nos sociétés et donc notre avenir. »

François Odinet est maître de conférences en théologie aux Facultés Loyola Paris et aumônier général du Secours catholique (Caritas France) ; Frédéric-Marie Le Méhauté est maître de conférences en théologie aux Facultés Loyola Paris et ministre provincial des franciscains de France-Belgique.

Léon XIV reprend des thématiques chères à François, les pauvres et les migrants, dans son premier grand texte

Elu le 8 mai, le pontife américano-péruvien tarde à clarifier sa vision de l’Eglise. Certaines de ses prises de parole récentes ont montré qu’il pourrait se placer dans la continuité de François sur plusieurs dossiers. 

Par Publié le 09 octobre 2025 à 13h07, modifié hier à 08h54 https://www.lemonde.fr/international/article/2025/10/09/avec-les-pauvres-et-des-migrants-leon-xiv-reprend-des-thematiques-cheres-a-francois_6645486_3210.html

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Le pape Léon XIV pose sa calotte sur la tête d’un élève de l’Académie Notre-Dame du Mont-Carmel, à Chicago, place Saint-Pierre, au Vatican, le 8 octobre 2025.
Le pape Léon XIV pose sa calotte sur la tête d’un élève de l’Académie Notre-Dame du Mont-Carmel, à Chicago, place Saint-Pierre, au Vatican, le 8 octobre 2025.  SIMONE RISOLUTI/VATICAN MEDIA VIA REUTERS

Voilà des mois que membres de la curie romaine, diplomates et, au-delà, fidèles catholiques du monde entier guettent, impatients. Une phrase, un geste, une nomination ou n’importe quel signe à même de montrer de quel bois est vraiment fait leur nouveau pape, Léon XIV. Et surtout quel type de pontificat il envisage de mener : est-il un pape de la rupture que certains désirent ? Ou au contraire un continuateur de l’œuvre de son prédécesseur, François ?

Elu le 8 mai par des cardinaux en quête d’apaisement après douze années tumultueuses sous le règne de Jorge Bergoglio, ce pontife américano-péruvien tarde à clarifier sa vision de l’Eglise. Au point de dérouter les observateurs les plus chevronnés et d’engendrer, d’après plusieurs sources romaines, une certaine nervosité au sein d’une curie désireuse de comprendre son nouveau souverain.

Mais quelques prises de parole récentes ont montré que Léon XIV pourrait se placer dans la continuité de François sur plusieurs dossiers. Son premier texte majeur, l’exhortation apostolique publiée jeudi 9 octobre, Dilexi te (« je t’ai aimé »),va également dans ce sens.

Texte majeur

Dans ce document de 120 pages, il développe le thème de l’attention portée aux plus pauvres, cher à son prédécesseur. Léon considère que la foi catholique est indissociable du soin apporté aux plus démunis. L’exhortation apostolique a été commencée et écrite en grande partie par François, d’après plusieurs sources au Vatican, mais elle n’en a pas moins été reprise de façon pleine et entière par Léon XIV.

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Le pape estime que « l’engagement en faveur des pauvres et pour l’élimination des causes sociales et structurelles de la pauvreté (…) reste toujours insuffisant ». Il définit plusieurs formes de pauvreté : « Celle de ceux qui n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins matériels », celle de « ceux qui sont socialement marginalisés », mais aussi la pauvreté « morale » et « culturelle », et celle de « ceux qui n’ont pas de droits, pas de place, pas de liberté », citant notamment les migrants, comme François, qui n’avait cessé de plaider pour leur accueil. Le mot « migrant » apparaît 14 fois. « Dans tout migrant rejeté, le Christ lui-même frappe à la porte de la communauté », indique le pape, qui rappelle aussi que « l’expérience de la migration accompagne l’histoire du peuple de Dieu ».

Le texte fustige d’ailleurs une « culture qui rejette les autres sans même s’en rendre compte et qui tolère avec indifférence que des millions de personnes meurent de faim ou survivent dans des conditions indignes de l’être humain », rappelant : « Il y a quelques années, la photo d’un enfant gisant sans vie sur une plage de la Méditerranée avait fait grand bruit. Malheureusement, à part une émotion momentanée, de tels événements deviennent de plus en plus insignifiants, relégués au rang d’informations marginales. » La photo du corps sans vie du petit Aylan, un enfant kurde, retrouvé sur une plage, avait fait le tour du monde en 2015.

« Nouvelle tyrannie invisible »

Sans jamais utiliser le mot « capitalisme », Léon critique pourtant, comme François, le mode de vie fondé sur la surconsommation et la menace qu’elle engendre pour la planète, estimant qu’il est « nécessaire de continuer à dénoncer la “dictature d’une économie qui tue” ». Et de poursuivre : « Ce déséquilibre procède d’idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière », dénonçant une « nouvelle tyrannie invisible qui s’instaure ». Des mots en partie issus de l’exhortation apostolique du pape François Evangelii gaudium, publiée en 2013.

Le pape Léon XIV, à son arrivée pour l’audience générale hebdomadaire sur la place Saint-Pierre, au Vatican, le 8 octobre 2025.
Le pape Léon XIV, à son arrivée pour l’audience générale hebdomadaire sur la place Saint-Pierre, au Vatican, le 8 octobre 2025.  ANDREAS SOLARO/AFP

Léon met aussi l’accent sur le Péruvien en lui. L’ancien évêque de Chiclayo, qui a acquis la nationalité péruvienne en 2015, a passé dans le pays andin le plus clair de son ministère. Il fait plusieurs fois référence à la conférence qui a réuni les évêques latino-américains du continent à Aparecida, au Brésil, en 2007, rappelant l’affirmation lors de ce sommet de l’importance du « choix préférentiel de l’Eglise pour les pauvres ».

Au-delà de ce premier document, certaines prises de parole récentes ont laissé penser aux « bergogliens », admirateurs de François, que Léon se plaçait dans la roue de son prédécesseur. Interrogé sur la politique migratoire de Donald Trump, le nouveau pontife a vertement critiqué l’action du président américain. « Une personne qui dit : “Je suis contre l’avortement, mais je suis d’accord avec le traitement inhumain des immigrés aux Etats-Unis”, je ne sais pas si c’est provie », a ainsi déclaré Léon XIV, le 30 septembre, provoquant l’ire des autorités américaines.

Tout est dans les détails

Selon plusieurs sources à Rome, Léon avait déjà poussé pour la publication de la lettre envoyée par François aux évêques américains, en février. Dans cette missive, l’Argentin critiquait ouvertement la politique de Donald Trump et corrigeait une notion théologique qui avait été brandie par le vice-président catholique J. D. Vance pour justifier l’expulsion massive de migrants des Etats-Unis. Mercredi 8 octobre, le pontife américain a reçu des représentants de l’association américaine Hope Border Institute, qui milite pour les droits des migrants. A des évêques de son pays natal qu’il recevait en même temps, le pape a enjoint de « s’emparer fermement » de ce sujet.

« Robert Francis Prevost se vit comme l’héritier des idées de François. S’il n’a pas de gestes ou de mots trop forts en ce sens, c’est qu’il veut apaiser et recréer une atmosphère d’unité, ne pas être empêché par la suite, car il y sera allé trop fort au départ », veut croire un diplomate depuis longtemps en poste à Rome. Pour cette source, tout est dans les détails : « Les mots qu’il emploie, les références permanentes aux encycliques Fratelli tutti ou encore Laudato si’, son intérêt pour l’écologie… tout montre qu’il veut continuer l’œuvre de son prédécesseur. » Un autre rappelle en souriant que le frère Léon était le plus proche compagnon de saint François d’Assise.

Le pape Léon XIV, alors qu’il quitte l’audience générale hebdomadaire sur la place Saint-Pierre, au Vatican, le 8 octobre 2025.
Le pape Léon XIV, alors qu’il quitte l’audience générale hebdomadaire sur la place Saint-Pierre, au Vatican, le 8 octobre 2025.  ANDREAS SOLARO/AFP

Chez les conservateurs pourtant, on ne souscrit pas à cette analyse. L’attachement du pape Léon XIV aux symboles et à la tradition, comme la mosette rouge par-dessus l’habit blanc revêtue le jour de son élection, son retour à la résidence d’été de Castel Gandolfo, ou encore ses discours, plus empreints de spiritualité que ceux de François, plaide plutôt, selon eux, pour une rupture en douceur. « Pour l’instant, il donne des signaux à tout le monde. Mais il se montre plus attaché aux traditions et aux règles que son prédécesseur, estime une source au sein du camp conservateur. Il parle de foi et de spiritualité avant toute chose, notamment avant la politique. »

Dans ses audiences, le pape Léon s’est montré très ouvert, recevant des représentants de tous les courants, dont le cardinal Raymond Burke, figure du monde conservateur, par deux fois.

Fin octobre aura d’ailleurs lieu à Rome un pèlerinage traditionaliste qui se conclura par une messe tridentine (en latin) dans la basilique Saint-Pierre. Léon XIV a ainsi autorisé en 2025 ce que François avait refusé en 2023 et 2024, pour la plus grande satisfaction des conservateurs.

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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