Au LR, un mouvement général de consentement à l’extrême droite 

Chez Les Républicains, l’idée d’une alliance avec le RN fait son chemin

Bruno Retailleau multiplie les appels du pied à l’extrême droite, mais refuse pour l’instant l’accord de gouvernement proposé par Jordan Bardella en cas de dissolution. Sur le terrain, plusieurs cadres locaux du parti de droite se montrent déjà disposés à faire alliance avec le Rassemblement national. 

Alexandre Berteau et Youmni Kezzouf

8 octobre 2025 à 19h39 https://www.mediapart.fr/journal/politique/081025/chez-les-republicains-l-idee-d-une-alliance-avec-le-rn-fait-son-chemin?utm_source=hebdo-20251011-100240&utm_medium=email&utm_campaign=HEBDO&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[HEBDO]-hebdo-20251011-100240&M_BT=115359655566

Cette fois, Bruno Retailleau a voulu être clair. Invité au « 20 heures » de France 2, mardi 7 octobre, le président du parti Les Républicains (LR) a fermement rejeté la main tendue par Jordan Bardella. Le matin même, sur CNews, le patron du Rassemblement national (RN) s’était pour la première fois dit « parfaitement disposé » à trouver « un accord de gouvernement » avec LR, si son propre parti n’obtenait pas de majorité absolue en cas de nouvelles législatives anticipées.

« C’est non », a répondu le ministre de l’intérieur démissionnaire. « Ils n’ont pas voté la réforme des retraites, les 15 heures [de travail obligatoire – ndlr] en contrepartie du RSA, la réforme de l’assurance-chômage », a-t-il égrené, dénonçant « les idées de gauche » (sic) de Marine Le Pen sur le plan économique.

Un peu plus tôt dans la même journée, Bruno Retailleau avait pourtant provoqué la confusion parmi ses troupes en rompant avec le « ni-ni » historique de son parti en cas de duel entre la gauche et l’extrême droite. Sur Europe 1 et CNews – médias du groupe Bolloré œuvrant à l’union des droites –, il a ainsi appelé à faire barrage à la gauche, dimanche 12 octobre, au second tour de la législative partielle dans le Tarn-et-Garonne opposant une socialiste au candidat du parti d’Éric Ciotti, l’Union des droites pour la République (UDR), soutenu par le RN.

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Bruno Retailleau avec Marine Le Pen lors d’une séance de questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, le 22 octobre 2024.  © Photo Alain Jocard / AFP

En claquant la porte de la coalition gouvernementale dans laquelle il a embarqué LR il y a un an, Bruno Retailleau est revenu au tiraillement de départ, entre les macronistes et les lepénistes. Le parti de Jordan Bardella se plaît à faire monter la pression, impatient de faire tomber les dernières digues et de poursuivre le chemin entamé à l’été 2024, avec le ralliement fracassant de l’ancien patron de LR Éric Ciotti« Je peux vous dire que nous recevons beaucoup de candidatures de la part de LR ou d’ex-LR », a revendiqué la députée RN Edwige Diaz, membre de la commission nationale d’investiture (CNI) du parti d’extrême droite.

LR poussé à la clarification

Du côté de l’UDR, on soutient que des rapprochements s’opèrent déjà à l’Assemblée nationale avec une partie des cinquante député·es LR. « Jusqu’à fin octobre 2024, c’était très tendu, ils ne nous parlaient pas. Mais c’est totalement terminé, assure à Mediapart le député ciottiste Charles Alloncle. Quand Éric Ciotti prend la parole dans l’hémicycle, le groupe LR qui siège juste à côté l’encourage. » Et d’en conclure : « Je n’ai aucun doute que si demain on a 240 député·es [la majorité absolue étant atteinte à 289 – ndlr], la grande majorité de ces parlementaires LR négocieraient un contrat de gouvernement avec nous. »

Au lendemain de la démission de Sébastien Lecornu, plusieurs figures du parti de Bruno Retailleau se montraient effectivement ouvertes à cette idée. L’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy à l’Élysée Henri Guaino a ainsi estimé sur BFMTV qu’il n’était « pas anormal » que LR, « sous certaines conditions », gouverne avec le RN s’il venait à manquer des voix au parti lepéniste.

« Nous n’avons pas que des désaccords avec le RN, a aussi euphémisé dans la même journée la sénatrice LR Sophie Primas sur RTLS’il y a un contrat de gouvernement avec des idées ou des mesures qui ne sont pas orthogonales à nos convictions, travaillons ensemble. » Face à la polémique suscitée par ses propos, l’ancienne porte-parole du gouvernement Bayrou s’est sentie obligée de rétropédaler sur le réseau social X, se disant finalement « de tout temps opposée à l’union des droites ».

Si le RN a 250 députés, il faut faire un contrat de gouvernement avec eux, tout simplement.

Jean-Hubert Lelièvre, président de la fédération LR de Charente

Plus que jamais, la droite LR est donc poussée à la clarification. Plusieurs cadres ont d’ailleurs l’intention de demander à Bruno Retailleau de réunir en urgence les instances dirigeantes du parti pour dissiper le flou. Le président LR du Sénat, Gérard Larcher, fait dorénavant savoir qu’il s’opposera fermement à une alliance avec le RN. « C’est un bordel innommable », résume un proche de Valérie Pécresse. 

Pourtant, dans les rangs des responsables locaux de LR, l’idée d’un rapprochement avec le parti d’extrême droite a déjà fait son chemin. Tout en soulignant des divergences sur le plan économique, plusieurs cadres de terrain contactés par Mediapart se disent prêts à converger avec le RN autour de certains dénominateurs communs, en premier lieu l’immigration et la sécurité.

Membre du bureau politique de LR et conseillère départementale de Saône-et-Loire, Nathalie Damy ne se cache pas d’avoir glissé un bulletin Marine Le Pen dans l’urne au second tour de la présidentielle de 2022. « Il y a un moment où il va falloir qu’on travaille avec tout le monde », estime-t-elle aujourd’hui, précisant que la première menace vient à ses yeux de La France insoumise (LFI).

LFI en ligne de mire

Référente de Bruno Retailleau dans le département lors de la campagne interne pour la présidence du parti, Nathalie Damy indique qu’elle ne « mettrait pas son veto » à un accord de gouvernement avec le RN, dont LR partage selon elle « tout le travail sur la fraude, les OQTF [obligations de quitter le territoire français – ndlr] ou l’immigration illégale ». Avec un point « non négociable »toutefois : le retour à la retraite à 62 ans, souhaité par Marine Le Pen et ses soutiens.

À la tête de la fédération de Charente, Jean-Hubert Lelièvre assume lui aussi : « Si le RN a 250 députés, il faut faire un contrat de gouvernement avec eux, tout simplement », expose-t-il avant de lister quelques lignes rouges, dont le retour de la peine de mort ou « l’antisémitisme à la papa façon “Maréchal, nous voilà !” »Admiratif du « courage » de Bruno Retailleau, qui a « fait un bras d’honneur à la bien-pensance » en appelant à ne pas voter pour le Parti socialiste (PS) face à l’extrême droite dans le Tarn-et-Garonne, ce conseiller départemental revendique le droit de s’allier avec le RN « puisque les socialistes, eux, s’allient avec LFI et que ça ne dérange personne ».

Pour Jean-Hubert Lelièvre, rien ne sert de s’inquiéter. Le responsable départemental s’emploie ainsi à minimiser avec légèreté les risques d’une accession de l’extrême droite au pouvoir « Ils feront juste des trucs de bon sens, rassurez-vous, les théâtres continueront à être ouverts, il y aura toujours des concerts de punk… Il n’y aura pas de “Grand Soir” », veut-il croire.

Je n’ai pas de cas de conscience sur le terrain vis-à-vis du RN, à partir du moment où on se bat pour les mêmes choses.

Else Joseph, sénatrice et présidente de la fédération LR des Ardennes

Si Henri Guaino a convoqué le gouvernement provisoire de la République française pour justifier sa main tendue au RN, en assénant que la droite « a bien gouverné avec les communistes en 1944 », Jean-Hubert Lelièvre, lui, préfère évoquer un autre précédent historique. « Si on lit l’histoire de la droite, on a déjà eu un moment où le FN n’était pas un sujet, au moment de Dreux par exemple », rappelle-t-il.

En 1983, le Rassemblement pour la République (RPR) avait en effet fait alliance avec le Front national de Jean-Pierre Stirbois pour ravir la mairie à la gauche. Alors président du parti de droite, Jacques Chirac expliquait déjà à l’époque qu’il lui semblait « beaucoup plus dangereux de soutenir une coalition qui comporte des communistes qu’une coalition qui comporte des membres du FN ».

La sénatrice LR Else Joseph, qui dirige la fédération des Ardennes, se dit pour sa part sceptique face au principe d’« accords généraux » mais reste ouverte à des « accords ponctuels », notamment dans les « territoires où il y a un danger LFI important »« Je n’ai pas de cas de conscience sur le terrain vis-à-vis du RN, à partir du moment où on se bat pour les mêmes choses », explique-t-elle.

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« On partage une volonté de contrôler l’immigration. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de femmes voilées, de quartiers dans lesquels on ne peut plus aller », poursuit l’élue, au diapason du discours identitaire et sécuritaire porté par le RN. Se revendiquant « gaulliste », Else Joseph tient toutefois à préciser qu’elle n’est « pas en train de faire des ponts avec le RN pour le moment ».

L’indifférence affichée par ces cadres locaux de LR à l’idée de se coaliser avec le parti fondé par Jean-Marie Le Pen inquiète certains de leurs homologues. 

« Une majorité de nos militants ici attend depuis longtemps qu’on prenne la main du RN », reconnaît Richard Tiberino, président de la fédération LR du Gard – un département comptant cinq député·es frontistes et un député UDR. « Faire une alliance avec des gens qui ont le vent en poupe, ça vaut peut-être le coup électoralement, conclut-il, mais j’ai quand même une conscience. Le Front national a toujours été notre ennemi. »

Alexandre Berteau et Youmni Kezzouf

Boîte noire

Pour les besoins de cet article, nous avons contacté une quinzaine de président·es de fédérations LR. Celui de la Nièvre, Baptiste Dubost, a refusé de nous répondre « par fidélité pour le président Sarkozy », ce qu’il s’est empressé d’expliquer sur le réseau social X sitôt après avoir raccroché.

Emilien Houard-Vial, politiste : « Les Républicains demeurent la figure de proue d’un mouvement général de consentement à l’extrême droite »

Tribune

Dans une tribune au « Monde », le chercheur estime que le parti dirigé par Bruno Retailleau semble coincé entre la tentation de l’exercice du pouvoir avec les macronistes et celle d’une radicalité incarnée par le RN.

Publié le 08 octobre 2025 à 17h00, modifié le 09 octobre 2025 à 08h34  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/08/emilien-houard-vial-politiste-les-republicains-demeurent-la-figure-de-proue-d-un-mouvement-general-de-consentement-a-l-extreme-droite_6645360_3232.html

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Le président du parti Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, à sa sortie de la réunion du groupe LR au Sénat, à Paris, le 7 octobre 2025.
Le président du parti Les Républicains (LR), Bruno Retailleau, à sa sortie de la réunion du groupe LR au Sénat, à Paris, le 7 octobre 2025.  JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Le front républicain se meurt. Cela n’est pas nouveau : on entend ce même refrain depuis les élections législatives de 2022. Ces derniers jours, diverses personnalités du parti Les Républicains (LR), notamment Bruno Retailleau, ont réactivé ce sentiment, appelant à « ne pas donner une voix à la gauche » dans le duel entre le Parti socialiste et le parti d’Eric Ciotti [l’Union des droites pour la République, UDR] dans la première circonscription du Tarn-et-Garonne.

En appelant à faire élire un candidat soutenu par le Rassemblement national (RN), le président de LR se départ de la position du « ni gauche ni extrême droite » officialisée du temps du quinquennat de Nicolas Sarkozy. En parallèle, le sénateur (LR) Roger Karoutchi appelait à voter pour le RN dans les duels avec un candidat La France insoumise (LFI), tandis que l’ancien député Henri Guaino et l’ex-porte-parole du gouvernement Sophie Primas envisageaient la possibilité d’une collaboration gouvernementale entre LR et l’extrême droite. Autant de prises de parole fustigées à gauche comme usurpant le nom de « républicain ».

Or, si le cordon sanitaire, c’est-à-dire le refus de toute alliance électorale ou collaboration dans un exécutif local ou national, tient bon à droite depuis le tournant du siècle, son attachement au front républicain, c’est-à-dire à l’union de toutes les familles politiques contre l’extrême droite, a toujours été relatif. Bien commode lorsqu’il s’agit de faire élire un des leurs lors d’un second tour d’élection présidentielle ou régionale, le front républicain est très rarement appliqué en faveur de la gauche ou même du centre, et ne fut jamais assumé en tant que tel lors des élections législatives de 2024.

« Union des droites »

Il faut aussi rappeler que Les Républicains ont souvent été négligents quant à la porosité entre milieux militants de droite et d’extrême droite. On peut penser au recyclage d’anciens militants de l’extrême droite violente dans l’UDF ou le RPR des années 1980, à la fréquentation de l’Institut de formation politique par des Jeunes LR aux côtés de jeunes lepénistes ou zemmouristes, à l’embauche d’assistants parlementaires actifs dans la fachosphère, ou encore à la non-exclusion d’élus prônant l’« union des droites », c’est-à-dire le ralliement de la droite à l’extrême droite.

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De manière générale, la droite, par manque de discipline partisane et faute d’une doctrine idéologique et stratégique précisément définie et partagée par tous, a plusieurs fois montré une certaine tolérance à l’égard de celles et ceux qui jouaient contre leur camp et qui ont souvent fini par rejoindre celui de l’extrême droite. C’est par exemple le cas d’une bonne partie des membres de la Droite populaire, club parlementaire du début des années 2010, notamment dirigé par Thierry Mariani.

On pourrait aussi penser à la fréquentation assidue de médias comme Valeurs actuelles, CNews, Europe 1 ou Le Journal du dimanche, importants rouages de la machine à radicalisation idéologique qui cachent à peine leur soutien à l’union des droites et à des personnalités comme Eric Zemmour. Certes, tous n’y adhèrent pas au même degré, mais les voix d’opposition farouche à l’extrême droite se font de plus en plus rares et de moins en moins audibles.

Deux aspirations incompatibles

Les prises de position éparses et parfois contradictoires entre élus indiquent que l’élection largement remportée par Bruno Retailleau à la tête du parti n’a pas miraculeusement permis de recréer une parfaite cohésion au sein des Républicains. Les valeurs communes défendues et qui font office de programme partisan – lutte contre l’assistanat, baisse des impôts, lutte contre l’immigration et l’insécurité – ne sont pas à même de justifier le refus d’abolir le cordon sanitaire. Historiquement parti de gouvernement, LR reste tiraillé entre deux aspirations difficilement compatibles.

D’une part, une identité gaulliste plusieurs fois opposée à l’extrême droite, un rapport conservateur aux institutions qui le pousse à rejeter le « chaos » des partis antisystème, et le poids du rejet – certes tardif – par Jacques Chirac du « poison de l’extrémisme » ; de l’autre, une logique de radicalisation idéologique, de rupture radicale avec un macronisme impopulaire et de polarisation vis-à-vis d’une gauche présentée comme l’ennemi principal à l’instar, jadis, du communisme.

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Or, le système partisan français n’est plus organisé autour de l’alternance gauche-droite, et LR semble incapable de se positionner durablement dans un système tripolaire, coincé entre la tentation de l’exercice du pouvoir avec les macronistes, et celle d’une radicalité pourtant incarnée de manière hégémonique par le RN.

Un impensé

La question se pose donc de savoir si ce qui empêche le cordon sanitaire d’être définitivement coupé est un véritable rejet du projet politique porté par l’extrême droite, ou une incapacité organisationnelle à procéder autrement que par reptation, à force d’ajustements progressifs aux positions et intérêts variables des différents dirigeants.

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Le rejet de l’aventure ciottiste, en juin 2024, ne peut faire oublier que LR demeure la figure de proue d’un mouvement plus général de consentement à l’extrême droite qui, de la légitimation de ses idées à la reconnaissance de la respectabilité de ses dirigeants, en passant par les arrangements de coulisses à l’Assemblée nationale, érode la résistance du système politique dans son ensemble – donc indirectement des citoyens – à la progression de l’extrême droite.

Qu’on l’observe dans les médias ou dans des partis plus à gauche que Les Républicains, ce mouvement très progressif et pourtant accéléré de consentement à l’extrême droite – résultat d’une manipulation de l’opinion, selon les uns, de l’évolution des aspirations majoritaires, selon les autres – demeure un impensé de la vie politique française, dont les principaux acteurs détournent souvent les yeux. Les implications politiques de ce refoulé collectif, souvent réduit à une question morale, pourraient bientôt s’imposer à tous – si ce n’est pas déjà le cas.

Emilien Houard-Vial est chercheur postdoctorant au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip, université Versailles-Saint-Quentin/CNRS), associé au Centre d’études européennes et de politique comparée (Sciences Po/CNRS).

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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