Déserts médicaux : débuts plus que difficiles pour le programme de solidarité territoriale
Quentin Haroche | 09 Octobre 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/déserts-médicaux-débuts-plus-que-difficiles-2025a1000r8q?ecd=wnl_all_251009_jim_daily-doctor_etid7784518&uac=368069PV&impID=7784518&sso=true
Depuis un mois, des médecins sont incités à venir exercer deux jours par mois dans des territoires « sous-dotés ». En pratique, peu de praticiens ont répondu à l’appel regrettent les syndicats.
Ce devait être la grande mesure de François Bayrou pour lutter contre les déserts médicaux. Imaginé par le maire de Pau en avril dernier, le principe de solidarité territoriale consiste à inciter les médecins exerçant dans des zones suffisamment dotées en praticiens à venir prêter main forte, un ou deux jours par mois, dans les « déserts médicaux ». A l’époque, il s’agissait de court-circuiter la proposition de loi Garot*, adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale en mai dernier, proposition qui prévoit de remettre en cause la liberté d’installation.
Depuis, le projet de F Bayrou s’est concrétisé, avec la définition, en juin dernier, par le ministère de la Santé, de 151 « zones rouges » ****comptant 2,5 millions d’habitants et particulièrement touchées par la désertification médicale où le programme devait se déployer en priorité. C’est finalement le 1er septembre dernier que l’ancien ministre de la Santé Yannick Neuder a annoncé le lancement réel du projet et l’envoi de premiers médecins volontaires sur le terrain.
290 médecins volontaires en Nouvelle-Aquitaine…aucun sur le terrain
Un mois plus tard, il est évidemment beaucoup trop tôt pour faire un bilan définitif de l’opération mais de premières constatations provisoires sont possibles. En pratique, les médecins qui souhaitent participer à cette « aventure » comme la qualifie candidement le ministère de la Santé doivent s’inscrire sur une plateforme en ligne (le gouvernement n’a cependant pas exclu que le dispositif devienne à terme obligatoire). Afin de les inciter, les médecins toucheront une prime de 200 euros par jour de consultation. Le gouvernement revendique pour le moment plusieurs centaines de médecins volontaires. Ces praticiens itinérants ne pouvant évidemment pas exercer une médecine foraine, l’Assurance Maladie indique avoir déjà équipé 150 lieux de consultations dans ces zones rouges, auxquels il faut ajouter 200 sites « en cours d’équipement ».
Un bon début semble-t-il qui cache une réalité moins glorieuse sur le terrain. Tout d’abord, la répartition des volontaires est très inégale. ***** Si 290 médecins se sont portés volontaires pour exercer dans l’une des 29 zones rouges de Nouvelle-Aquitaine, ils ne sont que 18 volontaires pour 21 zones rouges en Centre-Val-de-Loire. Surtout, entre le volontariat et l’exercice concret sur le terrain, il y a un gap important : ainsi aucun des 290 volontaires de Nouvelle-Aquitaine n’a réalisé la moindre consultation pour le moment selon l’Agence Régionale de Santé (ARS).
Il faut dire qu’en 2025, il ne suffit plus d’un local vide pour exercer correctement la médecine. Ces praticiens itinérants se heurtent à de nombreux obstacles techniques : nécessité d’un équipement, d’un secrétariat, d’une connexion à la Sécurité Social, d’un logiciel métier etc. Sans compter que ces médecins ont besoin d’un hébergement sur place mais également d’être remplacés dans leur cabinet d’origine.
Y-a-t-il un pilote dans le désert ?
Les syndicats de médecins libéraux sont depuis le départ très sceptiques sur ce système de solidarité territoriale, qu’ils estiment insuffisant pour répondre au défi de la désertification médicale. Les débuts difficiles du dispositif ne font que renforcer leurs pressentiments. « On nous dit que les rendez-vous seraient pris sur une plateforme nationale en ligne mais c’est impraticable ! » s’agace le Dr Luc Duquesnel, président de la CSMF. « Les volontaires vont repartir en disant plus jamais ça » s’inquiète-t-il. « Ces patients ont besoin d’un suivi global, sur la durée, pas de one-shot » critique pour sa part le Dr Agnès Giannoti, présidente de MG France.
Dans les zones rouges, les médecins et les élus locaux ne sont pas beaucoup plus convaincus et témoignent de nombreuses difficultés administratives pour concrétiser ce dispositif. « En juin, nous avons donné à l’ARS des lieux d’accueil potentiels pour organiser des consultations, mais rien n’a bougé depuis et on n’a aucune nouvelle » se désole Albert Février, maire d’une commune du Loiret qualifiée de zone rouge. Même son de cloche dans le Vaucluse (qui compte trois zones rouges) où le Dr Sébastien Adnot, porte-parole local de MG France, constate que « pour l’instant, il n’y a rien de prêt ». « On gère la pénurie avec des moyens qu’on n’a pas, c’est du bouche-trou, une rustine de plus » résume le Dr Pierre Bidaut, président de l’URPS Centre-Val-de-Loire.
Malgré ces débuts difficiles, le ministère de la Santé conserve son optimisme. Le dispositif de solidarité territoriale a en effet vocation à s’étendre à de nouveaux territoires sous-dotés dès 2026, l’objectif étant d’assurer 30 millions de consultations par an dans les déserts médicaux. Problème : la crise politique actuelle a privé le programme de tout pilotage politique. Yannick Neuder a quitté le gouvernement, tandis que Catherine Vautrin expédie les affaires courantes. Cerise sur le gâteau, le sénateur Philippe Mouiller, qui porte une proposition de loi qui sert de véhicule législatif au programme de solidarité territoriale, a connu quelques déboires personnels : ce mercredi, il a été interpellé à Paris par les forces de l’ordre pour ivresse sur la voie publique…
Commentaire Dr Jean SCHEFFER
La lutte contre les déserts médicaux ne sera pas un succès avec les mesures proposées par Bayrou et Lecornu.
La lutte contre les déserts médicaux nécessite en priorité une régulation de l’installation des médecins sans doute plus drastique que celle contenue dans la loi trans-partisane de Guillaume Garot (elle permet les installations dans 87% des communes avec comme seule contrainte dans les autres 13% d’attendre le départ d’un médecin retraité, ce qui représente seulement 435 futurs généralistes sur un total de 2400 par promotion *)
*https://environnementsantepolitique.fr/2025/04/15/loi-inter-partisane-garot-quest-ce-que-cest/
Il serait préférable de solutionner l’ensemble des déserts médicaux dans toutes les spécialités et dans tous les lieux d’exercice, en créant le « Clinicat Assistanat pour Tous » obligatoire pour tous les futurs généralistes et spécialistes, d’une durée de 2 à 3 ans**. Cette mesure s’ajouterai à la régulation des installations.
**https://1drv.ms/w/s!Amn0e5Q-5Qu_sAoKetf_T8OKk2Io?e=GfjeRj?e=4YzGt2
En second lieu, il faut mailler le territoire en commençant par les zones rouges, de centres de santé publics et de maisons de santé libérales. Cependant il a été prouvé que majoritairement les maisons de santé libérales poly-disciplinaires s’implantent dans les grandes villes et dans certaines zones déjà pourvues comme les régions côtières.*** Le communiqué des organisations représentant les centres de santé insiste sur ce que doit être ce « Réseau des maisons France Santé » et ce qu’il ne doit pas être: « elle ne peut se limiter à une simple labellisation des structures existantes ou à la création de guichets et plateformes d’information pour les patients ». Les maisons de santé libérales devront accepter de s’implanter dans les zones rouges****, accepter de participer à la permanence des soins, avec l’absence de dépassements d’honoraires, et la pratique du tiers payant.

Bien entendu il faut parallèlement augmenter le numerus apertus, mais en donnant les moyens aux facultés de médecine de former l’afflux d’étudiants, qui restera cependant limité en raison du nombre de médecins généralistes libéraux enseignants lui-même limité.
Voir aussi: