Pour clouer le bec à ceux qui voudraient supprime l’Aide Médicale d’Etat.

« L’AME n’est pas une faveur, mais un dispositif qui protège l’ensemble de la société »

Tribune

Collectif

Dans une tribune au « Monde », un collectif de plus de 3 500 soignants considère que les récents projets de décret visant à réformer l’aide médicale d’Etat semblent plus motivés par des considérations politiques que par de véritables enjeux de santé publique. S’ils aboutissaient, ils pourraient avoir des conséquences désastreuses.

Publié hier à 12h00  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/10/07/l-ame-n-est-pas-une-faveur-mais-un-dispositif-qui-protege-l-ensemble-de-la-societe_6644941_3232.html

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Début septembre, la presse a révélé deux projets de décret visant à réformer l’aide médicale d’Etat (AME), qui permet aux personnes étrangères en situation irrégulière d’accéder aux soins. Ces textes prévoient de durcir les conditions d’octroi du dispositif, en restreignant les pièces permettant de justifier de son identité, en intégrant les ressources du conjoint en séjour régulier dans le calcul d’éligibilité, mais aussi en réduisant encore le panier de soins.

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Ces annonces, dévoilées à la veille d’échéances politiques importantes, semblent davantage guidées par des calculs électoraux que par des considérations de santé publique. Bien que ces projets de décret aient été provisoirement suspendus avec la démission du gouvernement Baytou, la rencontre, le 23 septembre, entre le premier ministre d’alors, Sébastien Lecornu [qui a démissionné le 6 octobre], et les auteurs du rapport de décembre 2023 sur l’AME (Claude Evin et Patrick Stefanini) est un signal laissant craindre une volonté persistante de réforme de ce dispositif.

Une fois encore, l’AME est instrumentalisée, au prix de la santé de personnes particulièrement vulnérables. Pourtant, toutes les évaluations réalisées montrent que les réformes du dispositif n’ont aucune efficacité prouvée sur le contrôle migratoire. Leurs conséquences négatives sur la santé des patients et sur le fonctionnement de notre système de soins, elles, sont bien connues.

Grave régression

En tant que soignants, nous rappelons que l’accès aux soins est un droit humain fondamental, inscrit dans les engagements internationaux de la France et au cœur de notre éthique professionnelle. L’AME n’est pas une faveur, mais un dispositif de santé publique qui protège l’ensemble de la société. Empêcher une partie de la population de se soigner, c’est provoquer des complications médicales évitables et des coûts plus lourds pour les hôpitaux. Dans un système de santé déjà fragilisé, ces reports d’activité ne peuvent qu’aggraver la crise hospitalière.

La restriction des pièces justificatives, avec l’exigence d’un document d’identité comprenant une photographie, ignore la réalité des situations vécues par les personnes concernées par l’AME. Nombre d’entre elles sont en situation précaire, ont perdu leurs papiers, se les sont fait voler ou confisquer, ou bien vivent dans des conditions où il est impossible de conserver des documents en sécurité. Refuser l’accès à l’AME sur cette base revient à priver de soins des personnes déjà en grande précarité. Cette mesure n’a aucun fondement médical, et s’oppose aux constats répétés de la Caisse nationale d’assurance-maladie, qui souligne le caractère extrêmement marginal de la fraude.

La conjugalisation des ressources est tout aussi problématique. Le plafond de revenus pour bénéficier de l’AME est déjà très bas – 862 euros par mois pour une personne seule – ce qui exclu nombre de travailleurs sans papiers aux revenus modestes. Si les revenus du conjoint français ou étranger en séjour régulier sont désormais pris en compte, la situation deviendra encore plus restrictive. Dès lors que le revenu du foyer dépasse le plafond fixé pour un couple – 1 292 euros par mois –, la personne en situation irrégulière perdra tout droit à l’AME et devra assumer seule l’intégralité de ses frais de santé, ou renoncer aux soins.

Ce mécanisme touchera particulièrement les femmes étrangères en grande précarité, souvent déjà fragilisées par des situations de dépendance ou de violence. Ces femmes se retrouveront sans droit ouvert à l’AME, ni accès à aucune autre protection. C’est une régression grave, tant pour leur santé que pour leur autonomie.

Il convient de rappeler que l’AME ne couvre pas, ou très marginalement, certains postes de soins essentiels comme les lunettes, les prothèses auditives et les soins dentaires complexes. L’instauration d’accord préalable pour d’autres actes, tels que la kinésithérapie, les dispositifs optiques, auditifs ou dentaires, aurait en revanche des conséquences très concrètes : elle alourdirait inutilement les démarches administratives, compliquerait le travail des médecins et des agents de l’Assurance-maladie, et retarderait la prise en charge de patients atteints de pathologies graves.

Priorité à l’accès aux soins

Des études comme celle de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé ont démontré que les bénéficiaires de l’AME ne consomment pas plus de soins que les autres patients. Par ailleurs, pour une même maladie, les hospitalisations sont plus longues et plus coûteuses lorsque les patients n’ont pas accès à l’AME. Depuis des mois, les soignants défendent ce dispositif.

Le rapport de 2023 sur l’AME, aujourd’hui convoqué pour justifier ces décrets, a été largement contesté dès sa publication par les professionnels de santé, les sociétés savantes et les institutions spécialisées. Nos messages sont constants : affaiblir l’AME, c’est affaiblir la santé publique. Nos priorités restent l’accès aux soins, la simplification des démarches, le renforcement de l’hôpital et des dispositifs de proximité.

Nous, soignants, appelons à retirer ce projet de décret, à conserver et à dépolitiser l’AME, à supprimer le plafond de revenu existant et les exigences de pièces administratives impossibles à fournir afin de garantir un accès effectif au droit à la santé pour tous en France.

Premiers signataires : François Bourdillon, médecin de santé publique, ancien directeur de Santé publique France ; Julie Chastang, médecin généraliste au centre municipal de santé de Fontenay-sous-Bois (Val-de-Marne) ; Jean-François Corty, président de Médecins du monde ; Anne-Laure Féral Pierssens, cheffe de service au SAMU 93-SMUR-Urgences de Bobigny ; Agnès Giannotti, médecin généraliste à Paris ; Rémi-Julien Laporte, responsable de la permanence d’accès aux soins de santé (PASS) pédiatrique de l’AP-HM, à Marseille ; Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat, à Paris ; Rémi Salomon, pédiatre à Paris ; Muriel Schwartz, cadre socio-éducatif à la coordination régionale des PASS de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur ; Nicolas Vignier, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Avicenne, à Bobigny. Liste complète des signataires à retrouver ici.

Collectif

L’appel de 3 000 soignants : « Nous demandons le maintien de l’aide médicale d’Etat pour la prise en charge des soins des personnes étrangères »

Tribune

Collectif

Alors que la suppression de l’AME pourrait être débattue dans le cadre du projet de loi « immigration » qui arrive au Sénat lundi 6 novembre, des milliers de soignants rappellent, dans une tribune au « Monde », les raisons d’être de ce dispositif.

Publié le 02 novembre 2023 à 06h00   https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/l-appel-de-3-000-soignants-nous-demandons-le-maintien-de-l-aide-medicale-d-etat-pour-la-prise-en-charge-des-soins-des-personnes-etrangeres_6197818_3232.html

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Nous, soignants de toutes spécialités et de toutes origines, souhaitons nous opposer fermement et de manière unie au projet de suppression de l’aide médicale d’Etat (AME) au profit d’un dispositif dégradé.

L’AME est une aide sociale qui permet aux personnes étrangères en situation administrative irrégulière d’avoir accès aux soins. Il s’agit d’un outil de lutte contre les exclusions qui n’est accessible que pour les personnes dont les ressources sont inférieures à 810 euros par mois et qui font preuve d’une résidence stable en France.

Les patients que nous soignons et qui bénéficient de l’AME ne sont pas, dans leur grande majorité, des personnes qui ont migré vers la France pour se faire soigner, mais des personnes qui ont fui la misère, l’insécurité ou qui l’ont fait pour des raisons familiales. Leurs conditions de vie difficiles en France les exposent à des risques importants : problèmes de santé physique et psychique, maladies chroniques, maladies transmissibles ou contagieuses, suivi prénatal insuffisant et risque accru de décès maternels.

Retards de diagnostic

A ce titre, il s’agit d’une population prioritaire en matière de santé publique. Limiter leur accès aux soins aurait pour conséquence directe d’entraîner une dégradation de leur état de santé, mais aussi plus globalement celui de la population toute entière. En témoigne l’exemple malheureux de l’Espagne : la restriction de l’accès aux soins des étrangers en situation irrégulière votée en 2012 y a entraîné une augmentation de l’incidence des maladies infectieuses ainsi qu’une surmortalité. Cette réforme a finalement été abrogée en 2018.

Nous, soignants du terrain, sommes extrêmement préoccupés à l’idée de devoir soigner dans un système de santé amputé de l’AME, car celui-ci serait alors exposé à un risque de paralysie. Les personnes étrangères sans papiers n’auraient d’autre choix que de consulter dans les permanences d’accès aux soins de santé (PASS) et les services d’accueil et d’urgences, déjà fragilisés et en tension, et quise trouveraient à nouveau contraints d’assumer les conséquences de décisions politiques éloignées de nos réalités.

Lire aussi la tribune :    « Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! »

Les barrières à l’accès aux soins sont déjà multiples pour ces patients. Les exclure encore davantage ne pourrait qu’entraîner leur renoncement aux soins et la dégradation de leur état de santé. L’éloignement du système de santé aboutit in fine à des retards de diagnostic, au déséquilibre et à l’aggravation des maladies chroniques, ainsi qu’à la survenue de complications. Le recours aux soins dans ce contexte survient en urgence avec des hospitalisations complexes et prolongées, parfois en réanimation, dans des structures déjà fragilisées, et à des coûts finalement bien plus élevés pour la collectivité, sans oublier les difficultés attendues à transférer ces patients en soins de suite et de réadaptation, qui requièrent une couverture maladie.

Dans le contexte de crise que vit l’hôpital public, et dont le Covid-19 a été le révélateur, la remise en cause de l’AME ferait donc courir un risque majeur de désorganisation du système de santé, d’aggravation des conditions de travail des soignants et de surcoûts financiers importants.

Leur santé, c’est aussi la nôtre

Nous, soignants exerçant en libéral, à l’hôpital, en centre de santé, en protection maternelle et infantile, dans les PASS, dans les structures de prévention et auprès d’associations, soignons les personnes sans papiers comme n’importe quels autres patients. Par humanité, et conformément au code de déontologie médicale auquel nous nous référons et au serment d’Hippocrate que nous avons prêté à la fin de nos études. C’est l’honneur de notre profession.

Lire aussi la tribune (2022) :    « L’abandon de l’aide médicale d’Etat est à la fois dangereux médicalement, absurde économiquement et indigne moralement »

Restreindre l’accès aux soins à une population fragilisée sur la base d’un critère de régularité du séjour est contraire à la majorité des textes en vigueur en France sur les droits de l’homme, qui stipulent que tout individu doit avoir accès aux soins quels que soient son origine et son statut. Ainsi, nous refusons d’être contraints à faire une sélection parmi les malades entre ceux qui pourront être soignés et ceux laissés à leur propre sort. Nous demandons le maintien de l’AME pour la prise en charge des soins des personnes étrangères.

Au-delà de sa raison d’être humaniste, l’AME est aussi un outil essentiel à la santé des individus et à la santé publique. Leur santé, c’est aussi la nôtre. Les restrictions politiques ne feront qu’éprouver les corps, contribuer à la dégradation de la santé publique, compliquer la tâche des soignants et fragiliser un système de santé déjà exsangue.

Nous appelons donc le gouvernement et nos élus à renoncer à tout projet portant atteinte à l’AME ou venant restreindre son périmètre, et à conforter l’accès à une couverture maladie pour tous.

Premiers signataires : Valérie Achart-Délicourt, infirmière, cadre supérieure de santé, vice-présidente de la Société française de lutte contre le sida ; Françoise Barré-Sinoussi, virologue, Prix Nobel de médecine en 2008 ; Jean-François Delfraissy, professeur d’immunologie, président du Comité consultatif national d’éthique ; Anne-Laure Feral-Pierssens, médecin urgentiste, cheffe du SAMU 93-Urgences des hôpitaux Paris Seine-Saint-Denis ; Agnès Giannotti, médecin généraliste, présidente du syndicat MG-France ; Rémi Laporte, médecin (coordination régionale des permanences d’accès aux soins de santé à Marseille) ; Julien Le Breton, médecin généraliste, président de la Société française de médecine générale ; Florence Rigal, médecin interniste, présidente de Médecins du monde France ; Rémi Salomon,pédiatre, président de la conférence des présidents de commission médicale d’établissement de CHU ; Nicolas Vignier, infectiologue, coordonnateur du groupe migrants et populations vulnérables de la Société de pathologie infectieuse de langue française.

Retrouvez la liste complète des signataires ici.

Collectif

« Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! »

Tribune

Nicolas ClémentResponsable d’équipes d’accompagnement de familles à la rue et en bidonville au Secours catholique

A l’inverse de ceux qui voudraient supprimer l’aide médicale d’Etat (AME) ou restreindre son accès, il importe de la défendre, aussi bien par humanité que pour préserver notre population, souligne, dans une tribune au « Monde », Nicolas Clément, membre du Secours catholique.

Publié le 25 octobre 2023 à 20h00, modifié le 27 octobre 2023 à 15h47 https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/25/non-l-aide-medicale-d-etat-n-est-pas-un-scandaleux-appat-pour-migrants_6196476_3232.html

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L’aide médicale d’Etat (AME) fait-elle de la France, comme le pense la droite, une sorte d’« open bar » sanitaire pour migrants ? D’abord un chiffre : l’AME représenterait près de 1,2 milliard d’euros, selon un rapport, publié en mai, de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblee nationale sur « l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière ».

Très élevé en apparence, ce chiffre est à comparer au total de l’Assurance-maladie qui s’élevait à 236 milliards en 2022, montrent les données officielles de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ; ainsi, cette aide ne compte que pour 0,5 % du total des dépenses de santé. En 2022, 411 364 personnes en ont bénéficié, soit, sur 67 millions de Français, un taux de 0,6 %.

Un sans-papiers éligible sur deux

Contrairement à ce qui est bien souvent affirmé, le poids des bénéficiaires de l’AME dans le total des dépenses de santé est inférieur à leur poids démographique et leur « consommation sanitaire » est d’environ 16 % en dessous de la moyenne française. Par ailleurs, une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) de l’université de Bordeaux estimait en novembre 2019 que seul un sans-papiers éligible sur deux en bénéficiait.

Mais au fait, pourquoi avoir créé, en 1999, cette aide, régulièrement discutée ? Ses concepteurs avaient deux buts ; l’un humanitaire, pour assurer la couverture santé de personnes en situation difficile ; l’autre de santé publique, pour éviter les maladies contagieuses et ainsi nous protéger. Et c’est la somme de ces deux buts qui justifie ce dispositif. Or, souvent, seul le motif humanitaire est retenu dans les débats – soit pour le brandir en avant, soit pour le rejeter vigoureusement –, le motif sanitaire étant, lui, la plupart du temps, oublié.

Lire aussi :   Une résolution sur l’aide médicale d’Etat rejetée à l’Assemblée nationale

Pourtant, si on l’intégrait, le premier questionnement ne porterait pas sur le coût de l’AME mais sur la nécessité de tout faire pour limiter les non-recours. Paradoxe : pendant les deux ans de la crise sanitaire du Covid, on n’a cessé de nous alerter sur les risques de contamination alors que certains veulent soudain supprimer ce dispositif qui, en soignant les malades, limite les risques contagieux !

Du côté des bénéficiaires, la théorie de « l’appel d’air » est très loin d’être vérifiée, comme le montre le faible taux de recours déjà évoqué. L’expérience de terrain dans l’accompagnement vers la couverture médicale de très nombreux Roms roumains corrobore ces analyses de l’Irdes : la constitution du dossier de demande d’AME n’est pas simple et les personnes concernées ne s’y attellent que lorsqu’elles ont des soucis de santé, ce qui est loin d’être le plus courant.

Avant tout un travail et des revenus

Il faut le répéter : même s’il y a des exceptions, la très grande majorité des étrangers qui viennent en France veulent avant tout un travail et des revenus et ne sont pas motivés par les protections sociales. Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! Et heureusement, car les conditions d’accès sont de plus en plus rudes. Un exemple ?

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Toute première demande d’AME doit être apportée en mains propres au service concerné ; on ne peut plus se contenter d’un envoi postal. Mais on perd ainsi un temps considérable de trajet et de file d’attente au guichet, et il faut désormais être accompagné d’un travailleur social pour pouvoir expliquer ce qu’on a répondu sur les divers documents exigés pour la demande. Trop lourde, cette étape pousse souvent à l’abandon.

Cette mesure (ainsi que d’autres rendant l’accès plus difficile à l’AME) a été préconisée par un rapport conjoint de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’action sociale. Selon ses auteurs, 20 à 30 % des bénéficiaires d’une carte AME retireraient celle-ci dans un délai de plus de deux mois après notification. Cela s’expliquerait « dans certains cas par le fait que la personne réside dans son pays d’origine et ne prévoit un retour en France et un retrait de la carte AME qu’en cas de besoin de soins ».

Cette affirmation appelle plusieurs objections.

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D’abord quelle est l’ampleur du « certains cas » qui, s’il n’est mesuré, n’a pas beaucoup de sens ? Surtout, c’est méconnaître la façon dont ces personnes reçoivent une information par courrier : un très grand nombre n’ont pas d’adresse physique, mais seulement une adresse postale gérée par une association domiciliatrice, dont les horaires ne sont pas toujours compatibles avec ceux des bénéficiaires, surtout s’ils travaillent ou si leur lieu de vie (au gré d’expulsions) s’est beaucoup éloigné du lieu de la domiciliation. Dès lors, le temps entre l’arrivée d’un courrier et sa récupération par l’intéressé est souvent fort long.

Au moins six mois en France

Autre exemple de méconnaissance : on ne pouvait, au moment de la publication du rapport, demander l’AME qu’après trois mois de résidence en France, ce qui se vérifie en regardant le passeport et les derniers visas qui y figurent. Mais les auteurs ajoutaient qu’il « est probable que les personnes arrivées depuis moins de trois mois, aient renouvelé leur passeport auprès du consulat de leur pays » pour faire disparaître leur visa. On comprend mal la logique.

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Mais, à la suite de la publication de ce rapport, le délai a changé : il est désormais de trois mois… après les trois premiers mois passés en France comme « touriste ». Il faut donc désormais avoir passé au moins six mois en France avant de pouvoir lancer une demande d’AME.

Face à cette aide médicale, deux politiques sont actuellement à l’œuvre : l’une, directe et brutale, souhaitée notamment par Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, vise à la supprimer et la remplacer par un dispositif beaucoup plus limité ; l’autre, plus discrète mais très pernicieuse, consiste à accroître les obstacles et réduire de facto la proportion de bénéficiaires parmi ceux qui y seraient éligibles. A l’inverse de ces deux options, il importe de défendre l’AME, aussi bien par humanité que pour préserver notre population.

Et cessons de pourrir la vie de ceux qui arrivent en France : dans De l’humiliation : le nouveau poison de notre société (Les liens qui libèrent, 2022) Olivier Abel montre bien les effets terribles à long terme des humiliations subies…

Nicolas Clément est auteur de « La Précarité pour tout bagage. Un autre regard sur les Roms » (éditions de l’Atelier, 2022) et de « Une Soirée et une nuit (presque) ordinaires avec les sans-abri » (éditions du Cerf, 2015).

Nicolas Clément (Responsable d’équipes d’accompagnement de familles à la rue et en bidonville au Secours catholique)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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