Enseignement catholique : « Il existe un abîme entre le projet et sa réalité sociologique »
Tribune
Pierre MerleProfesseur émérite de sociologie
Le nouveau secrétaire de l’enseignement catholique, Guillaume Prévost, cherche à réaffirmer l’identité chrétienne de ce réseau. L’occasion de se questionner sur le sujet, alors que les établissements privés n’ont jamais accueilli aussi peu d’enfants défavorisés, souligne, dans une tribune au « Monde », le sociologue Pierre Merle.
Publié hier à 06h30 https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/10/07/enseignement-catholique-il-existe-un-abime-entre-le-projet-et-sa-realite-sociologique_6644895_3224.html
Temps de Lecture 4 min.Offrir l’article Lire plus tard Partager
Guillaume Prévost, nouveau secrétaire général de l’enseignement catholique, a déclaré qu’il fallait « redonner clairement le droit à une enseignante de faire une prière le matin avec ses élèves, parce que c’est le cœur de [leur] projet ». Cette déclaration pose une question cardinale : quelle est l’identité de l’enseignement catholique ?
Lire aussi | L’enseignement catholique, à l’offensive sur son « caractère propre », affirme son identité religieuse
Le projet catholique est défini dans ses statut, réécrits en 2013. Outre « travailler à faire connaître la bonne nouvelle du salut » (article 8), « l’école catholique est une école pour tous. Elle porte une attention plus particulière à toutes les formes de pauvreté (…), surtout aux plus pauvres et aux marginaux » (article 38). En 2014, de façon cohérente avec ce projet, l’enseignement catholique se donne pour objectif de « renforcer l’accueil de toutes les fragilités et [de] favoriser le développement de la mixité sociale ». Dans sa présentation des « moyens affectés à la mixité sociale et scolaire », l’enseignement catholique précise qu’il « poursuit une politique volontariste en faveur des publics en difficulté » (2024). Au-delà de ces statuts et des actions mises en œuvre, quelle est la réalité sociologique des établissements catholiques, qui scolarisent 96 % des élèves inscrits dans les établissements privés sous contrat ?
Un indicateur de la « politique volontariste en faveur des publics en difficulté » de l’enseignement catholique est la proportion d’élèves inscrits dans les unités localisées pour l’inclusion scolaire (ULIS), dont l’objet est la scolarisation des élèves en situation de handicap. Alors que l’enseignement privé sous contrat scolarise plus de 20 % des élèves du secondaire, il ne scolarise que 9,3 % des élèves inscrits dans les ULIS (contre 90,7 % pour le public), selon l’édition 2025 des « Repères et références statistiques » (RERS) du ministère de l’éducation nationale.
La scolarisation des élèves en grande difficulté assurée par l’enseignement privé est encore plus faible pour les sections d’enseignement général et professionnel adapté (Segpa). Le privé en scolarise moins de 6 % (RERS, 2025). Il faut en conclure que l’enseignement catholique, contrairement à son projet, ne porte pas une attention particulière « aux plus pauvres et aux marginaux ».
Transformation territoriale
La transformation du recrutement social de l’enseignement catholique constitue un autre indicateur de sa réalité sociologique. Depuis les années 2000, alors que la part des élèves d’origine favorisée scolarisés dans les formations générales et technologiques des lycées publics est stable, autour de 35 %, cette part est passée de 48 % à 55 % dans le privé. Dans les filières professionnelles du privé sous contrat, la part des enfants d’origine favorisée est passée de 9 % à 20 %, alors que celle du public demeure stable, autour de 8 %. Les dynamiques sociales en œuvre dans les collèges sont comparables à la fois sur le long et le court terme. Ainsi, en 2017, parmi les 10 % des collèges publics et privés les plus défavorisés, seulement 6 % étaient privés. En 2021, moins de 0,5 % de ces établissements sont privés (soit 99,5 % publics). Les collèges privés sous contrat scolarisant les élèves les plus défavorisés ont quasiment disparu.
Lire aussi (2023) | Enseignement privé : la Cour des comptes souligne les carences du contrôle de l’Etat et un recul de la mixité
Cette transformation du recrutement social des établissements privés a de multiples origines. Il est habituel d’évoquer le « choix des familles ». Lorsque celui-ci s’exerce en faveur du privé, il est conditionné au choix des établissements qui, en raison d’une demande supérieure à l’offre, inscrivent le plus souvent les élèves d’origine aisée dont les résultats scolaires sont en moyenne meilleurs et permettent d’assurer l’attractivité du privé grâce à des taux de réussite élevés au brevet et au bac. Par ailleurs, l’offre de formation de l’enseignement catholique s’est sensiblement transformée sur les vingt dernières années, avec une réduction des élèves inscrits dans les formations professionnelles et technologiques et une augmentation des élèves inscrits dans les formations générales, qui scolarisent plus fréquemment les enfants d’origine aisée.
La transformation de l’offre de l’enseignement privé est aussi territoriale. Des établissements catholiques au recrutement populaire ont été fermés ; d’autres s’ouvrent ou s’agrandissent dans les communes les plus aisées. En conséquence, la part des élèves scolarisés dans le privé a été réduite dans les départements les plus pauvres, en Corrèze, en Corse-du-Sud, dans l’Indre, le Cantal… Il n’existe aucun collège privé à Grigny (Essonne), ni à Clichy-sous-Bois ou à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Si la tradition catholique continue d’expliquer, spécifiquement en Bretagne et en Loire-Atlantique, l’importance de la scolarisation dans le privé, l’inégalité d’implantation territoriale des établissements catholiques est de plus en plus liée au niveau de richesse des territoires.
Sécession des riches
Il existe un abîme entre le projet de l’enseignement catholique, tel qu’il peut être défini par ses statuts et son adhésion au principe de mixité sociale, et sa réalité sociologique marquée par un embourgeoisement progressif. Cette situation est réversible. L’embourgeoisement considérable des lycées catholiques, notamment parisiens, serait stoppé, voire inversé, si le secrétaire général de l’enseignement catholique acceptait que les lycées catholiques participent à la procédure d’affectation Affelnet, qui a permis un développement de la mixité sociale des lycées parisiens publics les plus bourgeois. Une telle décision serait novatrice, en adéquation avec les politiques nationales de mixité sociale, et pleinement conforme aux statuts de 2013 et à la mission de service public auquel l’enseignement catholique contribue depuis la loi Debré de 1959. Un engagement a priori plus efficace qu’une prière matinale.
A l’instar de la sécession des riches, de façon plus ou moins consciente, l’enseignement catholique a fait le choix de l’entre-soi et de la reproduction sociale en scolarisant préférentiellement les enfants des catégories aisées. Il s’interdit dès lors un projet réellement chrétien, celui d’une « école pour tous », attentive « à toutes les formes de pauvreté ».
Lire l’enquête : Le boom de l’enseignement privé en Suède, un cas d’école
Pierre Merle est professeur émérite de sociologie à l’Inspé de Bretagne et à l’université de Bretagne-Occidentale, auteur de « L’Enseignement privé » (La Découverte, 128 pages, 11 euros).