La lutte de ces fonctionnaires, enseignant, juge, médecin hospitalier, facteur ou policier, pour continuer d’accomplir leur métier, dans un environnement qui ne leur en donne plus les moyens.

Dans le documentaire « Hors service », une plongée au cœur du service public avec six agents de l’Etat démissionnaires

Jean Boiron Lajous raconte la lutte de ces fonctionnaires, enseignant, juge, médecin hospitalier, facteur ou policier, pour continuer d’accomplir leur métier, dans un environnement qui ne leur en donne plus les moyens, jusqu’à leur départ. 

Par Jacques Mandelbaum

ublié aujourd’hui à 11h00 https://www.lemonde.fr/culture/article/2025/10/08/dans-le-documentaire-hors-service-une-plongee-au-c-ur-du-service-public-avec-six-agents-de-l-etat-demissionnaires_6645308_3246.html

Image extraite du documentaire « Hors service », de Jean Boiron Lajous.
Image extraite du documentaire « Hors service », de Jean Boiron Lajous.  LES ALCHIMISTES

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Sur le papier, la filmographie de Jean Boiron Lajous, qu’on a relativement peu croisé au cinéma jusqu’ici, témoigne de l’itinéraire d’un documentariste engagé et attentif aux questions sociales. Ce n’est pas son nouveau film, Hors service, qui va nous persuader du contraire. Celui-ci procède, en tout état de cause, d’une excellente idée : réunir en un même lieu et donner la parole à six fonctionnaires, qui ont, en plus ou moins bon état, démissionné de la fonction publique. Le « casting » a duré un an, les âges vont de 30 à 52 ans, les origines sociales sont diverses, et le lieu de cette opération cinématographique est – merci pour le symbole – un hôpital désaffecté.

S’y retrouvent Margot, médecin hospitalière. Floriane, juge. Blandine et Rachel, enseignantes. Mikael, facteur. Nabil, policier. En dépit des différences entre les personnes, les fonctions et les institutions, il ressort un point commun de cette confrontation : tous ont été des agents de l’Etat dans ce que cette vocation du service public compte de plus noble et de plus généreux, tous l’ont quitté faute de pouvoir continuer à répondre à l’idée qu’ils se faisaient de leur engagement, tous l’ont fait l’amertume au cœur. Certains d’entre eux, qui plus est, en très mauvais état.

D’où qu’elle vienne – du bureau de poste à la salle d’opération, du commissariat à la salle de classe –, leur parole se retrouve autour d’un même faisceau de raisons, lesquelles entraînent la même usure, le même désengagement. Car quelque chose a définitivement basculé dans le service public. Désormais, la rentabilité y prend le pas sur la qualité du service rendu. Dépenser moins est devenu le maître mot. Il s’agit de faire du chiffre plutôt que de secourir à l’hôpital, d’exclure les élèves en difficulté plutôt que de les repêcher à l’école. D’expédier les affaires courantes au tribunal. De devenir une sorte de robot découplé d’un environnement humain à La Poste.

Impossible équation personnelle

Il s’ensuit, pour ceux et celles qui ont choisi d’embrasser cette vocation par goût du bien public et de la fierté du travail utile et bien fait, une impossible équation personnelle. Culpabilité de ne pouvoir se ranger à une nécessité d’économiser qui fait désormais loi. Sentiment de trahison vis-à-vis de soi-même que procure un ouvrage bâclé. Honte d’avoir à traiter et à hiérarchiser les usagers comme de simples numéros. Passe encore pour la lettre à la poste. Mais on ne sait que trop bien ce que cela signifie à l’hôpital, au tribunal et à l’école.

Tous ceux et celles qui ont accepté de parler dans ce film racontent la même histoire : celle de leur vaine lutte pour continuer d’accomplir leur fonction dans un environnement qui ne leur en donne plus les moyens ; celle du sacrifice qui leur en coûte – sacrifice qui semble intégré aux calculs des technocrates qui les dirigent ; celle, enfin, de l’épuisement physique et mental, puis de l’abandon qui en résulte.

Il se voit et il se dit, ici, des choses poignantes. L’enseignante qui pleure en relisant sa lettre de démission. Le postier qui fait de même en évoquant le monde perdu. Le policier qui évoque sa dépression devant la violence et le racisme défigurant sa profession. « Aujourd’hui, on a l’impression que l’institution est tellement déviante qu’on ne peut plus la défendre qu’à l’extérieur », dit l’une. « On n’arrivera jamais à rétablir la confiance des gens », relance l’autre. Et que dire de Jean-Marc, policier, qui parle, quant à lui, encore de l’intérieur, et intervient à la fin du film, à la demande de Nabil, pour témoigner de ce qu’il en coûte d’être lanceur d’alerte au sein de la grande maison ?

Humanisme

Quant à la forme filmique qui fait passer tout cela, on la sent tentée par l’arrangement fictionnel. Errances à la lampe torche dans un lieu fantomatique, mises en scène des personnages dans leur ancien costume, conversations de tablée à la chandelle… Mais ces feux ne sont pas assez poussés, et le film demeure au seuil de ce qu’on aurait pu imaginer qu’il dût être : une ouverture sur l’imaginaire, une brèche poétique, une remise en circulation du désir. Quelque chose qui, dans la mémoire cinéphilique, ramènerait aux sortilèges de Ce vieux rêve qui bouge (2001), d’Alain Guiraudie.

Du moins sent-on bien que la fluidité du dialogue qui préside son dispositif, l’écoute des uns vis-à-vis des autres, le respect témoigné à l’endroit de chacun, n’existent que grâce à cette mise en espace et en condition. Laquelle ménage à son tour, au moment du montage, une temporalité lâche, une respiration, une condition d’expression de l’humanité en somme, dont l’absence aura justement brisé les personnages dans leur vie professionnelle.

C’est au demeurant à cet humanisme que s’en tient le film, qui ne cherche pas la pensée contradictoire auprès des autorités ou des compétences concernées, ni ne va sur le terrain macroéconomique trouver les raisons de la crise que traverse la fonction publique en France. C’est sans doute dommage, mais qui songerait, pour autant, à lui disputer la vérité et l’urgence du constat ?

https://www.youtube.com/watch?v=XbfhjOeRJTM

Documentaire français de Jean Boiron Lajous (1 h 26).

Jacques Mandelbaum

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire