Comment soutenir efficacement la transition sans augmenter la dette.

Contre la fracture écologique, il faut mieux cibler les aides vertes

Analyse

Matthieu Goar

En France, comme dans tous les pays, les émissions de gaz à effet de serre dépendent très fortement du niveau de vie, sauf que d’autres critères entrent en jeu, dont il faudrait tenir compte pour soutenir efficacement la transition sans augmenter la dette.

Publié hier à 16h00  https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/10/07/contre-la-fracture-ecologique-il-faut-mieux-cibler-les-aides-vertes_6644960_823448.html

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Panneaux solaires installés sur une maison de Saint-Pierre-d’Albigny (Savoie), en septembre 2018.
Panneaux solaires installés sur une maison de Saint-Pierre-d’Albigny (Savoie), en septembre 2018.  JEAN-PIERRE CLATOT/AFP

Ils ont une dizaine de mois pour explorer l’un des plus grands défis politiques du XXIe siècle, celui de la fracture écologique. Lancée quelques heures avant la chute du gouvernement de François Bayrou, début septembre, une mission composée de trois économistes va « analyser les conséquences socio-économiques du dérèglement climatique », selon les termes choisis par Matignon. Ces experts vont devoir mesurer les impacts du réchauffement mais aussi les coûts que cette transition va engendrer sur les différentes catégories de la société française. A l’été 2026, ils devront donner des pistes pour que chaque Français ait l’impression de contribuer et de bénéficier de la façon la plus équitable possible.

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Le but officieux est de couper le carburant aux populismes qui instrumentalisent l’écologie en dressant les catégories populaires contre Paris, Bruxelles et les élites avec des arguments simplistes mais très efficaces : les bobos urbains qui prennent l’avion demanderaient aux travailleurs ruraux modestes ayant besoin de leur voiture de payer et de changer de mode de vie. Depuis 2017, Emmanuel Macron et ses ministres ont pu constater les ravages provoqués par le sentiment d’injustice climatique. A l’automne 2018, les « gilets jaunes » ont protesté contre la taxe carbone. Au printemps, les #Gueux, très actifs sur réseaux sociaux, ont fait reculer les députés sur les zones à faibles émissions (ZFE) sans même avoir à descendre dans la rue.

Le sujet est brûlant et la tâche est immense, car la fiscalité carbone, élément-clé de la transition, est un sujet éminemment complexe. Pour être le plus efficace possible, il faut prendre des mesures qui réduisent vraiment les émissions de gaz à effet de serre mais aussi compenser les efforts des plus modestes. La tentation pourrait être de faire payer les plus émetteurs afin d’aider les plus pauvres.

Créer un guichet unique

En France, comme dans tous les pays, les émissions dépendent très fortement du niveau de vie, sauf que d’autres critères entrent en jeu. Une très longue note intitulée « Qui émet du CO2 ? », publiée dans la Revue de l’Observatoire français des conjonctures économiques en mai 2020, précise les enjeux. Parmi les 10 % de ménages les plus émetteurs, 26 % d’entre eux appartiennent au dixième décile – la catégorie des 10 % de Français les plus riches –, mais 24 % viennent des cinq premiers déciles – les 50 % de Français les moins riches« Les émissions des ménages sont tendanciellement croissantes avec le revenu, mais elles présentent aussi une forte variabilité liée à des facteurs géographiques et techniques qui contraignent à recourir aux énergies fossiles, écrivent les auteurs, notamment Emmanuel Combet et Antonin Pottier, qui avaient poursuivi cette réflexion dans leur livre, Un nouveau contrat écologique (PUF, 2024). Le seul revenu ne permet pas de rendre compte des inégalités écologiques. »

Ces données montrent que la taxe carbone, très efficace pour réduire les émissions, est injuste, car elle pénalise les ménages pauvres qui ont besoin de leur voiture et se chauffent avec une chaudière au fioul. De l’autre côté, les aides directes, comme le bouclier énergétique mis en place à partir de 2021 avec des chèques exceptionnels, ciblent bien les foyers les plus pauvres. Mais elles subventionnent aussi de façon détournée les énergies fossiles tout en creusant de façon abyssale la dette (85 milliards d’euros entre 2021 et 2023, selon un rapport sénatorial publié le 27 juin 2023).

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A l’avenir, la seule solution pour réduire les factures et la fracture écologique est donc de prendre en compte des dizaines de critères dans le calcul des aides : les revenus, bien sûr, mais aussi la localisation des contribuables, leur lieu de travail, leur capacité à changer de mode de chauffage… La deuxième édition du « leasing social », un dispositif qui permet aux ménages les plus modestes de bénéficier d’un véhicule électrique à partir de 100 euros par mois, a ainsi intégré un critère géographique : une partie des dossiers sont réservés aux Français modestes qui habitent dans une ZFE. Dans une transition idéale, il faudrait aussi créer un guichet unique qui rassemble toutes les aides vertes disponibles pour chaque foyer.

Compenser les « inégalités horizontales »

Avant cela, il faudrait remettre à plat toute la fiscalité et le système des aides pour intégrer ces multiples critères. En juillet 2022, l’Agence de la transition écologique (Ademe) détaillait, dans un rapport intitulé « Pour un contrat social de transition », les pistes pour mener à bien ce vaste chantier. Pour compenser les « inégalités horizontales » face au renchérissement inévitable du carbone, les experts préconisaient d’associer les collectivités, les partenaires et les acteurs sociaux pour améliorer le ciblage des aides et réduire le coût des compensations, les effets d’aubaine et de fraude.

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Mais, surtout, ils conseillaient d’organiser un grand débat national sur les « implications sociales et économiques des actions en faveur du climat », un processus qui « pourrait combiner plusieurs formes : débats publics, conventions citoyennes, négociations multipartites… » Cette feuille de route « pourrait être adoptée par la nouvelle administration issue des élections présidentielle et législatives de 2022 », concluaient les auteurs qui avaient encore beaucoup d’espoir dans ce nouveau mandat présidentiel. Depuis lors, les premiers ministres se succèdent, de nouvelles élections législatives ont eu lieu et le monde politique n’a même pas été capable de publier la troisième édition des documents-cadres de lastratégie nationale bas carbone et de la programmation pluriannuelle de l’énergie, qui devraient avoir de l’impact sur la façon de vivre et de consommer des ménages. Autant dire qu’une longue réflexion sur le verdissement de la fiscalité et sur la transition n’a jamais été aussi peu à l’ordre du jour.

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Matthieu Goar

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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