Filière porcine : une facture salée pour l’environnement
Chaque année, 162 millions d’euros d’argent public sont consacrés au traitement des pollutions engendrées par l’élevage porcin, principalement en Bretagne, estime la FNH. En y ajoutant l’impact sanitaire, les coûts sociétaux sont évalués à 2,8 milliards.
Agroécologie | 06.10.2025 https://www.actu-environnement.com/ae/news/impact-environnement-elevage-procin-charcuterie-viande-fnh-46873.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8Mzg2Mw%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

© CountrypixelLa grande majorité de la production française est réalisée hors sol dans des bâtiments

Alors que la loi Duplomb facilite les projets d’élevage intensif, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) a voulu chiffrer les impacts sanitaires et environnementaux de la filière porcine (1) . Très territorialisée (74 % de la production de viande porcine se situe dans le Grand Ouest et 57 % en Bretagne), celle-ci a été marquée peu à peu par une intensification des pratiques. Ainsi, 95 % de la production française est réalisée dans des bâtiments fermés, avec des animaux « sans lien avec le sol », une pratique conduisant à une massification de l’usage des antibiotiques.
L’élevage porcin s’est fortement concentré et territorialisé en cinquante ans.© FNH
Cette filière, très soutenue, engendre des millions d’euros de bénéfices annuels, mais ils profitent surtout aux plus grosses exploitations et à la grande distribution. En même temps, « la filière porcine engendre des coûts sociétaux que nous estimons à 2,8 milliards d’euros », indique la FNH.
L’ONG a sorti sa calculette, après avoir recensé les dépenses effectuées par l’État, les collectivités territoriales et les agences publiques. Au total, 162 millions d’euros seraient dépensés chaque année pour traiter les pollutions environnementales. Ce calcul reste « prudent » : il ne prend en compte que les dépenses réellement effectuées, pas les coûts cachés ou indirects comme la pollution liée aux cultures destinées à l’alimentation animale ou la dégradation des écosystèmes côtiers et marins.
Gestion et prévention de la pollution de l’air et de l’eau
En revanche, l’étude évalue les coûts liés à la pollution de l’air : 138 millions d’euros, dont 79 M€ pour la Bretagne seule. Cette facture se décompose en coûts sanitaires directs (11 millions d’euros, dont 6,2 M€ pour la Bretagne) « liés au traitement des maladies respiratoires provoquées par les polluants (ammoniac et particules fines) issus de l’élevage porcin ». Auxquels s’ajoutent 127 M€ pour la surveillance et la prévention (suivies de la qualité de l’air, plans de lutte contre la pollution…).“ Aux coûts indirects liés à la santé et aux traitements des pollutions environnementales, s’ajoutent des soutiens financiers plus directs qui confortent la filière dans un modèle ayant pour objectif des volumes de production ”Thomas Uthuyakumar, FNH
Le coût de la pollution de l’eau liée à cette filière est évalué à 24,6 M€, dont 15 M€ pour la Bretagne. « La gestion des nitrates provenant des effluents d’élevage (lisiers de porc) et qui s’infiltrent dans les cours d’eau et nappes phréatiques coûte 22 millions d’euros, dont 12 pour la Bretagne. Ils obligent l’État à renforcer le traitement de l’eau potable et à financer des programmes de réduction des rejets », souligne le rapport. Le plan de lutte contre les algues vertes coûte, pour la Bretagne, 2,6 M€. Il permet de financer des actions de prévention et de nettoyage.
Une filière soutenue sans condition ?
« Aux coûts indirects liés à la santé et aux traitements des pollutions environnementales, s’ajoutent des soutiens financiers plus directs qui confortent la filière dans un modèle ayant pour objectif des volumes de production », analyse Thomas Uthuyakumar, directeur du plaidoyer de la fondation. Ainsi, la filière bénéficierait de 823 M€ de financements publics annuels « sans aucune conditionnalité » : 429 millions de subventions directes, 247 millions d’exonérations de cotisations sociales et 147 millions d’exonérations fiscales. « Là encore, ce recensement reste non exhaustif. Il n’intègre par exemple ni les soutiens publics des agences de l’eau, ni ceux destinés au maillon de la consommation », souligne la FNH, qui propose d’organiser une planification de la transitionde la filière à l’horizon 2040.
« Cette planification doit être très progressive et partir, d’abord, de la consommation et de la création de débouchés, tout en réorientant progressivement les financements publics et en assurant un partage de la valeur équitable. » Cela passe notamment par l’inscription, dans la Stratégie nationale alimentation et climat (Snanc), d’une division par deux de la consommation de viande porcine. Il s’agira ensuite de réduire les densités d’animaux dans certains territoires, de diversifier les activités agricoles et d’augmenter l’autonomie alimentaire des élevages pour « accompagner la filière vers une montée en gamme autour du moins et mieux de viande porcine ».1. https://www.fnh.org/filiere-porcine-modele-coute-cher/#
http://Consulter le rapport

Sophie Fabrégat, journaliste
Cheffe de rubrique énergie / a
L’élevage porcin, « un modèle qui coûte cher » en termes d’impacts sur la santé et l’environnement selon la Fondation pour la nature et l’homme
L’organisation de défense de l’environnement évalue à près de 3 milliards d’euros les dépenses publiques annuelles liées à la filière, dont la prise en charge du diabète et des cancers associés à la consommation de charcuterie.
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Après un été marqué par de nouvelles proliférations d’algues vertes sur le littoral breton, ainsi que par les 2 millions de signataires de la pétition contre la loi Duplomb, texte qui défend l’intensification agricole, la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) ausculte le modèle de l’élevage français de porcs dans un rapport publié lundi 6 octobre. Cette étude, menée avec le bureau d’études Basic, chiffre les coûts sociaux et environnementaux de l’élevage porcin en France. Le tableau dressé est inquiétant : la filière est très inégalitaire, perd des emplois et génère des impacts sur la santé et l’environnement évalués à 2 milliards d’euros chaque année.
« Notre idée n’est évidemment pas de casser une filière, mais de poser un diagnostic, a expliqué Thomas Uthayakumar, directeur des programmes de la FNH, lors d’une présentation de ces travaux à l’Assemblée nationale. La question c’est comment faire d’une filière un atout, plutôt qu’un fardeau collectif. Car aujourd’hui, quand on achète du jambon, on le paie trois fois : au moment de l’achat, puis par le biais des impôts et enfin de la Sécurité sociale. »
L’étude part d’un constat implacable : celui de la quasi-disparition de l’élevage paysan porcin. De 2000 à 2020, le nombre de fermes porcines a dégringolé de 78 %, au profit d’exploitations plus grandes et plus intensives. Dans le secteur de la charcuterie, 13 % d’emplois ont été perdus en quarante ans alors que, sur le même intervalle, la production a augmenté de 87 %. En parallèle, le nombre d’abattoirs a été divisé par dix en l’espace de cinquante ans.
La filière est par ailleurs une des plus inégalitaires du monde agricole, avec des écarts de revenus de 136 000 euros par exploitation entre le premier et le dernier décile. Si 7 % des éleveurs de porcs ont un revenu négatif, 5 % des exploitations génèrent un revenu courant avant impôt de plus de 237 000 euros par an par associé. Le secteur est aussi ultrastratégique pour la grande distribution, qui réalise un cinquième de ses bénéfices sur le seul rayon charcuterie.
« Réorienter la filière »
La FNH et Basic ont voulu chiffrer précisément les financements publics qui soutiennent ce modèle. Selon leurs calculs, 820 millions d’aides publiques ont été versées en 2021, dont plus de la moitié par le biais de subventions directes, le reste se répartissant entre exonérations de cotisations sociales et fiscales pour l’industrie agroalimentaire et la grande distribution. « Cet argent public pérennise un modèle qui s’intensifie. Doit-on continuer dans cette direction ou faut-il flécher davantage cette aide ? », interroge Thomas Uthayakumar.
La filière porcine entraîne aussi des coûts pour la collectivité en termes de soins de santé et de traitement des pollutions environnementales. Alors que 63 % des Français dépassent les recommandations sanitaires de consommation de charcuterie (pas plus de 150 grammes par semaine, soit l’équivalent de trois tranches de jambon), l’étude évalue à 1,9 milliard d’euros par an les dépenses publiques pour la prise en charge des maladies liées à ces produits. Le diabète représente la majorité de ces coûts (1,3 milliard d’euros), suivi par le cancer colorectal (152 millions d’euros).
La première place occupée par le diabète s’explique notamment par le fait qu’il s’agit d’une pathologie à vie avec d’importants coûts de traitement et de soins. « On a un faisceau d’indices convergents d’un lien entre consommation de charcuterie, de nitrites [un additif présent dans 75 % des charcuteries] et le diabète de type 2 », commente Bastien Roux, directeur général de la Fédération française des diabétiques.
Les impacts environnementaux, exacerbés en Bretagne, où se trouvent 60 % des élevages de cochons français, sont plus difficiles à chiffrer, car ils ne font pas toujours l’objet d’actions publiques pour les traiter. Selon l’évaluation de la FNH, 162 millions d’euros sont dépensés chaque année pour traiter les pollutions, dont 95 millions rien qu’en Bretagne. Ces dépenses se répartissent entre le coût de la pollution de l’air provoquée par l’ammoniac et les particules fines, ainsi que par la gestion des nitrates et le plan de lutte contre les algues vertes.
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« On a été conservateurs sur cette estimation, car on a recensé uniquement les dépenses engagées, explique Elyne Etienne, responsable élevages durables à la FNH. Mais ces montants peuvent aussi être vus comme une bonne nouvelle : c’est le signe qu’il y a de l’argent pour réorienter la filière vers un horizon plus durable. »
Baisse de moitié de la consommation
Invité à réagir à ces données, Michel Marcon, directeur recherche et développement à l’Institut du porc (IFIP, l’institut technique de la filière), trouve « dommage de ne pas avoir aussi regardé les gains de la filière, en plus des coûts, pour faire un bilan complet. Car si l’élevage porcin n’était pas ce qu’il est aujourd’hui, si on importait massivement notre consommation, quel en serait le coût global ? » L’expert de l’IFIP invite également, dans l’estimation des subventions, à distinguer « les aides qui assoient le système et celles qui sont fléchées vers les transitions, comme les investissements pour la gestion de lisier ».
Dans ses recommandations, la FNH estime qu’une transition agroécologique est la seule à même de limiter la perte d’emplois et de permettre une résilience face aux crises. Une telle transition passerait notamment par une baisse de moitié de la consommation de produits porcins – une gageure alors que la politique alimentaire est aujourd’hui au point mort depuis la suspension, début septembre, d’un projet de Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat. La FNH appelle également à plafonner le nombre d’animaux selon les bassins de production et les capacités d’absorption écologique du territoire. L’organisation plaide en outre pour un plan de désendettement des éleveurs et de restructuration des fermes afin de faciliter les transmissions.
« Soit on subit un modèle qui va nous coûter très cher, soit on planifie une transition qui va protéger les éleveurs, la santé et l’environnement, défend Thomas Uthayakumar. Il faut sortir de l’hypocrisie actuelle du “laisser-faire”, d’autant plus problématique avec la loi Duplomb. » Dans un de ses articles très débattus – validé par le Conseil constitutionnel –, ce texte facilite en effet les agrandissements d’élevage en réduisant les contraintes d’évaluation environnementale.
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La FNH est bien consciente des difficultés. « On a une filière très industrialisée et verrouillée, pour laquelle il est plus difficile d’avoir une transition systémique que pour d’autres filières », note Elyne Etienne. Pour présenter ses résultats et ouvrir le débat, la FNH avait convié de nombreux acteurs importants du secteur porcin à échanger à l’Assemblée nationale. A l’exception de l’IFIP, tous ont décliné l’invitation.