Les pesticides et fongicides sont présents à proximité des vignes dans les urines et les cheveux des riverains, ils sont toxiques pour notre santé, mais les vignerons peuvent continuer à les répandre !

Malades au milieu des vignes, ils veulent comprendre

Dans une rue d’une petite commune de Gironde entourée de parcelles viticoles, Mediapart a relevé un nombre anormal de cancers. Plusieurs personnes malades témoignent.`

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Amélie Poinssot et Laura Wojcik

7 octobre 2025 à 14h46l https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/071025/malades-au-milieu-des-vignes-ils-veulent-comprendre?utm_source=quotidienne-20251007-185101&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20251007-185101&M_BT=115359655566

À Saint-Martin-Lacaussade, en Gironde, les habitant·es vivent au cœur de vignes. Dans une seule et même ruelle de la commune, Mediapart a relevé un nombre anormal de cancers. Premier département viticole de France, la Gironde est à l’épicentre des alertes de contamination aux pesticides depuis 2013. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Après la publication de l’étude PestiRiv, menée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) et Santé publique France, qui montre une surexposition aux pesticides des populations habitant à proximité de vignes, les inquiétudes sont vives chez les personnes concernées. Surtout quand de graves pathologies surviennent.

À l’heure actuelle, cependant, difficile d’en savoir plus. Le registre national des cancers n’est toujours pas mis sur pied, et les données d’épandage dans les champs ne sont pas accessibles. 

Dans les zones viticoles, des populations plus exposées aux pesticides

L’étude PestiRiv, menée par l’Anses et Santé publique France, a été rendue publique lundi 15 septembre après quatre ans de recherches. Elle met en évidence les pesticides auxquels sont exposés les riverains des zones viticoles.

Amélie Poinssot15 septembre 2025 à 19h42 https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/150925/dans-les-zones-viticoles-des-populations-plus-exposees-aux-pesticides

15 septembre 2025 à 19h42

Des populations plus exposées aux pesticides que la moyenne, et particulièrement aux fongicides, ces produits qui s’attaquent aux champignons : si l’on habite en zone viticole, on a plus de probabilité de respirer, d’avaler, d’être en contact avec les molécules des produits phytosanitaires épandus dans les parcelles.

Amélie Poinssot résume son article en 5 minutes

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C’est ce que conclut PestiRiv, l’étude rendue publique lundi 15 septembre par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’Anses) et Santé publique France. Un résultat suffisamment solide, établi après quatre années de recherches à l’échelle de la France métropolitaine, pour que les deux institutions, dans leurs recommandations, incitent « en priorité à réduire l’utilisationde pesticides » en agriculture.

L’étude, une première en France, se base sur des échantillons d’urine et de cheveux, mais aussi de poussières, d’air ambiant et d’aliments de potagers privés, ainsi que sur de longs questionnaires soumis aux participant·es. Constituée de trois tomes et de copieuses annexes, longue de plus de 2 500 pages au total, l’étude s’est longtemps fait attendre. Au début de l’été, l’ONG Générations futures, qui milite contre les pesticides, avait déposé un recours, dénonçant un blocage de l’État pendant les débats sur la loi Duplomb.

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Épandage de pesticides dans les vignes à Camblanes-et-Meynac (Gironde), en 2018.  © Photo Q Salinier / Sud Ouest / PhotoPQR via MaxPPP

Car PestiRiv a officiellement été impulsée par la Direction générale de la santé il y a déjà neuf ans, à la suite d’une alerte lancée en 2012 à Preignac, en Gironde, où un cluster de cancers pédiatriques avait vu le jour. PestiRiv n’a démarré que fin 2021, une fois le protocole de recherche mis en place.

Deux salves de collectes d’échantillons ont alors été réalisées : d’octobre 2021 à février 2022, saison pendant laquelle les traitements phytosanitaires sur les vignes sont moins fréquents, puis de mars à août 2022 (lorsque les traitements sont plus fréquents). Il aura donc fallu attendre encore quatre ans pour l’analyse des très nombreuses données et la restitution des résultats par l’Anses et Santé publique France.

Les enfants plus imprégnés que les adultes

Principal enseignement, donc : les populations riveraines des zones viticoles – c’est-à-dire, selon la définition de l’étude, habitant à moins de 500 mètres d’une parcelle de vignes et à plus de 1 000 mètres d’une autre culture – sont bien plus exposées que les personnes n’habitant pas dans ces espaces – c’est-à-dire résidant à plus de 500 mètres d’une parcelle viticole.

PestiRiv, qui a suivi au total 3 350 personnes tirées au sort dans six régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie), montre en outre que les enfants sont plus imprégnés que les adultes, en se basant sur deux groupes d’étude : l’un constitué par la population adulte âgée de 18 à 79 ans, l’autre par des enfants âgés de 3 à 17 ans.

Au total, 56 produits phytosanitaires différents étaient recherchés, selon une liste établie en amont des relevés : des herbicides comme le glyphosate ; des insecticides, dont des néonicotinoïdes, aujourd’hui interdits, mais aussi des pyréthrinoïdes, dont le spectre d’action est très large ; et des fongicides, parmi lesquels certains, comme le soufre et le cuivre, sont autorisés en agriculture biologique.

Les douze substances recherchées dans les urines des enfants et des adultes se retrouvent dans la quasi-totalité des échantillons.

Le résultat, à première vue, n’est guère surprenant : la viticulture est, en France, le secteur le plus consommateur de pesticides après l’arboriculture, production de pommes en tête. Selon les dernières données du ministère de l’agriculture à ce sujet, qui datent de 2019, 18 traitements phytosanitaires sont appliqués en moyenne chaque année sur les parcelles de vignes.

Mais le résultat est implacable. Les douze substances recherchées dans les urines des enfants et des adultes riverains des zones viticoles, par exemple, se retrouvent dans la quasi-totalité des échantillons. Et dans la moitié des échantillons des poussières des foyers riverains, on trouve 25 des 48 substances recherchées.

Par comparaison avec la population témoin, qui ne réside pas à proximité d’une parcelle de vignes, le niveau de contamination dans les urines augmente ainsi de 15 à 45 %. Il est multiplié par douze dans l’air ambiant extérieur, et par cent dans les poussières des logements.

Des substances dans l’air ambiant

L’étude relève en outre une imprégnation (autrement dit une présence dans les urines et les cheveux) encore plus élevée chez les jeunes enfants, entre 3 et 6 ans. « Ceci est dû au fait qu’ils ont beaucoup plus de contacts avec le sol, et de contacts main-bouche », a expliqué Clémence Fillol, responsable de l’unité surveillance des expositions à Santé publique France, à l’occasion de la présentation de l’étude à la presse en visoconférence, lundi matin.

« Retrouver dans l’alimentation ou les échantillons d’air et de poussière des substances introduites dans un environnement proche n’est pas surprenant, a reconnu Matthieu Schuler, directeur général délégué, à l’Anses, du pôle sciences pour l’expertise. Mais nos résultats permettent d’affiner : on voit que les substances sont encore plus présentes dans l’air ambiant que dans les aliments, et que certaines sont plus présentes que d’autres. Ce sont des enseignements riches qui nous permettront d’aller vite en cas d’événement sanitaire. » Autrement dit, en cas d’apparition d’un nouveau cluster, par exemple.

« Cela donne une photographie très précise de l’exposition des personnes, a insisté Benoît Vallet, directeur général de l’Anses. Ce sont des données extrêmement solides, cela offre une transparence qui peut être bénéfique pour la profession agricole comme pour les riverains qui appelaient cela de leurs vœux. Ce sont de nouveaux éléments, tout à fait différents de Géocap Agri », qui renseignait sur le lien entre distance du lieu de résidence et probabilité d’apparition de leucémie. 

Une source d’information précieuse pour les populations concernées. Vivre à côté de vignes expose donc à des substances potentiellement toxiques.

Des cocktails de molécules

Prenons par exemple le glyphosate. On le retrouve dans 87 % des échantillons d’air ambiant des zones viticoles prélevés pour l’étude. Ou encore le folpel, un fongicide caractéristique de la culture de vignes, inconnu du grand public mais dans le viseur des associations environnementales, considéré comme toxique pour la reproduction et classé cancérogène de type 2 par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Il est présent dans près de 63 % des mêmes échantillons. Le cuivre et le soufre, tous deux autorisés en agriculture biologique, se retrouvent quant à eux dans l’ensemble de ces échantillons.

Deux familles de fongicides mal évaluées par la toxicologie règlementaire (c’est-à-dire par les études requises pour l’autorisation des produits) se rencontrent dans les échantillons : les SDHI et les strobilurines, qui s’attaquent à la respiration cellulaire. Parmi les premiers, notons le boscalid, une molécule identifiée par les scientifiques comme perturbateur endocrinien et possible cancérogène. Parmi les seconds apparaît notamment, en quantité importante dans les urines et cheveux, la trifloxystrobine.

« Il est préoccupant d’avoir une combinaison d’autant de molécules », souligne auprès de Mediapart Sylvie Bortoli, ingénieure de recherche à Paris-Cité. Pour cette toxicologue qui n’a pas pris part à PestiRiv, « l’étude révèle un cocktail de substances auxquelles les riverains sont exposés simultanément. C’est problématique car les effets toxiques peuvent se combiner, et c’est quelque chose qui n’est pas évalué en toxicologie réglementaire ». Particulièrement inquiétante est l’imprégnation des enfants : chez un tiers d’entre eux, plus de deux pesticides sont retrouvés dans les cheveux et les urines, « alors qu’ils sont plus vulnérables aux effets toxiques car leur système de détoxication n’est pas mature ».

La prévention de l’exposition des riverains ne doit pas reposer uniquement sur des mesures individuelles.

Recommandation de l’étude PestiRiv

De manière logique là aussi, l’étude met en évidence une exposition plus importante pendant la saison de traitement à haute dose des vignes. Conclusion : « Lfacteur qui influence le plus l’exposition aux pesticides en milieu viticole, ce sont les pratiques agricoles, a indiqué Ohri Yamada, chef de l’unité phytopharmacovigilance de l’Anses, pendant la présentation à la presse. Quand la quantité de pesticides s’accroît et quand la distance entre le logement et la parcelle diminue, l’exposition des gens aux produits augmente. Elle augmente aussi avec la durée d’aération du logement, et avec le temps que passent les gens à l’extérieur. »

À LIRE AUSSIÀ Preignac, en Gironde, la maladie au milieu des vignes

15 septembre 2025

Incluses dans l’étude, les recommandations des deux institutions sont sans appel. « Pour nous, Anses et Santé publique France, la priorité est de limiter les produits phytosanitaires au strict nécessaire dans le cadre de la stratégie Écophyto 2030, synthétise Matthieu Schuler. C’est le plus important et c’est sur ce levier-là qu’on peut le plus agir. » Les autres recommandations n’arrivent qu’au second plan : informer les habitant·es, les encourager à des mesures comme le fait d’étendre son linge à l’intérieur du logement en période d’épandage, agir prioritairement auprès des personnes qui vivent le plus près des parcelles… Mais « la prévention de l’exposition des riverains ne doit pas reposer uniquement sur des mesures individuelles », précise l’étude. 

Sollicitée par Mediapart, la toxicologue Laurence Huc n’est « pas du tout » étonnée par les conclusions de PestiRiv. « Ce sont des choses connues par ailleurs, à croire que l’on réinvente l’eau chaude, souligne cette experte de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Certes, cette étude a le mérite d’exister et a été réalisée sérieusement. Mais la Californie a fait ce genre de travail il y a déjà quarante ans… et elle peut aujourd’hui faire le lien avec les registres, accessibles, de plusieurs types de maladies. »

De fait, la photographie reste incomplète : les deux institutions n’ont pas eu accès aux données réelles d’utilisation des produits phytosanitaires, ce qui leur aurait permis d’être encore plus précises dans l’analyse.

Il reste également à étudier l’impact précis de chacune des substances autorisées sur la population. Aucune interdiction de produit n’est à attendre dans l’immédiat : l’Anses ne prévoit pas de revenir sur les autorisations de mise sur le marché (AMM) des produits relevés au cours de PestiRiv.

Amélie Poinssot

Voir aussi:

https://environnementsantepolitique.fr/2025/09/24/pesticides-et-cancers-il-faut-que-la-reconnaissance-des-maladies-soit-elargie-aux-riverains/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/09/24/reveillez-vous-collectif-des-ouvriers-agricoles-et-de-leurs-ayants-droit-empoisonnes-par-les-pesticides-coaadep/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/09/16/des-taux-de-pesticides-eleves-dans-les-populations-vivant-aux-abords-des-vignes/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/06/29/les-associations-generations-futuresfrance-natureenvironnement-fneet-alerte-des-medecins-sur-les-pesticides-accusent-le-gouvernement-de-bloquer-la-publication-des/

https://environnementsantepolitique.fr/2023/10/18/le-risque-de-leucemie-pediatrique-et-proximite-de-vignes/

https://environnementsantepolitique.fr/2023/03/01/un-lien-entre-les-pesticides-epandus-sur-les-vignes-et-les-leucemies-infantiles/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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