Le peuple palestinien a appris, au long de sa douloureuse histoire, que son sort pouvait être discuté loin, très loin de la Palestine, et sans que l’on fasse même semblant de le consulter.

Tony Blair et le déni de la Palestine

Chronique

Jean-Pierre FiliuProfesseur des universités à Sciences Po

Les liens étroits de l’ancien premier ministre britannique avec Benyamin Nétanyahou en font un acteur central du plan de Donald Trump pour Gaza, écrit l’historien Jean-Pierre Filiu dans sa chronique.

Publié hier à 07h00, modifié hier à 11h46  https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2025/10/05/tony-blair-et-le-deni-de-la-palestine_6644524_6116995.html

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Le peuple palestinien a appris, au long de sa douloureuse histoire, que son sort pouvait être discuté loin, très loin de la Palestine, et sans que l’on fasse même semblant de le consulter. Et c’est à la Maison Blanche, le 27 août, que le président américain, Donald Trump, a convié au sujet de Gaza son gendre, Jared Kushner, et son partenaire de golf et d’affaires, Steve Witkoff. Le premier a été son envoyé spécial pour le Moyen-Orient durant son précédent mandat et le second est son actuel émissaire pour la région.

Etait également invité Tony Blair, premier ministre britannique de 1997 à 2007, dont la société de conseil, l’Institut Tony Blair, travaille depuis des mois avec Jared Kushner et Steve Witkoff à l’habillage politique du projet de transformation de Gaza en « Riviera du Moyen-Orient ». Et quand Donald Trump a révélé, le 29 septembre, son plan pour Gaza, il a affirmé que Tony Blair siégerait à ses côtés dans un « comité de paix » chargé de gérer l’enclave palestinienne. Cet engagement de Tony Blair au service d’un tel dessein américain s’inscrit dans le prolongement de décennies d’hostilité à l’encontre du nationalisme palestinien.

En mobilisant le Royaume-Uni aux côtés des Etats-Unis, en 2003, le premier ministre Blair n’a pas seulement contribué de manière déterminante à la désastreuse invasion de l’Irak. Il a aussi souscrit à la vision tout aussi dévastatrice des néoconservateurs américains qui avaient convaincu George W. Bush que « la route de Jérusalem passera par Bagdad ». Ces idéologues de la « guerre globale contre la terreur » affirmaient en effet que le renversement du dictateur irakien Saddam Hussein entraînerait un cycle vertueux de démocratisation d’abord en Irak, puis dans le reste du monde arabe, d’où une dynamique irrésistible de paix avec Israël, selon l’axiome que « deux démocraties ne se font pas la guerre ».

L’alibi européen des néoconservateurs américains

Plutôt que de relancer le processus de paix israélo-palestinien, mieux valait donc travailler à ce partenariat à venir entre Israël et les Etats arabes, un raisonnement que l’on retrouvera, deux décennies plus tard, dans les « accords d’Abraham », censés, eux aussi, suppléer un règlement de la question palestinienne.

Les résultats calamiteux d’une vision aussi caricaturale obligèrent cependant le président Bush à constituer un Quartet pour le Moyen-Orient. Les Etats-Unis conservaient la position dominante dans ce Quartet auquel étaient associés la Russie, l’Union européenne et les Nations unies. Mais ils entretenaient ainsi l’illusion d’une concertation internationale sur ce qui restait un exercice contrôlé étroitement par Washington.

L’ancien premier ministre britannique Tony Blair à la Maison Blanche, à Washington, le 15 septembre 2020.
L’ancien premier ministre britannique Tony Blair à la Maison Blanche, à Washington, le 15 septembre 2020. SAUL LOEB/AFP

L’envoyé spécial de ce Quartet était l’Américano-Australien James Wolfensohn, jusque-là président de la Banque mondiale. Il proposa en 2005 au sommet du G8, présidé par Tony Blair, un ambitieux plan d’accompagnement du retrait israélien de la bande de Gaza, avec réouverture de l’aéroport et développement du port, pour un montant total de 3 milliards de dollars. Mais la réussite d’un tel plan reposait sur la liberté de circulation entre Gaza et la Cisjordanie, dans la perspective d’un Etat palestinien, alors qu’Israël était déterminé à maintenir la division entre les deux territoires. James Wolfensohn, dépité par son échec, démissionna, tandis que le Hamas s’imposa progressivement dans le huis clos de Gaza, dont il expulsa en 2007 l’Autorité palestinienne, désormais confinée à la Cisjordanie.

Le développement économique plutôt que les droits nationaux

C’est dans ce contexte que George W. Bush fit nommer Tony Blair comme envoyé spécial du Quartet, un prestigieux lot de consolation après dix années à la tête du gouvernement britannique. Tony Blair mit ses incontestables talents de communicant au service d’un programme de développement économique de la seule Cisjordanie, dont la prospérité relative était supposée convaincre la population de Gaza de se débarrasser du Hamas.

Il ne s’impliqua en revanche pas, en 2008, dans les négociations pourtant prometteuses entre le premier ministre israélien, Ehoud Olmert, et le président palestinien, Mahmoud Abbas. Benyamin Nétanyahou reprit, en 2009, la direction du gouvernement israélien, et il se félicita que Tony Blair se contente d’aménager l’occupation de la Cisjordanie (par la réduction, et non la suppression des barrages militaires), tout en instituant une Bourse à Naplouse ou en encourageant le tourisme à Bethléem.

Jamais Tony Blair, durant ses huit années d’envoyé spécial, de 2007 à 2015, ne remit en cause le principe même de la colonisation de la Cisjordanie ou du blocus imposé à Gaza. C’est cette profonde compatibilité avec Benyamin Nétanyahou qui en fait le candidat idéal pour assister Donald Trump dans la mise sous tutelle d’une bande de Gaza « libérée » du Hamas. Les réflexions de l’Institut Tony Blair se retrouvent d’ailleurs dans l’invocation par Donald Trump, le 29 septembre, d’un « nouveau Gaza, entièrement dédié à la construction d’une économie prospère et à la coexistence pacifique avec ses voisins ».

Le président américain repousse à un horizon aussi lointain qu’indéfini « l’ouverture d’une voie crédible vers l’autodétermination et la création d’un Etat palestinien ». Mais peu importe à Tony Blair, qui est disposé à fournir une caution européenne à un plan américain d’ores et déjà endossé par Benyamin Nétanyahou, rejouant ainsi sur un mode mineur sa partition de 2003. Alors que le Royaume-Uni vient de reconnaître la Palestine, son ancien premier ministre persiste bel et bien dans le déni.

Jean-Pierre Filiu (Professeur des universités à Sciences Po)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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