Photovoltaïque au sol : les autorités environnementales pointent des implantations sur des sites inadaptés
Les projets photovoltaïques au sol ont été très nombreux en 2024. Mais, dans leur rapport annuel, les autorités environnementales relèvent des implantations problématiques sur des zones naturelles ou agricoles.
Energie | 30.09.2025 | L. Radisson

Les parcs photovoltaïques sont de plus en plus installés au sol sur des milieux naturels ou des milieux agricoles.
Le nombre de projets photovoltaïques au sol est en augmentation. Ils ont représenté 35 % des avis sur projets rendus par les missions régionales d’autorité environnementale (MRAE) en 2024. Mais ce développement ne se fait pas forcément là où les exigences environnementales l’imposeraient. C’est l’un des éléments qui ressort de la synthèse annuelle 2024 (1) de la Conférence des autorités environnementales, rendue publique lundi 29 septembre en même temps que le rapport annuel (2) de l’Autorité environnementale nationale (Ae).
« La tendance dont on avait témoigné l’année dernière se poursuit, c’est-à-dire plus de parcs photovoltaïques, plus de parcs photovoltaïques au sol, sur des milieux naturels, sur des milieux agricoles, alors que tous les textes disent qu’il faut privilégier les toitures et des zones déjà dégradées, imperméabilisées et artificialisées », déplore Véronique Wormser, présidente de la MRAe Auvergne-Rhône Alpes (Aura) et membre de l’Ae.
Installations sur des zones humides
Un exemple est donné avec le département de l’Allier qui s’est couvert de parcs photovoltaïques ces deux dernières années. « En 2025, ça continue et ça se propage sur le nord du Puy-de-Dôme », rapporte Mme Wormser, alors que les besoins en énergie sont essentiellement extraterritoriaux. Les installations sont réalisées sur des secteurs agricoles en déprise et de plus en plus sur des zones humides, alors qu’il s’agit des milieux naturels les plus riches en termes de biodiversité. « Jusqu’à 97 % des secteurs sur lesquels sont implantés ces parcs sont maintenant des zones humides », avance même Mme Wormser.
Augmentation de l’activité des autorités début 2025
En 2024, les deux autorités environnementales nationales (Ae Ministre et Ae Igedd) ont rendu 161 avis et décisions, dont 113 sur des projets d’envergure nationale et 48 sur des plans-programmes. Sur le plan régional, les MRAe ont traité 4 681 dossiers, dont 2 976 portant sur les plans-programmes et 1 705 sur les projets. Début 2025, les autorités environnementales ont connu une forte augmentation de leur activité qui s’explique par la multiplication des dossiers à l’approche des élections municipales de 2026, mais aussi par la soumission des titres miniers à évaluation environnementale en tant que plans-programmes.
Dans un avis (3) rendu le même jour que la publication de son rapport et portant sur un projet de centrale agrivoltaïque sur les communes d’Aix-Eygurande et de Lamazière-Haute (Corrèze), l’Autorité environnementale relève encore l’implantation du projet sur des zones humides. « Le projet n’ayant pas réalisé un évitement complet des zones humides, l’Ae recommande d’être plus explicite sur les surfaces de zones humides concernées et de détailler les mesures de compensation », indique l’avis.
« Il n’y a pas du tout de conciliation des différents enjeux environnementaux, relève la présidente de la MRAe. Au nom de la production d’énergie à partir de ressources renouvelables, qui est un projet tout à fait vertueux, les projets vont dégrader d’autres aspects de l’environnement. »
Déséquilibre énergie/agriculture
Dans les projets agrivoltaïques, l’équilibre qui doit exister entre production d’énergie et production agricole n’est par ailleurs pas toujours au rendez-vous, avec une grande hétérogénéité selon les régions. « Il y a sûrement un potentiel gagnant/gagnant pour certaines cultures dans le sud de la France, mais on n’en voit pas forcément toujours les exemples dans nos régions », explique la président de la MRAe Aura, qui, dans sa région, constate de nombreux projets sur des prairies dans le cadre d’élevages.
La MRAe Bourgogne-Franche-Comté a toutefois constaté une amélioration dans la présentation des projets agrivoltaïques, « avec des études préalables agricoles donnant un éclairage sur les éléments de viabilité de l’activité agricole », rapporte la synthèse. Pour autant, ajoute-t-elle, « la question des effets cumulés sur certains territoires mérite encore d’être étudiée plus précisément par les porteurs de projets ».
Les projets photovoltaïques au sol intègrent par ailleurs mal la nécessaire adaptation au changement climatique. « Elle devrait être prise en compte car on commence à voir arriver des effets liés à des événements climatiques extrêmes tels que des orages de grêle ou des pluies et vents très violents qui peuvent détruire des installations et l’outil de production », relève Mme Wormser.
Défaut de planification
Pourquoi un tel développement sur des zones inappropriées ? Certainement le prix et la facilité d’accès au foncier. Le défaut de planification est pointé du doigt. « Il n’y a pas de schéma de développement des parcs photovoltaïques qui soit établi à une échelle donnée sur l’ensemble des territoires. Ce sont des installations qui se développent au gré des opportunités. Seuls quelques territoires se sont saisis du sujet, comme le Roannais, qui a bâti une stratégie et décrit les secteurs où il était possible de développer le photovoltaïque », rapporte Mme Wormser.“ Au nom de la production d’énergie à partir de ressources renouvelables, qui est un projet tout à fait vertueux, les projets vont dégrader d’autres aspects de l’environnement ”Véronique Wormser, présidente de la MRAe Auvergne-Rhône Alpes
L’implantation des projets photovoltaïques est précisément l’exemple retenu par la synthèse pour illustrer le défaut de planification des projets de manière générale. À titre d’illustration, pour le projet de centrale photovoltaïque au sol de Baie-Mahault en Guadeloupe, la MRAe a rappelé l’importance de réaliser une analyse multicritère afin de démontrer que le site retenu est celui de moindre impact environnemental. La parcelle concernée par ce projet était utilisée pour une activité de pâturage et jouxtait une forêt marécageuse et des friches agricoles, alors que les installations d’un camp militaire et d’une zone industrielle à proximité pouvaient accueillir des panneaux photovoltaïques en toiture. La MRAe a donc recommandé à la communauté d’agglomération de profiter du dynamisme enclenché par la mise en œuvre de la territorialisation de la planification écologique pour poursuivre l’élaboration de son plan climat air énergie territorial (PCAET) et d’identifier, dans ce cadre, les sites potentiels d’installations des centrales photovoltaïques.
Mais si l’implantation des installations photovoltaïques sur toitures ou sur des zones artificialisées n’est pas possible, se pose alors la question du choix entre les friches et les espaces agricoles. « La principale interrogation que l’on a sur les Hauts-de-France, c’est une petite tendance à se mettre sur des friches, d’anciennes décharges ou autres, qui sont quand même des endroits où il y a beaucoup de biodiversité, témoigne Philippe Gratadour, président de la MRAe Hauts-de-France. On est un peu partagé entre consommer des espaces agricoles, ce qui paraît dommage mais où la biodiversité n’est pas extraordinaire, ou se mettre sur d’anciennes friches, minières ou autres, qui sont devenues de remarquables espaces de biodiversité », explique ce dernier.
En tout état de cause, la hausse du nombre de projets s’accompagne pour l’instant d’une dégradation d’espaces naturels et agricoles. « On a plutôt une dégradation croissante des milieux naturels et de la biodiversité par ces projets », témoigne ainsi Véronique Wormser.1. Consulter la synthèse annuelle de la Conférence des autorités environnementales
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46846-synthese-annuelle-mrae.pdf2. Télécharger le rapport de l’Autorité environnementale
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46846-rapport-2024-autorite-environnementale.pdf3. Télécharger l’avis de l’Ae sur la centrale agrivoltaïque des Hauts-Plateaux corréziens
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46846-avs-ae-centrale-argrivoltaique-hauts-plateaux-correziens.pdf
Laurent Radisson, journaliste
Rédacteur en Chef de Droit de l’Environnement
IA : un rapport alerte sur le risque de conflit d’usage de l’électricité
Les projets de centres de données numériques sont si nombreux et si énormes que leur consommation d’électricité pourrait être multipliée par quatre d’ici dix ans en France, selon un rapport du Shift Project. Au risque de menacer la décarbonation des transports et de l’industrie.
Faudra-t-il bientôt instaurer en France un moratoire sur les demandes de centres de données, ces bâtiments regroupant des installations informatiques chargées de stocker des données ? La question ne figure pas en toutes lettres dans le rapport que le Shift Project, une association d’expertise sur la transition énergétique, a publié mercredi 1er octobre sur les infrastructures du numérique. Mais à sa lecture, elle semble inévitable. Car les estimations chiffrées de cette étude donnent le tournis.
Le problème est simple : les estimations de la consommation en électricité des centres de données ne cessent de croître. Celle-ci pourrait être multipliée par quatre en France d’ici dix ans, et atteindre 7,5 % de la demande totale de courant électrique, soit plus du double de la part des transports aujourd’hui– contre 2 % actuellement.

Or ce qui se passe à l’international invite à la plus grande vigilance. En Irlande, un moratoire sur les nouvelles demandes d’implantation a été décidé en 2021 pour la région de Dublin, où se concentrent la plupart des centres de données. Ils avalent déjà 20 % de l’électricité disponible et pourraient monter à 30 % en 2028. Aux Pays-Bas, le gouvernement a gelé les autorisations jusqu’en 2035 autour d’Amsterdam, afin d’éviter l’engorgement du système.
Dérive climatique
Aux États-Unis, le Texas a voté une loi pour couper l’approvisionnement des centres de données en cas d’urgence et éviter un black-out. Et le gestionnaire de l’immense réseau desservant les Grandes Plaines (Kansas, Oklahoma, etc.) demande le même type de mesures. Quant à l’administration Trump, ouvertement climatosceptique, elle vient de publier un plan de relance du charbon pour renforcer la production d’électricité : « Nous voulons que des centres de données s’installent chez nous », a résumé le secrétaire à l’énergie, Chris Wright.
La part de l’intelligence artificielle (IA) générative dans l’explosion de la demande en électricité du numérique est « considérable » selon le Shift Project : son utilisation « à grande échelle et de façon indifférenciée » joue « un rôle central » dans la détérioration du bilan carbone du numérique, et donc dans la dérive climatique.
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Or, les projets d’investissements affluent en France, chaudement encouragés par l’Élysée. En février, lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, 109 milliards d’euros d’investissements dans les centres de données et l’IA ont été annoncés.
Emmanuel Macron s’en est délecté, avec un slogan choc : « Plug, baby, plug » (« Branche-toi, chéri, branche-toi »), en miroir du fameux « Drill, baby, drill »(« Fore, chéri, fore ») de Donald Trump. Quelques mois plus tard, à l’occasion du sommet Choose France, 26 milliards d’investissements ont été confirméspar des géants du secteur : Brookfield, Digital Realty et le fonds émirati MGX.
Abondance sans garantie
Certaines de ces infrastructures atteignent une dimension inédite et réellement monstrueuse, dépassant même le seuil d’un gigawatt (GW) – mille mégawatts, une puissance qui s’approche de celle d’un réacteur nucléaire historique en France.
Ainsi, le petit village de Fouju (Seine-et-Marne), avec ses 631 habitant·es, pourrait se retrouver doté d’un centre de données de 1,4 GW – une concertation préalable s’ouvre le 13 octobre. À Cambrai (Nord), une énorme installation de 1 GW est promise par Data4, une filiale du fonds canadien Brookfield. Fluidstack, une plateforme cloud d’IA, a annoncé en février la signature d’un protocole d’accord avec le gouvernement français pour la construction d’un gigantesque supercalculateur pouvant fournir jusqu’à 1 GW de puissance de calcul.
Pour Emmanuel Macron, « l’électricité est disponible » : « Vous pouvez vous brancher, elle est prête ! » Sa petite phrase au sommet de l’IA, début 2025, avait fait rire l’assistance. De fait, en 2024, la production d’électricité en France a atteint son plus haut niveau depuis cinq ans, avec 536,5 térawattheures (TWh), bien au-dessus de sa consommation. Ce qui lui a permis d’en exporter 89 TWh, un record historique et un apport substantiel à la balance commerciale nationale. De quoi disposer de larges réserves à vendre sans restriction aux opérateurs des centres de données ? C’est le discours confiant affiché par l’exécutif.
La réalité est plus inquiétante, et c’est tout l’intérêt du rapport du Shift Project que de la documenter. D’abord, « les centres de données dont le raccordement se valide aujourd’hui verront leurs pics de consommation en 2035 », explique Pauline Denis, ingénieure de recherche numérique au sein de l’association. Autrement dit, l’abondance en énergie aujourd’hui ne garantit pas qu’il y aura suffisamment de courant pour les alimenter dans dix ans.
Ensuite, la demande en électricité des centres de données va inévitablement entrer en concurrence avec d’autres besoins, au vu des volumes nécessaires : de 15 à 23 % de l’électricité supplémentaire prévue par RTE, le gestionnaire de réseaux, en 2035. C’est vraiment beaucoup. Or, la décarbonation de certains secteurs industriels aussi émetteurs de CO2 que les transports, la production d’acier ou de carburants passe nécessairement par l’électrification.
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« En France il existe un grand risque de conflit d’usage avec les transports ou le chauffage, prévient Pauline Denis, conserver la dynamique actuelle de centres de données rendrait caducs les objectifs de décarbonation de ces secteurs pour 2030 et 2050. »
Les autrices et auteurs du rapport en concluent que « cette concurrence doit être accompagnée et arbitrée, afin de ne pas laisser le déploiement massif des centres de données mettre en péril d’autres transformations sans s’en rendre compte ». Car au niveau local, les centres de données les plus gourmands en électricité, et en particulier les monstres de plus de 1 GW, risquent à terme d’empêcher l’implantation de sites industriels, et donc leurs emplois.
Quels emplois et pour qui ?
À Marseille, un des principaux hubs du pays, autorités et industriels se sont mis autour d’une table pour trouver une zone favorable au raccordement des centres de données « qui n’entre pas en concurrence avec d’autres projets locaux, comme l’alimentation électrique des navires à quai dans le port, ou l’aménagement du quartier Euroméditerranée », précise RTE. C’est notamment le cas au nord de la ville, dans la zone de Plan de Campagne, où le foncier semblait plus facilement disponible.
Maxime Efoui-Hess, coordinateur du programme numérique du Shift Project, met les pieds dans le plat : « Si on préempte la majorité de l’électricité pour l’usage des centres de données, elle va manquer à la décarbonation. » Les contrats d’approvisionnement actuellement signés avec les centres de données dans les Hauts-de-France « ne serviront pas à décarboner la sidérurgie de Dunkerque ». C’est donc autant un enjeu social qu’une alerte climatique : quelles activités énergivores, pour quel type d’emplois, les territoires choisissent-ils ?
Et « quelle peut être la réaction citoyenne à la préemption de telles capacités de production électrique pour les centres de données ? », interroge le rapport. Lequel se demande aussi « quelle crédibilité auraient des politiques d’encouragement à la sobriété dans le logement si l’électricité dégagée est utilisée pour des centres de données ».
Sollicité par Mediapart, le gestionnaire du réseau français, RTE, se montre moins inquiet : « L’offre d’électricité bas carbone est aujourd’hui abondante en France, le système électrique français possède des marges et est prêt à accueillir les nouveaux usages. » Concernant les besoins des infrastructures du numérique, « nous sommes en train de réactualiser nos trajectoires en tenant compte des annonces sur l’IA mais aussi en tenant compte du fait que la montée en puissance des centres de données est souvent assez lente ».
En attendant, à Marseille comme à Wissous en Essonne, où Amazon construit un autre gros centre de données, des collectifs d’habitant·es se forment et dénoncent « l’accaparement » de leur territoire par les infrastructures numériques.