Charlie Kirk, un influenceur d’extrême droite assassiné est devenu pour les extrêmes droites du monde entier un nouveau martyr.

Charlie Kirk : « L’extrême droite tente de béatifier un homme qui professait la haine »

En deux semaines, l’influenceur états-unien d’extrême droite assassiné est devenu le martyr des droites mondiales. Qui était-il vraiment ? Comment sa mort a-t-elle été instrumentalisée par l’extrême droite ? Notre émission, avec Cole Stangler, Sylvie Laurent et Fabien Escalona.

https://www.youtube.com/watch?v=nv5PYsnC5ME

À l’air libre

23 septembre 2025 à 21h19

Jusqu’ici, il était quasiment inconnu en France. En quinze jours, Charlie Kirk, un influenceur d’extrême droite assassiné le 10 septembre dans l’Utah, alors qu’il débattait avec des étudiant·es, est devenu pour les extrêmes droites du monde entier un nouveau martyr. Et même le héros d’une liberté d’expression elle aussi assassinée. 
Qui était-il ? Comment cet assassinat a-t-il été instrumentalisé par l’extrême droite pour cibler celles et ceux qui s’opposent à Trump ? La liberté d’expression est-elle une liberté de propager la haine ? 

Nos invité·es : 

  • Fabien Escalona, journaliste à Mediapart, responsable du pôle international ;
  • Sylvie Laurent, historienne et américaniste, enseignante à Sciences Po, autrice de La Contre-Révolution californienne (éd. du Seuil, 2025), de Capital et Race, histoire d’une hydre moderne(éd. du Seuil, 2024), et d’une biographie de Martin Luther King ;
  • Cole Stangler, journaliste indépendant. Il écrit dans The NationThe GuardianJacobin ou Mediapart. Il a publié Le Miroir américain. Enquête sur la radicalisation des droites et le devenir de la gauche (éd. Les Arènes, 2025).

L’hommage de l’Amérique trumpiste au « martyr » Charlie Kirk, moment de confusion entre politique et religion

Une cérémonie qui tenait autant du meeting politique que du départ en croisade contre les « ennemis » du camp MAGA.

Par Piotr Smolar (Glendale [Arizona], envoyé spécial)Publié le 22 septembre 2025 à 05h37, modifié le 22 septembre 2025 à 11h04 https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/22/en-arizona-l-hommage-de-l-amerique-trumpiste-au-martyr-charlie-kirk-moment-de-confusion-des-genres-entre-politique-et-religion_6642373_3210.html

Temps de Lecture 7 min.  Read in English

Reportage

En présence de Donald Trump et de J. D. Vance, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dimanche, près de Phoenix, en mémoire du militant conservateur assassiné. Une cérémonie qui tenait autant du meeting politique que du départ en croisade contre les « ennemis » du camp MAGA.

Donald Trump a consenti un effort inhabituel, dimanche 21 septembre, en Arizona. Il a longuement fait l’éloge de quelqu’un d’autre que lui-même. Les circonstances s’y prêtaient. Des dizaines de milliers de personnes avaient rempli le State Farm Stadium à Glendale, près de Phoenix, pour rendre hommage à Charlie Kirk, chef de file de l’organisation Turning Point USA, assassiné dans l’Utah le 10 septembre.

Saluant « le meilleur évangéliste pour la liberté américaine », devenu « immortel », le président américain a rappelé que cette figure du monde MAGA (Make America Great Again) aimait débattre sans ressentiment pour son interlocuteur. « C’est là que je suis en désaccord avec Charlie. Je hais mes adversaires. Et je ne leur souhaite pas le meilleur. Je suis désolé ! » Le milliardaire ne l’était pas, s’amusant de sa propre férocité. Dans le même discours, Donald Trump a affirmé : « Nous devons assurer le retour de la religion en Amérique, car sans frontières, sans la loi et l’ordre et sans la religion, on n’a plus de pays. (…) On veut le retour de Dieu. »

Le retour de Dieu, mais lequel ? Celui qui pardonne, ou celui qui châtie, seul cet aspect semblant à cette heure intéresser le président américain ? Il a sans cesse été question de religion, de foi, d’engagement et de la Bible, au cours de cet événement sans équivalent, regroupant l’essentiel de l’administration et des membres du Congrès. Pendant des heures se sont succédé en tribune des évocations du défunt, des prêches et des digressions politiques. Etait-ce un hommage funèbre, un meeting politique ou un départ en croisade ? La confusion était compréhensible car la fusion de ces registres était voulue, préméditée.

Lire aussi |    Les veillées à la mémoire de Charlie Kirk se multiplient aux Etats-Unis

Ce n’est pas toute l’Amérique, dans sa complexité, qui s’était donné rendez-vous sous le soleil brûlant de l’Arizona. C’est « une » Amérique, essentiellement blanche, conservatrice, chrétienne, qui vote plus que les autres. Elle est au pouvoir et n’est guère encline au moindre compromis, d’autant plus qu’elle a été frappée dans sa chair.

« Au cours des dix jours après l’assassinat de Charlie, on n’a pas vu de violence, a souligné Erika Kirk, son épouse, mouchoir en main. On n’a pas vu d’émeutes. On n’a pas vu de révolution. Au lieu de cela, nous avons vu ce que mon mari avait souhaité pour ce pays dans ses prières : nous avons vu un réveil. » Ce mot a été repris par maints orateurs, promettant que l’engagement de Charlie Kirk pour convertir la jeunesse aux valeurs conservatrices allait redoubler de vigueur. Dans un des moments les plus intenses de son discours, Erika Kirk a une nouvelle fois cité la Bible, avant d’évoquer l’assassin. « Cet homme. Ce jeune homme. Je lui pardonne. » Larmes. Public en transe. Séquence virale.

Dieu, la famille, l’Amérique d’abord

Mais cette voie pacifique n’est pas le registre dans lequel d’autres orateurs se sont inscrits. A commencer par Donald Trump. Après avoir retracé le parcours de Charlie Kirk, de sa jeunesse à Chicago, dans l’Illinois, aux deux campagnes présidentielles à ses côtés, le magnat, guère à l’aise dans l’emphase religieuse, a préféré se livrer à de longues digressions sur l’actualité, s’en prenant notamment à la gauche.

« Certaines de ces mêmes personnes qui te qualifiaient de haineux pour utiliser le mauvais pronom étaient pleines de jubilation devant le meurtre d’un père avec deux jeunes et beaux enfants, a dit le président américain, dans une allusion au combat mené par Charlie Kirk contre les personnes transgenres. Aucun côté n’a le monopole de gens déséquilibrés ou égarésmais il y a une partie de notre communauté politique qui pense avoir le monopole de la vérité, de la bonté et de la vertu, et conclut qu’elle devrait aussi avoir un monopole sur le pouvoir, la pensée et la parole. Eh bien, cela n’arrive plus, on y a très vite mis fin. » Dans un message sur son réseau Truth Social adressé samedi à sa propre ministre de la justice, Pam Bondi, Donald Trump a réclamé que des poursuites soient enfin déclenchées contre plusieurs de ses cibles privilégiées, comme l’ex-directeur de la police fédérale (FBI), James Comey, ou contre la procureure générale de l’Etat de New York, Letitia James.

Lire aussi |  Article réservé à nos abonnés  Après l’assassinat de Charlie Kirk, l’administration Trump annonce une répression sans précédent contre la « gauche radicale »Lire plus tard

Dans le State Farm Stadium, la foule a acclamé particulièrement plusieurs orateurs, dont le secrétaire à la santé, Robert F. Kennedy Jr, et J. D. Vance, qui avait accompagné le cercueil de Charlie Kirk de l’Utah vers l’Arizona. Le vice-président a rendu hommage à son ami disparu, « héros pour les Etats-Unis et martyr pour la foi chrétienne », en soulignant que l’administration Trump ne serait pas là aujourd’hui sans son travail.

Catholique converti, J. D. Vance a fait un étrange aveu, qui résume bien la séquence écoulée depuis l’assassinat : « J’ai plus parlé du Christ au cours de ces deux dernières semaines que je ne l’ai fait de toute ma vie publique. » S’agit-il d’une irruption durable de la sémantique religieuse dans la politique ? Si la Maison Blanche va retrouver les affaires courantes très rapidement, le cadre identitaire, lui, demeure. Dieu, la famille, l’Amérique d’abord.

Dans cette approche, la politique n’est pas un champ de confrontation d’idées, pouvant donner lieu à des compromis. On est soit Charlie, soit contre l’Amérique. « Mieux vaut affronter le tireur que de vivre votre vie dans la peur de dire la vérité, a lancé J. D. Vance. Mieux vaut être persécuté pour sa foi que de nier la parenté du Christ. Mieux vaut mourir en jeune homme dans ce monde que de vendre votre âme pour une vie facile dépourvue de sens, de repos, d’amour et de vérité. »

Un ennemi non défini, présent partout et nulle part

Charlie Kirk « avait réalisé, comme beaucoup d’entre nous, que ce n’est pas une guerre politique. Ce n’est pas une guerre culturelle. C’est une guerre spirituelle », a expliqué Pete Hegseth, le secrétaire à la défense, connu pour ses tatouages chrétiens souvent associés à une idéologie d’extrême droite. Influenceur radical MAGA, Jack Posobiec a brandi un pendentif avec une croix au micro en disant : « Nous ne laisserons jamais, jamais, la gauche, les médias ou les démocrates oublier le nom de Charlie Kirk ! » Ce dernier « nous a conduits vers la terre promise » et il « est mort pour vous tous », a lancé Jack Posobiec à la foule, en lui recommandant d’« enfiler l’armure complète de Dieu et de combattre le mal ». Le parallèle entre le sacrifice de Charlie Kirk et celui du Christ est réapparu à d’innombrables reprises chez les orateurs.

Comme à l’accoutumée, le discours le plus glaçant a été l’œuvre de Stephen Miller, chef adjoint de l’administration et idéologue de la Maison Blanche« Nous sommes la tempête et nos ennemis ne peuvent comprendre notre force, notre détermination, notre résolution, notre passion (…). Nous sommes du côté du bien, nous sommes du côté de Dieu. »Parlant d’une mission civilisationnelle, Stephen Miller s’est adressé à l’ennemi, une entité indéfinie, présente partout et nulle part, servant de repoussoir et d’éternel outil de mobilisation. « Nous défendons ce qui est bon, vertueux et noble. A ceux qui essaient de susciter de la violence contre nous (…), vous avez quoi ? Vous n’avez rien. Vous n’êtes rien. Vous êtes le vice, vous êtes la jalousie, vous êtes la haine, vous n’êtes rien. Vous ne pouvez rien construire, rien produire, rien créer. »

Lire aussi l’éditorial |  Assassinat de Charlie Kirk : les Etats-Unis embourbés dans la violence politiqueLire plus tard

Il est toujours aussi impressionnant de constater la motivation incandescente du peuple MAGA, de ces milliers de personnes qui ont parfois traversé plusieurs Etats au volant de leur voiture, dormi à son bord près du stade, fait la queue pendant des heures. Cette ferveur n’a aucun équivalent à gauche. De même, Turning Point USA a dépassé de loin les organisations progressistes, qui n’ont ni ses moyens ni son réseau, même si la perte de son chef de file est très dommageable.

La particularité de la messe politique tenue dimanche réside dans un paradoxe. Certes, un rugissement collectif a accueilli l’apparition du président américain dans l’enceinte. Mais pour une fois, le personnage central n’était pas le milliardaire. Charlie Kirk est le premier « martyr » majeur de la culture MAGA en dehors de Donald Trump, dont le retour au sommet s’est appuyé sur l’idée d’une persécution dont il serait victime. Même les émeutiers du 6 janvier 2021 au Capitole, transformés en « prisonniers politiques », n’ont pu prétendre à une telle consécration. Tuée ce jour-là par un policier alors qu’elle participait à l’assaut, Ashli Babbitt certes est devenue victime parmi les victimes pour les trumpistes. Elle aura bientôt les honneurs de funérailles militaires de la part de l’US Air Force.

La machine politique s’est mise en marche

Mais Charlie Kirk appartient à une catégorie à part. Il a acquis, par sa mort, un statut unique, celui d’un homme tombé pour ses idées à 31 ans. La comparaison peut choquer : dans le monde MAGA, il est l’équivalent d’un Martin Luther King, mais en miroir inversé. Charlie Kirk cherchait à remonter le temps, à revenir sur tous les acquis des droits civiques, à reconstituer une société américaine sépia où l’homme et la femme reprendraient leur place traditionnelle. « Marie-toi, aie des enfants, va à l’église, sois un rebelle », disait un pin’s distribué dimanche par Turning Point USA. « Fais de l’école à domicile la nouvelle normalité », proposait un autre.

Après le choc provoqué à la Maison Blanche par l’assassinat, la machine politique s’est mise en marche. L’urgence était, au-delà du deuil, d’exploiter ce moment unique. Stephen Miller a fixé la ligne : elle est barbelée. La gauche dans son ensemble a été désignée comme ennemi de l’Amérique par contamination, de l’assassin de Kirk dans l’Utah, Tyler Robinson, aux militants « antifas » (antifascistes) – mouvance que Donald Trump a annoncé classer comme « terroriste » – jusqu’aux élus démocrates, en passant par les médias critiques.

Lire aussi | Après la mort de Charlie Kirk, la traque en ligne des réactions jugées hostiles à l’influenceur

L’administration Trump et les podcasts MAGA n’ont fait qu’un pendant cette séquence. Il y a une semaine, J. D. Vance a pris la place de son ami mort au micro de son émission, dans une confusion complète des genres : improvisé animateur en chef, il revendiquait ainsi un héritage militant. La Maison Blanche est aussi devenue une boîte de production, diffusant des vidéos panégyriques à la gloire de Charlie Kirk.

Les autres voix influentes de cet écosystème en circuit fermé ont oublié, parfois, leurs désaccords avec la victime pour se lancer dans la traque des anonymes ou des personnalités démocrates soupçonnées de sarcasme, de mauvais goût, voire de critiques posthumes. Le réseau X est devenu un fleuve tourmenté charriant la tristesse, le ressentiment et le désir de revanche de la droite. Son patron, Elon Musk, à l’écart depuis plusieurs mois, a fait son retour dans le monde MAGA, en prenant place dimanche aux côtés de Donald Trump, dans sa loge, pour des retrouvailles très publiques. Avec les extraits viraux de cet événement hors norme, un mausolée numérique a été ainsi bâti à la gloire de Charlie Kirk, prétendant à tort que sa radicalité était consensuelle et centrale en Amérique. Le 14 octobre sera une journée nationale du souvenir, en vertu d’une résolution adoptée au Congrès.Piotr Smolar Glendale [Arizona], envoyé spécial

Voir aussi:

L’hommage de l’Amérique trumpiste au « martyr » Charlie Kirk, moment de confusion entre politique et religion

Par Piotr Smolar (Glendale [Arizona], envoyé spécial)Publié le 22 septembre 2025 à 05h37, modifié le 22 septembre 2025 à 11h04 https://www.lemonde.fr/international/article/2025/09/22/en-arizona-l-hommage-de-l-amerique-trumpiste-au-martyr-charlie-kirk-moment-de-confusion-des-genres-entre-politique-et-religion_6642373_3210.html

Temps de Lecture 7 min.  Read in English

Reportage

En présence de Donald Trump et de J. D. Vance, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dimanche, près de Phoenix, en mémoire du militant conservateur assassiné. Une cérémonie qui tenait autant du meeting politique que du départ en croisade contre les « ennemis » du camp MAGA.

Donald Trump a consenti un effort inhabituel, dimanche 21 septembre, en Arizona. Il a longuement fait l’éloge de quelqu’un d’autre que lui-même. Les circonstances s’y prêtaient. Des dizaines de milliers de personnes avaient rempli le State Farm Stadium à Glendale, près de Phoenix, pour rendre hommage à Charlie Kirk, chef de file de l’organisation Turning Point USA, assassiné dans l’Utah le 10 septembre.

Saluant « le meilleur évangéliste pour la liberté américaine », devenu « immortel », le président américain a rappelé que cette figure du monde MAGA (Make America Great Again) aimait débattre sans ressentiment pour son interlocuteur. « C’est là que je suis en désaccord avec Charlie. Je hais mes adversaires. Et je ne leur souhaite pas le meilleur. Je suis désolé ! » Le milliardaire ne l’était pas, s’amusant de sa propre férocité. Dans le même discours, Donald Trump a affirmé : « Nous devons assurer le retour de la religion en Amérique, car sans frontières, sans la loi et l’ordre et sans la religion, on n’a plus de pays. (…) On veut le retour de Dieu. »

Un mémorial pour Charlie Kirk lors de la cérémonie d’hommage au State Farm Stadium, à Glendale (Arizona), le 21 septembre 2025 .  STACY KRANITZ POUR « LE MONDE »

Un homme porte une croix lors de la cérémonie en mémoire de Charlie Kirk au State Farm Stadium, à Glendale (Arizona), le 21 septembre 2025.  STACY KRANITZ POUR « LE MONDE »

Le retour de Dieu, mais lequel ? Celui qui pardonne, ou celui qui châtie, seul cet aspect semblant à cette heure intéresser le président américain ? Il a sans cesse été question de religion, de foi, d’engagement et de la Bible, au cours de cet événement sans équivalent, regroupant l’essentiel de l’administration et des membres du Congrès. Pendant des heures se sont succédé en tribune des évocations du défunt, des prêches et des digressions politiques. Etait-ce un hommage funèbre, un meeting politique ou un départ en croisade ? La confusion était compréhensible car la fusion de ces registres était voulue, préméditée.

Lire aussi |   Les veillées à la mémoire de Charlie Kirk se multiplient aux Etats-Unis

Ce n’est pas toute l’Amérique, dans sa complexité, qui s’était donné rendez-vous sous le soleil brûlant de l’Arizona. C’est « une » Amérique, essentiellement blanche, conservatrice, chrétienne, qui vote plus que les autres. Elle est au pouvoir et n’est guère encline au moindre compromis, d’autant plus qu’elle a été frappée dans sa chair.

« Au cours des dix jours après l’assassinat de Charlie, on n’a pas vu de violence, a souligné Erika Kirk, son épouse, mouchoir en main. On n’a pas vu d’émeutes. On n’a pas vu de révolution. Au lieu de cela, nous avons vu ce que mon mari avait souhaité pour ce pays dans ses prières : nous avons vu un réveil. » Ce mot a été repris par maints orateurs, promettant que l’engagement de Charlie Kirk pour convertir la jeunesse aux valeurs conservatrices allait redoubler de vigueur. Dans un des moments les plus intenses de son discours, Erika Kirk a une nouvelle fois cité la Bible, avant d’évoquer l’assassin. « Cet homme. Ce jeune homme. Je lui pardonne. » Larmes. Public en transe. Séquence virale.

Dieu, la famille, l’Amérique d’abord

Mais cette voie pacifique n’est pas le registre dans lequel d’autres orateurs se sont inscrits. A commencer par Donald Trump. Après avoir retracé le parcours de Charlie Kirk, de sa jeunesse à Chicago, dans l’Illinois, aux deux campagnes présidentielles à ses côtés, le magnat, guère à l’aise dans l’emphase religieuse, a préféré se livrer à de longues digressions sur l’actualité, s’en prenant notamment à la gauche.

Des participants lors de la cérémonie à la mémoire de Charlie Kirk au State Farm Stadium, à Glendale (Arizona), le 21 septembre 2025 .  STACY KRANITZ POUR « LE MONDE »

« Certaines de ces mêmes personnes qui te qualifiaient de haineux pour utiliser le mauvais pronom étaient pleines de jubilation devant le meurtre d’un père avec deux jeunes et beaux enfants, a dit le président américain, dans une allusion au combat mené par Charlie Kirk contre les personnes transgenres. Aucun côté n’a le monopole de gens déséquilibrés ou égarésmais il y a une partie de notre communauté politique qui pense avoir le monopole de la vérité, de la bonté et de la vertu, et conclut qu’elle devrait aussi avoir un monopole sur le pouvoir, la pensée et la parole. Eh bien, cela n’arrive plus, on y a très vite mis fin. » Dans un message sur son réseau Truth Social adressé samedi à sa propre ministre de la justice, Pam Bondi, Donald Trump a réclamé que des poursuites soient enfin déclenchées contre plusieurs de ses cibles privilégiées, comme l’ex-directeur de la police fédérale (FBI), James Comey, ou contre la procureure générale de l’Etat de New York, Letitia James.

« Certaines de ces mêmes personnes qui te qualifiaient de haineux pour utiliser le mauvais pronom étaient pleines de jubilation devant le meurtre d’un père avec deux jeunes et beaux enfants, a dit le président américain, dans une allusion au combat mené par Charlie Kirk contre les personnes transgenres. Aucun côté n’a le monopole de gens déséquilibrés ou égarésmais il y a une partie de notre communauté politique qui pense avoir le monopole de la vérité, de la bonté et de la vertu, et conclut qu’elle devrait aussi avoir un monopole sur le pouvoir, la pensée et la parole. Eh bien, cela n’arrive plus, on y a très vite mis fin. » Dans un message sur son réseau Truth Social adressé samedi à sa propre ministre de la justice, Pam Bondi, Donald Trump a réclamé que des poursuites soient enfin déclenchées contre plusieurs de ses cibles privilégiées, comme l’ex-directeur de la police fédérale (FBI), James Comey, ou contre la procureure générale de l’Etat de New York, Letitia James.

Lire aussi: Après l’assassinat de Charlie Kirk : « Les références utilisées par le suspect arrêté s’inscrivent dans la culture du LOL »

Dans le State Farm Stadium, la foule a acclamé particulièrement plusieurs orateurs, dont le secrétaire à la santé, Robert F. Kennedy Jr, et J. D. Vance, qui avait accompagné le cercueil de Charlie Kirk de l’Utah vers l’Arizona. Le vice-président a rendu hommage à son ami disparu, « héros pour les Etats-Unis et martyr pour la foi chrétienne », en soulignant que l’administration Trump ne serait pas là aujourd’hui sans son travail.

Des participants lors de la cérémonie à la mémoire de Charlie Kirk au State Farm Stadium, à Glendale (Arizona), le 21 septembre 2025 .  STACY KRANITZ POUR « LE MONDE »

Catholique converti, J. D. Vance a fait un étrange aveu, qui résume bien la séquence écoulée depuis l’assassinat : « J’ai plus parlé du Christ au cours de ces deux dernières semaines que je ne l’ai fait de toute ma vie publique. » S’agit-il d’une irruption durable de la sémantique religieuse dans la politique ? Si la Maison Blanche va retrouver les affaires courantes très rapidement, le cadre identitaire, lui, demeure. Dieu, la famille, l’Amérique d’abord.

Dans cette approche, la politique n’est pas un champ de confrontation d’idées, pouvant donner lieu à des compromis. On est soit Charlie, soit contre l’Amérique. « Mieux vaut affronter le tireur que de vivre votre vie dans la peur de dire la vérité, a lancé J. D. Vance. Mieux vaut être persécuté pour sa foi que de nier la parenté du Christ. Mieux vaut mourir en jeune homme dans ce monde que de vendre votre âme pour une vie facile dépourvue de sens, de repos, d’amour et de vérité. »

Un ennemi non défini, présent partout et nulle part

Charlie Kirk « avait réalisé, comme beaucoup d’entre nous, que ce n’est pas une guerre politique. Ce n’est pas une guerre culturelle. C’est une guerre spirituelle », a expliqué Pete Hegseth, le secrétaire à la défense, connu pour ses tatouages chrétiens souvent associés à une idéologie d’extrême droite. Influenceur radical MAGA, Jack Posobiec a brandi un pendentif avec une croix au micro en disant : « Nous ne laisserons jamais, jamais, la gauche, les médias ou les démocrates oublier le nom de Charlie Kirk ! » Ce dernier « nous a conduits vers la terre promise » et il « est mort pour vous tous », a lancé Jack Posobiec à la foule, en lui recommandant d’« enfiler l’armure complète de Dieu et de combattre le mal ». Le parallèle entre le sacrifice de Charlie Kirk et celui du Christ est réapparu à d’innombrables reprises chez les orateurs.

Des participants lors de la cérémonie à la mémoire de Charlie Kirk au State Farm Stadium, à Glendale (Arizona), le 21 septembre 2025 .  STACY KRANITZ POUR « LE MONDE »

Dans un entretien au « Monde », la sémiologue Laurence Allard explique comment les modes d’expression de Tyler Robinson, accusé du meurtre de l’influenceur conservateur, reflètent la prégnance des médias numériques dans la vie politique américaine. 

Comme à l’accoutumée, le discours le plus glaçant a été l’œuvre de Stephen Miller, chef adjoint de l’administration et idéologue de la Maison Blanche« Nous sommes la tempête et nos ennemis ne peuvent comprendre notre force, notre détermination, notre résolution, notre passion (…). Nous sommes du côté du bien, nous sommes du côté de Dieu. »Parlant d’une mission civilisationnelle, Stephen Miller s’est adressé à l’ennemi, une entité indéfinie, présente partout et nulle part, servant de repoussoir et d’éternel outil de mobilisation. « Nous défendons ce qui est bon, vertueux et noble. A ceux qui essaient de susciter de la violence contre nous (…), vous avez quoi ? Vous n’avez rien. Vous n’êtes rien. Vous êtes le vice, vous êtes la jalousie, vous êtes la haine, vous n’êtes rien. Vous ne pouvez rien construire, rien produire, rien créer. »

Lire aussi l’éditorial |  Assassinat de Charlie Kirk : les Etats-Unis embourbés dans la violence politique

Il est toujours aussi impressionnant de constater la motivation incandescente du peuple MAGA, de ces milliers de personnes qui ont parfois traversé plusieurs Etats au volant de leur voiture, dormi à son bord près du stade, fait la queue pendant des heures. Cette ferveur n’a aucun équivalent à gauche. De même, Turning Point USA a dépassé de loin les organisations progressistes, qui n’ont ni ses moyens ni son réseau, même si la perte de son chef de file est très dommageable.

Des participants écoutent Donald Trump lors de la cérémonie à la mémoire de Charlie Kirk au State Farm Stadium, à Glendale (Arizona), le 21 septembre 2025 .  STACY KRANITZ POUR « LE MONDE » 

La particularité de la messe politique tenue dimanche réside dans un paradoxe. Certes, un rugissement collectif a accueilli l’apparition du président américain dans l’enceinte. Mais pour une fois, le personnage central n’était pas le milliardaire. Charlie Kirk est le premier « martyr » majeur de la culture MAGA en dehors de Donald Trump, dont le retour au sommet s’est appuyé sur l’idée d’une persécution dont il serait victime. Même les émeutiers du 6 janvier 2021 au Capitole, transformés en « prisonniers politiques », n’ont pu prétendre à une telle consécration. Tuée ce jour-là par un policier alors qu’elle participait à l’assaut, Ashli Babbitt certes est devenue victime parmi les victimes pour les trumpistes. Elle aura bientôt les honneurs de funérailles militaires de la part de l’US Air Force.

La machine politique s’est mise en marche

Mais Charlie Kirk appartient à une catégorie à part. Il a acquis, par sa mort, un statut unique, celui d’un homme tombé pour ses idées à 31 ans. La comparaison peut choquer : dans le monde MAGA, il est l’équivalent d’un Martin Luther King, mais en miroir inversé. Charlie Kirk cherchait à remonter le temps, à revenir sur tous les acquis des droits civiques, à reconstituer une société américaine sépia où l’homme et la femme reprendraient leur place traditionnelle. « Marie-toi, aie des enfants, va à l’église, sois un rebelle », disait un pin’s distribué dimanche par Turning Point USA. « Fais de l’école à domicile la nouvelle normalité », proposait un autre.

Après le choc provoqué à la Maison Blanche par l’assassinat, la machine politique s’est mise en marche. L’urgence était, au-delà du deuil, d’exploiter ce moment unique. Stephen Miller a fixé la ligne : elle est barbelée. La gauche dans son ensemble a été désignée comme ennemi de l’Amérique par contamination, de l’assassin de Kirk dans l’Utah, Tyler Robinson, aux militants « antifas » (antifascistes) – mouvance que Donald Trump a annoncé classer comme « terroriste » – jusqu’aux élus démocrates, en passant par les médias critiques.

Lire aussi |  Après la mort de Charlie Kirk, la traque en ligne des réactions jugées hostiles à l’influenceur

L’administration Trump et les podcasts MAGA n’ont fait qu’un pendant cette séquence. Il y a une semaine, J. D. Vance a pris la place de son ami mort au micro de son émission, dans une confusion complète des genres : improvisé animateur en chef, il revendiquait ainsi un héritage militant. La Maison Blanche est aussi devenue une boîte de production, diffusant des vidéos panégyriques à la gloire de Charlie Kirk.

Les autres voix influentes de cet écosystème en circuit fermé ont oublié, parfois, leurs désaccords avec la victime pour se lancer dans la traque des anonymes ou des personnalités démocrates soupçonnées de sarcasme, de mauvais goût, voire de critiques posthumes. Le réseau X est devenu un fleuve tourmenté charriant la tristesse, le ressentiment et le désir de revanche de la droite. Son patron, Elon Musk, à l’écart depuis plusieurs mois, a fait son retour dans le monde MAGA, en prenant place dimanche aux côtés de Donald Trump, dans sa loge, pour des retrouvailles très publiques. Avec les extraits viraux de cet événement hors norme, un mausolée numérique a été ainsi bâti à la gloire de Charlie Kirk, prétendant à tort que sa radicalité était consensuelle et centrale en Amérique. Le 14 octobre sera une journée nationale du souvenir, en vertu d’une résolution adoptée au Congrès.Piotr Smolar

Assassinat de Charlie Kirk : « Les références utilisées par le suspect arrêté s’inscrivent dans la culture du LOL »

Assassinat de Charlie Kirk : « Les références utilisées par le suspect arrêté s’inscrivent dans la culture du LOL »

Propos recueillis par Marion DupontPublié le 25 septembre 2025 à 06h00, modifié le 25 septembre 2025 à 12h29 https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/25/assassinat-de-charlie-kirk-les-references-utilisees-par-le-suspect-arrete-s-inscrivent-dans-la-culture-du-lol_6642859_3232.html

Temps de Lecture 3 min

Laurence Allard.
Laurence Allard.  YANN LEGENDRE

Pourquoi les motivations de Tyler Robinson, l’assassin présumé de l’influenceur conservateur américain Charlie Kirk, tué le 10 septembre lors d’une réunion publique sur le campus de l’université Utah Valley, sont-elles si difficiles à cerner ? Laurence Allard, maîtresse de conférences en science de la communication à l’Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel de la Sorbonne-Nouvelle et à l’université de Lille, explique comment les modes d’expression en ligne participent d’une forme de brouillage idéologique.

Il est vite apparu que les inscriptions gravées sur ses munitions par Tyler Robinson, si elles peuvent être lues comme des slogans antifascistes, étaient aussi et avant tout des références à des éléments de la culture Web : des jeux vidéo (« Helldivers 2 », « Far Cry 6 »), des séries télévisées (« La Casa de papel ») ou des mèmes. Cette double lecture est-elle caractéristique des façons d’être et de s’exprimer en ligne ?

Sur Internet, nous sommes tous et toutes des avatars, nous portons un, voire plusieurs, masques. Nous y présentons certaines facettes de nous-même que nous pouvons travestir, enjoliver ou au contraire noircir à loisir. Si, hors-ligne, il est déjà compliqué de connaître tout d’une personne, c’est encore plus difficile de saisir une présence qui n’existe en ligne que par des jeux de langage ou des jeux visuels. Rappelons-nous le dessin de Peter Steiner publié par le New Yorkeren 1993 [un chien s’adressant à un autre chien] : « Sur Internet, personne ne sait que vous êtes un chien. » C’est d’ailleurs tout l’intérêt de cette nouvelle scène de la vie sociale, pour le meilleur et pour le pire.

Lire aussi le reportage | L’hommage de l’Amérique trumpiste au « martyr » Charlie Kirk, moment de confusion entre politique et religion

Les journalistes, les enquêteurs et les chercheurs en sociologie qui se penchent sur les traces laissées par des profils comme celui de Tyler Robinson – des jeunes personnes imprégnées de culture Web – doivent donc se livrer à une véritable herméneutique. Cet art de l’interprétation requiert de déchiffrer les différentes identités numériques du locuteur, ses intentions, les formes d’adresse employées, les publics visés… La vérité est précisément dans cette énigme.

Comment comprendre l’usage que semble faire Tyler Robinson du second degré ?

Le second degré sert une multitude de fonctions en ligne. La société numérique est un espace où jouent à plein les logiques de singularisation. Pour sortir du lot, il faut à la fois se cultiver un style et cultiver le mystère. Le second degré est un outil dans cette quête parfois épuisante de singularité : il peut permettre de provoquer, de gagner la reconnaissance d’un petit groupe de pairs, de marquer sa différence (y compris sur le plan politique) ou une forme de pudeur…

Les références humoristiques gravées par Tyler Robinson sur ses douilles s’inscrivent dans ce qu’on appelle la « culture du LOL » [sigle anglais pour « laughing out loud », mort de rire], qui joue avec le second degré et avec la rhétorique pour permettre une réception plurielle de ce qui est dit. Ses formes sont nombreuses : le mème, qui prend un visuel typique de la pop culture et lui fait opérer un déplacement en ajoutant une dose d’humour ; le shitpost, un sous-genre de mème à l’humour particulièrement absurde voire illogique…

Elles fonctionnent comme des monologismes, un procédé discursif très courant sur Internet. A l’inverse du dialogisme, par lequel l’on s’adresse à l’autre pour être compris, le monologisme est une adresse sans destinataire précis, qui est faite pour être énigmatique : « Comprenne qui pourra ».

Un hommage à Charlie Kirk, à Phoenix (Arizona), le 21 septembre 2025.
Un hommage à Charlie Kirk, à Phoenix (Arizona), le 21 septembre 2025.  CHENEY ORR/REUTERS

Cette culture de l’équivocité sur Internet est d’ailleurs mise à profit par des acteurs politiques…

Elle est utilisée par tout le monde. Nous utilisons tous des moyens détournés (un mème, un « partage » sans commentaire…) pour dire ce que nous pensons sans le dire, et nous laissons à chacun le soin de décoder ce message en fonction de son degré d’intimité avec nous.

Plus spécifiquement, certains acteurs utilisent effectivement la culture du LOL, du mème et du shitpost pour faire avancer un combat politique. Tenter d’en élucider la teneur idéologique est un exercice périlleux, tant ils sont faits pour être pas seulement équivoques, mais carrément nébuleux ou incompréhensibles. Dès les années 2000, des groupes de hackeurs et de médiactivistes comme Anonymous s’en servent dans le cadre de leur stratégie de « guérilla sémiotique », consistant à attaquer des sites en laissant des messages sarcastiques pour continuer à avancer « masqués ».

La culture du LOL s’est ensuite invitée dans la sphère politique, avec la campagne pour l’élection présidentielle américaine de 2016. C’est notamment à cette époque que le mème Pepe the Frog a été récupéré par l’alt-right, cette frange de l’extrême droite américaine très active en ligne. L’objectif était d’instaurer un brouillage idéologique généralisé sur les réseaux sociaux, dans le cadre d’une « guerre culturelle » contre la gauche.

Lire aussi le décryptage (2024) |   Comment l’extrême droite s’est approprié la culture mème, ces détournements humoristiques repris en masse sur Internet

Néanmoins, pourquoi formuler des revendications cryptiques lors d’un acte clairement destiné à attirer l’attention d’un large public ?

Ce mode d’expression est le reflet de la prégnance des médias numériques dans la vie politique américaine. Il faut comprendre cet événement dans son contexte. Si la vie politique française compte un large répertoire d’actions collectives et publiques (manifestation, grève, blocage, rassemblement, prise de parole publique), la politique américaine se vit selon une approche beaucoup plus individualiste, notamment parce qu’aux Etats-Unis, l’urbanisme et les modes de vie laissent très peu d’espaces publics à occuper.

C’est une des raisons pour lesquelles les réseaux sociaux sont une invention américaine et ont été plébiscités en premier dans ce pays. De même, les podcasts, c’est-à-dire une forme médiatique longue qui s’écoute souvent seul à domicile, ont joué un rôle central dans la victoire de Donald Trump de 2024, en particulier les podcasts d’influenceurs comme Charlie Kirk. Le caractère cryptique, mais aussi violent et individualiste, du geste de Tyler Robinson peut s’analyser comme le produit d’une certaine culture politique 2.0.

Marion Dupont

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire