Déserts médicaux : une généraliste raconte sa première journée de « solidarité territoriale »
Le temps d’une journée, Sophie*, 49 ans, a quitté son cabinet pour aller exercer dans une petite ville où les derniers médecins sont partis à la retraite il y a trois mois. Pour Egora, la généraliste revient sur cette première journée de consultations.

Par Aveline Marques

Elle est l’une des premières à avoir sauté le pas. Mardi 16 septembre, Sophie*, généraliste de 49 ans, a accepté de délaisser son cabinet le temps d’une journée pour assurer « une présence médicale là où il n’y en a plus« . La praticienne, installée depuis trois ans et demi, explique avoir répondu à un mail du conseil de l’Ordre, relayant l’appel à la « solidarité territoriale » lancé par le gouvernement démissionnaire.
Parmi les 151 « zones rouges » identifiées sur le territoire national, « deux étaient relativement proches de là où j’habite », expose-t-elle. « J’ai choisi l’endroit le plus accessible pour moi. Par la quatre voies, j’ai mis environ 40 minutes. Aller-retour, c’est quand même fatiguant. » Dans cette « petite ville« , il y a un pôle de santé, mais plus de médecin. « Les deux qui restaient ont pris leur retraite il y a trois mois, retrace Sophie. Il y a un médecin qui va s’installer en novembre, mais à lui seul il ne pourra pas tout gérer.«
Avant d’accepter cette mission, la généraliste, qui exerce quatre jours par semaine, a posé ses « conditions » : disposer d’un cabinet correctement équipé, pouvoir utiliser son propre logiciel métier – accessible en ligne et, surtout, pouvoir « choisir [ses] horaires et [son] rythme de travail« , avec « un rendez-vous toutes les 20 minutes« . La généraliste avait par ailleurs demandé à ce que son nom n’apparaisse pas dans la presse locale, par souci de discrétion.
Plutôt que d’enchaîner deux journées de consultations par mois, la généraliste a également choisi de se déplacer « un mardi tous les 15 jours« . « Je me dis que c’est mieux. Laisser mon cabinet deux jours d’affilée, ce serait trop« , justifie-t-elle. D’autant que Sophie, qui suit environ 1200 patients, n’a pas pu trouver de remplaçant à temps. « Je savais que j’allais probablement me déporter ce jour-là donc je n’avais pas pris de rendez-vous« , explique-t-elle. Mais bien que sa patientèle soit « relativement jeune » et bien portante, le retard s’accumule vite, pointe la praticienne, évoquant notamment les « résultats d’examens à traiter« . « Tout ce qu’on ne fait pas le jour même est reporté au lendemain« , souligne-t-elle.
Certains patients allaient de téléconsultation en téléconsultation, d’autres avaient carrément renoncé aux soins
Sur place, en revanche, la généraliste a été confrontée à des patients en errance. « Des patients très malades et/ou âgés qui avaient sonné à toutes les portes mais n’avaient pas trouvé de médecin, et qui ne peuvent pas se déplacer loin« , décrit-elle. Sur les 20 consultations effectuées, Sophie a dû gérer des « situations assez sérieuses qui traînaient depuis plusieurs semaines, voire des mois« . « Certains patients allaient de téléconsultation en téléconsultation, d’autres avaient carrément renoncé aux soins. Ça leur a permis d’avoir un avis médical, avec un examen clinique, c’est rassurant pour eux« , souligne Sophie. « On m’avait préparé la liste et les coordonnées des spécialistes, des paramédicaux et des hôpitaux à proximité », apprécie la généraliste. « Mais je n’ai pas réussi à joindre le spécialiste du CHU, ni même le secrétariat. » En revanche, la praticienne a eu « la possibilité d’avoir une biologie en urgence : je l’ai demandée à 11h30 et j’ai eu le résultat à 16h30« , salue-t-elle.
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Mais lorsque Sophie s’est enquise de la continuité des soins pour les patients vus, « l’ARS a répondu : ‘On s’occupe d’aujourd’hui’. Je leur ai dit que ce n’était pas ça la médecine générale. J’avais besoin de savoir quand d’autres médecins seraient présents pour pouvoir l’indiquer aux patients qui nécessitaient un contrôle ou qui reviendraient avec des résultats d’examens. » Plusieurs praticiens se relaieront dans les prochaines semaines, sans pouvoir pour l’heure, assurer une présence continue.
Quant à l’indemnité de 200 euros par jour, « c’est le grand minimum pour du libéral« , estime la généraliste. « Ça aurait été bien si ça avait été défiscalisé…«
Néanmoins satisfaite de la façon dont s’est déroulée cette première journée de solidarité, Sophie compte bien revenir tant que le besoin se fera sentir. « J’ai apprécié de venir en aide à une population qui a de grandes difficultés d’accès aux soins. Mais si un autre médecin s’installe, on arrêtera. Ça n’a pas vocation à être pérenne« , insiste-t-elle. « Et il faut vraiment que ça reste sur la base du volontariat, car ce n’est pas évident du tout. » L’important, insiste-t-elle, est « ne pas se laisser marcher sur les pieds« .
*Le prénom a été changé pour garder l’anonymat
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Rédactrice en chef web
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Solidarité territoriale des médecins : les dessous d’un plan de sauvetage en Nouvelle-Aquitaine
« Un médecin près de chez vous. » C’est l’engagement pris par le ministre de la Santé, Yannick Neuder, en lançant officiellement, lundi 1er septembre, le dispositif de « solidarité territoriale » des médecins sur la base du volontariat. Mais derrière les effets d’annonce, de nombreux défis restent à relever. Illustration dans les Landes, où les acteurs territoriaux s’activent pour organiser la venue des premiers médecins volontaires.
Par Aveline Marques

La date est fixée : le 16 septembre, le Dr Raphaël Duquenoy assurera sa première vacation à la MSP de Pissos, dans le nord des Landes. Le jeune praticien, installé à 20 km de Bordeaux, est l’un des 202 généralistes de Nouvelle-Aquitaine qui se sont portés volontaires pour assurer un renfort dans les 29 intercommunalités de la région identifiées comme des « zones rouges » par le ministère.
Dans cette vaste région, les travaux de mise œuvre de la « solidarité territoriale » ont été lancés au début de l’été, retrace Atika Rida-Chafi, directrice adjointe à l’offre de soins à l’ARS Nouvelle-Aquitaine. « On a travaillé sur les lieux d’accueil, d’un côté, et sur le recensement des médecins volontaires, de l’autre. » Car pour l’heure, en l’absence de cadre légal*, il n’est pas question d’obligation. Une enquête a été lancée fin juillet auprès de l’ensemble des généralistes en activité inscrits à l’Ordre dans la région. A travers ce questionnaire, les médecins disposés à assurer des consultations avancées étaient invités à préciser leur disponibilité (fréquence et jours de la semaine) et indiquer les territoires dans lesquels ils seraient prêts à se déplacer.
8 volontaires pour la Creuse, 7 pour la Corrèze
Avec 57 médecins volontaires, les Landes sont sorties du lot, sans doute « pour une question de proximité » avec la région bordelaise, mieux lotie, analyse le Dr Emmanuel Bataille, président de l’URPS-médecins libéraux de Nouvelle-Aquitaine. La moitié des généralistes volontaires pour assurer un renfort dans l’une ou l’autre des deux zones rouges situées au nord et au nord-est des Landes seraient en effet des Girondins. Hormis la Dordogne (32 volontaires), les autres départements n’ont pas suscité autant d’engouement : seuls 8 médecins se disent prêts à aller dans la Creuse, 7 en Corrèze et 3 dans la Vienne… « On voit bien que l’éloignement peut être un frein, les conditions d’accueil vont beaucoup jouer« , relève le représentant de l’URPS.
Autre enseignement : sur les 57 volontaires partant pour les Landes, seuls 6 sont installés dans le département. « Ceux qui sont sur la côte n’ont pas envie de bouger et les autres, comme moi qui suis à Mont-de-Marsan, ont autre chose à faire que d’aller à Labrit ou à Sore« , commente le Dr Didier Simon, président de l’URPS des Landes. « J’ai 2300 patients médecin traitant, je ne peux pas me permettre de partir deux jours par mois. »
Lire aussi : « Médecin généraliste, j’ai ouvert un cabinet secondaire dans un désert… et ça n’a pas duré »
L’enquête étant encore ouverte – l’ARS se laisse jusqu’à mi-septembre – il est trop tôt pour identifier le profil des volontaires. « On table soit sur des jeunes médecins en début d’exercice qui ne sont pas encore noyés par leur patientèle, soit sur des retraités actifs qui veulent maintenir une activité complémentaire« , expose le Dr Jean-François Dubroca, président du Conseil départemental de l’Ordre des Landes, dont le rôle sera de « sécuriser l’exercice » de ces libéraux. « Pour ne pas être taxé de médecine foraine, il faut déclarer le lieu d’exercice secondaire, informe le représentant ordinal. Sinon, en cas de pépin, la RCP du médecin va venir chercher la petite bête et se dégager de toute responsabilité. Ce sont des procédures qu’on va essayer de fluidifier, de simplifier. » Pour l’heure, seuls 3 dossiers sont dans les tuyaux.
200 euros par jour pour indemniser les frais
Car il ne suffit pas de compter les volontaires, il faut dorénavant organiser leur venue. Si dans certaines zones, où des structures de soins sont déjà présentes, le médecin viendra renforcer l’équipe en place (à l’instar de la MSP de Pissos), « il y a des territoires où il n’y a déjà plus grand monde, et où il faut tout monter de A à Z« , relève Emmanuel Bataille. L’ARS travaille main dans la main avec les CPTS et les collectivités pour mettre en place un planning et inscrire les vacataires dans une organisation territoriale, assure Akita Rida-Chafi.
Comment seront équipés les cabinets ? « Comme on a dit à l’ARS, il faut arriver avec son stéthoscope, son tensiomètre et sa trousse de visite et il faut que tout le reste fonctionne« , insiste Didier Simon. Les collectivités sont-elles prêtes à financer du matériel (type ECG, spiromètre), un secrétariat voire une fonction de coordination ? Peuvent-elles proposer un hébergement gratuit ? « L’échéance municipale dans six mois peut être un bon levier pour dire aux collectivités de se mouiller« , considère Emmanuel Bataille. Son confrère des Landes s’attend, lui, à « assister à une course à l’échalotte » entre les territoires. Pour indemniser leurs frais de transport, d’hébergement et de restauration, les médecins « solidaires » toucheront 200 euros par jour. « C’est le forfait acté pour l’ensemble des médecins volontaires de la France entière, mais les aides vont être complétées en fonction des territoires« , confirme Atika Rida-Chafi. « Il ne faut pas que le médecin y soit de sa poche, mais c’est sûr qu’on ne va pas s’enrichir avec ça« , commente le président du CDOM.
Sur la fréquence des vacations, « il faut laisser de la souplesse« , insiste Emmanuel Bataille. « Est-ce que c’est forcément deux jours par mois ou est-ce qu’on peut rassembler les vacations sur une semaine par période de six mois si ça arrange ? Pour les zones éloignées, ça va jouer. »
Ce n’est pas parce que 202 médecins ont répondu favorablement qu’ils vont y aller…
Mais c’est sans doute sur le plan médical que les plus gros défis sont à relever, soulignent les libéraux. « Nous, on n’est pas dans le politique, on veut contribuer mais il faut que ce soit qualitatif, insiste le président de l’URPS Nouvelle-Aquitaine. Il faut partir des besoins du territoire : le médecin viendra-t-il pour prendre en charge les patients sans médecin traitant ou en renfort sur les soins non programmés ? Le médecin en place doit-il ouvrir ses dossiers patients ? Si les médecins changent, comment va-t-il se coordonner avec eux ? »
Didier Simon, lui, s’interroge sur la qualité du suivi et des parcours de soins. « Ces médecins vont prescrire des examens complémentaires mais s’il y a des trous dans le planning, que le mercredi et le jeudi par exemple, il n’y a personne, qui va assurer le suivi ? Ce ne sont pas les médecins en place : par définition, ou il n’y en a pas, ou ils sont débordés !« , lance le généraliste landais. « Il y a de fortes probabilités que ce soit des consultations complexes et face à des patients que vous ne connaissez pas, vous mettez plus de temps« , soulève encore le praticien. Enfin, « ça ne règle pas le problème de l’accès au second recours… C’est un peu un ‘sauve qui peut’ de l’Etat. On l’accompagne parce qu’on est en responsabilité, mais je ne suis pas sûr qu’on arrive à créer une dynamique« , doute Didier Simon, qui se dit « dans l’expectative » : « Ce n’est pas parce que 202 médecins ont répondu favorablement qu’ils vont y aller…«
« Peut-être que les conditions ne conviendront pas aux médecins qui viendront, reconnaît Emmanuel Bataille. On ne peut pas faire du sur mesure dans tous les sens. » Pour le président de l’URPS-ML de Nouvelle-Aquitaine, « il faut valoriser cette mobilisation collective des acteurs locaux et valoriser ces médecins volontaires qui ont planté une petite graine dans la tête des autres, mais ne faisons pas d’angélisme, ne faisons pas croire à la population qu’avec un petit coup de baguette magique, le problème des déserts médicaux sera résolu, met-il en garde. Ce n’est qu’un des leviers. »
*Adoptée au Sénat le 13 mai, la proposition de loi Mouiller n’a pas encore été discutée à l’Assemblée nationale.
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Commentaire Dr Jean SCHEFFER
La loi proposée par Bayrou a eu pour but de torpiller la loi de Guillaume Garot* qui instituait une régulation des installations , mais malheureusement bien timide. Cette régulation est à minima, puisqu’elle permet aux internes ou chefs de cliniques de s’installer dans des zones déjà pourvues (blanches), il suffit d’attendre un départ en retraite pour s’y installer ce qui est très fréquent jusqu’en 2030. Mais c’est beaucoup mieux que la tambouille de Bayrou qui montre en Aquitaine les limites de son efficacité**. Les médecins volontaires se précipitent vers les Landes en bord de mer (57) et en Dordogne (32) mais délaissent les principaux déserts médicaux de la région: 7 en Creuse, et en Corrèze, 3 en Vienne…
En plus la définition des zones rouges laisse de coté de nombreux déserts médicaux. Il suffit de voir qu’au moins 10 millions de français sont dans un désert médical (87% du territoire), et les zones rouges ne concernent que 2,5 millions de citoyens. Pour notre région, il en est de même, les 28 intercommunalités rouges regroupent 325 000 habitants, soit 5,3%. Il faudrait pouvoir aider au moins le double d’habitants.
La preuve est faite qu’il est nécessaire d’instituer une régulation de l’installation des médecins, mais plus énergique que la loi édulcorée de Guillaume Garot. Il faut empêcher toute nouvelle installation en territoire déjà pourvu en refusant le conventionnement au moins pour les généralistes.
Pour rappel un meilleur accès aux soins nécessite outre une efficace régulation de l’installation des médecins généralistes et spécialistes, un élargissement du « numerus apertus« , la création de centres de santé publics dans tous les territoires en détresse avec financement pérènne, il est très urgent de créer le « Clinicat Assistanat Pour Tous » ***obligatoire de 2 à 3 ans en fin d’internat.
*https://environnementsantepolitique.fr/2025/04/15/loi-inter-partisane-garot-quest-ce-que-cest/
***https://1drv.ms/w/s!Amn0e5Q-5Qu_sAoKetf_T8OKk2Io?e=GfjeRj?e=4YzGt2
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