Après la condamnation de Nicolas Sarkozy, de nombreuses attaques contre une justice peu encline à se défendre
Analyse
Deux enquêtes ont été ouvertes après des menaces proférées en ligne contre la présidente du tribunal qui a condamné l’ancien chef de l’Etat. Face aux critiques des politiques et de certains journalistes, les magistrats du siège se retranchent dans le silence, laissant les seuls syndicats monter au créneau.

L’institution judiciaire a encore passé un très mauvais moment. Jeudi 25 septembre, dans la foulée du jugement du tribunal judiciaire de Paris contre Nicolas Sarkozy, condamné à cinq ans de prison dans l’affaire des financements libyens de sa campagne de 2007, le débat s’est immédiatement déplacé des prétoires aux plateaux de télévisions. Du secret de la délibération au fracas du débat public et médiatique.
Comme lors de la condamnation de Marine Le Pen dans l’affaire des attachés parlementaires du Front national (devenu Rassemblement national, RN) au Parlement européen, les voix ont été nombreuses pour attaquer la justice, parmi les politiques mais aussi les journalistes. Sur le plateau de la chaîne CNews, la journaliste Laurence Ferrari a critiqué une décision qui entretient le « soupçon de corruption généralisée » et s’est demandé, « s’il ne fallait pas s’interroger sur le mode de recrutement des magistrats et réfléchir à un mode de contrôle de leur travail ». Sur BFM-TV, c’est le pourtant très mesuré Alain Duhamel qui a déclaré que l’heure « d’une crise judiciaire » avait sonné. Vendredi matin, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy Henri Guaino a, quant à lui, dénoncé dans Le Figaro « une sorte de coup d’Etat judiciaire ». Face à ces accusations, l’institution a été peu audible.
Le parquet de Paris a annoncé, vendredi soir, avoir ouvert deux enquêtes à la suite de « messages menaçants » visant la présidente du tribunal correctionnel qui a condamné l’ancien chef de l’Etat. Les investigations ont été confiées au pôle national de lutte contre la haine en ligne. Vendredi après-midi, l’Union syndicale des magistrats (USM) avait annoncé avoir fait des signalements à la justice sur les menaces visant la magistrate. « L’USM s’inquiète de la désignation publique des magistrats, du parquet comme du siège, comme des ennemis politiques et des conséquences, même indirectes, qui en découlent : menaces de mort ou de violences graves », avait écrit le syndicat majoritaire dans un communiqué. Selon son secrétaire général adjoint, Aurélien Martini, la magistrate est visée par des menaces de mort et d’agression violente sur les réseaux sociaux, où sa photo est publiée.
Sans donner plus de détails sur les deux enquêtes ouvertes, le parquet rappelle qu’« il est fondamental, dans toute société démocratique, que le débat judiciaire demeure encadré par la procédure pénale ». Et de préciser que les « menaces de mort à l’encontre des personnes dépositaires de l’autorité publiques » font « encourir une peine de cinq ans d’emprisonnement ».
Cette année, deux autres enquêtes de ce type ont été ouvertes après des menaces ayant visé les magistrats du tribunal correctionnel de Paris qui avaient condamné, cette fois, Marine Le Pen à une peine de cinq ans d’inéligibilité. En avril, le tribunal correctionnel de Bobigny a condamné à huit mois de prison avec sursis un internaute de 76 ans pour outrage et provocation au meurtre pour un message en ligne contre la présidente du tribunal au procès du RN et de sa cheffe de file.
Une tradition tenace
Dès vendredi matin, le Syndicat de la magistrature (SM) s’était ému que la condamnation de Nicolas Sarkozy puisse être violemment attaquée, être vue comme un « acharnement », voire « une vengeance de la justice ». Anticipant la virulence des attaques, une partie du bureau de l’USM s’était déployée toute la journée de jeudi sur des plateaux de télévision, pour apporter quelques éclairages pédagogiques à des questions forcément techniques et tenter de résumer les 400 pages de motivations du jugement. Sur le plateau de BFM-TV, les invités ont, par exemple, plusieurs fois manifesté leur incompréhension devant le fait que, compte tenu de l’exécution provisoire de son mandat de dépôt différé, Nicolas Sarkozy va immanquablement devoir passer par la case prison, même s’il fait appel.
Aurélien Martini a été le seul à rappeler que l’ex-chef de l’Etat n’est en rien une exception, puisque cette exécution provisoire s’applique dans 85 % des cas de condamnation au-delà de cinq ans d’emprisonnement. « On a un peu l’impression de porter tout seul cette parole pédagogique… et d’être, au final, les seuls adultes dans la salle », regrette en soupirant Ludovic Friat, le président de l’USM.
Par tradition, la justice n’aime pas parler, se justifier et encore moins débattre de ses décisions. « La magistrature est encore dans la logique qu’une décision se suffit à elle-même. Elle n’a pas pris la mesure que l’environnement, notamment médiatique, avait considérablement changé », poursuit Ludovic Friat.
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Certes, elle fait des progrès. Mais très lentement. « Il y a dix ans, un président du tribunal se serait contenté du jugement, sans explication. Aujourd’hui, on prend la peine de lire les motivations », se défend un magistrat. Mais ces motivations, certes communiquées aux journalistes, ne sont toujours pas accessibles aux citoyens. En tout cas pas pour l’instant. Pourtant, la loi de 2017 oblige à les rendre publiques. C’est déjà le cas pour la justice civile, mais pas pour la justice pénale.
« Un immense chantier »
« C’est un vrai problème démocratique, car le juge rend sa décision au nom du peuple français », rappelle Vincent Sizaire, magistrat et professeur de droit à l’université Paris-X-Nanterre. Beaucoup de magistrats estiment que la justice judiciaire ferait bien de s’inspirer de la justice administrative. A chaque décision, le Conseil d’Etat publie dans la foulée de l’audience sa décision, un communiqué de presse, et répond aux questions des journalistes. Même le Conseil constitutionnel, notre cour suprême, fait cet effort de pédagogie. Mais rien de tout cela n’existe réellement pour la justice judiciaire.
Elle plaidera qu’elle ne sait pas faire, et que longtemps la loi lui interdisait d’ouvrir la bouche. Il faut attendre, en effet, celle du 15 juin 2000, sur la protection de la présomption d’innocence, pour que le législateur ouvre la voie aux prémices de la communication judiciaire en autorisant le procureur de la République à rendre publics « des éléments objectifs », dans le but d’éviter la « propagation d’information parcellaires ou inexactes ».
Depuis, le parquet a appris à communiquer, mais le siège, lui, alors que la loi ne l’empêche pas, ne s’exprime presque jamais. Sauf cas exceptionnel, comme quand l’institution est attaquée. Le tout nouveau président du tribunal judiciaire de Paris, Peimane Ghaleh-Marzban, avait surpris, en publiant, le 23 juillet, quelques jours après son arrivée, un communiqué de presse dénonçant « l’opprobre jeté publiquement sur les magistrats » alors que la ministre de la culture, Rachida Dati, venait de dénoncer des juges « qui refusent de faire leur travail conformément au code de procédure pénale ». Une réaction inédite de la part d’un président de tribunal, qui avait été saluée par toute la magistrature.
« Il y a un immense chantier qu’il faut absolument investir : comment l’institution judiciaire doit-elle parler et se défendre dans le débat public ? Il y a urgence car on est en train de perdre cette bataille culturelle… », assure Judith Allenbach, la présidente du SM. Pour une fois, ce syndicat, de sensibilité de gauche, est proche des positions de FO-Magistrats, qui penche plutôt à droite.
« L’absence de communication de l’institution met en danger les acteurs même de l’institution », renchérit la présidente de FO-Magistrats, Béatrice Brugère, qui milite, elle, pour un porte-parole de la chancellerie, « beaucoup plus fort et beaucoup plus présent ». Une proposition qui ne fait pas l’unanimité. « Ça poserait clairement un problème de séparation des pouvoirs, car la chancellerie appartient à l’exécutif, soulève Vincent Sizaire. C’est impossible pour le garde des sceaux d’être tout à la fois juge et partie. »
Condamnation de Nicolas Sarkozy : le Syndicat de la magistrature dénonce le silence d’Emmanuel Macron après les menaces contre la présidente du tribunal
Deux enquêtes ont été ouvertes à la suite de « messages menaçants » visant la magistrate parisienne ayant énoncé la condamnation de l’ancien président à cinq ans de prison, avec incarcération prochaine.

Le Syndicat de la magistrature a dénoncé, dimanche 28 septembre, le silence « assourdissant » du président Emmanuel Macron concernant les menaces dont est la cible la présidente du tribunal qui a condamné l’ancien chef de l’Etat Nicolas Sarkozy dans l’affaire du financement libyen.
Deux enquêtes ont été ouvertes vendredi 26 septembre par le parquet de Paris à la suite de « messages menaçants » visant la magistrate parisienne ayant énoncé jeudi la condamnation de l’ancien président à cinq ans de prison, avec incarcération prochaine.
« Si le garde des sceaux démissionnaire, Gérald Darmanin, a cette fois apporté son soutien à l’institution judiciaire, le silence du président de la République, Emmanuel Macron, premier garant de l’indépendance de la justice, est quant à lui assourdissant », a estimé dans un communiqué le syndicat classé à gauche.
Le président garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire
Aux termes de l’article 64 de la Constitution, le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il est assisté dans cette mission par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui a condamné samedi « fermement les menaces et attaques personnelles visant à remettre en cause l’impartialité des magistrats » ayant condamné Nicolas Sarkozy.
Gérald Darmanin a, lui aussi, condamné « sans aucune réserve » les « intimidations et les menaces de mort qui touchent les magistrats », qualifiant ces faits d’« absolument insupportables en démocratie ».
Dans son communiqué, le Syndicat de la magistrature « dénonce la confusion relayée par certains médias et sur les réseaux sociaux entre la liberté syndicale et l’acte de juger ». « Les magistrat·es ont le droit de s’exprimer à titre syndical sans que leur impartialité ne soit mise en doute dans l’exercice de leurs fonctions », poursuit le syndicat, ajoutant que « cibler personnellement une magistrate, c’est attaquer l’Etat de droit lui-même ».
Le tribunal correctionnel de Paris a condamné Nicolas Sarkozy à cinq ans d’emprisonnement avec incarcération prochaine pour avoir « laissé ses plus proches » collaborateurs démarcher la Libye de Mouammar Kadhafi pour financer sa campagne victorieuse de 2007.