Si l’Europe ne réagit pas, elle actera son effacement du nouvel ordre mondial (Agathe Cagé politiste)

.Agathe Cagé, politiste : « L’Union européenne doit se donner les moyens de redevenir l’architecte de son avenir »

Tribune

Agathe CagéPolitiste

L’UE a accepté de mettre un genou à terre, en partie pour éviter le pire, face aux Etats-Unis. Si elle ne réagit pas, elle actera son effacement du nouvel ordre mondial, prévient la docteure en science politique dans une tribune au « Monde ».

Publié hier à 20h30  https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/09/26/agathe-cage-politiste-l-union-europeenne-doit-se-donner-les-moyens-de-redevenir-l-architecte-de-son-avenir_6643108_3232.html

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Une tempête pousse irrésistiblement l’Ange de l’histoire, écrivait Walter Benjamin, en 1940, dans un texte devenu célèbre, « vers l’avenir auquel il tourne le dos, tandis que le monceau de ruines devant lui s’élève jusqu’au ciel » [Sur le concept d’histoire, Gallimard]. L’Union européenne (UE) est aujourd’hui exactement dans la position de l’Ange de l’histoire. Les obstacles, et parfois les regrets, se sont amoncelés pour elle ces derniers mois, transformant son passé récent en un amas de sacrifices. Elle doit désormais impérativement choisir : se laisser emporter par cette tempête dont les vents soufflent des Etats-Unis, de Russie et de Chine, ou regarder son futur en face et se donner les moyens d’en redevenir l’architecte.

L’une des principales forces de l’UE a longtemps été sa capacité à se montrer maître de l’avenir, notamment en se positionnant comme dynamique motrice des grandes transitions à l’échelle internationale. Elle a réussi à imposer certaines de ses règles protectrices au fonctionnement de l’économie numérique.

Ses standards sociaux, sanitaires et environnementaux sont, pour les entreprises qui les appliquent, un levier pour obtenir la confiance des consommateurs. Son ambition climatique et son aptitude à bâtir son action dans le temps long devaient lui permettre de s’affirmer comme une puissance géopolitique et industrielle verte. Enfin, elle a su faire preuve d’une capacité de résilience remarquable face aux dernières crises (sanitaire, financière, énergétique).

Un genou à terre

Mais, dans un monde qui est désormais celui des rapports de force et non plus des interdépendances gagnantes, la résilience ne suffit pas, et si l’UE commence à céder à la pression des menaces de court terme, elle se coupera le bras de sa puissance. L’accord commercial conclu à Turnberry, en Ecosse, avec les Etats-Unis de Donald Trump, le 27 juillet, est déséquilibré. Les surtaxes ne pénaliseront cependant pas excessivement l’économie européenne.

L’Union a accepté de mettre une fois un genou à terre, en partie pour éviter le pire et se garantir un peu de stabilité. Dont acte. Elle doit s’interdire toute nouvelle soumission. Le président de la République française a, d’une certaine manière, fixé le cap : « Pour être libre dans ce monde, il faut être craint » [discours du 13 juillet].

Il est impératif pour l’UE de rester ferme en matière de sanctions contre les géants du numérique, dès lors que ces derniers ne respectent pas les règlements sur les marchés européens. Elle a envoyé le signal attendu en imposant, début septembre, une amende de 3 milliards d’euros à Google – passant outre les menaces du président américain –, après avoir infligé, en avril, des sanctions financières de 500 millions d’euros à Apple, et de 200 millions à Meta.

L’influence internationale de l’UE repose en partie sur sa capacité à réguler l’économie numérique. Elle doit d’autant moins céder de terrain en la matière que, d’une part, la Chine et la Corée du Sud s’affirment comme productrices de normes sur la scène mondiale, et que, d’autre part, les Etats-Unis accélèrent dans la guerre de l’intelligence artificielle (IA).

Décrochage économique

Le GAIN AI Act, amendement déposé en août au Sénat américain, est presque passé inaperçu en France. Il pourrait pourtant priver les pays de l’UE de l’accès aux unités de traitement graphique nécessaires à l’entraînement des grands modèles de langage et autres modèles d’IA complexes, en instaurant un régime d’export spécifique pour les puces dépassant un certain niveau de performances.

Le constat est indiscutable : l’UE est au pied du mur dans sa relation avec les Etats-Unis. Son décrochage économique est incontestable, les causes de celui-ci ont été détaillées par Enrico Letta [ancien premier ministre italien] puis par Mario Draghi [ancien président de la Banque centrale européenne] en 2024. Sa force commerciale ne sera rapidement plus qu’un mirage si elle ne retrouve pas sa compétitivité et si les Européens n’investissent pas massivement sur leur sol, notamment dans le secteur des technologies d’avenir. Elle pourra difficilement faire l’économie de l’établissement de l’union des marchés de capitaux.

Elle ne pourra également pas se dispenser, dans le domaine des technologies zéro carbone, de réaliser l’intégration de ses chaînes de valeur et de réduire ses importations, afin de limiter ses dépendances à la Chine. Un recul trop marqué de ses engagements climatiques, enfin, lui ferait perdre son leadership dans la conduite de la transition écologique.

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Si l’UE n’a désormais plus d’autre choix que de prendre ses responsabilités, c’est surtout un enjeu de souveraineté, à la fois numérique, technologique et industrielle, environnementale, démocratique et de construction de son indépendance stratégique vis-à-vis des Etats-Unis. Si elle s’y refuse, elle actera son effacement du nouvel ordre mondial. Ne soyons pas les commentateurs tristes ou désabusés du passé récent. Mettons-nous en ordre de bataille pour écrire notre futur sans que les Etats-Unis ne nous tiennent la plume.

Agathe Cagé est docteure en science politique, autrice de « Classes figées. Comprendre la France empêchée » (Flammarion, 2024).

Agathe Cagé (Politiste)

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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