Patrick Cohen décrypte le jugement rendu « au nom du peuple français » hier dans le dossier du « financement libyen » de sa campagne électorale de 2007.
« Au nom du peuple français », une formule à ne pas perdre de vue, elle est inscrite dans notre loi commune depuis 1848, ainsi, puisque la justice est rendue au nom du peuple, ces décisions devraient immédiatement susciter l’adhésion, sinon du peuple tout entier, ne rêvons pas, au moins du plus grand nombre. Il ne s’agit pas de se substituer au magistrat. Mais dans une affaire qui envoie un ex-président en prison et concerne à ce titre chaque citoyen de pouvoir suivre le raisonnement des juges, de comprendre quels sont les éléments, indices et preuves qui les ont conduits à condamner et à le faire aussi sévèrement, il aurait fallu hélas que le jugement rendu hier réponde à de telles exigences.
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L’affaire Sarkozy : les faits et les zones d’ombre
On parle d’un jugement complexe sur une affaire qui ne l’est pas moins, je le comprends, pour y avoir passé des heures, mais je comprends parfaitement ceux qui ne comprennent pas. Pour résumer le dossier, que les plus proches de Sarkozy et fricoté avec l’un des plus proches de Kadhafi est le moins fréquentable, le chef terroriste Abdallah Senoussi, c’est une certitude. Que Claude Guéant et Brice Hortefeu ait été infichus de livrer une version crédible, de ses rendez-vous clandestins à Tripoli avec l’auteur de l’attentat du DC10 d’UTA, condamné et recherché en France, c’est accablant, que de n’en ait pas parlé à Nicolas Sarkozy, c’est invraisemblable, que la Libye ait décaissé des millions d’euros au profit d’intermédiaires Ziad Takiedine et Alexandre Djouri qui devaient alimenter la campagne Sarkozy, s’est avéré, mais que cet argent soit arrivé à destination, c’est non. La procédure, écrivent les juges, n’a pas permis de fonder une démonstration que l’argent parti de Libye ait in fine été utilisé dans un financement occulte. « Pas d’argent », répète Nicolas Sarkozy depuis 13 ans, pas un seul centime, le tribunal lui donne raison.
La condamnation et ses implications
Et il donne tort au parquet financier, c’est la grande faiblesse du dossier. Mais l’association de malfaiteurs, couramment utilisée contre les voyous, jamais encore contre les politiques, condamne l’intention, le projet, peu importe sa réalisation effective. En d’autres termes, moins juridiques, c’est la magouille qui est sanctionnée. Le tribunal lui parle de fait d’une gravité exceptionnelle, de nature à altérer la confiance des citoyens, celle à l’égard des politiques.
Justice et confiance publique
Bien sûr, mais la justice aussi a besoin de confiance et il n’est pas sûr que celle-ci se soit renforcée hier sous le déluge de critique et d’accusation de complot des juges.
À ce propos, une anomalie du système français fait que, hors des enceintes judiciaires, seuls les procureurs ont droit à la parole, jamais les magistrats du siège. C’est ainsi que le chef du parquet national financier avait longuement défendu l’accusation contre Nicolas Sarkozy au matin de l’ouverture de son procès le 6 janvier, parquet qui d’ailleurs, malgré les charges plus lourdes, n’avait pas requis le mandat de dépôt, tandis qu’aujourd’hui, il n’y a personne pour expliquer devant le peuple français la décision historique, inouïe, à la fois exemplaire et infamante, de faire incarcérer un ancien président sans attendre son procès d’appel, sans égard pour sa présomption d’innocence.
Compte tenu de l’énormité de l’accusation, de la qualité du principal condamné, de la radicalité du jugement, de la déflagration politique qui en résulte, il eut fallu une démonstration éclatante, hélas, elle ne l’est pas.