Un rapport qui décrit la crise, sans totalement se donner les moyens de la résoudre

par Marie-Amandine Stévenin

Publié le 22 septembre 2025
La commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les difficultés d’accès aux soins a rendu un rapport dressant un état des lieux alarmant de la crise actuelle : désertification médicale, inégalités territoriales, engorgement des urgences, iniquités entre les modes de financements des hôpitaux publics et privés, renoncement aux soins pour des raisons financières… Le tableau est sombre, qui rejoint celui sur lequel l’UFC-Que Choisir alerte depuis de trop nombreuses années. Mais, si le diagnostic est sans appel, les propositions faites pour y remédier ne sont pas à la hauteur des maux. Je ne peux que déplorer cette dissonance saisissante qui s’installe entre la gravité des constats et la timidité des remèdes.
Un sujet est au cœur de la mobilisation de l’UFC-Que Choisir depuis 2012, la question de la lutte contre la fracture sanitaire, et notamment des déserts médicaux. Nous plaidons sans relâche sur la régulation de l’installation des médecins – une mesure plébiscitée par les Français et votée récemment par l’Assemblée nationale dans le cadre de la proposition de loi Garot. Pourtant, cette mesure est ici clairement écartée. Le rapporteur, Christophe Naegelen, exprime son opposition par une pensée magique, celle d’une augmentation du nombre de médecins par une nouvelle réforme des études. Encore faut-il que le système de formation puisse suivre, et que cela ne se fasse pas aux dépens de la qualité de l’enseignement. En tout état de cause, cette posture marque une rupture assumée avec la volonté majoritaire exprimée dans l’hémicycle, avec les attentes citoyennes, et ressemble encore à une nouvelle stratégie d’évitement et d’attente. Jusque quand ?
Dans ce tableau contrasté, on peut noter une ouverture intéressante : le rapport mentionne explicitement la piste de la grande Sécurité sociale, ou grande sécu, c’est-à-dire la proposition d’un remboursement à 100 % par l’assurance maladie obligatoire, en remplacement du mille-feuille actuel de complémentaires – complexe et inutilement coûteux.
En début d’année, dans un rapport sur ce sujet, nous avons nous-même démontré comment le système de grande sécu serait plus redistributif entre les niveaux de richesses et entre les générations. Nous montrons aussi que cela trace la perspective d’économies jusqu’à 7 milliards dans notre système de santé, qui pourraient être réalloués pour améliorer l’accès aux soins. Je ne peux que me féliciter de voir que l’idée progresse, fait son chemin, et avance jusque dans le débat parlementaire.
Toutefois, la mention reste limitée et prudente, reléguée à une réflexion future, sans calendrier ni ambition politique affirmée. Il faudra donc veiller à ce que cette avancée ne se réduise pas à un simple effet de plume, sans traduction concrète.
De manière complémentaire à la grande sécu enfin, le rapport consacre une analyse bienvenue au morcellement actuel des restes à charge et déremboursements (franchises, participations forfaitaires, tickets modérateurs), qui complexifient l’accès aux soins et fragilisent les plus précaires. Là encore, le constat est lucide. Reste à voir s’il donnera lieu à des mesures structurelles ou à de simples ajustements cosmétiques. Je n’oublie pas que le gouvernement Bayrou a tenté d’imposer jusqu’au bout un doublement des franchises médicales, un impôt sur la maladie, contre l’avis du conseil de la CNAM, des syndicats, mais surtout des associations de personnes malades et d’usagers et usagères du système de santé.
En somme, ce rapport illustre une tendance trop fréquente : un constat solide, étayé, mais des recommandations qui évitent soigneusement les sujets qui fâchent et les solutions nécessaires, mais clivantes. C’est pour ça que l’UFC-Que Choisir est là, pour continuer de les revendiquer, et donc de défendre l’accès aux soins pour toutes et tous.

Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l’UFC-Que Choisir
ACCÈS AUX SOINS : LE RAPPORT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE AMBITIONNE DE RÉPONDRE À « UNE SUCCESSION DE DÉFAILLANCES »
ACTUALITÉ
https://lcp.fr/actualites/acces-aux-soins-le-rapport-de-la-commission-d-enquete-ambitionne-de-repondre-a-une
par Raphaël Marchal, le Mercredi 9 juillet 2025 à 18:27
Le rapport de la commission d’enquête sur l’organisation du système de santé et les difficultés d’accès aux soins a été dévoilé, ce mercredi 9 juillet, lors d’une conférence de presse à l’Assemblée nationale. Il dresse notamment un constat « alarmant » sur l’état du système de santé, pointant des « inégalités sociales, territoriales, statutaires et financières insupportables« , et propose notamment de restructurer les agences régionales de santé.
« Résoudre la crise » de notre système de santé, ou du moins, contribuer à répondre aux difficultés rencontrés par les Français pour se soigner. C’est l’ambition affichée par la commission d’enquête relative « à l’organisation du système de santé et aux difficultés d’accès aux soins« , dont les conclusions ont été rendues publiques, ce mercredi 9 juillet, à l’Assemblée nationale. L’instance avait débuté ses travaux en mars dernier, le groupe Libertés, indépendants, Outre-mer et territoires ayant utilisé son droit de tirage pour demander sa mise en place. Avec Jean-François Rousset (Ensemble pour la République) comme président et Christophe Naegelen (LIOT) comme rapporteur.
A L’HÔPITAL, LA SITUATION N’EST PLUS SATISFAISANTE. CHRISTOPHE NAEGELEN, RAPPORTEUR LIOT DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE
Sans surprise, les travaux de la commission ont mis en lumière des difficultés déjà connues. « Une grande partie de notre population vit dans un désert médical (…) et a du mal à accéder à l’hôpital public« , a souligné Christophe Naegelen, lors de la conférence de presse de présentation du rapport. Environ 11 % de la population vit ainsi dans un territoire « marqué par un stade avancé de désertification médicale« .
Et les responsabilités ne sont pas récentes, mais remontent à des décisions prises il y a une quarantaine d’années. « En 1973, on diplômait environ 7 500 médecins. De 1983 à 2003, on a diplômé moins de 4 000 médecins par an, avec un pic bas à 3 500 en 1993« , a exposé le rapporteur, regrettant un « manque d’anticipation » des pouvoirs publics sur le « changement de mentalité » des jeunes médecins en matière de temps de travail, ainsi qu’en matière d’augmentation et de vieillissement de la population.
La fin du numerus clausus en 2020 va certes permettre de corriger la situation mais, la formation des médecins durant en moyenne dix ans, cela prendra du temps. « Le rattrapage va se faire petit à petit« , a indiqué Christophe Naegelen, tablant sur la formation de 33 000 médecins dans les trois prochaines années, en prenant en compte ceux qui étudient à l’étranger.
Ce n’est toutefois pas la seule « défaillance » identifiée par la commission d’enquête, loin de là. Concurrence déloyale entre hôpital privé et hôpital public, « brouillard » organisationnel, formation, modèle de financement… Autant d’aspects sur lesquels les élus de la commission se sont penchés au cours de leurs travaux, recommandant le dépôt d’une « loi de programmation des besoins d’investissement en santé » sur 5 ans.
LES AGENCES RÉGIONALES DE SANTÉ « DÉCONNECTÉES »
L’organisation du système de santé a tout particulièrement été passée au crible. « Ni parfaitement régalienne, ni proprement décentralisée, notre politique publique de santé se fige dans une forme insidieuse de déresponsabilisation« , juge le rapporteur. Dans son viseur, en particulier : les Agences régionales de santé (ARS), « déconnectées complètement des préoccupations de nos concitoyens et des professionnels de santé« .
Pour le député des Vosges, les ARS sont notamment pénalisées par leurs trop nombreuses compétences. « Il faudrait qu’elles se concentrent sur l’offre de soins, et qu’on puisse redistribuer [les] autres compétences aux collectivités ou à d’autres administrations« , a-t-il soutenu, proposant en parallèle la création d’un « sous-préfet délégué à l’accès aux soins » à la place des directeurs départementaux. Récemment, un rapport sénatorial avait recommandé la suppression des ARS.
EVOLUTION DE LA FORMATION, PERMANENCE DES SOINS…
Autre axe conséquent sur lequel s’est penchée la commission : la formation des médecins. Le rapport liste plusieurs pistes, plus ou moins originales : augmenter le recours aux « passerelles », raccourcir la durée de formation en rabotant la quatrième année de médecine générale et en condensant en deux ans les trois premières… Les élus évoquant un « excès d’examens et de cours théoriques« .
Plus novatrice, la proposition d’une alternance réservée aux futurs médecins généraux qui se dirigent vers la médecine de ville. La formation de ces derniers se ferait donc dans un cabinet, avec un médecin. « En médecine de ville, il y a aussi ce transfert de patientèle, la connaissance du terrain« , a expliqué Christophe Naegelen (LIOT).
Par ailleurs, la commission d’enquête a mis en évidence les inégalités qui existent entre le secteur public et le secteur privé, avec la persistance d’une « concurrence déloyale« , certains établissements privés privilégiant « le choix de la rente au détriment du soin« .
Un phénomène qui s’illustre dans la permanence des soins. « La lumière, dans le privé, elle est allumée en journée, et souvent éteinte la nuit et le week-end« , a pointé le rapporteur. Pour tenter de remédier à ce phénomène, il propose d’instaurer un malus sur les dotations forfaitaires des hôpitaux privés et des cliniques qui rechigneraient à participer à la permanence des soins. « Il est anormal de se dire que les hôpitaux privés, pour majeure partie, bénéficient des opérations financières les plus rentables.«
Le président de la commission d’enquête, Jean-François Rousset (Ensemble pour la République), a salué la qualité du rapport, sans en partager la totalité des conclusions. « Il y a des avancées qui permettent de modérer le ressenti négatif des gens », a assuré le député de l’Aveyron, chirurgien à la retraite de profession, citant le « transfert de compétences » et « l’exercice coordonné » dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS).
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cesoins/l17b1671-ti_rapport-enquete
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/rapports/cesoins/l17b1671-tii_rapport-enquete
Voir aussi:
Des extraits et un commentaire succinct personnel en début de texte publiés sur mon blog en Juillet
Inégalités d’accès aux soins essentiels Exigeons la Grande sécu

Publié le 28 janvier 2025 https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-inegalites-d-acces-aux-soins-essentiels-exigeons-une-prise-en-charge-publique-a-100-n148924/
Face à un modèle de financement de notre système de santé à bout de souffle, l’UFC-Que Choisir dénonce des inégalités criantes qui pénalisent avant tout les populations les plus fragiles : retraités, étudiants et foyers précaires. Aujourd’hui, 4 % de la population, soit, 2,6 millions de Français, n’ont pas de complémentaire santé. Ce modèle obsolète aggrave les fractures sociales.
Pourtant, des solutions existent. L’UFC-Que Choisir appelle à une réforme ambitieuse mais réaliste de ce financement pour garantir à toutes et tous un accès universel et équitable aux soins.
Un système de santé à la charge des usagers
Complexe, opaque et coûteux, le financement du système de santé est de plus en plus à la charge des usagers. En vingt ans, l’État s’est désengagé de manière alarmante, transférant les dépenses sur les ménages et les complémentaires santé privées. Résultat ? Une explosion des coûts. En 2025, les cotisations des complémentaires augmentent de 6 % en moyenne selon les acteurs du secteur. Ce chiffre ne dit rien des variations en fonction de l’âge, principale donnée prise en compte dans le calcul des cotisations. De plus, il cache mal de fortes disparités d’un consommateur à l’autre, avec des pics allant jusqu’à 30 % pour certains foyers selon nos relevés (1). Ces augmentations étouffent des millions de Français et accentuent les inégalités sociales.
Pire, les complémentaires santé génèrent des frais de gestion élevés, entre 10 % et 27 %, selon leurs propres chiffres, qui pourraient être évités.
Une réforme pour une société plus juste
Pour remédier à ces dérives, l’UFC-Que Choisir exige une transformation radicale du modèle de santé qui peut se rapprocher de ce qui est parfois décrit comme une « grande Sécu » :
- Un système redistributif : Garantir l’accès aux soins tout en réduisant les inégalités sociales ;
- Une prise en charge à 100 % des soins essentiels par l’Assurance maladie, afin de sortir des logiques marchandes et protéger tous les citoyens ;
- Une gouvernance transparente et participative : Impliquer toutes les parties prenantes, sans oublier les usagers, dans la définition des soins essentiels et les décisions stratégiques.
« Laisser les plus vulnérables choisir entre se soigner et payer leurs factures, c’est indigne d’un pays comme le nôtre » dénonce, Marie-Amandine Stévenin, présidente de l’UFC-Que Choisir. « L’État doit cesser de détourner le regard et prendre ses responsabilités. L’accès aux soins n’est pas un privilège, c’est un droit fondamental. »
Les bénéfices d’une prise en charge à 100 % des soins essentiels
Pour les foyers français, les dépenses allouées aux complémentaires santé via les cotisations seraient réorientées vers l’Assurance maladie, sur un principe plus redistributif. La réforme serait collectivement neutre pour les usagers, et pourrait même permettre des économies pour les ménages les plus modestes.
Les paramètres de cette réforme, telle que proposée par l’UFC-Que Choisir, offriraient des bénéfices significatifs pour toutes et tous :
- Un accès renforcé aux soins pour les plus fragiles ;
- Une réduction des inégalités sociales de santé ;
- Une simplification des démarches administratives, tant pour les patients que pour les professionnels de santé.
L’urgence d’agir
En continuité de ses combats en faveur de l’accès à la santé, notamment sur la lutte contre les dépassements d’honoraires ou la fracture sanitaire, et alors que de plus en plus de Français renoncent aux soins pour des raisons financières, l’UFC-Que Choisir appelle les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités pour bâtir un système de santé juste, réellement accessible, universel et pérenne, à la hauteur des défis sanitaires et sociaux de notre époque.