À La Rochelle, une vaste mobilisation pour sortir des pesticides
Lancer une convention citoyenne pour la transition agricole : tel était le but des militants, scientifiques et politiques réunis le 20 septembre autour d’une manifestation et de plusieurs tables rondes, pour dire l’urgence de lutter contre cette pollution qui touche large.
21 septembre 2025 à 10h02 https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/210925/la-rochelle-une-vaste-mobilisation-pour-sortir-des-pesticides
La Rochelle (Charente-Maritime).– « Réveillez-vous en fait. Réveillez-vous ! » Les mots sont durs, la voix chargée d’émotion. Lydie Rauld, alias Lilith, du Collectif des ouvriers agricoles et de leurs ayants droit empoisonnés par les pesticides (COAADEP), s’adresse au public de l’Espace Encan, à La Rochelle, rassemblé samedi 20 septembre dans l’après-midi pour assister à une série de tables rondes sur les liens entre pesticides et santé et les moyens pour se mobiliser.
Lilith est martiniquaise et guyanaise, et après avoir écouté les autres participantes – Fleur Breteau, du collectif Cancer colère, et Marie Thibaud, qui explique le travail de recherche citoyenne lancé autour du cluster de cancers pédiatriques de Sainte-Pazanne, en Loire-Atlantique –, elle s’agace. « Ce que vous faites, nous le réclamonsdepuis des années en Martinique. Je me sens tellement en décalage… Notre problème, ce n’est pas seulement qu’on a été exposés au chlordécone. C’est que la monoculture de bananes et de canne à sucre continue, soutenue par d’énormes aides publiques. Tant que cela ne changera pas, on ne résoudra pas le problème des pesticides. »
Lilith a fait une marche de plusieurs centaines de kilomètres cet été afin de récolter des fonds pour équiper un bus destiné à sillonner l’île et recueillir des données sur les femmes malades. Et mener ainsi l’enquête épidémiologique populaire qui manquait. Au même moment, en l’espace de quelques jours, les signatures contre la loi Duplomb s’envolaient et dépassaient les 2 millions. « Notre loi Duplomb, on l’a depuis 1972, quand Jacques Chirac a autorisé le chlordécone sur notre territoire. Je veux qu’on prenne conscience de ça. Tout ça pour que vous ayez de la banane et du rhum. »

Les mots de Lilith, accueillis par un tonnerre d’applaudissements, viennent conclure une table ronde consacrée aux mobilisations citoyennes, au cœur d’une journée organisée par l’association Avenir Santé Environnement, qui lutte pour la reconnaissance d’une sur-incidence de cancers pédiatriques dans la plaine agricole d’Aunis, près de La Rochelle, et pour des mesures de précaution. Objectif de l’événement : obtenir la mise en place d’une convention citoyenne pour la transition agricole, avec des citoyen·nes tiré·es au sort à l’image de ce qui a été fait pour le climat ou la fin de vie.
Une heure plus tôt, une table ronde consacrée aux liens entre science et santé avait réuni des médecins engagés et la toxicologue Laurence Huc, de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Plusieurs problématiques étaient relevées : les « effets cocktail » des produits phytosanitaires – c’est-à-dire la combinaison des différentes molécules qui constituent un produit, et la combinaison de différents produits dans un environnement – ne sont jamais étudiés ; la toxicité des produits sur le long terme non plus. La toxicologie réglementaire produite par les agences européennes qui examinent les produits avant de les autoriser sur le marché n’a rien à voir avec la science, et l’écart est gigantesque entre les connaissances scientifiques et ce qu’en font les politiques.
Dans les cabinets médicaux, on voit bien que certaines maladies apparaissent plus fréquemment que par le passé. « Il n’y a pas de population non exposée », dit Mélanie Popoff. Cette médecin scolaire, cofondatrice de l’association Alliance santé planétaire, assume une position de lanceuse d’alerte, comme l’ont fait les scientifiques du climat ; et dénonce des recommandations de santé publique devenues impossibles à mettre en œuvre : « Dire qu’il faut manger cinq fruits et légumes par jour, quand une pomme a été traitée par une trentaine de substances avant de se retrouver sur un étal, ça n’a pas de sens. »
Démontrer le lien entre exposition aux pesticides et développement de certaines pathologies en un endroit précis s’avère cependant complexe. Le cancer est multifactoriel et il est rare que les autorités sanitaires reconnaissent formellement un cluster. « Cela exige un gros travail de terrain, il faut prendre du temps pour reconstituer les histoires des gens sur plusieurs années, il faut avoir la volonté de savoir… », explique Laurence Huc, qui accompagne les associations créées par des parents d’enfants malades dans une démarche de science participative.
« Quand il y a un problème environnemental, ce sont les enfants qui trinquent en premier, souligne la chercheuse. Donc quand ils sont plusieurs à être malades au même endroit, ça doit mobiliser, ce que ne font pas les pouvoirs publics. »
Mobilisation citoyenne
C’est le mérite de cette conférence publique : mettre en lumière les initiatives d’associations et d’actrices et acteurs locaux à la pointe pour protéger les populations, quand le pouvoir est absent, voire dans le déni, alors que le sujet des pesticides fait désormais la une des médias.
Louis-Adrien Delarue, de l’association Alerte des médecins sur les pesticides (AMLP), raconte ainsi la mise en place, à Strasbourg et en Charente, de l’« ordonnance verte ». Un dispositif permettant aux femmes enceintes d’avoir accès à un panier de produits bio et locaux par semaine pendant sept mois de grossesse, ainsi qu’à deux consultations médicales de prévention. « C’est une prise sur le réel : on sensibilise les médecins, on soutient l’agriculture biologique, et on agit sur notre santé », se réjouit-il.
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Plus tôt dans la journée, plusieurs personnalités politiques avaient pris la parole au cours d’une manifestation dans le centre de La Rochelle, qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes. « Ce qui m’interpelle toujours, c’est à quel point chacun se sent seul alors qu’en fait, de territoire en territoire, on rencontre toujours la même histoire », a dit Marine Tondelier, la secrétaire nationale des Écologistes. Réduire la fracture entre monde agricole et attentes sociétales, avancer vers une meilleure prise en compte des urgences sanitaires : voilà ce que demandait, en substance, le rassemblement.
Le maire de La Rochelle, Thibaut Guiraud (sans étiquette), a évoqué l’histoire de sa famille, « des viticulteurs sur plusieurs générations, qui avaient des pratiques intensives et qui ont fini, grâce aux alertes et aux connaissances scientifiques, par se convertir au bio pour réparer les erreurs passées ». À 44 ans, a-t-il ajouté, « [il] pense faire partie de la génération qui doit basculer vers plus de sobriété, qui pense sa place dans le vivant avec plus d’humilité ».
L’appel à une convention citoyenne pour la transition agricole a été lancé en fin de journée. « La mobilisation citoyenne s’impose comme un moteur essentiel pour accélérer la transition agricole et protéger la santé et l’environnement, en réunissant citoyens, médecins, chercheurs, associations, agriculteurs et responsables politiques », écrit l’association Avenir Santé Environnement dans son communiqué.
L’urgence est là : entre 2010 et 2022, les dépenses de la Sécurité sociale pour des prises en charge de cancers sont passées de 160 à 200 milliards d’euros, soit une hausse de 25 %. Si la lutte contre le tabac et l’alcool et la promotion de l’activité physique sont depuis longtemps au cœur des politiques de prévention, les pollutions, elles, en restent encore absentes.