Plus on est pauvre, moins on a de chances d’obtenir un logement social
Trois associations assignent mercredi les huit préfets franciliens en justice pour carence dans l’attribution des logements sociaux aux ménages les plus modestes hors des quartiers les plus pauvres.
SansSans qu’il soit question d’introduire une forme de concurrence entre les personnes pauvres, Éric Constantin, de la Fondation pour le logement des défavorisés, est bien forcé de constater que les plus pauvres parmi les pauvres ont davantage de difficultés à obtenir des logements sociaux.
Ceux et celles qui disposent de ressources inférieures à 12 000 euros par an accèdent peu à ces habitations à loyer modique. Et les rares qui y parviennent sont logé·es dans les quartiers relevant de la politique de la ville, compromettant ainsi toutes les velléités de produire de la mixité sociale. Car ces lieux concentrent les difficultés, et les services publics y sont défaillants, faute d’investissement de l’État.
C’est pour ces raisons que la Fondation pour le logement des défavorisés, la Fédération des acteurs de la solidarité Île-de-France et le Secours catholique saisissent mercredi 24 septembre le tribunal administratif. Cette procédure vise les préfets des huit départements franciliens, pour carence dans l’attribution aux ménages les plus modestes de logements sociaux situés en dehors des quartiers qui relèvent de la politique de la ville. Cette démarche est inédite et, en huit ans, aucun recours n’a été ainsi formulé.

Lors d’une conférence de presse organisée mardi 23 septembre dans les locaux de la Fondation pour le logement des défavorisés, Me Caroline Gérard, l’avocate chargée de porter ce contentieux, a souligné que « les voyants sont au vert »,c’est-à-dire que la loi protège les candidat·es au logement social, et toutes les conditions procédurales sont réunies pour que les préfets agissent contre ce phénomène de ségrégation.
En effet, en 2017, la loi égalité et citoyenneté avait créé l’obligation d’attribuer chaque année au moins 25 % des logement sociaux situés en dehors des quartiers politique de la ville aux 25 % des demandeurs les plus pauvres. Les ménages relogés dans le cadre de projets de rénovation urbaine sont également concernés.
Cet objectif de 25 % n’a jamais été atteint dans les huit départements franciliens. En 2024, par exemple, le taux a été de 18,6 % en Seine-Saint-Denis, 16,4 % à Paris, 15,7 % en Seine-et-Marne, 15,1 % dans l’Essonne, 13,7 % dans le Val-de-Marne, 12,1 % dans les Yvelines, 11,7 % dans les Hauts-de-Seine et 13,4% dans le Val-d’Oise.
En théorie, la loi contraint les préfets à attribuer eux-mêmes ces logements sociaux afin d’atteindre le taux de 25 %. Fin 2024 et début 2025, les trois associations à l’origine de la procédure ont contacté ces préfets afin de les rappeler à leurs obligations. Sans succès. Cette « longue série d’échanges » est restée lettre morte, indique Me Gérard. Le « silence » des parties prenantes interroge les associations.
Reste alors l’option de la procédure en contentieux pour contraindre l’État, les bailleurs sociaux et les collectivités à jouer le jeu et cesser de s’abriter derrière la pénurie de logements sociaux – bien réelle. Les chiffres démontrent année après année la difficulté d’obtenir un logement social. En 2024, plus de 888 000 ménages franciliens restaient en attente. Seuls 7 % ont bénéficié d’une attribution. Près des deux tiers de ces ménages perçoivent de faibles revenus, ce qui les autorise à accéder à des logements très sociaux, dits « PLAI », aux loyers les plus bas.
Se loger dignement
Ce recours s’inscrit dans un moment de forte tension du logement social, avec une insuffisance de constructions de PLAI, donc de logements destinés aux plus modestes. Alors que débute le congrès annuel des HLM, ATD Quart Monde a lancé une alerte similaire : la politique menée à l’heure actuelle échoue à loger les plus pauvres.
En parallèle, la pauvreté augmente à un niveau inédit depuis trente ans. Lors de la conférence de presse, Catherine Gaudry, vice-présidente du Secours catholique, a confirmé que de plus en plus de ménages venaient dans les accueils de l’association. Ils peinent à s’acquitter de leurs loyers lorsqu’ils ont un toit, et leurs factures sont de plus en plus lourdes. Sans compter que certains profils, comme les mères isolées avec plusieurs enfants, font peur aux bailleurs, ajoute Isabelle Medou-Marère, de la Fédération des acteurs de la solidarité IDF.
Les conséquences de cette impossibilité d’accéder au logement social ne sont pas anodines, insiste encore celle-ci. Certaines personnes vivent en squat, en bidonville, à la rue ou sont hébergées par des tiers, en échange de contreparties, sous forme de travail ou de sexe. D’autres vivent à l’hôtel « avec ce que l’hôtel a de pesant sur le manque d’intimité », en foyer, en structure d’hébergement d’urgence. La vulnérabilité des personnes est accrue dans ces situations. D’où la nécessité d’y remédier. Car aujourd’hui, plus on est pauvre et moins on a de chances d’accéder au logement social.
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Éric Constantin, de la Fondation pour le logement des défavorisés, insiste sur le fait que les associations n’ambitionnent pas de « ne faire rentrer dans le parc social que les ménages modestes », car une forme de brassage reste nécessaire. Mais cette « exclusion des plus faibles du logement social » l’interpelle. Pour lui, outre la volonté de faire respecter la loi, ce recours permet aussi de « réinterroger notre capacité de vivre ensemble et de permettre à des concitoyens de pouvoir se loger dignement… ».
Les demandes des associations sont simples, détaille Me Caroline Gérard. Elles réclament que les préfets usent de leur pouvoir de substitution, qu’ils procèdent à l’attribution « de tous les logements se libérant hors QPV [quartiers prioritaires de la ville – ndlr] » à des ménages « du 1er quartile ou à des ménages ANRU [Agence nationale pour la rénovation urbaine – ndlr] » (c’est-à-dire les plus pauvres qui peuvent prétendre au logement social et les ménages relogés dans le cadre de projets de rénovation urbaine), et ce, jusqu’à ce que soit atteint l’objectif assigné à chaque bailleur depuis le 1er janvier 2024 dans un délai de six mois maximum à compter de la décision du juge.
Les associations demandent à la justice d’assortir cette injonction d’une astreinte de 10 000 euros par mois de retard. La procédure risque d’être longue et de durer plusieurs mois, prévient encore l’avocate.