Après l’assassinat de Charlie Kirk, la Maison-Blanche déclenche une vague de répression
Le meurtre de l’influenceur trumpiste, très populaire auprès des jeunes, est le prétexte à une escalade de la part du pouvoir. Alors que le président et ses proches multiplient les attaques contre leurs opposants, les sanctions s’abattent sur toute voix critique.
Les années 1960 et leurs assassinats politiques, les années 1950 et le maccarthysme : avec le meurtre, précédé d’autres, de l’influenceur trumpiste Charlie Kirk sur un campus de l’Utah, il y a une semaine, et le climat de chasse aux sorcières qui s’est mis en place, les États-Unis semblent renouer avec leurs vieux démons, rappelant des périodes parmi les pires de leur histoire.
Le gouverneur républicain de l’Utah, Spencer Cox, a mis en garde contre toute conclusion hâtive avant la mise en examen, mardi 16 septembre, de Tyler Robinson. Il a simplement précisé que l’assassin présumé de Charlie Kirk, avait été endoctriné par une « idéologie de gauche », se basant sur les témoignages des proches, et avait agi seul. Cependant, la Maison-Blanche ne s’est guère embarrassée de ces préventions.
Très vite, Donald Trump a dénoncé la « gauche radicale ». Et ses soutiens lui ont emboîté le pas, laissant libre cours à leur désir de vengeance.

Lundi 15, le vice-président J. D. Vance, qui s’était rendu dans l’Utah et auprès de la famille de Charlie Kirk dès l’annonce de sa mort, a animé, depuis la Maison-Blanche, un épisode de l’émission de radio de l’influenceur, le « Charlie Kirk Show », à la place de son ami. Soulignant l’influence qu’il avait eue sur lui – « Sans Charlie Kirk, je ne serais pas vice-président des États-Unis », a-t-il dit –, Vance en a profité pour appeler à s’attaquer aux réseaux de gauche qui, selon lui, financent et suscitent la violence.
En compagnie des proches du défunt, qui sont également des figures de la galaxie Maga (« Make America Great Again »), J. D. Vance a rendu hommage pendant deux heures à l’influenceur, qui avait lancé en 2012 le mouvement Turning Point USA, pour aller porter la bataille culturelle au sein des campus considérés comme des bastions de gauche. Mais le vice-président a surtout durci le ton contre l’opposition et contre les médias, accusés d’avoir publié des articles critiquant l’idéologie fondamentaliste chrétienne de Kirk et son absence de toute empathie envers ses adversaires.
Les ONG dans le collimateur
Ainsi la vénérable revue de gauche The Nation a-t-elle été prise à partie pour un article intitulé « L’héritage de Charlie Kirk ne mérite aucun deuil ». L’autrice relevait que « ce provocateur nationaliste chrétien blanc n’était pas le promoteur d’un discours citoyen », mais prônait « la haine, le sectarisme et la division ». J. D. Vance l’a accusée de mensonge au sujet des positions de Kirk concernant la discrimination positive, et il a dénoncé le soutien financier que lui auraient apporté deux organisations dans le collimateur des conservateurs depuis longtemps, la Ford Foundation et l’Open Society de George Soros. J. D. Vance a ainsi accusé des « milliardaires libéraux [au sens américain, de gauche – ndlr] » de « récompenser cette attaque ».
On a vraiment l’impression que les gens cherchent à s’en prendre aux autres en ce moment, et ce n’est pas ce que nous sommes en tant que pays.
Un enseignant de Floride
En réponse, les deux ONG ont précisé n’avoir respectivement donné à The Nation que 100 000 dollars (près de 85 000 euros) et 60 000 dollars pour des programmes spécifiques entre 2018 et 2020. Dans son communiqué, la Ford Foundation a qualifié l’assassinat de Kirk d’« acte de violence effroyable », jugeant que « la violence politique est contraire aux valeurs américaines et menace notre mode de vie ». « La recrudescence des violences à caractère politique constitue une crise majeure dans notre société, souligne également le texte, à laquelle tous les Américains doivent s’attaquer ensemble. »
Lors de cette émission, on a pu voir aussi Stephen Miller, chef adjoint de l’administration Trump, appeler à la vengeance et mettre en cause un « vaste mouvement terroriste national » composé d’organisations non gouvernementales de gauche qui encourageraient la violence dans le pays, sans donner leurs noms.
Miller a expliqué à son interlocuteur que dans le dernier message que Kirk lui avait envoyé, ce dernier lui avait enjoint de réfléchir à une « stratégie organisée » au sein de la Maison-Blanche pour poursuivre ces organisations. À cette fin, Stephen Miller s’est engagé à utiliser tout le poids du ministère de la justice, de celui de la sécurité intérieure et de l’ensemble du gouvernement.
Pour l’heure, l’ensemble du mouvement Maga est appelé à participer à cette chasse aux sorcières, dont ont été victimes des journalistes, des fonctionnaires, mais aussi des employé·es du secteur privé. Souvent uniquement pour avoir émis des commentaires jugés « indélicats » sur les réseaux sociaux.
Une élue républicaine de la Chambre des représentants, Nancy Mace, a déclaré lundi qu’elle allait déposer une résolution visant à démettre l’élue démocrate Ilhan Omar de ses fonctions au sein des commissions parlementaires. En cause, ses propos après l’assassinat de Kirk, qui rappelaient à quel point le camp trumpiste avait « incité à la violence » contre elle.
Une journaliste licenciée
Dans l’État de Floride, un bastion du trumpisme, quatre enseignants seraient l’objet d’une enquête pour des publications liées au meurtre de l’influenceur. Un dirigeant syndical évoque « un environnement à la McCarthy, où vos fréquentations et vos propos peuvent être sortis de leur contexte et utilisés à votre détriment ». « C’est très inquiétant à bien des égards », a-t-il dit, ajoutant : « On a vraiment l’impression que les gens cherchent à s’en prendre aux autres en ce moment, et ce n’est pas ce que nous sommes en tant que pays ».
Les médias ne sont pas épargnés. Une journaliste du service opinions du Washington Post, Karen Attiah, a attribué son licenciement à une série de posts sur Bluesky après l’assassinat de Charlie Kirk, dans laquelle elle évoquait également les assassinats, en juin, de la législatrice du Minnesota Melissa Hortman, de son mari et de leur chien. Elle dénonçait « la violence politique, les doubles standards raciaux et l’apathie des États-Unis envers les armes à feu ».

Le quotidien, qui a vu de nombreux départs depuis le rapprochement entre son propriétaire, le milliardaire Jeff Bezos, et Donald Trump, l’a licenciée au motif que ces écrits étaient « inacceptables », constituant une « faute grave » susceptible de mettre en danger la sécurité physique de ses collègues. « Des accusations sans fondement, que je rejette totalement comme étant fausses », écrit-elle.
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Enfin, le secrétaire d’État, Marco Rubio (équivalent du ministre des affaires étrangères), a déclaré que les visas des ressortissants étrangers qui « célèbrent »l’assassinat de Charlie Kirk seront révoqués. Sans préciser si, dans son esprit, faire preuve d’un esprit critique, un droit normalement protégé par le premier amendement aux États-Unis, est une célébration.
Toutes celles et ceux qui se glorifient d’être Charlie Kirk au nom de la défense de la liberté d’expression n’ont désormais aucun scrupule à organiser ce qui s’apparente bel et bien à la répression d’adversaires politiques non violents, qui se sont contentés d’exprimer un avis sur Charlie Kirk. Mais celui-ci semble être devenu intouchable en raison de son statut de martyr. Et l’on atteint alors le comble de l’hypocrisie.
Peu après la mort de Kirk, le gouverneur de l’Utah avait estimé qu’il s’agissait d’un « moment décisif dans l’histoire américaine ». « La question est : quel type de tournant ? Ce chapitre reste à écrire. S’agit-il de la fin d’un chapitre sombre de notre histoire ou du début d’un chapitre encore plus sombre ? » Au vu des développements des derniers jours, on peut craindre que le pouvoir trumpiste ait choisi sa voie : celle de la répression et de l’autoritarisme.
Aux États-Unis, « la droite se libère de toute norme morale et éthique »
Le vice-président des États-Unis a publiquement cloué au pilori la revue « The Nation », pour avoir publié un article critique sur Charlie Kirk. Pour Bhaskar Sunkara, président de cette publication de gauche fondée en 1865, J. D. Vance vise avec cynisme la présidentielle de 2028.
L’assassinat de l’influenceur Charlie Kirk donne lieu à une escalade autoritaire de la part du pouvoir américain. Lundi 15 septembre, le vice-président des États-Unis, J. D. Vance, a animé, en lieu et place de son ami disparu, un épisode de l’émission de radio « Charlie Kirk Show ». Il en a profité pour attaquer la vénérable revue de gauche The Nation, au motif qu’elle avait publié un article intitulé « L’héritage de Charlie Kirk ne mérite aucun deuil ».
L’autrice relevait que « ce provocateur nationaliste chrétien blanc n’était pas le promoteur d’un discours citoyen », mais prônait « la haine, le sectarisme et la division ». Mediapart a fait réagir le président de The Nation, Bhaskar Sunkara, à sa mise à l’index depuis le sommet de la République états-unienne. L’occasion d’une réflexion sur les temps sombres que vivent la démocratie et les médias libres de ce pays.
Mediapart : Comment avez-vous perçu les propos du vice-président J. D. Vance ?
Bhaskar Sunkara : Nous vivons une situation très étrange aux États-Unis, où le vice-président tente de rallier sa base contre les médias et les journalistes. Il politise clairement une tragédie, un acte de violence politique.
Il faut souligner que ses propos sont faux, car The Nation tire principalement ses revenus des abonnements [le vice-président a reproché au titre d’être financé par la Ford Foundation et Open Society – ndlr]. Et si nous perdons de l’argent, nous sommes couverts par un groupe de propriétaires dirigé par Katrina vanden Heuvel [directrice et éditrice – ndlr]. Nous avons de la chance de bénéficier de ce soutien, car en 160 ans d’existence, nous avons enregistré des pertes 157 fois.

Sur le financement que nous avons reçu de la Ford Foundation, il s’agissait de 100 000 dollars en 2019, il y a six ans. Cette année-là, notre budget dépassait de 12 millions de dollars. Vous pouvez faire le calcul, cela représente 0,8 % de ce budget.
C’est la même chose avec le financement de l’Open Society de George Soros. En évoquant Soros, Vance se livre évidemment à un appel du pied antisémite [un « dog whistle », littéralement un sifflet à chien, un sous-entendu destiné à stigmatiser une communauté en utilisant un message codé – ndlr].
J. D. Vance veut s’assurer que les gens sachent qu’il est le plus dur au sein de l’administration Trump.
N’importe quel Européen connaissant l’histoire sait que cette façon de transformer ce banquier, libéral et anticommuniste, en un marxiste tirant les ficelles de la politique mondiale, n’a de sens que dans un contexte de clichés antisémites classiques.
Vance est un homme cultivé, il sait qu’il propage un mensonge. S’il cite Soros et présente les choses ainsi, c’est parce qu’il veut se positionner comme le bouledogue de la droite en ligne. Il veut s’assurer que les gens sachent qu’il est le plus dur au sein de l’administration Trump. C’est pourquoi il attaque The Nationcomme il a attaqué Zelensky à la Maison-Blanche.
Il agit ainsi pour satisfaire la droite en ligne, avec en tête une vision stratégique particulière : être le candidat républicain à la présidentielle de 2028. Il veut succéder à Trump et pour cela, ne rien laisser exister à sa droite. Je suis sûr que son plan est de mener une campagne plus modérée à l’approche du scrutin. Mais, pour l’instant, il s’agit d’un calcul cynique et nous sommes la cible du mois.
Vous attendez-vous à des représailles judiciaires ?
Il est évidemment inquiétant d’avoir des gens à la Maison-Blanche, et dans toute l’administration, qui sont clairement illibéraux et ciblent les journalistes. Mais nous disposons aussi de normes institutionnelles et de protections juridiques qui dépassent largement les droits garantis dans la plupart des autres pays du monde, même celles d’autres républiques comme la France.
Par exemple, contrairement au Royaume-Uni, nous n’avons pas de lois sur la diffamation. Le gouvernement ne peut pas intervenir et empêcher la publication d’un article au nom de la sécurité nationale. C’est une bonne base. Et le premier amendement [qui protège la liberté d’expression et celle de la presse – ndlr] est toujours valable.
Trump s’en prend à des magistrats après l’assassinat de Charlie Kirk
Le président des États-Unis a de nouveau stigmatisé, mercredi 17 septembre, des magistrats qui l’avaient poursuivi et jugé durant le mandat de Joe Biden, prenant prétexte de l’assassinat de l’influenceur d’extrême droite Charlie Kirk. Dans le viseur du locataire de la Maison-Blanche, sur son réseau Truth Social, se trouvent deux de ses cibles privilégiées : l’ancien procureur spécial Jack Smith, et le juge Juan Merchan, qui avait présidé son procès pour des paiements cachés à une star du X.
Donald Trump reproche à Jack Smith d’avoir ouvert il y a quelques années une enquête sur Turning Point USA, le mouvement créé par Kirk. « Pourquoi le merveilleux Turning Point a-t-il été mis sous ENQUÊTE par le “Dérangé” Jack Smith et l’administration Biden Corrompue et Incompétente ? », s’interroge Donald Trump sur son réseau social.
« Ils ont essayé de forcer Charlie, ainsi que de nombreuses autres personnes et mouvements, à cesser leurs activités. Ils ont instrumentalisé le ministère de la justice contre les opposants politiques de Joe Biden, y compris MOI ! », s’offusque-t-il encore.
Jack Smith, visé par une enquête administrative depuis le retour au pouvoir de Donald Trump, avait été nommé procureur spécial en 2022. Il avait lancé des poursuites fédérales contre Donald Trump, pour tentatives illégales d’inverser les résultats de l’élection de 2020 et rétention de documents classifiés après son départ de la Maison-Blanche.
Les poursuites avaient été abandonnées après la réélection de Trump, en vertu de la tradition consistant à ne pas poursuivre un président en exercice. Jack Smith avait ensuite démissionné du ministère de la justice. Sans jamais le citer nommément, le président Trump s’en prend également sur le réseau Truth Social à Juan Merchan, qui a présidé le procès Stormy Daniels. Le président états-unien avait été reconnu coupable de trente-quatre chefs d’accusation, pour des paiements cachés de 130 000 dollars à l’ex-star du X.
Depuis l’assassinat de Charlie Kirk le 10 septembre, le camp républicain redouble de véhémence contre les démocrates et les organisations progressistes, accusés de promouvoir la violence politique. « La gauche radicale a causé des dégâts énormes au pays », a affirmé le président républicain mardi, avant son départ au Royaume-Uni. « Mais nous y remédions. »
Selon le Washington Post, un élu républicain du Wisconsin a déposé une proposition de loi visant à bloquer les fonds fédéraux aux organisations employant des personnes « qui tolèrent et célèbrent la violence politique ». Le New York Times précise pour sa part que sont notamment dans le viseur l’Open Society Foundation du milliardaire George Soros ainsi que la Ford Foundation, qui toutes deux financent des organisations de gauche.
Cependant, le gouvernement pourrait prendre certaines mesures, comme il l’a fait par le passé, pour s’attaquer aux publications, notamment par le biais de la distribution postale, en retirant stratégiquement le statut de périodique. Des mesures de ce type avaient été prises lors de la Red Scare (« Peur rouge ») lors de la Première Guerre mondiale, afin de cibler le Parti socialiste et ses publications affiliées, car ils étaient proches de la gauche de Zimmerwald hostile à la guerre. Mais je suis relativement confiant quant au maintien des normes, malgré tous les efforts de ces personnes au pouvoir.
Cela reste toujours dangereux à long terme, car leur rhétorique, consistant à exprimer leur détestation des journalistes, de Soros, des institutions comme Harvard et même le New York Times, en les désignant comme des ennemis, enclenche un lent processus d’érosion de ces normes. Les conséquences les plus négatives se feront cependant sentir dans des décennies, et non dans les mois qui viennent.
Le gouverneur de l’Utah a évoqué un « moment décisif dans l’histoire américaine », se demandant s’il s’agit « de la fin d’un chapitre sombre de [v]otre histoire ou du début d’un chapitre encore plus sombre ». Qu’en pensez-vous ?
Sincèrement, je ne sais pas. Il semble bien qu’il y ait une dérive illibérale dans la société états-unienne, qui bénéficie à l’extrême droite plus qu’à l’extrême gauche. Il est notable aussi que l’on n’assiste pas à la même polarisation dans les deux camps.
Par exemple, si l’on regarde le milieu évoluant autour du magazine Jacobin et des Socialistes démocrates d’Amérique [DSA, Democratic Socialists of America – ndlr], quelle est la figure la plus éminente qui a émergé ? C’est Zohran Mamdani, qui mène une campagne généreuse et humaniste, sociale-démocrate traditionnelle axée sur le coût de la vie à New York. Il est incroyablement charismatique et très apprécié dans la ville, même parmi les personnes qui ne voteraient jamais pour lui.
Ce serait une erreur de bâtir une résistance à la droite en s’appuyant sur les médias et la justice.
Et puis à l’extrême droite, vous avez des gens qui aspirent au retour du racisme biologique. Je suis partagé, car évidemment, quand quelqu’un meurt, la première chose à laquelle on pense, c’est à cette personne en tant qu’être humain, à sa famille, à sa mère et à son père, à ses enfants, à sa femme ou à son mari, etc. Mais quand c’est une personnalité publique et que l’autre camp tente de la transformer en martyre et en sainte, il est nécessaire d’expliquer ce pour quoi elle se battait.
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Encore une fois, je suis opposé à toute forme de racisme, mais le racisme que j’avais l’habitude de voir à droite était un racisme très culturel, qui explique que les cultures ne sont pas compatibles, que les Noirs sont paresseux ou dépensent leur argent pour telle ou telle raison… Mais Charlie Kirk était un raciste biologique, et la droite, de plus en plus, s’oriente dans cette direction et s’éloigne d’une certaine droite qui était guidée malgré tout par des normes morales. C’est de mauvais augure.
On a vraiment l’impression que la droite actuelle se libère de toute norme morale et éthique, tandis que la gauche reste fondamentalement libérale. Si l’on donnait le pouvoir absolu à Zohran Mamdani, la peine de mort serait abolie dans le pays. Si l’on donnait le pouvoir absolu à ces gens de droite, nous vivrions dans la pire des dictatures fascistes. J’en suis fermement convaincu.
Comment les médias peuvent-ils s’organiser pour faire face à cette montée de l’autoritarisme ?
Je suis marxiste et je ne crois pas que les médias disposent d’un tel pouvoir d’action. Ce serait une erreur de bâtir une résistance à la droite en s’appuyant sur les médias et la justice.
Ce qu’il faut, c’est utiliser les mécanismes qui sont à votre disposition. Alors, bien sûr, les médias peuvent aider, mais fondamentalement, la résistance à Trump doit se mener sur sa politique économique, sur le coût de la vie, sur son statut d’élite déconnectée de la réalité, sur cette droite en ligne déconnectée des intérêts des Américains ordinaires… C’est par là que nous devrions commencer. Les médias ne peuvent qu’amplifier un mouvement existant qui dispose d’une base populaire.
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L’assassinat de l’influenceur d’extrême droite Charlie Kirk sert de prétexte à une offensive présidentielle contre la gauche, « radicale » ou pas. Au moment même où le Parti démocrate est bousculé par son aile « socialiste », que reste-t-il des modérés ?
16 septembre 2025 à 16h21
Depuis l’assassinat de l’influenceur trumpiste Charlie Kirk, mercredi 8 septembre, Donald Trump et son entourage accusent la « gauche radicale » et promettent de tout faire pour punir celles et ceux qui incitent à la violence. Le Parti démocrate, lui-même visé par la colère Maga (de « Make America Great Again »), a mis en garde contre toute répression des opposant·es. Mais « les cibles sont multiples, l’enjeu va bien au-delà du Parti démocrate », souligne Mathieu Bonzom, maître de conférences en études anglophones à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, rattaché au Centre européen de sociologie et de science politique, dans un entretien à Mediapart.
Le parti est divisé depuis la défaite de la candidate démocrate Kamala Harris, vice-présidente de Joe Biden, en novembre 2024, face à Donald Trump. Dans un premier temps, les démocrates, sonnés, ont semblé muets face à l’autoritarisme présidentiel. Puis, peu à peu, des voix se sont fait entendre.
Notamment celles, à l’aile gauche du parti, des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA, Democratic Socialists of America), qui, constate Mathieu Bonzom, « utilisent de manière un peu opportuniste les primaires », comme à l’occasion de l’élection municipale de New York, mais sont « loin d’avoir accumulé assez de pouvoir pour exister indépendamment avec l’éventualité, un jour, de remplacer le Parti démocrate par un parti véritablement de gauche ».

On trouve au DSA, outre Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, en tournée contre l’oligarchie, de nouvelles têtes. La plus emblématique est le candidat à la mairie de New York, Zohran Mamdani. Même s’il tente à mesure qu’approche le scrutin de se démarquer de certaines des positions du DSA, par exemple sur les questions de financement de la police.
L’autre tendance au sein du parti est incarnée par le gouverneur de Californie, Gavin Newsom. Elle a embrassé la théorie du « libéralisme de l’abondance », décriée par ses opposant·es comme une nouvelle manière d’inscrire les démocrates dans le projet néolibéral. Pour se faire entendre, Newsom reprend les méthodes de Donald Trump, notamment en ligne, pour le combattre sur son propre terrain. « Nous allons combattre le feu par le feu », disait-il – avant l’assassinat de Charlie Kirk.
Mediapart : Au vu des attaques de Donald Trump et de son entourage contre la « gauche radicale » depuis l’assassinat de Charlie Kirk, le Parti démocrate lui-même est-il menacé ?
Mathieu Bonzom : Je pense que c’est toute la société qui est prise dans une escalade de la violence politique. Et le terme de « violence politique » caractérise assez bien une bonne partie de ce qui se déchaîne aux États-Unis depuis le retour de Trump : violence de la police de l’immigration qui tend même à s’affranchir de l’État de droit et est parfois utilisée comme véritable police politique ; violence des déploiements de l’armée au nom du maintien de l’ordre (garde nationale…) ; violence des coupes dans ce qu’il reste de services publics, dans les budgets de la santé, violence du saccage d’un grand nombre d’agences publiques, de l’accumulation de pouvoir économique et politique entre les mains de grands capitalistes, notamment de la tech ; violence des entraves à de multiples libertés fondamentales.
Face à cela, les démocrates espèrent une fois de plus jouer le rôle de moindre mal. Ils criaient au fascisme pendant la campagne en 2024, leurs actes aujourd’hui ne sont pas en accord avec leurs mots d’hier. Leur prétention à défendre les libertés est minée auprès de la population par leur déni des injustices sociales du capitalisme.
Par ailleurs, ils n’avaient pas hésité à piétiner certaines libertés sous l’administration Biden, notamment pour casser la mobilisation d’étudiant·es et d’universitaires contre le génocide en Palestine. Je n’ai pas le sentiment que les démocrates en tant que tels soient le pire ennemi de Trump. Socialement, ce serait plutôt les immigré·es, les musulman·es, les minorités de race et de genre, les salarié·es et les pauvres… et politiquement ce serait plutôt la gauche.
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13 septembre 2025
D’ailleurs, celle-ci prend très au sérieux le risque d’escalade, bien loin de se réjouir ou d’être réduite à un silence gêné par l’assassinat de quelqu’un que l’on peut qualifier de néofasciste. Naturellement, Trump veut enfoncer les démocrates en les assimilant à la gauche, raison de plus pour ne pas faire cette confusion nous-mêmes.
L’assassinat de Charlie Kirk sert de prétexte à une surenchère de violence verbale, qui entraîne les États-Unis vers une escalade. Les cibles sont multiples, l’enjeu va bien au-delà du Parti démocrate. Et cette année 2025 n’aura fait que confirmer que ce ne sont pas les structures et les figures du Parti démocrate qui prendront des initiatives de nature à stopper le déchaînement du trumpisme.
La gauche se retrouve avec des responsabilités sans doute disproportionnées par rapport à ses forces actuelles. Cependant, des masses de gens pourraient refuser, et refusent déjà, de laisser Trump poursuivre dans sa voie, des occasions d’agir se présenteront forcément.
« Une base politique existe pour une contre-offensive », expliquiez-vous dans un article publié sur le site de la revue « Contretemps ». Qu’entendez-vous par là ?
Je voulais dire par là que si on prend simplement la taille et l’implantation géographique des manifestations « No Kings » du 14 juin, plusieurs millions de personnes dans des villes de toutes tailles et de toutes régions, cela reflète une volonté massive et répartie dans tout le pays – pas seulement dans quelques bastions progressistes – de faire face à Trump et de ne pas se laisser faire. La question plus difficile est de savoir quelle voie pourra emprunter cette contre-offensive, au-delà d’une journée comme celle-là.
Justement, dans ce contexte, comment analysez-vous la victoire de Zohran Mamdani à la primaire de New York ?
C’est bien évidemment une réaction aux premiers mois du second mandat de Donald Trump, mais aussi, il ne faut pas l’oublier, le fruit de tendances de long terme. En effet, depuis dix ans, un espace politique s’est structuré du côté gauche du Parti démocrate, qui a tiré profit des primaires, de manière tactique, pour gagner en popularité et s’organiser en faveur des idées socialistes.
On a donc assisté à un double mouvement avec, d’une part, les primaires servant d’espace de diffusion large pour les idées socialistes et, d’autre part, la construction d’une organisation, les Socialistes démocrates d’Amérique, qui n’a cessé de grandir au fil des campagnes électorales pour se maintenir ces dernières années entre 75 000 et 100 000 membres.
Pouvait-on imaginer il y a dix ans qu’en 2025 New York élirait un maire socialiste ? C’est pourtant à portée de main aujourd’hui.
La campagne de Mamdani est un aboutissement de ce processus, elle en porte les grandes tendances et les pousse encore un peu plus loin. Il a assumé des positions très offensives sur différentes questions : gel des loyers et construction de logements, accès à une alimentation abordable grâce à des commerces municipaux, bus gratuits, le tout financé en proposant de réformer la fiscalité sur les entreprises et les riches, en l’alignant sur celle du New Jersey voisin.
La question de la Palestine aussi a joué un rôle important, du fait de l’opposition populaire à l’action des États-Unis, qui n’est pourtant remise en cause par aucun ténor politique : Mamdani a été interpellé pour ses prises de position mais au final elles l’ont renforcé, et non affaibli. Cela permet à un représentant des DSA d’imaginer être élu pour la première fois à un des postes les plus élevés auxquels les nouveaux socialistes ont pu prétendre jusqu’ici, celui de maire de New York.
Vu de France, il ne semble pas évident de saisir qu’on puisse à la fois être membre des DSA et postuler sous l’égide du Parti démocrate…
C’est une des particularités du système politique états-unien. De manière générale, les partis ne contrôlent pas eux-mêmes les règles des primaires. Il suffit d’être inscrit sur les listes électorales en tant qu’électeur d’un parti donné pour avoir le droit – et c’est en général le seul droit que ça donne en réalité – de voter aux primaires et de se présenter. C’est l’État qui décide de qui a le droit ou non de se présenter et non le parti.

Mais, dans le même temps, vu la configuration politique historique du pays, le système est vraiment dominé par les deux grands partis, les républicains et les démocrates. Et donc il est quasiment impossible, sauf dans certaines régions très particulières, d’arriver à percer hors de l’un de ces deux partis. Bernie Sanders avait montré la voie, même s’il n’a pas été membre des DSA. Ensuite s’est imposée l’idée de systématiser cette pratique, parce que c’est en fait la seule manière de participer vraiment électoralement si on ne veut pas juste être un petit candidat marginal.
Comment les démocrates peuvent-ils continuer à gérer leur divergence entre une aile gauche, avec des personnalités comme Zohran Mamdani, et une aile modérée, comme Gavin Newsom ? Est-ce une force ou une faiblesse ?
Je ne pense pas du tout que cette division fasse la force du parti. Le Parti démocrate est en crise. Les deux camps que vous identifiez représentent des forces inégales et des dynamiques opposées. Celui qui reste le plus fort est celui qui, historiquement et encore aujourd’hui, contrôle le Parti démocrate : c’est un camp centriste proche des milliardaires, mais il est en perte de vitesse. Il n’arrive plus à fédérer comme avant les classes populaires.
L’autre camp est celui de cette gauche dont je parlais précédemment et qui utilise de manière un peu opportuniste les primaires. Il est loin d’avoir accumulé assez de pouvoirs pour exister indépendamment avec l’éventualité un jour de remplacer le Parti démocrate par un parti véritablement de gauche. Mais il a clairement le vent en poupe. Pouvait-on imaginer il y a dix ans qu’en 2025 New York élirait un maire socialiste ? C’est pourtant à portée de main aujourd’hui.
Les moments de crise sont aussi des moments de confrontation et d’ébullition, on le voit autour du débat provoqué par la notion d’abondance, portée par les démocrates modérés et qui, pour leurs adversaires, est un risque de poursuivre dans une veine néolibérale…
Je pense aussi effectivement que le risque existe. J’ai envie de répondre en me demandant quel est le but final des socialistes. Pensent-ils vraiment pouvoir finalement transformer le Parti démocrate de l’intérieur ou assistera-t-on un jour à une rupture ? Si des figures comme Bernie Sanders ou Alexandria Ocasio-Cortez semblent pencher pour la première solution, les DSA considèrent qu’à terme une rupture sera inévitable. Dans tous les cas, je pense que les démocrates ne sont pas en train de prendre le chemin de se réinventer complètement et de rompre véritablement avec leur politique passée.
Prenons par exemple Gavin Newsom. Le gouverneur de Californie entretient des liens étroits à la fois avec la tech et l’industrie, notamment pétrolière et gazière. Il se pose en opposant de Trump, mais reprend certaines de ses méthodes… Mais on pourrait aussi revenir à New York et Andrew Cuomo, démocrate qui, comme je le rappelais dans mon texte pour Contretemps, incarne bien tout ce qui fait le discrédit moral et politique du parti. Celui-ci bénéficie aussi bien du soutien de grandes figures de son parti que de celui de Trump, qui semble aujourd’hui manœuvrer pour que Mamdani soit face à un seul candidat : Cuomo.
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Peut-on voir justement une forme de plasticité du Parti démocrate, où cohabiteraient des candidat·es plus modéré·es et d’autres plus de gauche, en fonction des lieux ?
C’est ce qui s’est passé de manière ordinaire aux États-Unis, mais nous ne sommes pas dans une période tout à fait ordinaire. Pour les socialistes, il est impossible de séduire un électorat populaire rural, qui a voté pour Donald Trump et ne pourrait être attiré par des idées socioéconomiques de gauche, avec des démocrates classiques qui sont vraiment détestés. C’est leur argument.
La question est difficile, à tel point que l’on voit émerger des candidatures indépendantes, comme celle de Dan Osborn dans le Nebraska, un leader syndical qui se présente en prenant la défense des salarié‧es et des petites entreprises (y compris agricoles) contre le sénateur républicain Pete Ricketts, un milliardaire. C’est une démarche parmi d’autres, mais qui pourrait contribuer, au cœur de l’électorat populaire républicain, à faire payer à Trump le prix de sa politique en faveur des riches.
Stephen Miller, idéologue en chef et artisan du nouveau maccarthysme
La vague d’intimidations et de censure qui déferle sur quiconque rappelle l’extrémisme de Charlie Kirk, assassiné le 10 septembre, ne tombe pas du ciel. Elle est le fruit d’un projet autoritariste, longuement mûri par Stephen Miller, chef de cabinet adjoint de la Maison-Blanche.
IlIl détient le record de longévité auprès de Donald Trump, connu pour user et abuser de son personnel. Chef de cabinet adjoint de la Maison-Blanche, Stephen Miller était déjà conseiller politique lors du premier mandat du président ploutocrate. Maître idéologue de l’administration actuelle, le bureaucrate le plus puissant des États-Unis est aux commandes du nouveau maccarthysme qui se déploie désormais sans fard depuis le sommet de la République.
L’assassinat de Charlie Kirk n’aura été qu’un accélérateur. Stephen Miller avait déjà dévoilé ses plans au mois d’août. Il a passé les quatre années du mandat Biden à préparer une offensive méthodique contre l’État de droit et la liberté d’expression.
Charlie Kirk était d’ailleurs proche de Stephen Miller, dont il disaiten janvier 2025 dans le New York Times : « Certaines personnes dans l’entourage de Trump sont là par opportunisme politique ou économique. Mais Stephen, lui, croit profondément au programme du président. »

Lundi 15 septembre, aux manettes du podcast de leur ami assassiné, enregistré depuis la Maison-Blanche, le vice-président J. D. Vance a invoqué la mémoire de Kirk pour encourager les États-Unien·nes à « dénoncer » toute personne qui célébrerait la mort du leader des jeunes Maga (« Make America Great Again »). Stephen Miller, visiblement ému, a promis de mobiliser toute la force de l’État fédéral dans la répression des « organisations de gauche », accusées d’être responsables de l’assassinat de Charlie Kirk.
Il faut prendre la mesure de ce que dit Miller, aujourd’hui l’homme le plus puissant de la Maison-Blanche après Trump, et son principal conseiller : « Le dernier message que Charlie m’a envoyé, la veille du jour où nous l’avons perdu, disait que nous devions mettre en place une stratégie organisée pour lutter contre les organisations de gauche qui encouragent la violence dans ce pays. [Ce que je ressens en ce moment], c’est une immense tristesse et une immense colère […]. Or la colère ciblée, vertueuse, est l’un des moteurs les plus importants du changement dans l’histoire humaine. »
Un parcours ultraconservateur
« Nous allons canaliser toute cette colère, s’est-il engagé, pour déraciner et démanteler ces réseaux terroristes. Il s’agit d’un vaste mouvement terroriste national. Et avec Dieu pour témoin, nous allons utiliser toutes les ressources dont nous disposons au sein du ministère de la justice, du département de la sécurité intérieure et de l’ensemble du gouvernement pour identifier, perturber, démanteler et détruire ces réseaux. »
Ces réseaux ? La gauche au sens large. En août, sur Fox News, dans une diatribe furieuse – l’homme ne parle pas, il vocifère –, Stephen Miller définissait le Parti démocrate comme « une entité consacrée exclusivement à la défense des criminels endurcis, des membres de gangs, des tueurs étrangers illégaux et des terroristes. Le Parti démocrate n’est pas un parti politique. C’est une organisation extrémiste nationale ».
Comme Charlie Kirk, Stephen Miller s’est lancé en politique dès le lycée, multipliant les provocations et les outrances, attirant très tôtl’attention de l’écosystème médiatique de droite. À l’université de Duke, il fréquente le suprémaciste blanc Richard Spencer au sein d’un club étudiant « conservateur ».
Miller traduit les instincts de Trump en un programme idéologique cohérent.
Christopher Rufo, activiste réactionnaire
Débarqué à Washington à la fin de ses études, Stephen Miller travaille d’abord pour une des égéries du Tea Party, Michele Bachmann, avant de rejoindre l’équipe du plus réactionnaire et raciste des sénateurs, Jeff Sessions (Alabama). Celui-ci fut le premier élu à soutenir la candidature de Trump en février 2016 (et il deviendra son premier ministre de la justice).
Stephen Miller a rejoint dès le début des primaires, en janvier 2016, la campagne de l’outsider new-yorkais, qui allait en quelques semaines balayer l’establishment républicain. « Miller traduit les instincts de Trump en un programme idéologique cohérent », expliquait récemment Christopher Rufo, un soldat des guerres culturelles nourri aux éléments de langage nationaux-conservateurs.
En quelques années, Stephen Miller est devenu le « nouveau Roy Cohn » de Donald Trump, du nom de cet avocat ultrapartisan aux méthodes douteuses, seul mentor connu de Trump. De manière ironique, Cohn avait d’ailleurs commencé sa carrière auprès du sénateur Joseph McCarthy, inspirateur de la chasse aux sorcières anticommuniste des années 1950.
Une guerre juridique organisée
Stephen Miller est devenu l’idéologue d’un trumpisme plus cohérent que celui de Trump, plus méthodique surtout : il a ainsi passé les quatre ans d’« interrègne » (le mandat de Joe Biden) à préparer le retour au pouvoir de son chef, tirant les leçons du premier mandat en fourbissant les armes juridiques destinées à mettre en œuvre sa vision dystopique des États-Unis.
L’organisation des « expulsions de masse » (deportations, selon le terme anglais de la plateforme du parti en 2024), la suspension de l’habeas corpus (qui garantit à tout individu de pouvoir contester devant un juge son arrestation ou sa détention s’il l’estime arbitraire), le déploiement de la garde nationale sur le territoire des États-Unis… : tous ces points sont des obsessions personnelles de Miller.
Dès janvier 2021, alors que d’autres s’éloignent de Trump après l’assaut sur le Capitole, Stephen Miller crée l’organisation America First Legal (AFL), pour mener une guérilla juridique contre la nouvelle administration démocrate. Le groupe lance plus de cent actions en justice contre des décisions de l’administration Biden et s’implique dans les élections de mi-mandat de 2022 avec des publicités transphobes.
Construit pour porter la bataille sur le terrain du droit, en miroir inversé de l’American Civil Liberties Union (ACLU), qui défend les droits civiques, son modèle, America First Legal lève dès 202244 millions de dollars, obtenant en particulier de l’argent d’Elon Musk, dont c’est la première incursion en politique. La femme de Stephen Miller, Katie Miller, a d’ailleurs travaillé pour le Doge de Musk jusqu’à la brouille de celui-ci avec Trump – elle a depuis lancé un podcast « pour les femmes conservatrices », dont le premier invité fut… J. D. Vance. C’est un petit monde.
L’État fédéral mobilisé contre la gauche
Miller a surtout utilisé AFL pour préparer le terrain juridique de sa future offensive anti-immigration, en particulier le contournement délibéré de l’État de droit. C’est de lui que vient l’idée d’utiliser l’Alien Enemies Act, la loi sur les « ennemis étrangers » de 1798, pour organiser des expulsions massives hors de toute procédure légale. Il détaillait déjà tout en 2023, y compris le combat à venir contre la liberté d’expression, dans une interview au New York Times.
Trump est évidemment en accord, lui qui en octobre 2024 se disait davantage préoccupé par la « gauche radicale », « des communistes et des fascistes », que par la Chine et la Russie, et suggérait qu’il faudrait sans doute utiliser « la garde nationale ou les militaires »contre cet « ennemi de l’intérieur ». C’est le même discours, transposé à l’Europe, que Vance a tenu à Munich en février 2025.
Cette rhétorique, et la vague de dénonciations et de licenciements qui s’accélère aux États-Unis contre les médias, les journalistes et des centaines de citoyens ordinaires, est un écho direct de la croisade du sénateur Joe McCarthy contre les « communistes » au début des années 1950, utilisant le bras armé du FBI d’Edgar Hoover et les auditions de la commission des affaires anti-américaines du Congrès.
Des milliers de personnes avaient perdu leur emploi, des centaines avaient été emprisonnées, beaucoup avaient quitté le pays parce qu’elles ne pouvaient plus travailler – la plus connue étant Charlie Chaplin. Cette vague de répression politique n’avait été stoppée que lorsque McCarthy s’en était pris à l’armée, et il avait fallu l’intervention du président lui-même, le général Eisenhower.
Stephen Miller voyait l’élection 2024 comme le point d’inflexion de la civilisation occidentale.
Aujourd’hui, l’occupant de la Maison-Blanche est aussi le premier à avoir désigné ses adversaires politiques comme des ennemis. L’une de ses proches conseillères, l’influenceuse Laura Loomer, déjà à l’origine des purges du Conseil de sécurité nationale (NSC) en avril, a elle-même décrit son objectif politique ainsi : « Make McCarthy Great Again »…
Depuis l’assassinat de Charlie Kirk, vingt-deux élu·es républicain·es du Congrès ont demandé au Speaker (président) la mise en place d’une commission spéciale chargée d’enquêter sur « l’argent, la puissance et l’influence derrière l’assaut de la gauche radicale sur l’Amérique et l’État de droit », liant sa mort à « un ensemble d’attaques coordonnées émanant d’ONG, de donateurs, de médias et d’officiels ». Une formulation qui rappelle la Commission sur les activités anti-américaines, fer de lance du maccarthysme des années 1950.
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17 septembre 2025
L’offensive a déjà commencé : des centaines de personnes ont été licenciées pour des posts sur les réseaux sociaux, le département d’État a refusé des centaines de visas. Le Washington Post a licencié sa première éditorialiste noire, Karen Attiah, sans aucun motif : son seul post sur Kirk est une citation de celui-ci.
Stephen Miller voyait l’élection de 2024 comme le point d’inflexion de la civilisation occidentale. Il est aujourd’hui à la manœuvre d’un nouveau maccarthysme qui se déploie avec toute la force de l’État fédéral, au nom de la liberté d’expression, contre la gauche désignée comme ennemie de l’intérieur.