Reconnaissance de la Palestine : « Pour que cet acte soit réellement positif, il faudrait qu’il soit assorti de sanctions contre Israël »
Dans un entretien au « Monde », la juriste Monique Chemillier-Gendreau analyse les conséquences de la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France, le Royaume-Uni et plusieurs autres pays occidentaux.
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Monique Chemillier-Gendreau est professeure émérite à l’université Paris Cité, spécialiste du droit international et de la théorie de l’Etat, et conseillère devant les juridictions internationales. Elle est l’autrice de Rendre impossible un Etat palestinien, l’objectif d’Israël depuis sa création (Textuel, 160 pages, 17,90 euros). Elle décrypte les conséquences de la reconnaissance de l’Etat de Palestine par plusieurs pays, dont la France, le Royaume-Uni et le Canada, tous trois membres du G7.
Qu’est-ce que cette nouvelle vague de reconnaissances de la Palestine peut changer ?
Ma première réaction est de dire : c’est trop tard et trop peu ; trop tard, car ces nouveaux pays, qui viennent de reconnaître l’Etat de Palestine, ont laissé Israël détruire, méthodiquement, depuis des décennies, les bases de cet Etat. Le geste symbolique de la reconnaissance procurera sans doute une satisfaction de façade, mais il n’aura pas beaucoup d’effets. Trop peu, car pour accomplir les promesses contenues dans tous les engagements du droit international à l’égard du peuple palestinien, il faut bien d’autres actes. Israël ne pliera que sous la contrainte.
A quels actes pensez-vous ?
Pour l’instant, cette reconnaissance est celle d’un Etat fantôme. Si l’on veut reconnaître un véritable Etat palestinien, il faut lui redonner les bases concrètes de son existence. Comment identifie-t-on un Etat ? Par certains éléments : un territoire viable, une population regroupée librement, des institutions disposant des fonctions régaliennes, une capitale choisie souverainement. Or, Israël s’est employé, depuis sa création, à détruire tous ces éléments et les autres Etats n’ont rien fait. Mais ce qu’Israël n’a pas pu détruire, c’est la conscience nationale palestinienne. Ce à quoi la reconnaissance d’un Etat palestinien rend hommage, c’est à la persistance de ce sentiment national palestinien. Il serait vain, pour ne pas dire très hypocrite, de prendre acte de la légitimité de ce sentiment national sans agir pour lui redonner les bases concrètes qu’Israël s’obstine à lui refuser.
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Comment faire en sorte qu’Israël laisse cet Etat se créer ?
Nous avons un support juridique capital avec l’avis rendu par la Cour internationale de justice en juillet 2024. Il affirme que l’occupation des territoires palestiniens viole le droit international. L’Assemblée générale de l’ONU, par sa résolution du 18 septembre 2024, en a tiré les conséquences : Israël doit rapatrier les colons, démanteler les colonies, restituer les terres, ou alors indemniser leurs propriétaires pour les torts et les dommages subis. Cette résolution demandait que tout cela soit mis en œuvre et proposait de faire le bilan un an plus tard : nous y sommes.

Quels seront les signes physiques de cette reconnaissance ?
La délégation palestinienne à Paris deviendra une ambassade. Qu’en sera-t-il de la représentation de la France en Palestine ? Va-t-elle installer son ambassade à Ramallah ? Ou transformer son consulat en ambassade à Jérusalem ? Les jours qui viennent nous le diront. La seconde option est celle qui aurait la plus forte portée politique. Israël la prendrait pour une provocation intolérable, alors qu’elle ne serait que l’application des droits légitimes des Palestiniens sur leur terre.
Est-ce que cette reconnaissance par plusieurs Etats, s’ajoutant aux 148 ayant déjà reconnu la Palestine, peut avoir un impact lors de futures négociations ?
Je rappellerai tout d’abord que le respect des règles fondamentales du droit international ne sont pas des choses négociables. Il faut simplement obliger Israël à les appliquer. C’est ce que la communauté internationale a négligé de faire depuis trop longtemps, laissant Israël s’enivrer de son impunité. En revanche, un espace de négociation existe sur certaines modalités d’application des normes obligatoires.
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Alors, oui, les Etats qui se rallient à la reconnaissance de la Palestine peuvent changer le cours des choses, à condition qu’ils pèsent de tout leur poids dans cette négociation. Actuellement, la Palestine, affaiblie par cinq décennies d’occupation et les crimes massifs commis à Gaza, est en position de faiblesse. Il faut donc que des tiers impartiaux, et avec un certain poids politique, parrainent la négociation pour qu’elle soit crédible et constructive. Tant que les Etats-Unis en restent le parrain, la négociation est biaisée.

Est-ce que cette reconnaissance peut avoir un effet sur l’offensive militaire israélienne à Gaza, récemment qualifiée de « génocide » par une commission d’enquête des Nations unies ?
Il faut être bien optimiste pour considérer cette mesure comme une réponse adaptée au génocide en cours. Disons que c’est un frémissement. On peut interpréter cette mesure comme un message à l’intention d’Israël : vous vous acharnez à détruire ce groupe national, eh bien nous, nous le reconnaissons. Mais pour que cet acte soit réellement positif, il faudrait qu’il soit assorti de sanctions contre Israël, et du déploiement, à Gaza, mais aussi en Cisjordanie, d’une force d’urgence multinationale, décrétée par l’Assemblée générale des Nations unies. Cela peut se faire dans le cadre de la résolution 377 qui, en 1950, lorsque le Conseil de sécurité a été bloqué par le veto soviétique pendant la guerre de Corée, a fait basculer les pouvoirs de maintien de la paix vers l’Assemblée générale. Y aura-t-il une majorité d’Etats aux Nations unies pour avoir ce courage ?
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