Faut-il prescrire une statine après 80 ans ?
Nathalie Barrès
Une étude de cohorte québécoise portant sur 317 027 personnes âgées de plus de 80 ans révèle que 51 % étaient sous statines à l’entrée dans l’étude (1).
Dans les 5 ans, 11 % des non-utilisateurs commençaient un traitement par statines et 22 % des utilisateurs l’arrêtaient.
Méthodologie
- Une étude de cohorte basée sur la population a été menée en utilisant le Système intégré de surveillance des maladies chroniques du Québec (SISMACQ), qui relie 5 bases de données à travers le numéro d’assurance maladie des citoyens.
- La population étudiée comprenait 317 027 adultes vivant dans la communauté, âgés de plus de 80 ans au 1er janvier 2018, avec un âge moyen de 85,2 ans.
- Les chercheurs ont évalué l’utilisation des statines au cours des 5 années précédant et suivant l’entrée dans la cohorte pour calculer la proportion d’utilisateurs prévalents, incidents et discontinus.
- Le système comprend des informations sur le registre d’assurance maladie, la base de données des hospitalisations et chirurgies d’un jour, la base de données des décès, la base de données des réclamations des médecins et la base de données des services pharmaceutiques.
Principaux résultats
- À l’entrée dans la cohorte, 51 % des participants étaient des utilisateurs prévalents de statines.
- Dans les 5 années suivantes, parmi les non-utilisateurs, 11 % commençaient un traitement par statines. Les facteurs les plus fortement associés à l’instauration du traitement comprenaient l’âge de 80 à 84 ans (hazard ratio [HR] 0,74 [0,71-0,76] pour 85 à 89 ans à HR 0,26 [0,22-0,30] pour ≥ 95 ans).
- Parmi les utilisateurs prévalents, 22 % ont arrêté leur traitement pendant le suivi. L’âge avancé (HR 1,54 [1,51-1,58] pour 85 à 89 ans à HR 3,65 [3,42-3,89] pour ≥ 95 ans) et la maladie d’Alzheimer (HR 1,77 [1,71-1,82]) étaient les facteurs les plus courants d’arrêt du traitement.
- Les antécédents de maladie cardiovasculaire étaient associés à la fois à l’instauration du traitement (HR 1,26 [1,07-1,49]) et à une probabilité réduite d’arrêt (HR 0,69 [0,64-0,74]).
En pratique
Les statines sont parmi les médicaments les plus couramment prescrits dans le monde pour la prévention et le traitement des maladies cardiovasculaires, avec plus de la moitié des personnes âgées de 65 ans et plus au Canada sous traitement par statines en 2021. Les données sur les bénéfices et les risques des statines chez les personnes très âgées, notamment celles de plus de 80 ans, restent limitées, ce qui soulève des questions sur leur utilisation appropriée dans cette population.
Les recommandations américaines de 2018 sur la réduction des lipides suggèrent qu’une thérapie par statines d’intensité modérée peut être raisonnable pour les personnes de plus de 75 ans avec des niveaux de LDL-C entre 1,7 et 4,8 mmol/L.
Les recommandations européennes reconnaissent que les preuves pour le traitement chez les personnes de plus de 80 ans sont limitées et que le jugement clinique doit prévaloir. Un récent consensus d’experts de la National Lipid Association et de l’American Geriatrics Society préconise une approche centrée sur le patient pour l’utilisation des statines en prévention primaire chez les personnes de plus de 75 ans.
Selon les auteurs, « l’utilisation des statines reste répandue chez les plus de 80 ans. Une évaluation approfondie de la balance bénéfices/risques d’une telle utilisation est nécessaire ».
Principales limitations
L’absence d’accès à des informations cliniques détaillées dans la base de données administrative constitue une limitation majeure de cette étude. Les variables clés, telles que les niveaux de cholestérol LDL, l’atteinte des objectifs thérapeutiques et les effets indésirables n’ont pas pu être évalués. Par conséquent, l’analyse reflète une perspective de santé publique au niveau de la population plutôt qu’une évaluation clinique centrée sur le patient. De plus, les raisons spécifiques de la prescription et de l’arrêt des statines n’ont pas pu être évaluées, car ces informations ne sont pas disponibles dans les bases de données administratives. Les données sur l’utilisation des médicaments dans les établissements de soins de longue durée n’étaient pas disponibles, ce qui empêche l’étude des modèles d’utilisation des statines dans ce contexte.
Financements et liens d’intérêts
Cette étude a été soutenue par une subvention du Réseau québécois de recherche sur le vieillissement. Caroline Sirois a bénéficié d’une bourse de chercheur junior 2 du Fonds de recherche du Québec – Santé (FRQS).
Cet article a initialement été publié sur Univadis.fr, membre du réseau Medscape.
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