Sébastien Lecornu esquisse la rupture, sans encore convaincre
Maintien des jours fériés, création de maisons de santé, jeu du parlementarisme… Le premier ministre, en déplacement dimanche à Mâcon, veut se différencier de son prédécesseur centriste et donner des gages d’ouverture. Reste à convaincre les oppositions et l’opinion.
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Un premier déplacement sur le thème de la santé, suivi d’un entretien à la presse quotidienne régionale… En se pliant aux figures imposées de la communication primo-ministérielle, samedi 13 septembre, le nouveau locataire de Matignon, Sébastien Lecornu, s’est exposé aux vents contraires – politique, budgétaire et social –, qui caractérisent ses premiers pas Rue de Varenne. Pour s’y maintenir, l’ancien ministre des armées trace une voie étroite. « Je ne veux ni instabilité ni immobilisme », professe-t-il.
Le chef du gouvernement revendique surtout sa différence avec son prédécesseur, François Bayrou. Tout un symbole, le nouveau locataire de Matignon a annoncé renoncer à la suppression de deux jours fériés, mesure emblématique du plan budgétaire de son aîné centriste. « Je souhaite que l’on épargne celles et ceux qui travaillent », acte désormais M. Lecornu.
C’est sans doute oublier que la genèse de cette mesure qui fut fatale à M. Bayrou s’est écrite lors d’un conseil de défense, le 7 juillet. C’est le président de la République, Emmanuel Macron lui-même, qui, au cours de ce huis clos, a proposé au Béarnais de supprimer deux jours fériés, pour couvrir notamment les 3,5 milliards d’euros de dépenses supplémentaires dans la défense prévues pour 2026. « Je les prends dans le budget ! », s’était alors empressé d’accepter le centriste, qui avait ensuite suggéré de viser le lundi de Pâques et le 8-Mai. Face au tollé général, le démocrate-chrétien n’aura eu de cesse de déplorer jusqu’à sa chute que le débat sur son plan d’efforts budgétaires de 44 milliards d’euros ait été cannibalisé par ce dessein présidentiel qu’il avait pourtant adoubé.
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Deux mois plus tard, M. Lecornu, conscient de l’impopularité du projet, rétropédale. Il lui fallait bien un signe d’ouverture vis-à-vis des corps intermédiaires et de l’opinion, encore braqués par le budget Bayrou. Un geste nécessaire mais pas suffisant pour désamorcer le mouvement syndical du 18 septembre ou pour attendrir les oppositions sur le vote du budget. D’autant que le premier ministre prévient : « Retirer la suppression des jours fériés exigera de trouver d’autres sources de financement. » Il devait poursuivre, lundi, ses consultations avec les partenaires sociaux.
Clarifier la ligne politique
Voulant donner des gages sur sa méthode, il promet de jouer le jeu du parlementarisme. Cette promesse passe par la réorganisation du « socle commun », la force parlementaire qui demeure la moins minoritaire, avec 210 députés de la droite et du centre, et la majorité au Sénat. D’ici à sa déclaration de politique générale, attendue le 2 octobre, M. Lecornu cherche à établir les grandes lignes d’un contrat de gouvernement entre les différents partis du « socle commun », une condition sine qua non dans le rapport de force qu’il veut mener avec la gauche sur le budget d’ici au 31 décembre.
Pour convaincre ses partenaires de consentir à un tel accord alors que 2027 approche, le locataire de Matignon fait la distinction entre les chantiers qui pourront être lancés ou achevés dans les vingt derniers mois du quinquennat et ceux qui ne trouveront leurs résolutions qu’à l’issue de la campagne présidentielle.
Si un contrat de gouvernement a l’avantage de clarifier la ligne politique du « socle commun », il a aussi un autre bénéfice pour M. Macron et son premier ministre, propulsé « chef de la majorité » : coordonner l’espace politique allant du centre à la droite, en vue des futures échéances électorales – municipales en mars 2026, présidentielle en 2027 – et aussi dans le scénario d’une éventuelle dissolution de l’Assemblée nationale.
Position maximaliste
En déplacement à Drusenheim (Bas-Rhin), dimanche, le ministre de l’intérieur démissionnaire et président du parti Les Républicains, Bruno Retailleau, a modéré les ardeurs de M. Lecornu. « Nous serons utiles, mais pas forcément dociles », a-t-il prévenu, remettant en question sa participation au gouvernement si le premier ministre se ralliait à une politique pour « satisfaire la gauche », au détriment d’un « durcissement sur l’immigration » ou « l’assistanat ».
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La droite s’attaque au cahier des charges de M. Lecornu, missionné par le chef de l’Etat pour trouver un accord de non-censure avec les socialistes sur le budget. Les émissaires du parti à la rose, qui seront reçus, cette semaine, à Matignon, porteront une position maximaliste comprenant la suspension de la réforme des retraites, l’instauration de la taxe Zucman sur les grandes fortunes et la baisse du quantum d’économies à réaliser d’ici à 2029. Pour le Parti socialiste (PS), l’équation est simple, si M. Lecornu « échouait à nouer un compromis », il n’y aurait « pas d’autre option que la dissolution », a posé l’ancien président de la République François Hollande, dimanche, dans une interview au Figaro.
A l’Assemblée, le chef du gouvernement appelle à engager « une discussion parlementaire moderne et franche, de très bon niveau avec le PS, Les Ecologistes et le Parti communiste [français] ». Mercredi, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, l’avait mis au défi d’abandonner le recours au 49.3 pour faire adopter sans vote le budget. « Je ferai tout pour ne pas y être obligé », répond l’intéressé, sans l’exclure totalement. Au passage, le Normand enfonce un coin entre cette gauche qu’il qualifie de « républicaine » et La France insoumise (LFI), accusée de se complaire dans le « désordre ».
Une fois les bons et mauvais points distribués, le premier ministre est peu disert sur la manière dont il compte contenter la gauche non mélenchoniste sur le budget, qui ne renoncera pas aisément à la censure de celui qu’elle considère être le supplétif de M. Macron. « Cette loyauté avec le président de la République m’offre précisément la liberté d’adapter l’action gouvernementale aux circonstances », jure-t-il.
La taxe Zucman de 2 % sur les patrimoines des ultrariches est au cœur du contentieux entre socialistes et macronistes. Ces derniers sont appuyés par le Medef, la droite et le Rassemblement national (RN), qui poussent également des cris d’orfraie contre une mesure jugée confiscatoire pour les entreprises. M. Lecornu s’est dit « prêt », samedi, à traiter les« questions de justice fiscale de répartition de l’effort », « sans idéologie », mais en préservant le « patrimoine professionnel ».
Le RN marginalisé
En privé, le premier ministre se montre plus catégorique, estimant qu’« il ne faut pas mentir aux gens » car le Conseil constitutionnel censurerait « dans la minute » la taxe Zucman. Quant à un aménagement de la réforme des retraites, M. Lecornu reste, là aussi, évasif, alors qu’il rejette un retour du « conclave ». Il ne renie pas non plus la totalité de la copie budgétaire de M. Bayrou sur laquelle il devrait, en partie, se fonder pour construire son budget.
Si des « ruptures » plus franches avec la politique d’Emmanuel Macron se faisaient trop attendre, les oppositions ont déjà leurs réponses : la censure. Ainsi, la cheffe de file des Ecologistes, Marine Tondelier, ne veut pas « négocier » avec M. Lecornu, convaincue « qu’il n’a rien à faire là ». Le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, juge, lui, qu’il est « illégitime ».
Marginalisé, le RN continue sa campagne pour une dissolution de l’Assemblée « ultrarapide », à défaut d’obtenir gain de cause sur ses desiderata xénophobes et antieuropéens. « A l’inverse du PS, le RN n’est pas disposé à se vendre pour un plat de lentilles », a grincé Marine Le Pen, dimanche, dans Sud-Ouest.
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Samedi, lors de sa visite dans un centre de santé de Mâcon quadrillé par les forces de l’ordre, avec des journalistes et des habitants tenus à distance, M. Lecornu s’est engagé à mettre en service d’ici à 2027 un réseau de 5 000 maisons France Santé pour améliorer l’offre de soins. Dans la presse, il a annoncé une nouvelle réforme de décentralisation et la suppression des avantages des anciens ministres, dans l’espoir de susciter un élan transpartisan derrière lui.
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Les pistes de Sébastien Lecornu pour amadouer les socialistes et faire adopter le budget 2026
Après l’échec de François Bayrou, son successeur à Matignon garde l’idée de faire adopter un projet de loi de finances avec la bienveillance des socialistes. Quitte pour cela à limiter la réduction du déficit public.

Sur le plateau de France 2, Eric Lombard a la mine gênée du mauvais élève qui vient de recevoir deux sanctions d’affilée, et en redoute une troisième, l’exclusion. Ce samedi 13 septembre, Laurent Delahousse rappelle les faits au ministre de l’économie démissionnaire : en cinq jours, le projet de budget présenté par le premier ministre d’alors, François Bayrou, a fait chuter le gouvernement, et l’agence Fitch a retiré son « double A » à la France, jugée incapable de redresser sérieusement ses comptes. Le locataire de Bercy fait acte de contrition. Les 44 milliards d’euros de réduction du déficit ? « A l’évidence, cet effort doit être réduit », admet-il. La suppression de deux jours fériés ? « Ça ne passait pas dans l’opinion publique », le nouveau premier ministre, Sébastien Lecornu, « a eu raison » d’y renoncer. Un budget pourra-t-il être adopté ? « Je suis convaincu qu’il y a un chemin », assure Eric Lombard. Sans garantie de participer lui-même à l’aventure.
En cinq minutes chrono, la scène dit tout ou presque de la construction plus délicate que jamais du budget pour 2026. Oubliez celui dessiné par François Bayrou à la mi-juillet. Poubelle. L’essentiel du texte avait pourtant été finalisé, et transmis au Conseil d’Etat pour avis juridique. Il devait être analysé sous peu par le Haut Conseil des finances publiques, avant d’être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale au plus tard le 7 octobre, conformément à la loi. La crise politique l’a emporté. Le nouveau premier ministre entend présenter son propre texte. Avant même de nommer un gouvernement, il veut négocier les contours du budget avec les partis politiques susceptibles de l’accepter.
Un point majeur ne semble pas devoir bouger : l’objectif de l’exécutif reste de faire adopter le budget grâce aux suffrages du « socle commun » (Renaissance, MoDem, Les Républicains et Horizons) et à l’abstention des socialistes. C’est ainsi que le budget 2025 a pu être validé en février. Pas question à ce stade de tenter une alliance alternative avec l’extrême droite. Comme son prédécesseur, le nouveau premier ministre mise sur une discussion avec les socialistes, les écologistes et les communistes. « Ce sera difficile mais nécessaire pour donner un budget au pays », affirme-t-il dans un entretien à la presse régionale diffusé samedi, en excluant La France insoumise des échanges à venir.
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Enormes obstacles politiques
Pour le reste, tout semble pouvoir être remis en cause. A commencer par l’ampleur de l’effort. La France, placée sous surveillance de l’Union européenne dans le cadre d’une procédure pour déficit excessif, s’est engagée à ramener son déficit public de 5,8 % du produit intérieur brut (PIB) en 2024 à moins de 3 % en 2029. Dans ce scénario, 2026 devait être l’année de l’effort maximal. Le déficit devait passer en un an de 5,4 % à 4,6 % du PIB, soit une baisse deux fois plus forte qu’en 2025.
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Mais, « à l’évidence », selon la formule d’Eric Lombard, cet ajustement se heurte à d’énormes obstacles politiques. Dans son contre-budget, le Parti socialiste propose de n’effectuer en 2026 que la moitié du chemin prévu, ce qui ferait tomber le déficit à 5 % du PIB. Des tractations sont en cours pour décider où fixer précisément le curseur, quitte à ce qu’une fois de plus, la France ne respecte pas les promesses faites tant à ses partenaires européens et qu’à ses créanciers.
Les tractations sont compliquées par le fait que le gouvernement calcule depuis un an le futur effort budgétaire par rapport non au budget de l’année précédente, mais à un scénario tendanciel opaque. C’est ainsi que sont nés les invérifiables « 40 milliards » puis « 44 milliards » d’euros d’ajustement nécessaire. Malgré les critiques de tous les économistes, ce chiffrage sert de base aux discussions politiques. « On peut arriver à un accord autour d’une somme qui sera un peu moindre », a ainsi avancé la présidente (Renaissance) de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, dimanche sur LCI, en citant une « cible à 35-36 milliards » d’euros.
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Signaux un peu confus
Au-delà du montant, la question centrale porte sur les mesures à prendre. Sébastien Lecornu envoie des signaux un peu confus à ce stade. Il annonce la création d’une mission « pour faire des économies dans les comités, délégations et offices de l’Etat », un grand classique à droite. Mais en renonçant à supprimer deux jours fériés, un projet impopulaire qui aurait augmenté le temps de travail des salariés pour une rémunération identique, il montre à la gauche qu’il est prêt à lâcher un peu de lest, quitte à se priver de recettes évaluées à 4,2 milliards d’euros.
Les macronistes se disent également résignés à augmenter l’imposition des grandes fortunes, mais sans aller jusqu’à mettre en place la taxe Zucman de 2 % sur les patrimoines des ultrariches. Les biens professionnels seraient exclus de l’assiette de la future taxe, alors qu’ils représentent environ 90 % des avoirs des foyers concernés. Pas sûr que la gauche avale une version aussi édulcorée de sa mesure étendard.
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Derrière les tractations qui s’engagent se déroule un débat hautement politique sur les causes de la crise actuelle et la façon d’y remédier. Le déficit vient-il avant tout de dépenses publiques trop élevées, auquel cas il faut tailler dans les missions de l’Etat, des collectivités locales ou de la Sécurité sociale ? Ou le problème réside-t-il plutôt dans la « politique de l’offre » et les « cadeaux fiscaux » effectués ces dernières années en faveur des entreprises et des plus riches, ce qui justifierait d’alourdir les impôts qu’ils paient ? Faute d’accord sur le diagnostic, trouver un terrain d’entente entre une droite et une gauche fragmentées s’annonce difficile. Impossible, peut-être.
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