Se lancer dans la géo-ingénierie polaire, des technologies qui visent à manipuler l’environnement de l’Arctique et de l’Antarctique en vue d’atténuer certains des impacts du réchauffement climatique ?

Des scientifiques dénoncent la dangerosité des projets de géo-ingénierie dans l’Arctique et l’Antarctique pour réduire l’impact du réchauffement climatique

Par Publié le 09 septembre 2025 à 11h00, modifié le 10 septembre 2025 à 07h51 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/09/09/rideau-geant-dans-l-ocean-forage-des-calottes-des-scientifiques-denoncent-la-dangerosite-des-projets-de-geoingenierie-polaire_6640114_3244.html

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Des bénévoles récupèrent une pompe d’eau de mer sur la banquise, à Cambridge Bay, au Nunavut (Canada), en février 2025. Ce projet de recherche vise à pomper l’eau de mer et à la diffuser à la surface, afin qu’elle gèle.
Des bénévoles récupèrent une pompe d’eau de mer sur la banquise, à Cambridge Bay, au Nunavut (Canada), en février 2025. Ce projet de recherche vise à pomper l’eau de mer et à la diffuser à la surface, afin qu’elle gèle.  TAYLOR ROADES

Et si l’on pouvait réparer le climat ? Stopper la fonte de la banquise et des calottes glaciaires ? Limiter la hausse du mercure dans les pôles, qui se réchauffent deux à quatre fois plus vite que la moyenne mondiale ? De plus en plus de chercheurs et d’ingénieurs, affirmant que la neutralité carbone ne sera pas atteinte au milieu du siècle, proposent de se lancer dans la géo-ingénierie polaire, des technologies qui visent à manipuler l’environnement de l’Arctique et de l’Antarctique en vue d’atténuer certains des impacts du réchauffement climatique.

Ces techniques, qu’il s’agisse d’installer des rideaux géants sous les océans pour empêcher l’arrivée de courants chauds ou de diffuser de l’eau salée au-dessus de la banquise, ne peuvent « très probablement » pas limiter le réchauffement. Pire, elles s’avèrent « dangereuses » pour l’environnement, les communautés polaires et l’action climatique, avec de probables « conséquences négatives graves et imprévues ». Voilà la conclusion de plus de 40 scientifiques spécialistes des pôles, qui ont évalué cinq de ces procédés, dans la plus vaste revue de littérature jamais menée sur le sujet. Leurs résultats sont publiés dans Frontiers in Science, mardi 9 septembre.

« En raison de la visibilité et de l’optimisme dont elles sont gratifiées, inversement proportionnels à leur degré de faisabilité et de maturité, ces techniques deviennent une distraction qui nous éloigne de la seule solution contre le changement climatique : réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre [GES] », prévient Martin Siegert, glaciologue à l’université d’Exeter (Royaume-Uni) et premier auteur de l’étude. La géo-ingénierie polaire ralentit aussi la mise en place par les villes côtières de mesures d’adaptation à l’élévation du niveau des mers – aggravée par la fonte des glaces –, ajoute la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte, également autrice de l’étude.

Aucun des procédés étudiés ne semble réalisable

Les technologies passées au crible sont celles ayant le plus fait l’objet de recherche scientifique – du moins théorique. Il s’agit d’envoyer dans la stratosphère, notamment au niveau des pôles, des centaines de milliers de tonnes de particules réfléchissant la lumière du Soleil, telles que des aérosols sulfatés, afin de réduire la hausse de la température. Des rideaux flottants, hauts de 150 à 500 mètres et long de plusieurs dizaines de kilomètres, pourraient aussi être ancrés dans les fonds marins, entre 700 et 1 000 mètres de profondeur, afin d’empêcher l’eau chaude d’atteindre et de faire fondre les calottes glaciaires. Des scientifiques cherchent également à épaissir la banquise, soit en pompant de l’eau de mer et en la diffusant à la surface, pour qu’elle gèle, soit en dispersant des microbilles de verre afin d’augmenter la réflectivité des vastes étendues blanches.

Parmi les autres idées, des chercheurs envisagent de forer de multiples trous dans les calottes glaciaires afin de pomper l’eau située à leur base et de ralentir l’écoulement de la glace. Enfin, la fertilisation des océans consiste à ajouter des nutriments tels que du fer afin de stimuler la production de phytoplancton, des créatures microscopiques qui absorbent le CO2 dans les profondeurs océaniques lorsqu’elles meurent.

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Aucun des cinq procédés étudiés, dont la majorité n’ont pas été testés grandeur nature, ne semble réalisable. Le forage des calottes impliquerait, par exemple, de creuser des milliers de puits dans la glace, jusqu’à plusieurs kilomètres de profondeur, à la recherche d’une eau dont on ne sait pas où elle se trouve précisément, consommant au passage une énorme quantité d’énergie. Concernant l’épaississement de la banquise, 10 millions de pompes seraient nécessaires pour couvrir 10 % de l’océan Arctique. « Ces techniques sont d’autant plus complexes à mettre en œuvre que les régions polaires comptent parmi les environnements les plus hostiles au monde pour travailler, avec des endroits inaccessibles ou des risques de collision avec des icebergs », rappelle Martin Siegert.

Pollution des écosystèmes

Ces techniques entraîneraient par ailleurs des risques majeurs pour l’environnement. Elles pollueraient les écosystèmes, pourraient entraîner une baisse de la quantité d’oxygène sous la surface (comme avec la fertilisation des océans) ou provoquer un changement de distribution des espèces et de circulation des courants et des océans. Les rideaux géants perturberaient les habitats et les routes migratoires des animaux marins, comme les poissons et les baleines. « L’injection de quantités massives de dioxyde de soufre au-dessus des pôles ne fonctionnerait pas l’hiver, dans la nuit polaire, ne résoudrait pas l’acidification des océans, aggraverait le trou de la couche d’ozone et pourrait provoquer un “choc terminal”, la température augmentant brutalement en cas d’arrêt de la technologie », prévient Valérie Masson-Delmotte.

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Les cinq technologies nécessiteraient, chacune, au moins 10 milliards de dollars (8,5 milliards d’euros) pour être mises en place et entretenues. Parmi les plus coûteuses, figurent les rideaux marins, dont le montant dépasserait largement le milliard de dollars par kilomètre. Ces procédés, qui ne sont, pour la majorité, pas couverts par un cadre de gouvernance, pourraient, en outre, susciter des tensions géopolitiques s’ils étaient mis en place de manière unilatérale.

Traitement des symptômes, mais pas des causes

Alors que les techniques de géo-ingénierie sont présentées comme une solution de la « dernière chance », permettant de gagner du temps, aucune ne pourrait être mise en œuvre à une échelle suffisante et assez rapidement pour faire face à la crise climatique, conclut l’étude. « Des acteurs puissants peuvent promouvoir lagéo-ingénieriee pour justifier la poursuite des émissions [de GES] et préserver leurs propres intérêts financiers ou politiques sous prétexte d’action climatique », préviennent les scientifiques.

Ces trois dernières années, le sujet a gagné du terrain dans les débats et les colloques, qu’il s’agisse des conférences internationales sur l’Arctique, des réunions du Conseil de l’Arctique ou des conférences mondiales sur le climat. Des entreprises ont lancé des expérimentations tandis que des centres de recherche, comme le Center for Climate Repair, hébergé par l’université de Cambridge, ont reçu plus de 10 millions d’euros de financement public.

« Ces ressources ne vont pas à la décarbonation des économies qui, elle, a prouvé son efficacité. La géo-ingénierie traite les symptômes mais pas les causes de la crise climatique », prévient la glaciologue Heïdi Sevestre, secrétaire adjointe du programme de monitoring de l’Arctique au Conseil de l’Arctique et autrice de l’étude. Avec les autres scientifiques, elle s’interroge publiquement sur la pertinence de poursuivre les recherches dans ce secteur.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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