PFAS : le projet de l’UE pour interdire les polluants éternels revu à la baisse, provoquant la consternation et la colère des ONG
La mise à jour de la proposition de « restriction universelle » des PFAS dans l’Union européenne est moins ambitieuse que prévu.
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Effets d’annonces, mauvaise volonté politique… Le chemin vers l’interdiction des polluants éternels, ces composantstoxiques et persistants détectés dans l’intégralité de la population presque partout dans le monde, est semé d’embûches. La publication, mardi 9 septembre, de l’un des décrets d’application de la loi adoptée en France en février « visant à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées », les PFAS, en est une nouvelle preuve.
Selon ce décret, les installations industrielles qui rejettent des PFAS dans l’eau doivent diminuer leurs émissions de 70 % d’ici à février 2028, pour atteindre 100 % en 2030. Mais le texte, laconique, « ne fixe aucune modalité de contrôle de ces rejets, ne précise pas si ces objectifs doivent être atteints à l’échelle de chaque installation industrielle, et ne décline qu’une seule étape », déplorent les ONG Générations futures et Notre affaire à tous.
Quelques jours plus tôt, à Bruxelles, la publication de la nouvelle feuille de route de l’Agence chimique européenne (ECHA) sur le projet d’interdiction des PFAS dans l’Union européenne (UE), qui a pour objectif de stopper les émissions de 10 000 de ces substances, avait suscité la consternation et la colère des ONG, des scientifiques et des riverains des sites pollués. Cette feuille de route contraste fortement avec la tonalité qu’avait voulu donner la présidence danoise de l’UE à son mandat début juillet. « Il est crucial de prendre dès maintenant des mesures énergiques contre la pollution par les PFAS dès maintenant », avait affirmé le ministre de l’environnement du Danemark, Magnus Heunicke.
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« Nous voulons que les entreprises prospèrent, mais jamais au détriment de la sécurité et du bien-être de nos citoyens », a déclaré pour sa part, sur LinkedIn, le 2 septembre, la commissaire européenne chargée de l’environnement, Jessika Roswall, en visite officielle à Zwijndrecht, près d’Anvers, en Belgique, épicentre de la zone la plus contaminée d’Europe à ce jour. « Un équilibre délicat », selon elle.
Usages examinés à la loupe
Annoncée le 28 août, la mise à jour de la proposition de « restriction universelle » des PFAS, formulée en janvier 2023 par le Danemark, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège et la Suède, ne prend pas en compte toutes les nouvelles informations apportées au cours des discussions.
Les usages de PFAS dans 14 secteurs ont été examinés à la loupe, mais huit secteurs pourtant identifiés comme émetteurs de ces polluants dans l’environnement seront laissés de côté. Parmi eux, certaines applications militaires, les explosifs ou encore les textiles techniques. « Comment concevoir que des secteurs tels que les farts de ski, dont le tonnage est inférieur à 10 tonnes par an, soient évalués de manière approfondie, alors que des secteurs à fort tonnage tels que les applications d’étanchéité à grande échelle (plus de 10 000 tonnes par an) ne le sont pas ? », s’inquiète l’organisation European Environmental Bureau.
L’ECHA justifie cette décision par le respect du calendrier. La Commission européenne s’est en effet engagée à présenter un texte final rapidement après l’aboutissement des travaux des comités scientifiques de l’ECHA en 2026. Inclure les « secteurs supplémentaires dans les évaluations des comités nécessiterait un temps considérable au-delà de 2026 pour finaliser l’avis », explique l’ECHA.
Interrogée, la Commission assure que la protection de la santé humaine et de l’environnement reste une priorité. « Nous appuierons notre proposition de restriction sur l’avis de l’ECHA dès qu’il sera disponible, et les exemptions éventuelles seront définies (…) en tenant compte de toutes les informations disponibles », déclare-t-elle au Monde.
« Fermer le robinet »
Il a fallu deux ans à l’ECHA et aux cinq pays à l’initiative de la restriction pour venir à bout des 100 000 pages de commentaires soumis lors de la consultation publique organisée en 2023. Submergés par 5 600 contributions envoyées majoritairement par les industriels fabricants et utilisateurs de PFAS, l’agence et les pays responsables du dossier ont aussi enduré les assauts d’une campagne de lobbying d’une ampleur inédite.
Autre changement majeur : outre un nombre accru de dérogations (86), la nouvelle proposition envisage une option qui autoriserait « la poursuite de la fabrication, de la mise sur le marché ou de l’utilisation des PFAS lorsque les risques peuvent être maîtrisés ».
Cette option touche un grand nombre de secteurs, dont la fabrication même de PFAS, les transports, l’électronique, etc. Elle bénéficierait surtout aux fabricants et utilisateurs de plastiques contenant des PFAS, les fluoropolymères. Leur organisation de lobbying, le Fluoropolymer Product Group, s’en est d’ailleurs félicitée dans un communiqué, le 25 août.
A ce jour pourtant, les seules données disponibles, produites par les industriels, montrent que, s’il est possible de l’abaisser, la diffusion de PFAS dans l’environnement persiste lors des processus de fabrication. Aucune étude indépendante n’a été menée. Alors que le texte révisé assure que les PFAS représentent « une menace de dommages irréversibles pour les générations futures », cette option affaiblirait considérablement la portée de la restriction.
Lire le décryptage (en 2023) : « Polluants éternels » : quels sont les effets des PFAS sur la santé ?
« La seule manière de faire face à la crise des PFAS est de “fermer le robinet” à l’aide d’une approche universelle qui englobe toutes les utilisations », a regretté l’organisation suédoise ChemSec. C’est aussi le souhait de la communauté scientifique, pour laquelle seul un arrêt complet des émissions peut mettre un frein à cette crise de pollution, la plus grave jamais rencontrée par l’humanité, sans toutefois la résoudre.
Au niveau des Etats membres de l’UE, les initiatives réglementaires se multiplient pour pallier carences et lenteurs européennes. Après la France, dont la loi votée en février interdit les PFAS dans les textiles, les cosmétiques et les farts, le Danemark a interdit en mai vêtements, chaussures et agents imperméabilisants contenant des PFAS, avant de suspendre l’autorisation de 23 pesticides dont les produits de dégradation contiennent des PFAS. Une dizaine d’autres pesticides devraient être ajoutés à cette liste.
Le 2 septembre, le ministre fédéral belge de l’environnement, Jean-Luc Crucke, a annoncé une proposition d’interdiction de certaines catégories de produits « sans attendre la décision de l’Europe ». « Le message des citoyens et de la société civile est clair : ces “polluants éternels” n’ont pas leur place dans notre environnement ni dans notre corps. Les risques pour la santé et la société sont trop importants », a déclaré sur LinkedIn le ministre, qui fait face à une forte mobilisation citoyenne dans le pays.
Des développements qui ne manquent pas d’inquiéter les industriels. Lors d’un webinaire le 8 septembre, le Fluoropolymer Product Group signalait à ses membres l’émergence d’initiatives réglementaires similaires à celle de l’UE en Australie, au Brésil, en Corée, en Inde et au Japon.
PFAS : des taux excessifs mesurés dans le sang des riverains des usines de PFAS en Belgique et aux Pays-Bas
Depuis la révélation de la pollution aux PFAS, en 2021, les riverains de l’usine 3M, à Zwijndrecht, près d’Anvers, en Belgique, sont invités à se plier à une batterie de mesures dites « sans regrets », telles que ne pas utiliser l’eau de leur robinet pour se faire un café.
A l’épicentre de la région la plus contaminée d’Europe, près de la moitié des adultes et un cinquième des adolescents vivant dans un rayon de cinq kilomètres présentent des taux sanguins de PFAS excessifs, selon les résultats d’une étude sur 8 568 personnes, publiée en mars. Les chercheurs flamands relèvent des troubles de la fonction thyroïdienne et hépatique plus fréquents chez les individus les plus contaminés, ainsi que des retards de puberté chez les adolescents.
« Effet néfaste potentiel sur le système immunitaire »
A quelques kilomètres de là, aux Pays-Bas, pays également confronté à une pollution majeure causée par l’usine Chemours (ex-DuPont) à Dordrecht, la première étude nationale a révélé en juillet des concentrations massives de PFAS dans le sang de la quasi-totalité de la population. Les taux atteignent des niveaux tels qu’un « effet néfaste potentiel sur le système immunitaire ne peut être exclu », selon le RIVM, l’Institut national de la santé publique et de l’environnement, qui a mené l’étude.
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Si le véritable nombre de « hot spots » de contamination est inconnu à ce jour, l’enquête collaborative Forever Pollution Project, coordonnée par Le Monde, avait révélé en 2023 la localisation en Europe de 20 usines de PFAS, ainsi que de 23 000 sites contaminés.