L’instabilité politique, poison mortel pour la planification écologique

Energies, décarbonation, adaptation : les dossiers stratégiques dans la lutte contre le dérèglement climatique sont en jachère. Ces enjeux, qui requièrent d’agir sur le long terme, sont victimes de la fragmentation politique et d’une absence de consensus. 

Par Publié hier à 05h30, modifié hier à 11h06 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/09/13/l-instabilite-politique-poison-mortel-pour-la-planification-ecologique_6640693_3244.html

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Les ministres démissionnaires lors de la passation des pouvoirs à Matignon, à Paris, le 10 septembre 2025.
Les ministres démissionnaires lors de la passation des pouvoirs à Matignon, à Paris, le 10 septembre 2025. JULIEN MUGUET POUR « LE MONDE »

Sans trop espérer, ils ont quand même guetté une éventuelle fumée blanche provenant de Matignon. Avant sa chute inexorable lors d’un vote de confiance, lundi 8 septembre, le premier ministre, François Bayrou, allait-il signer la troisième programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE3) ? Ce texte, crucial pour mettre en œuvre les orientations énergétiques de la France, est sur le bureau du premier ministre depuis des semaines. François Bayrou n’en a rien fait, laissant le soin à son successeur d’endosser la PPE que le gouvernement avait pourtant l’obligation de présenter en… 2023.

« L’absence de PPE tout comme le retard pris sur la stratégie nationale bas-carbone entravent les ambitions de décarbonation de la France et mettent en péril des entreprises qui attendent des appels d’offres, sur les énergies renouvelables, les pompes à chaleur, les véhicules électriques, estime Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat. C’est une honte, mais notre pays n’aura sans doute aucune feuille de route au moment des 10 ans de l’accord de Paris dans quelques semaines. »

Changements de premier ministre, majorités introuvables à l’Assemblée nationale, offensives antiécologie provenant de partout, coupes dans les investissements dans un contexte de déficit budgétaire… La fragmentation du paysage politique, apparue en 2022, et l’instabilité provoquée par la dissolution voulue par Emmanuel Macron paralysent totalement sa propre promesse : installer une planification écologique pour mettre la France sur les rails d’une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 50 % en 2030. Une stratégie devenue inopérante. Il faut de nouveau « penser le temps long au détriment du court-termisme dans lequel voudraient nous emmener certaines figures politiques majeures », a imploré Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, mardi 2 septembre.

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Lors de cette rentrée de nouveau agitée, les services du ministère de la transition écologique en sont réduits à faire le recensement des dossiers qu’ils vont devoir mettre en jachère pendant quelques semaines, au moins jusqu’à l’annonce du prochain gouvernement. Les textes stratégiques déjà évoqués sont mis de côté. Les députés proenvironnement sont laissés seuls au front pour tenter de conserver les zones à faibles émissions (ZFE) ou l’objectif du zéro artificialisation nette (ZAN) lors des discussions finales sur le projet de loi de simplification de la vie économique. Impossible de savoir si le comité interministériel sur l’adaptation, prévu pour le 30 octobre, aura bien lieu et avec quels ministres. Et évidemment, comme pour tous les autres secteurs, des discussions budgétaires sur les investissements cruciaux sont mises entre parenthèses. « Comment penser les années à venir, alors qu’on n’arrive même pas à savoir où l’on sera dans un mois… », lâche, dépité, le membre d’un cabinet ministériel.

Frilosité ou idéologie

Mois après mois, le constat est sans appel. La planification voulue par Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle de 2022 est restée bloquée à la première étape. Entre 2022 et 2023, le secrétariat général à la planification écologique (SGPE) a certes tracé les trajectoires de baisse des émissions, secteur par secteur. Un travail soutenu par la première cheffe du gouvernement du second mandat, Elisabeth Borne, qui avait obtenu une large augmentation des crédits à l’automne 2023 (7 milliards d’euros).

Par frilosité, à cause de l’éclatement des forces ou par pur positionnement idéologique, le monde politique a ensuite été incapable de mettre en œuvre cette ambition. A cause de la majorité relative, le ministre de l’économie de l’époque, Bruno Le Maire, a empêché l’examen d’une loi de programmation énergie-climat que Bercy pensait vouée à l’échec. « La paralysie avait commencé bien avant la dissolution, constate Yves Marignac, expert énergie au sein de l’Association NégaWatt. Le gouvernement n’a pas attendu de ne plus être en capacité d’agir pour se passer d’une véritable feuille de route ambitieuse et claire. Il s’est très vite laissé enfermer dans un jeu politique délétère. »

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Puis, à partir de janvier 2024, les sables mouvants de la politique et les multiples changements de premier ministre ont totalement fait dérailler la planification. Si les défenseurs de l’environnement avaient plutôt salué l’idée de rendre Matignon responsable de la planification écologique, ce dispositif rend aussi la transition totalement dépendante de la volonté et de la personnalité du chef du gouvernement. Peu intéressé par ces questions et englué dans la crise agricole du début de l’année 2024, Gabriel Attal n’a pas hésité à faire de l’écologie un bouc émissaire en sabrant dans les normes. Si Michel Barnier a réussi à évoquer la « dette écologique » et à faire publier le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc-3), son successeur, François Bayrou, a été au mieux invisible sur ces enjeux, se permettant même de surfer sur les ressentiments en critiquant les agents de l’Office français de la biodiversité.

Remontée des émissions

Affaiblissant le gouvernement et renforçant le poids de l’extrême droite, la dissolution a ensuite entraîné une efflorescence d’amendements et de textes antiécologie (ZFE, ZAN, proposition de loi Duplomb, etc.). « La planification est totalement en panne, quand elle ne recule pas, dit d’un ton cinglant Théodore Tallent, expert associé à la Fondation Jean Jaurès et doctorant au Centre d’études européennes et de politique comparée à Sciences Po. Une stratégie de long terme est impossible avec une telle instabilité, car on ne peut pas planifier sans un portage politique cohérent. Une planification, c’est une mise en œuvre des trajectoires, donc une réflexion globale sur les transitions dans l’énergie, les mobilités, l’alimentation, mais aussi sur les compensations, l’accompagnement. Cela nécessite des débats et du consensus, tout ce qui paraît impossible dans le monde politique actuel. »

Résultat, de nombreux indicateurs sont en berne. En 2024, la baisse des émissions de gaz à effet de serre n’a été que de 1,8 % (− 5,8 % en 2023) et elles sont même reparties à la hausse lors du premier trimestre de 2025 (+ 0,2 %), alors que l’hiver n’avait pas été particulièrement rigoureux. Le marché de la voiture électrique a connu un sévère essoufflement et des entreprises cruciales pour les énergies renouvelables (par exemple des sous-traitants de l’éolien offshore) attendent encore les appels d’offres. « Il y a des projets de gigafactories de batteries ou de panneaux solaires, des fermes photovoltaïques qui ne savent plus sur quel pied danser, notamment quand elles voient un ministre de l’intérieur signer une tribune réclamant l’arrêt des aides pour les énergies renouvelables, poursuit Yves Marignac en référence à l’initiative de Bruno Retailleau. Par opportunisme ou par manque de courage, le gouvernement et des groupes politiques se sont affranchis des contraintes de l’analyse technique. Au final, au lieu de se rapprocher d’une stratégie cohérente, on s’en éloigne. »

Récupération des rancœurs

L’instabilité n’explique pas tout. Après la seconde guerre mondiale, la reconstruction de la France et la mise en place d’une planification industrielle n’avaient pas autant souffert des fragilités des équipes gouvernementales de la IVe République puis du passage à la Ve République. Le sujet faisait alors consensus entre les différents camps politiques. Depuis 2022, les objectifs de la programmation militaire ne sont pas non plus remis en question. Malgré les alertes des scientifiques, la transition écologique est toujours un sujet d’affrontements, notamment parce que l’extrême droite et une grande partie de la droite tentent de récupérer les rancœurs et la colère créées par ce chantier immense.

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« S’il s’agissait d’une réelle planification, elle serait sanctuarisée et résisterait aux changements de premier ministre ou aux coupes budgétaires, analyse Pierre Charbonnier, chargé de recherche au CNRS et enseignant à Sciences Po, qui publiera un nouvel essai, La Coalition climat (Seuil, 208 pages, 20,50 euros), début octobre. Du temps de Jean Monnet [commissaire général au plan de 1946 à 1952], il y avait des crises très importantes, mais il y avait un organe stabilisateur qui permettait de dépasser l’instabilité parlementaire et les clivages. Les démocraties doivent arriver à réfléchir à ces questions de long terme qui ne seraient pas soumises à des conflits politiques de court terme. »

Un défi auquel devront s’atteler le nouveau gouvernement et surtout le prochain ou la prochaine présidente de la République. « Il y a eu des moments où l’écologie est consensuelle, comme lors du Grenelle de l’environnement en 2007, mais ces périodes durent peu de temps. Nous sommes à nouveau entrés dans un moment de conflictualisation croissante de l’enjeu écologique, car la mise en œuvre de la planification s’attaque au réel avec des acteurs économiques qui se sentent menacés », conclut Théodore Tallent.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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