Avant de quitter Matignon, Bayrou a joué à plein le backlash écolo
La dizaine de jours précédant la chute du premier ministre s’est accompagnée d’une cascade de décrets anti-écolos. Autant de reculs aux conséquences lourdes pour la biodiversité et la santé.
C’est le coup de sabre final. Aux derniers jours du gouvernement Bayrou, après huit mois de reculs écologiques à tous les niveaux, les décisions réglementaires prises par le pouvoir ont attaqué ce qui subsistait de récentes avancées environnementales.
À partir du moment où le premier ministre sortant a voulu, le 25 août, s’en remettre au vote d’une Assemblée nationale sans majorité, une multitude de décrets sont ainsi passés en catimini, mettant en péril à la fois notre santé et la préservation d’écosystèmes et d’espèces protégées.
Dernier en date, le décret sur les polluants éternels, les PFAS, publié mardi 9 septembre au Journal officiel. Ne tenant aucunement compte de la consultation publique qui s’est tenue du 7 août au 5 septembre, la version publiée et signée par la ministre de la transition écologique démissionnaire, Agnès Pannier-Runacher, réduit considérablement la portée de la loi votée en février, qui ouvrait pourtant la voie à une réduction importante de ces substances per- ou polyfluoroalkylées dans les rejets industriels.

L’arrêté ne retient qu’un nombre limité de PFAS. En particulier, il ne prend pas en compte le TFA, un minuscule produit de dégradation de pesticides PFAS que l’on retrouve en grande quantité dans l’eau. « On avait demandé à ce qu’il soit surveillé et il ne l’est pas », précise Kildine Le Proux de la Rivière, chimiste pour Générations futures.
Le décret ne s’applique en outre qu’aux stations de traitement des eaux usées de villes de plus de 10 000 habitant·es – ce qui ne prend pas en compte les petites communes – et s’appuie pour le calcul des réductions à venir sur les rejets de 2023, fixée comme année de référence. « Or c’était une année exploratoire, on ne peut pas savoir ce qui a été rejeté précisément », poursuit la chimiste.
Autrement dit, ce texte réglementaire ne permettra pas d’atteindre la réduction de 70 % des PFAS dans les eaux rejetées par les usines d’ici à 2028, comme le veut la loi. « Ce décret, ainsi adopté trois jours seulement après la fin de la consultation publique, a clairement souffert du calendrier politique accéléré par la démission du gouvernement Bayrou », accuse Générations futures dans un communiqué.
Ce n’est que lundi matin, jour de la chute de François Bayrou, que le Conseil supérieur de la prévention des risques technologiques, réuni en urgence, a pris connaissance des plus de 450 commentaires de la consultation. Le texte a été signé, sans modification, dans la journée.
Lobby de la chasse
Dix jours plus tôt, ce sont plusieurs espèces d’oiseaux menacées qui ont fait les frais de cette précipitation gouvernementale. Cette fois plus habituelle à la veille de l’ouverture de la saison de chasse, le 30 août, cette succession de textes dangereux pour la préservation de la biodiversité signés en l’espace de quelques jours va toutefois très loin, puisque certains des décrets signés vont à l’encontre de recommandations européennes et d’une décision du Conseil d’État.
Au total, quatre oiseaux sont concernés : la tourterelle des bois, l’alouette des champs, le fuligule milouin (un canard plongeur), et la caille des blés.
Ces deux derniers font partie des sept espèces chassables dont les populations s’effondrent à l’échelle européenne, et pour lesquelles la Commission européenne a demandé à la France, à deux reprises depuis fin 2024, de suspendre immédiatement la chasse.
Mais le gouvernement finissant ne l’a pas entendu de cette oreille : le 5 septembre, un décret a inscrit le fuligule milouin sur la liste des espèces soumises à « gestion adaptative », c’est-à-dire à un quota de chasse annuel, et selon un arrêté publié une semaine plus tôt, la caille des blés pourra être prélevée à hauteur de quinze animaux par chasseur et par jour. « Un chiffre grotesque, souligne-t-on à la Ligue de protection des oiseaux (LPO). Jamais un chasseur ne tue autant de cailles en une journée. C’est comme si on autorisait à rouler sur l’autoroute à 250 km/h. »
Derrière ces atteintes à la préservation de volatiles en voie de disparition, les organisations environnementales voient une stratégie de complaisance vis-à-vis du lobby de la chasse. « Sur les réseaux sociaux, à l’Assemblée, dans les communiqués de la Fédération de chasse… Tous les défenseurs de la chasse ont œuvré cet été pour que ces espèces continuent à être abattues », souligne Dominique Py, chargé du dossier chasse et faune sauvage à France Nature Environnement (FNE).
Faire sauter un maximum de garde-fous
Dans son avis consultatif au sujet du décret sur le fuligule milouin, que Mediapart a pu consulter, le « comité d’experts sur la gestion adaptative », opportunément remis sur pied le 1er août et au sein duquel siège, entre autres, un représentant de la Fédération nationale des chasseurs, avait d’ailleurs souligné qu’un quota zéro serait difficile à retenir pour « des raisons politiques », et le projet d’arrêté actuellement soumis à consultation publique autorise 5 000 prélèvements par an de ce canard plongeur.
Des recommandations de la Commission européenne, le gouvernement n’a en réalité retenu que ce qui l’arrangeait afin de faire sauter un maximum de garde-fous : pour Bruxelles, la chasse à la tourterelle, qui était suspendue en France depuis 2021, est de nouveau possible, ses effectifs étant très légèrement repartis à la hausse au niveau européen après une chute de près de 80 % de sa population depuis 1980. L’exécutif en déperdition en a profité pour publier, à la veille de l’ouverture de la chasse, un arrêté autorisant 10 000 abattages de tourterelles par an.
« C’est un grand bonheur pour moi de voir revenir la chasse de la tourterelle des bois, que beaucoup pensaient perdue à jamais », s’est réjouit lundi Willy Schraen, le président de la Fédération nationale des chasseurs, dans son discours de rentrée.
Enfin, ces deux dernières semaines décidément destructrices d’un point de vue écologique ont été l’occasion de réintroduire une pratique moyenâgeuse que l’on ne voyait plus en France, déclarée illégale à la fois par la Cour de justice européenne en 2021 et par le Conseil d’État en 2022 : la chasse aux pantes – des filets tendus au sol qui permettent de piéger les oiseaux sans faire de distinction. C’est ainsi qu’un arrêté publié le 2 septembre autorise, dans quatre départements de la région Aquitaine, la chasse à l’alouette avec cette technique.
« Avec tous ces textes, on est sur une série de retours en arrière sur ce qui avait avancé depuis cinq ans », souligne-t-on à la LPO. L’association environnementale, qui a déjà mené de nombreux recours par le passé, prévoit d’attaquer en justice l’ensemble de ces textes.