Dans son récent ouvrage État d’Urgences (Seuil), la Dre Caroline Brémaud décrit le quotidien d’un service d’urgences en crise,

POINT DE VUE

« Au-delà de la crise des urgences, le système de santé dans sa globalité est en péril »

Julien Moschetti

22 juillet 2025 https://francais.medscape.com/voirarticle/3613120?ecd=WNL_mdplsfeat_250902_mscpedit_fr_etid7684551&uac=39940PJ&impID=7684551

Dans son récent ouvrage État d’Urgences (Seuil), la Dre Caroline Brémaud décrit le quotidien d’un service d’urgences en crise, dans un contexte où le manque de moyens contraint les soignants à faire des choix cornéliens. Dans ce récit intimiste nourri de multiples anecdotes, l’urgentiste du CH de Laval (Mayenne) revient sur ses combats et ses états d’âme, ceux d’une médecin passionnée et révoltée devenue lanceuse d’alerte pour défendre l’hôpital public. Pour Medscape édition française, la cofondatrice du mouvement des gilets blancs fait l’éloge d’une médecine humaniste qui mise notamment sur une meilleure gestion de ses émotions.

Medscape édition française : Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre ?

Dre Caroline Brémaud : Je voulais expérimenter une autre manière de militer, intervenir différemment dans le débat public pour susciter une prise de conscience collective. Je voulais avant tout toucher les gens sur le plan émotionnel. J’ai donc écrit un livre militant en partant d’histoires concrètes susceptibles de parler aux gens. Quand on explique aux Français que l’on ferme des lits, il ne se passe pas grand-chose dans leur tête. Mais, quand je raconte dans le livre les treize minutes de régulation les plus longues de ma vie de médecin ou quand une maman retrouve son enfant de 13 ans pendu dans sa chambre, l’impact n’est pas le même.

On m’a régulièrement reproché d’être trop émotive, trop proche des patients… Mais force est de constater que je viens toujours à l’hôpital avec le sourire !

Dans votre livre, quelle anecdote symbolise le mieux les dysfonctionnements actuels des urgences ?

Dre Brémaud : Je pense à l’histoire de Louise, une fillette de huit ans et demi qui s’était fracturée le coude. Je me suis rendue en SMUR en périphérie de Laval. Je voulais la transférer directement au CHU d’Angers pour qu’elle soit prise en charge par un chirurgien pédiatrique mais la régulation a refusé. Je l’ai donc amenée au CH de Laval où j’ai fait les radios, puis j’ai appelé le CHU pour qu’elle soit opérée le lendemain matin en pédiatrie. Il restait encore des places, mais j’ai dû interrompre la prise en charge pour répondre à une urgence vitale en salle de coronarographie. Et quand j’ai enfin réussi à joindre le pédiatre du CHU, il n’y avait plus de places dans son service. Conclusion : tout dysfonctionne à l’hôpital, que cela soit dans les petits ou grands établissements, que cela soit aux urgences ou dans les autres services. Au-delà de la crise des urgences, le système de santé dans sa globalité est en péril.

Quand je fais de la régulation au centre 15, je suis confrontée à plusieurs tentatives de suicide par jour. Et, à chaque fois, un mineur est concerné

Pourquoi revenir sur l’histoire de ce jeune garçon qui s’est pendu à l’âge de 13 ans ?

Dre Brémaud : Je tenais à parler de la santé mentale des jeunes, et en particulier du suicide qui fait partie des premières causes de mortalité chez les jeunes. Les médias en parlent peu, alors que les tentatives de suicide sont en hausse notamment chez les 18-24 ans. Quand je fais de la régulation au centre 15je suis confrontée à plusieurs tentatives de suicide par jour. Et, à chaque fois, un mineur est concerné. C’est donc important d’en parler, de briser les tabous sur le sujet, de mener des actions de prévention.

Vous évoquez aussi dans le livre l’annonce des décès aux proches de la victime. Les médecins sont-ils suffisamment formés ?

Dre Brémaud : Dans mon service, les internes estiment que la formation qu’ils ont reçue durant leurs études est insuffisante. Je remarque également qu’il n’y a pas de suivi psychologique pour les médecins, pas d’espaces de parole pour pouvoir débriefer après l’annonce du décès. Cela donne le sentiment que l’on continue à faire passer le message suivant aux internes : « mettez les émotions dans la blouse et la blouse dans le vestiaire ! »

Quand vous êtes obligés de réguler 24h/24 sans pouvoir faire de véritable pause, les conditions de sécurité ne sont pas réunies

Vous expliquez d’ailleurs que vous donnez des cours de gestion des émotions aux urgences aux externes et aux internes ?

Dre Brémaud : Oui, je leur donne des clefs pour les aider à gérer leurs émotions, à accepter les émotions qui les traversent, et non pas à les rejeter en bloc. Les jeunes médecins sont régulièrement confrontés à des professionnels qui leur disent qu’il est important de construire une carapace. Mais, si on se coupe de ses émotions, on finit par se déshumaniser. Et quand tu n’es plus un être humain, tu ne peux plus faire de la bonne médecine. On m’a régulièrement reproché d’être trop émotive, trop proche des patients… Mais force est de constater que je viens toujours à l’hôpital avec le sourire ! Tandis que les personnes qui me faisaient ce genre de reproches ont changé de spécialité ou tout simplement quitté la médecine.

Vous faites à allusion à un sentiment de perte de sens ?

Dre Brémaud : Tout à fait. Pourquoi autant de professionnels quittent les urgences ? Pourquoi autant de soignants quittent ce métier ? Pourquoi de nombreux infirmiers arrêtent les études en cours de route ? Pourquoi de nombreux internes choisissent de prendre un congé sabbatique pour voyager à l’issue de leur cursus ? Dans ce dernier cas, c’est en partie parce qu’ils sont déjà essorés, avant même de démarrer leur carrière. Je me souviens du jour où j’ai terminé mes études. C’était un 31 octobre et je n’avais qu’une hâte : commencer à travailler le 2 novembre. Je n’aurais jamais imaginé prendre 6 mois ou un an de congés pour me reposer. C’est inquiétant de voir que les jeunes médecins ont de plus en plus de mal à démarrer dans la vie active, qu’ils ont besoin de souffler à l’issue de leurs études…

Votre ouvrage démarre avec le mouvement de grève illimité du service des urgences du CH de Laval en octobre 2021. Comment a évolué la situation ?

Dre Brémaud : La situation s’est aggravée. Autrefois, on fermait les urgences quelques nuits par mois. Aujourd’hui, on se contente d’ouvrir quelques nuits par mois. Dans le même temps, on a ritualisé les fermetures des urgences en journée, tous les mercredis et tous les samedis en journée. Il y a quelques semaines, j’ai fait de la régulation au centre 15. Il n’y avait aucun SMUR disponible sur l’ensemble du département, comme cela arrive désormais régulièrement. J’ai aussi dû faire 24 heures de régulation toute seule. Normalement, on est 2 et on alterne entre la régulation et les sorties SMUR et on est censés se relayer toutes les 6 heures. Mais cette fois-ci, j’ai gardé le casque sur mes oreilles durant 24 heures. J’ai mangé avec le casque. Je suis allé aux toilettes avec ce casque qui décrochait automatiquement. Quand vous êtes obligés de réguler 24h/24 sans pouvoir faire de véritable pause, les conditions de sécurité ne sont pas réunies. A tel point que vous avez l’impression de mettre votre diplôme en danger.

Les IPA bénéficient d’une formation très pointue 

Comment évoluent les effectifs au CH de Laval ?

Dre Brémaud : L’établissement continue à réduire les effectifs paramédicaux. Le nouveau plan de restructuration prévoit la suppression d’une cinquantaine de postes (paramédicaux, personnel administratif…) pour réduire sa dette. La direction menace même de ne pas verser les salaires en fin d’année… Quant aux urgentistes, ils sont désormais 4,5 ETP (équivalents temps plein) alors qu’il en faudrait une quinzaine pour répondre aux besoins…

Pour finir sur une note positive, vous saluez l’adoption de la proposition de loi visant à imposer des ratios de soignants

Dre Brémaud : Oui, cette proposition de loi va dans le bon sens. On pourrait aussi parler de la montée en puissance des IPA qui bénéficient d’une formation très pointue et avec qui on peut travailler en bonne intelligence. Dans le contexte de pénurie de médecins, il faut trouver des solutions, s’appuyer sur des personnes motivées qui ont envie d’apprendre et de se former. Il faut favoriser ce genre de parcours professionnels et faire évoluer les métiers de médecin et d’infirmier. Les médecins n’ont pas le monopole de l’intelligence !

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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