Le projet de François Bayrou pour la santé est dangereux
LE 05 SEPTEMBRE 2025 https://www.alternatives-economiques.fr/nicolas-da-silva/projet-de-francois-bayrou-sante-dangereux/00116108

Chercheur au Centre d’économie de l’Université Paris 13
François Bayrou a annoncé cet été un plan d’économies important pour le monde de la santé. Il s’agit de réduire l’évolution des dépenses socialisées de l’ordre de 5,5 milliards d’euros. En plus des lamentations sur le fardeau de la dette publique, cet objectif s’appuie sur le renforcement de la rhétorique de la responsabilisation des bénéficiaires (après le forfait patient urgence en 2022 ou la taxe lapin en 2024)
La spécificité du plan d’économie proposé est qu’il vise directement les plus malades. Le doublement des franchises et participations ainsi que de leur plafond pèsera plus fortement sur les titulaires du dispositif affection longue durée (ALD). Comme ce sont déjà eux qui souffrent le plus de ces coûts, leur situation va se dégrader. Leur peine ne s’arrêtera pas là puisqu’une réforme entendant réduire l’accès et le maintien dans le dispositif ALD est à l’étude.
Il n’y a pas de faux malades qui bénéficient de l’ALD, mais simplement des gens dont la gravité de l’état de santé peut être hiérarchisée, suggère un rapport paru l’année dernière. Le gouvernement vise des patients qui ont en moyenne un reste à charge supérieur au reste de la population.
Outre les personnes en ALD, la réforme sur les franchises et les participations touchera les plus âgés (plus souvent malades) et les plus précaires (qui ne bénéficient pas toujours de l’exonération liée à leur niveau de ressources).
Le plan de François Bayrou exige de l’hôpital une plus grande efficience alors que les derniers chiffres indiquent que l’hôpital public connaît un déficit historique de 2,9 milliards d’euros en 2024. Il propose de réformer les indemnités journalières pour arrêt maladie, or l’essentiel de la hausse des indemnités journalières s’explique par l’augmentation des salaires et le vieillissement de la population, sachant par ailleurs qu’il est très difficile de montrer l’existence d’un niveau significatif de fraude ou d’abus.
Là encore, les plus malades seront les premiers ciblés mais aussi les plus précaires qui ont de petits salaires et/ou qui travaillent dans des entreprises qui ne financent pas les jours de carence.
Un risque de dégradation de l’état de santé
Les mesures envisagées sont bien entendu suspendues à une éventuelle chute du gouvernement le 8 septembre – et François Bayrou a annoncé le 5 septembre sur l’antenne de RTL qu’il ne signerait pas le décret sur le doublement des franchises médicales d’ici le vote de confiance – mais si elles étaient effectivement mises en œuvre, elles produiraient deux types d’effets sur les finances publiques. D’un côté, beaucoup de personnes seraient conduites à renoncer aux soins. D’un autre, pour les personnes qui seraient en mesure de payer, le remboursement de l’assurance maladie serait moindre. Comme il n’y a pas de faux malades, il faut envisager la dégradation de l’état de santé.
Comment interpréter cette politique ? L’objectif du gouvernement est probablement de revenir à l’a-normal, c’est-à-dire à un financement public des dépenses de santé proche de l’avant-2020, éventuellement au niveau des années 2010. En effet, sur la période 2010-2023, nous avons connu une socialisation des dépenses de soins de santé. La part de ces dépenses financées par la sphère publique (sécurité sociale et Etat) s’est accrue.
L’objectif de François Bayrou est d’inverser la tendance. En activant le signal prix, il s’agit avant tout de contenir la dynamique des dépenses en euros mais aussi la part des dépenses financées par la sphère publique.
La part de l’Etat dans les dépenses de santé ne cesse d’augmenter
Evolution du financement de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) par les administrations publiques, en %
Source : Drees, Comptes de la santé
En focalisant l’attention sur la nécessaire responsabilisation du patient, le gouvernement occulte les raisons de la hausse de la part publique du financement des soins. Or, celle-ci doit moins à la responsabilité des patients ou à la générosité de la politique publique qu’à des causes indépendantes de leur volonté.
Vieillissement et pandémie
La première raison de l’augmentation de la socialisation du financement des soins, bien avant le début de la pandémie, est la croissance du nombre de patients titulaires du dispositif ALD. Elle est principalement liée au vieillissement de la population. Les patients en ALD connaissent des dépenses de santé plus élevées et de meilleurs taux de remboursement publics, ce qui tire à la hausse la part publique du financement des soins de santé.
Ainsi, les personnes en ALD représentent 19,9 % de la population mais 67,3 % des dépenses de santé. Leurs dépenses sont remboursées à 91 % par la sphère publique contre 66,4 % pour les autres malades. Encore une fois, le dispositif ALD est très couvrant mais n’est pas un cadeau : les titulaires sont très malades et ils connaissent malgré tout cela des restes à charge supérieurs au reste de la population.
La seconde raison relève de la pandémie de Covid-19. Cette croissance de la part publique ne doit pas se mesurer uniquement à l’aune des dépenses exceptionnelles de la période 2020-2022 mais aussi à moyen et long terme. La maladie existe encore et produit des effets importants. Par ailleurs, elle a été à l’origine du Ségur de la santéqui se donne à voir essentiellement par des hausses de rémunération dont le coût annuel s’élève environ à 13 milliards d’euros. Le Ségur de la santé n’ayant pas donné lieu à des financements nouveaux, tout se passe comme si le recul des droits des patients servait à financer les hausses de rémunération des professionnels.
A tout cela, il faut encore ajouter la crise inflationniste qui a eu un large impact sur les dépenses de santé.
Enfin, et de façon plus marginale, la politique publique a aussi contribué à la hausse des financements publics des soins. Par exemple, la création de la couverture santé solidaire en 2019 (par la fusion de la couverture maladie universelle complémentaire et de l’aide au paiement d’une complémentaire santé) ou du dispositif 100 % Santé en 2021 ont contribué à un meilleur financement public.
Au total, les patients ne sont pas responsables de la hausse des dépenses de santé et de l’augmentation de la part publique de leur financement. Les besoins augmentent pour des raisons structurelles et du fait de chocs externes. Les patients ne sont pas coupables, pourtant ils sont culpabilisés et sanctionnés.
Cela évite de débattre de l’engloutissement progressif de l’offre de soin par le capitalisme sanitaire, où l’on trouverait plus probablement les gisements d’économies tant escomptés.
Cela empêche aussi de poser une question centrale : souhaite-t-on financer des besoins en hausse par des institutions publiques ou préfère-t-on que chacun se débrouille, laissant ainsi prospérer les inégalités et le non-recours ? François Bayrou a donné sa réponse, sans poser la question. S’il venait à ne pas résister au vote de confiance prévu le 8 septembre, la question restera ouverte pour le prochain gouvernement.
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