L’AME instrumentalisée : les soignants rappellent que la santé publique n’est pas un outil de police aux frontières
Le mercredi 3 septembre 2025 la presse a rendu public le nouveau projet de décret de réforme de l’Aide médicale de l’État. Ce dernier prévoit de modifier les conditions d’octroi de l’AME en excluant les personnes ne disposant pas d’une pièce d’identité avec photo et en actant la conjugalisation des ressources (pour le calcul du plafond d’attribution). Le projet prévoit également de réduire le panier de soins de l’Aide médicale de l’État en instaurant une obligation d’accord préalable de la sécurité sociale pour certains actes (kinésithérapie, lunettes, audioprothèses, soins prothétiques dentaires et transports sanitaires pour des soins programmés non urgents en ville) et en en excluant certains (la balnéothérapie).
L’annonce de ce projet de réforme, quelques jours seulement avant des échéances politiques susceptibles de modifier les équilibres en place, semble un geste de stratégie politicienne et un signal envoyé aux détracteurs de l’AME. Il vise une fois de plus à fragiliser et éloigner du soin, des personnes malades et vulnérables.
Les différents rapports sur l’AME ont déjà souligné le manque d’évaluation d’impact des restrictions successives déjà adoptées. Aucune efficacité de celles-ci n’a jamais été montrée sur le contrôle migratoire ; par contre les effets secondaires sur la santé publique et le système de santé sont déjà bien connus.
En tant que soignants, nous rappelons que la santé est un droit fondamental pour toutes les personnes présentes sur le territoire français et qu’elle ne doit pas devenir un objet de marchandage politique. Cette instrumentalisation d’un outil de santé publique reconnu par l’ensemble des experts est inacceptable pour les soignants. Elle expose encore le système de santé à des mécanismes de report d’activité vers les hôpitaux, de mise en tension et de d’impact budgétaire alors qu’il déjà fortement fragilisés.
Les deux premiers durcissements envisagés concernant les modalités d’octroi de l’AME vont mécaniquement exclure une proportion importante de femmes et d’hommes de toute possibilité de bénéficier de soins.
En effet, alors que la CNAM a conclu et répété que les fraudes à l’AME sont exceptionnelles, la proposition d’exiger la présentation d’un document d’identité avec photo va exclure celles et ceux qui, au cours de leur parcours migratoire le plus souvent long, complexe et douloureux, se sont fait voler, substituer, confisquer ou ont perdues leur document d’identité. Ce projet de décret souligne une méconnaissance majeure de l’exercice des soins auprès de cette population et des modalités d’échange avec les CPAM. Les contextes de vie (sans abrisme, parcours de migration…) ne préservent que rarement des documents d’identité avec photographie. Conditionner ainsi des soins organise des situations où les patients ne pourront être pris en charge.
Alors que le plafond de revenu pour bénéficier de l’AME est déjà très bas et pose des problèmes en excluant de toute prise en charge des soins les travailleurs sans papiers qui dépassent ce plafond, la situation va être aggravée avec l’introduction de la conjugalisation des ressources. Cette disposition va nettement augmenter le nombre de femmes sans papiers non éligibles à l’AME ou à aucun autre dispositif. L’ensemble de ces restrictions entraîne de fait une exclusion complète du système de santé, soit une situation injustifiable de non-respect des engagements de la France et des droits de l’homme. Pourtant tous les experts en santé publique, à commencer par l’Organisation Mondiale pour la Santé, s’accordent sur le fait qu’il faut maintenir un accès aux soins pour tous.
Les annonces sur la restriction du panier de soins de l’AME sont des annonces symboliques déconnectées de la réalité du terrain et de l’usage qui est réellement fait de l’AME (traitements, consultations, hospitalisations, prévention) et qui ne rembourse déjà pas ou quasiment pas les frais de balnéothérapie, de lunettes, d’audioprothèse, et de prothèses dentaires. Elles sont aussi dangereuses en risquant de retarder ou d’empêcher les soins et la rééducation pourtant nécessaires des personnes gravement malades relevant d’un transport sanitaire ou de kinésithérapie. Les études de l’IRDES ont démontré que les bénéficiaires de l’AME ne surconsomment pas de soins tandis que d’autres travaux ont permis d’observer que pour une même maladie, les hospitalisations sont plus longues et plus coûteuses lorsque les malades n’ont pas accès à l’AME.
Depuis toujours, les soignants ont tenu une position unanime et stable dans le temps de défense de l’Aide médicale de l’Etat. Certains membres du gouvernement expliquent que cette réforme correspond aux conclusions du rapport Stefanini Evin (élaboré à la demande de l’ancienne Première ministre Elisabeth Borne fin 2023 quand l’AME était attaquée par une partie de l’échiquier politique), rapport interprété comme équilibré et qui selon eux ne serait pas contesté. Or, certaines des conclusions de ce rapport ont fait l’objet de vives contestations immédiates, répétées et régulières de la part des soignants et de nombreux acteurs de la société civile comme cela est notamment rappelé dans certains documents de positionnement. Pour mémoire, ces prises de positions avaient pris la forme de la tribune des « 3000 » dans le journal Le Monde en novembre 2023 en réaction à la proposition du Sénat de supprimer l’AME, d’un communiqué de presse inter-sociétés savantes représentant 15 sociétés, réaffirmé 4 mois plus tard, de recommandations claires des instances d’expertise en santé publique, ou encore d’articles scientifiques dans les plus grandes revue scientifiques internationales. Les revendications des soignant.es pour améliorer l’accès aux soins des patients et leurs conditions de travail ont été nombreuses au cours des dernières années mais la remise en cause de l’AME, n’en a jamais fait partie.
Ainsi, nous, soignants, appelons le gouvernement à retirer ce projet de décret, à conserver et à dépolitiser l’Aide médicale de l’état et à supprimer le plafond de revenu existant et toutes les exigences de pièces administratives injustifiées afin de garantir un accès effectif au droit à la santé pour tous en France.
Premiers signataires
Dr Julie Chastang, Médecin généraliste, Centre municipal de santé de Fontenay-sous-bois ; Pr Anne-Laure Féral Pierssens, Chef du service Urgences-SAMU, Bobigny; Dr Rémi Julien Laporte, Responsable de la PASS pédiatrique de l’AP-HM; Dr Olivier Milleron, Cardiologue, Hôpital Bichat; Muriel Schwartz, Cadre socio-éducatif, Coordination régionale des PASS région PACA; Pr Nicolas Vignier, Chef du service des maladies infectieuses, Hôpital Avicenne
Pour signer en fin de texte
https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSfOdoFgWrTyO7cooNiEHMZUOsj2LIgWmgGaUCgipkXYGBswig/viewform
Voir aussi:
https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/migrants/actualites/notre-position-ame.pdf
https://www.srlf.org/article/soignants-toujours-unis-sauvegarde-laide-medicale-letat-ame
https://www.infectiologie.com/UserFiles/File/spilf/communiques/communique-ame-v8.pdf
https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=1405
https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(23)02718-6/fulltext
« Une offrande à l’extrême droite » : comment le gouvernement Bayrou veut restreindre l’Aide médicale d’État par décret
Des projets de décrets pour restreindre l’Aide médicale d’État (AME) ont été soumis pour avis au conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam) par le gouvernement. Un gage de bonne volonté sur le dos des exilés, à quelques jours du vote de confiance, à destination des LR du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, et du Rassemblement national emmené par Marine le Pen à l’Assemblée.
4min
Publié le 3 septembre 2025 https://www.humanite.fr/societe/aide-medicale-detat/aide-medicale-detat-comment-le-gouvernement-bayrou-veut-restreindre-lame-par-decret#


Le premier ministre François Bayrou rencontre Marine Le Pen et Jordan Bardella à l’Hôtel Matignon à Paris, en France, le 16 décembre 2024.
© Elodie Grégoire/ABACAPRESS.COM
En sursis jusqu’au vote de confiance le 8 septembre prochain, le gouvernement fait feu de tout bois. Outre ceux révélés par l’Humanité rabotant le remboursement des soins, d’autres projets de décrets ont été soumis pour avis au conseil de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam). Cette fois, ils concernent l’Aide médicale d’État (AME) dont l’exécutif entend réduire le panier de soins et renforcer les critères d’accès. Un gage de bonne volonté sur le dos des exilés à destination des LR du ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau, et du Rassemblement national emmené par Marine le Pen à l’Assemblée.
Cheval de bataille de ces derniers, la destruction de l’AME, qui permet aux étrangers en situation irrégulière et aux revenus très faibles d’avoir une couverture à 100 %, est un danger pour la santé publique comme ne cessent de le marteler les professionnels. « Faute de prise en charge, l’état de santé des personnes s’aggrave et il existe un risque de propagation », rappelait dans nos colonnes, prenant l’exemple de la tuberculose, le professeur Antoine Pelissolo à l’initiative de l’appel à « désobéir » à la suppression du dispositif signé par des milliers de médecins fin 2023.
Mais le gouvernement avance tout de même ses billes sur ce terrain tout en affirmant que « les mesures proposées ne remettent nullement en cause le dispositif de l’AME, mais constituent des ajustements conformes aux recommandations du rapport Evin-Stéfanini », selon les termes du ministère de la santé contacté par l’AFP.
« Après s’en être pris aux chômeurs, aux malades, on s’attaque aux immigrés »
Avec ses projets de décrets, l’exécutif veut« soumettre à accord préalable » certains soins aujourd’hui accessibles sans cette condition après neuf mois de présence sur le territoire : certains actes de masso-kinésithérapie, les lunettes, les audioprothèses, les soins prothétiques dentaires et les transports sanitaires pour des soins programmés non urgents en ville, indique le ministère. Il veut également en exclure d’autres du panier comme la balnéothérapie, réviser les pièces justificatives demandées ou encore restreindre l’accès à l’AME en prenant « en compte les revenus des membres du foyer dans l’appréciation de la condition de ressources ».
Cette dernière disposition avait été défendue dans un rapport sénatorial en juillet dernier. « Cette mesure contraindra des centaines de milliers de femmes en France à obtenir l’autorisation de leur conjoint pour se soigner et forcera des dizaines de milliers de victimes de violences conjugales, de proxénétisme ou de traite des êtres humains à demander l’autorisation de leur agresseur pour accéder à des soins post-violences », expliquait alors l’ONG Women for Women France.
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« Après s’en être pris aux chômeurs, aux malades, on s’attaque aux immigrés », a dénoncé auprès de l’AFP Dominique Corona, secrétaire général adjoint de l’UNSA, membre du conseil d’administration de la Cnam. Selon lui, la Cnam doit donner son avis en commission mardi prochain, au lendemain du vote de confiance, mais les syndicats, opposés à ces projets de décrets, veulent qu’ils soient examinés en conseil d’administration deux jours plus tard.
Les réactions n’ont pas tardé non plus du côté de la gauche. « Comme dernier acte de gouvernement, l’hériter du centre droit démocrate français fait à l’extrême droite l’offrande de la restriction des soins de l’AME. La santé et la dignité humaine sacrifiées par un misérable politicien », a fustigé sur X le député Génération.s Benjamin Lucas. « Bayrou désespéré profite de ses derniers jours à la tête du gouvernement pour répondre aux obsessions racistes du RN. Au mépris total de l’avis de la communauté médicale », a également réagi sur le même réseau social l’eurodéputée LFI Manon Aubry. Sur LCI, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a taclé un premier ministre qui cherche à « sauver sa tête à tout prix » avec des « clins d’œil à l’extrême droite ».