Alors qu’en France, les médecins restent largement opposés à toute contrainte à leur liberté d’installation, d’autres pays ont activé des mesures de régulation diverses.

Déserts médicaux : « Tous les pays sont confrontés à des inégalités territoriales d’offre de soins »

Alors que le gouvernement lance les missions de solidarité territoriale pour envoyer des médecins en renfort dans des zones dites « sous-denses », le chercheur Guillaume Chevillard décrypte les mesures de régulation prises à l’étranger. 

Propos recueillis par Publié aujourd’hui à 13h00, modifié à 15h03 https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/09/08/deserts-medicaux-tous-les-pays-sont-confrontes-a-des-inegalites-territoriales-d-offre-de-soins_6639968_3224.html

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L’envoi de médecins généralistes en renfort dans les territoires qui en manquent, au titre d’une mission de solidarité territoriale, mesure-clé du plan Bayrou pour lutter contre les déserts médicaux annoncé au printemps, démarre en septembre. Alors qu’en France, les médecins restent largement opposés à toute contrainte à leur liberté d’installation, d’autres pays ont activé des mesures de régulation diverses. Guillaume Chevillard, chercheur à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, en dresse un panorama.

Le débat sur la régulation de l’installation des médecins a déjà été tranché dans de nombreux pays. Pour aboutir à quoi ?

On parle, en France, de « régulation » au singulier. Mais, si on regarde au-delà de nos frontières, le pluriel s’impose : le contrôle du lieu d’installation des médecins prend des formes différentes. En Allemagne, réguler revient à limiter l’arrivée de nouveaux médecins dans les zones du territoire les mieux dotées – c’est ce vers quoi tend la proposition de loi Garot adoptée en première lecture à l’Assemblée début mai. Dans les pays scandinaves, l’installation des médecins libéraux est soumise à une contractualisation avec les autorités locales. Celles-ci peuvent, ou non, l’accepter. Dans d’autres pays aux systèmes de santé plus éloignés du nôtre – le Venezuela, l’Inde, le Mexique ou la Malaisie – il y a, pour les nouveaux médecins, un « service obligatoire » à rendre pour une durée donnée. Ce service obligatoire temporaire existe aussi en Australie ou en Nouvelle-Zélande, mais concerne seulement les médecins avec un diplôme étranger.

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La démographie médicale, dans ces pays, était-elle aussi déficitaire qu’en France ?

Ces pays ne connaissent pas tous des situations de désertification médicale comme en France, mais tous sont confrontés à des inégalités territoriales en termes d’offre de soins. La question est universelle : on identifie dans tous les pays, quel que soit leur niveau de développement économique, et quel que soit leur système de santé, ce qu’on appelle des zones « sous-denses ». Et c’est souvent plus visible et plus aigu dans les zones éloignées, les territoires ruraux.

A-t-on pu évaluer l’impact des mesures de régulation ?

C’est la question centrale. On manque de travail de recherche, sur le long terme, pour en cerner les effets et mesurer un impact causal de ces dispositifs. Concernant les modèles de régulation construits autour d’un service obligatoire, les études disponibles tendent à montrer que les effets sont plutôt court-termistes. Les médecins y exercent le temps demandé, mais n’y restent pas. Concernant l’Allemagne, des éléments de bilan laissent penser que les mesures ont davantage profité aux petites villes qu’aux zones rurales.

En France, les infirmiers, les kinésithérapeutes, les chirurgiens-dentistes ont, eux, accepté d’être « régulés ». Pour quels effets ?

Ces autres professionnels de santé ont accepté la régulation de l’installation dans le cadre des négociations avec l’Assurance-maladie. Pour les infirmiers, cela date de 2012, mais la situation n’est pas comparable avec celle des médecins : ces professionnels sont nombreux, leur croissance démographique est assez soutenue depuis vingt ans, sur tous les territoires. Selon nos recherches, le zonage appliqué a bien conduit à un tassement de l’installation des infirmiers dans les zones qui étaient les mieux dotées.

Dans le même temps, leur densité a augmenté dans des zones initialement sous-dotées. En parallèle, des incitations financières ont eu une influence modeste mais significative. On a ainsi mesuré, progressivement, une réduction des écarts territoriaux. Cela ne veut pas dire que les territoires ont des densités de même niveau, mais elles convergent, se rapprochent… Comme le disent les porte-parole de cette profession, il n’existe pas aujourd’hui de « déserts infirmiers ».

D’autres leviers de renforcement de l’accès aux soins sont-ils mieux documentés ?

Il est un levier pour lequel on dispose de plus de « preuves », c’est celui de la formation médicale. Recruter davantage d’étudiants ruraux, développer des filières d’études dans les zones sous-denses, des offres de stages… tout cela a un impact positif sur les installations futures. Comme cela a pu être mesuré dans les comparaisons internationales. Les incitations financières (hausses d’honoraires, exonérations fiscales, aides à l’installation…) ont, au mieux, des effets de court terme qui, d’après les études disponibles, profitent le plus aux jeunes médecins.

https://podcasts.lemonde.fr/le-monde-festival-international-de-journalisme-les-rencontre/embed/v2/202508230400-pourquoi-la-france-fait-face-aux-deserts-medicaux?embedv=v2&utm_campaign=Festival+international+de+journalisme+%3A+les+rencontres+en+podcast&utm_medium=organic&utm_source=embed&utm_content=Pourquoi+la+France+fait+face+aux+d%C3%A9serts+m%C3%A9dicaux

En France, les autorités continuent de jouer la carte des incitations, et, de plus en plus, aussi, l’option de la « délégation de tâches » entre professionnels de santé (vaccination, certificat de décès par exemple), ou celle de l’« exercice coordonné ». On demande aux soignants de s’organiser entre eux et de travailler de manière coordonnée pour le suivi des patients. Avec des effets positifs sur l’augmentation de la patientèle des médecins concernés. Ce que l’on peut souligner en observant la manière dont ces leviers sont activés à l’étranger, c’est qu’aucun n’est considéré, à lui seul, comme une réponse unique ou une recette miracle.

Voir aussi

Vote de la loi Garot à l’assemblée pour une décision édulcoré de régulation des installations https://environnementsantepolitique.fr/2025/05/09/61965/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/03/25/seuls-435-medecins-generalistes-sur-2300-seraient-potentiellement-concernes-chaque-annee-par-la-proposition-de-loi-garot/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/04/15/loi-inter-partisane-garot-quest-ce-que-cest/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/03/31/60570/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/05/02/il-y-a-des-medecins-qui-sont-pour-une-regulation-des-installations/

https://environnementsantepolitique.fr/2023/02/12/interview-de-guillaume-garot-est-le-depute-a-lorigine-de-la-proposition-de-loi-transpartisane-si-decriee-par-les-medecins-qui-souhaite-reguler-linstallation-des-medecins-liberaux/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/04/11/au-senat-une-nouvelle-proposition-de-loi-en-faveur-dune-regulation-des-installations-pour-generalistes-et-pour-les-specialistes/

https://environnementsantepolitique.fr/2025/04/13/lassociation-des-maires-de-france-amf-a-recemment-pris-position-contre-la-regulation-de-linstallation-des-medecins-telle-que-prevue-par-la-proposition-de-loi-garot/

https://environnementsantepolitique.fr/2024/08/14/regulation-de-linstallation-des-medecins-10-raisons-pour-lesquelles-cest-une-mauvaise-idee/

https://environnementsantepolitique.fr/2024/08/14/regulation-de-linstallation-des-medecins-10-raisons-pour-lesquelles-cest-une-mauvaise-idee/

https://environnementsantepolitique.fr/2023/01/12/le-dr-thomas-mesnier-majorite-depute-revient-a-la-charge-pour-la-regulation-des-installations-et-lobligation-de-garde-proposition-de-loi-en-mars/

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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