Les mots GPA et Éthique sont-ils conciliables ?

Une GPA éthique est-elle possible ?

Aurélie Haroche| 29 Août 2025 https://www.jim.fr/viewarticle/gpa-éthique-elle-possible-2025a1000mwe?ecd=wnl_all_250907_jim_top-jim_

L’ancien Premier ministre, Gabriel Attal a fait une rentrée remarquée (même si elle a été éclipsée rapidement par une sortie encore plus remarquée de son successeur). Le secrétaire général de Renaissance a en effet annoncé le lancement d’une « convention thématique » au sein du parti présidentiel dont l’objet sera de réfléchir à la gestation pour autrui (GPA). Pour Gabriel Attal qui s’est déjà exprimé en faveur de cette pratique (strictement interdite en France), ce débat s’impose en raison des questions d’égalité qu’il soulève et tandis qu’une refonte des lois de bioéthique est prévue en 2026 (théoriquement mais les tumultes politiques pourraient bouleverser ce calendrier qui avait déjà été malmené lors des révisions précédentes). Beaucoup d’observateurs ont fait remarquer qu’outre les convictions personnelles de Gabriel Attal, cette prise de position était également sans doute l’occasion pour lui d’établir une différence avec le Président de la République, Emmanuel, Macron qui a toujours considéré la légalisation de la GPA comme une « ligne rouge ». nullLISEZ LA SUITE CI-DESSOUS 

Une opinion favorable à la légalisation de la GPA 

En tout état de cause, le débat est sensible en France. La classe politique reste assez réservée et majoritairement hostile. Qu’il s’agisse de la marchandisation des corps et le risque d’exploitation des plus vulnérables qui inquiètent certainement à gauche mais aussi à droite ou de la représentation classique de la maternité que défendront peut-être plus certainement les élus conservateurs, rares sont ceux qui se risquent à envisager une brèche. A contrario, au sein de l’opinion publique une mue profonde est observée. Même si les résultats des sondages sur de tels sujets peuvent parfois être difficiles à interpréter, on note néanmoins qu’en 2022, une majorité de Français se déclarait favorable à la légalisation de la GPA, qu’elle concerne les couples hétérosexuels (75 %) ou homosexuels (59 %). Ces données revélent que l’initiative de Gabriel Attal s’appuie sur un socle relativement solide. 

Leurre ou pragmatisme ? 

Qu’il s’agisse de Gabriel Attal ou des Français, ce qui est le plus souvent défendu, c’est la pertinence de poser les bases d’une GPA « éthique ». Certains vont plus loin en assurant que la GPA « éthique » serait un rempart face aux dérives des pays étrangers : puisque la France ne peut empêcher ces dernières, elle se devrait d’encadrer une pratique aussi équitable que possible pour les femmes, les couples et les enfants. 

Mais pour beaucoup d’opposants, une GPA éthique est un leurre : la marchandisation finira toujours pas s’imposer, exposant les femmes les plus vulnérables à des risques non maîtrisés. Une telle perception bien sûr traduit une faible foi dans les capacités des organismes de contrôle, mais elle marque surtout la conviction que la GPA, même gratuite, même « altruiste », est par essence incompatible avec l’éthique. null

Ainsi, une GPA éthique se fonderait sur un consentement éclairé des mères. Au Québec par exemple, « tant les parents d’intention que la femme qui prévoit de porter l’enfant devront par ailleurs participer à une séance d’information psychosociale conduite par un membre d’un ordre professionnel désigné (un psychologue ou un travailleur social) », détaillaient dans une tribune publiée par Le Monde, l’anthropologue Chantal Collard et la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval. Une telle réunion est sensée permettre de construire ce consentement et de rappeler à chacun leurs droits et leurs devoirs. Plus globalement, maitre de conférences à l’Université Sorbonne Paris Nord, Valérie Depadt affirme dans la Croix : « Dès lors que sont respectés les grands principes relatifs au corps humains inscrits dans le Code civil depuis la loi de bioéthique de 1994, notamment ceux de non-patrimonialité et de respect d’un consentement libre et éclairé, sous le contrôle et la protection d’une instance sanitaire indépendante, on ne voit pas quels arguments opposer à une légalisation en France de la GPA ». nullnull

L’analyse est contestée par beaucoup. D’abord, parce que la sincérité et l’indépendance complètes de ce consentement seraient particulièrement difficiles à garantir. « Une directive européenne récente sur la prévention de la traite des êtres humains prévoit qu’« il convient d’inclure l’exploitation de la gestation pour autrui, […] dans les formes d’exploitation visées dans ladite directive, dans la mesure où les éléments constitutifs de la traite des êtres humains sont réunis, y compris le critère des moyens. Plus particulièrement, en ce qui concerne la traite aux fins de l’exploitation de la gestation pour autrui, la présente directive cible les personnes qui forcent les femmes à être mères porteuses ou qui les amènent à agir ainsi par la ruse. » Or, en plus de « la ruse » mentionnée par cette directive pourtant fort limitée, la définition de la traite des personnes (Protocole de Palerme) précise, parmi les moyens, la tromperie, l’abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité ; et elle montre clairement que le consentement d’une victime de la traite à l’exploitation envisagée est indifférent lorsque l’un des moyens a été utilisé », rappelaient dans un texte publié par Marianne Ana-Luana Stoicea-Deram et Marie-Josèphe Devillers, coprésidentes de Coalition internationale pour l’abolition de la maternité de substitution (CIAMS).Gabrielle Siry-Houari, militante féministe et adjointe au maire du XVIIIème arrondissement de Paris complète sur X : « Le consentement, si tant est qu’il puisse libre, n’y change rien : on n’est pas libre d’aliéner sa propre dignité. Depuis l’abolition de l’esclavage, on ne peut consentir à être esclave (les libéraux à l’époque mettaient aussi en avant la « liberté » et le fait qu’il y ait des volontaires). C’est aussi la raison pour laquelle, même si l’on y consent, on ne peut par exemple pas être « lancé » dans le cadre d’un jeu, ni vendre ses organes». 

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Mon corps, mon choix… jusqu’à la GPA ? 

Face à de tels arguments, d’aucuns font remarquer que le « don » est pour sa part possible. Ainsi, à propos du don de rein, la journaliste Ariane Nicolas notait dans Philosophie magazine : « Depuis la loi bioéthique de 2011, « le donneur peut également être toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur »La nature de ce lien affectif peut être plus large que le couple hétérosexuel. Là encore, la loi prévoit déjà qu’un don de nature corporelle soit effectué de manière volontaire et discriminante ». Même si cette comparaison entre un rein (organe vital pour le receveur malade) et un enfant (personne vivante et autonome mais pas vitale pour la personne qui l’élèverait) pourra être discutée, la journaliste estime que de la même manière il devrait pouvoir être envisagé que chaque femme devrait être libre de vouloir donner l’enfant qu’elle a porté. « Depuis une quinzaine d’années, la plupart des arguments avancés dans le débat sur la gestation pour autrui (GPA) mettent en concurrence deux grandes revendications : le droit, pour les hommes homosexuels, d’accueillir et d’élever des enfants portés par des femmes faisant don de leur nourrisson ; et celui des femmes en général à être protégées contre une éventuelle marchandisation de leurs corps. Cette approche penche aujourd’hui en faveur du second argument, puisque la GPA est interdite en France. Elle occulte toutefois une autre dimension de la discussion, à savoir le point de vue de la gestatrice elle-même : soit le droit pour une femme de donner son bébé. C’est en adoptant cette perspective que j’ai changé d’avis sur la GPA. Au fil de mes expériences personnelles et de mes réflexions, j’ai fini par ne plus comprendre ce qui m’interdisait, en tant que femme, de donner un enfant que j’aurais porté. Je vais tenter ici de m’en expliquer. D’abord, rappelons une évidence. Il est déjà autorisé en France d’accoucher sous X, donc d’« abandonner » son enfant à la naissance (…). Il est par ailleurs autorisé de tomber enceinte d’un homme gay qui souhaiterait avoir un enfant, et de le laisser l’élever seul si le cœur nous en dit. Il est enfin autorisé de donner ses gamètes, donc une portion d’enfant à venir. Autrement dit, l’idée qu’un enfant devrait rester auprès de sa mère tout au long de sa vie est largement battue en brèche. Dans les faits comme dans la loi, le don d’enfant existe déjà. D’ailleurs, cette idée semble déjà acceptée par une partie des femmes en capacité de procréer », détaillait-elle. Elle invitait également à prendre certaines distances avec l’image classique de la maternité, associée forcément à l’accouchement et remarquait : « Cette idée rive les femmes à leur statut de mère, comme si celui-ci advenait dès la naissance et non, progressivement, par le contact tactile, vocal, par la pure co-présence avec l’enfant. On ne naît pas mère en donnant naissance, on le devient en élevant un enfant au jour le jour ». null

Dépasser les considérations symboliques : le point de vue de gynécologues 

Aussi difficile puisse-t-elle nous paraître, la décorrélation entre l’accouchement et la maternité (qui connaît pourtant de nombreux exemples) permet sans doute (si l’on oublie un instant les innombrables questions essentielles liée à la marchandisation) une autre appréhension de la GPA. Reste cependant, prégnante notamment pour les professionnels de santé, celle du risque. Peut-on accepter, que même consentante, une femme prenne un risque aussi important, alors qu’aucune vie n’est en jeu (contrairement au don de rein). Sur ce point, on lira l’intéressante observation du Dr Margot Lherbet (service de biologie de la reproduction, CHU de Montpellier) et des Pr Samir Hamamah (chef du service de biologie de la reproduction-Cecos, CHU de Montpellier et président de la Fédération d’étude de la reproduction (FFER)) et François Olivennes qui dans le Monde remarquaient : « D’un point de vue médical, rappelons que la GPA et la transplantation utérine (TU) sont les seules solutions médicales à l’infertilité utérine absolue, un ensemble de conditions de santé qui empêchent une femme de mener une grossesse. En France, la première semble susciter plus de questionnements éthiques et moraux que la deuxième, qui pourtant est loin d’en être exempte. L’Agence de la biomédecine a autorisé plusieurs TU, sans que cela déclenche de polémique, alors pourtant qu’elle suscite au moins autant de questions que le don d’organes d’un donneur vivant, qu’elle impose une grossesse sous immunosuppresseurs à la receveuse et le retrait de l’utérus donné après la naissance ». On pourra objecter que la transplantation d’utérus demeure l’objet de controverses marquées dans la communauté médicale. Néanmoins, ces praticiens peuvent légitimement avancer que la différence de traitement entre la GPA et la greffe d’utérus est liée à notre représentation « symbolique » de la maternité. Aussi, ils invitent : « Il faut recentrer le débat autour de la femme porteuse sans plaquer une morale occidentale sur l’expérience de femmes aux situations socioculturelles bien distinctes des nôtres. En France, la question de la femme porteuse incarne la classique opposition de principes entre la dignité humaine et la libre disposition de soi qui justifie qu’un individu puisse utiliser son corps. A l’étranger et dans de nombreuses publications en sciences humaines et sociales françaises, la perspective est plus pragmatique et nuancée en portant sur les conditions matérielles des choix des femmes porteuses, en ce qu’elles conditionnent l’exercice de leurs droits, plutôt que la moralité intrinsèque de la pratique ». 

L’illusion des garde-fous

Ces réflexions philosophiques sans doute essentielles semblent cependant s’inscrire dans un cadre utopique alors que le risque de marchandisation, du corps des femmes mais aussi des enfants est bien loin d’être marginal. 

Les exemples de pays étranger où des GPA éthiques ont été mises en place sont-ils rassurants ? Pas forcément. « Là où une GPA « encadrée » ou « éthique » existe, comme au UK, on débat désormais de permettre la commercialisation, faute de femmes volontaires pour mettre à disposition leur utérus sans rémunération. L’offre ne satisfait pas la demande donc ça ne peut rester éthique très longtemps. Nous sommes dans le cadre d’un marché mondialisé, donc les couples continueront d’aller à l’étranger acheter des GPA, soit faute « d’offre » suffisante en France, soit parce que les conditions leur conviennent mieux à l’étranger. C’est ainsi que beaucoup d’Américains vont acheter une GPA en Ukraine dans des usines à bébés très peu encadrées, alors même que la GPA est légale aux USA », expose Gabrielle Siry-Houari. Ces exemples suggèrent combien pourraient être fragiles les garde-fous, alors que la protection des femmes et des enfants ne tolère aucune exemption. nullLISEZ LA SUITE CI-DESSOUS 

Pour l’ONU, la GPA doit disparaître sous toutes ses formes

Ainsi, on le voit, Gabriel Attal a confié à ses collègues de Renaissance (nom de parti plus que jamais d’à-propos) une bien complexe réflexion. Mais outre l’ensemble des écrits philosophiques, médicaux (incluant les études sur le devenir des enfants qui ne semblent pas signaler de surrisque) et juridiques, les élus macronistes choisiront peut-être tout simplement de s’en remettre à un très récent rapport de l’ONU sur le sujet. Présenté à l’Assemblée générale des Nations unies le 14 juillet, il sera soumis à la session d’automne de l’ONU et préconise la fin de la GPA sous toutes ses formes, y compris prétendument « éthiques », en raison de l’inconcevable et indigne marchandisation et réification des femmes et des enfants. Voilà qui bouscule peut-être un peu l’agenda de Gabriel Attal.

Une GPA éthique est-elle possible ? 

Jeudi 4 septembre 2025

https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-de-la-grande-matinale/le-debat-du-7-10-du-jeudi-04-septembre-2025-9538999

Daniel Borrillo, juriste spécialiste de bioéthique, maître de conférences à Paris-X, chercheur associé au CNRS, co-auteur de l’ouvrage « Penser la GPA » (L’Harmattan) et Sylviane Agacinski, philosophe et membre de l’Académie française, autrice de « Corps en miettes » (Flammarion) sont nos débatteurs.

Avec

  • Daniel Borrillo, juriste, professeur à l’Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, chercheur associé au CNRS
  • Sylviane Agacinski, philosophe, a enseigné au lycée Carnot à Paris et à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Élue en 2023 à l’Académie Française

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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