Le courage d’Amélie, ou celui d’Aurélia ?
Impitoyables avec les faibles, serviles avec les puissants : la voici, leur vertu.

Publié le 8 juillet 2025 https://fakirpresse.info/le-courage-damelie-ou-celui-daurelia/
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« Nous serons le gouvernement du courage, parce que c’est le dernier moment pour en avoir. »
Les Français ne le savent pas, ces ingrats, mais ils ont un gouvernement « courageux ».
C’est Amélie de Montchalin, ministre des Comptes publics, qui devise ainsi. Elle veut tailler dans les effectifs de fonctionnaires, les agents territoriaux, les agences de l’état. Les rapports successifs de la Défenseure des droits ont beau rappeler que les citoyens, sur le terrain, sont désemparés face à l’abandon des services publics, insister sur la déshumanisation qu’a créée la suppression des postes, qu’importe. « Ce n’est pas tabou », précise la ministre. Bien sûr que non : seuls ceux qui manquent de « courage » ont des tabous. D’ailleurs, Amélie de Montchalin, la mine froide et l’œil tranchant de celle qui n’hésite pas une seconde à imposer des sacrifices aux autres, prend le peuple à témoin (c’était sur RTL), et prévient : « Tous les agents qui gèrent de l’argent public sont sous le regard des Français. » Pas de choix : ils seront bien forcés de tailler dans les dépenses, ces couards, puisque les Français les regardent, et les exigent, ces coups de tronçonneuse. D’un même souffle, elle se pare de la légitimité populaire, elle à qui les électeurs ont pourtant dit « non » quand elle s’est représentée devant eux, en 2022.
Elle sait ce que c’est, elle, d’avoir le courage de retrouver du travail. élue sur la vague macroniste en 2017, Amélie perd son poste de ministre en même temps que son mandat de députée cinq ans plus tard, c’était la règle annoncée. Bon, trois mois après, la voilà nommée, par le Conseil des ministres qu’elle vient de quitter, ambassadrice française auprès de l’OCDE. Ce qui est, avouons-le, une manière plus efficace pour retrouver un poste correct que passer par les agences France Travail, qu’elle supprime d’ailleurs.
D’autant que sitôt nommé à Matignon, fin 2024, François Bayrou fait à son tour appel à elle. C’est qu’il a besoin de femmes courageuses pour supprimer 100 000 postes de fonctionnaires… François, lui aussi, est« courageux ». Il nous avait prévenus, lors de sa déclaration de politique générale. Juste après avoir salué « les efforts courageux du gouvernement d’Élisabeth Borne » (c’est-à-dire imposer la « réforme » des retraites en 49.3, contre l’avis du peuple et des députés), il l’a assuré : « Quand tout paraît aller mal, on est contraint au courage. »Être « contraint au courage », obligé de faire usage de ses vertus à son corps défendant : existe-t-il plus belle preuve de don de soi ?
Tout ça, toutes ces démonstrations de « courage » s’inscrivent dans un objectif précis : retrancher, encore, 40 milliards au budget pour 2026.
Car oui, pardon, on l’oublierait presque : ici, leur « courage » est de tailler dans les dépenses sociales, de réduire les droits. De taper sur les plus fragiles, tout en continuant à favoriser les plus fortunés, comme ils le font depuis trente ans, de suppression de l’ISF en baisse des droits des chômeurs, coups de rabots sur les aides sociales, sur les APL, retraite à 64, 66 ans… Leur courage, c’est d’être impitoyables avec les faibles, serviles avec les puissants. Ça ne date pas d’aujourd’hui. « Le projet de réforme des retraites, supprimer le statut de la SNCF, c’était courageux ! », pérore Édouard Philippe, l’ancien Premier ministre déjà candidat pour 2027, actuellement en tournée promotionnelle de son propre courage. La suppression de l’ISF, soit trois milliards en moins pour le social ? « J’assume de prendre des mesures courageuses. » C’est beau, « d’assumer » à ce point.
« On a rien, mais on n’est pas là pour mendier. »
Voilà, concrètement, ce « courage » dont ils se vantent : celui de maintenir sous l’eau la tête de l’auxiliaire de vie mal payée qui cherche à respirer, d’appuyer bien fort sur celle du chômeur en fin de droits qui ne peut plus se loger, de l’étudiante qui ne mange plus, de la maman qui élève seule ses gosses, enfoncer, noyer, les caissières, les ouvriers, les caristes, les infirmières… « à 900 € par mois je m’en sortais. Je ne sortais jamais, pas de loisirs, mais je m’en sortais. Mais avec la nouvelle réforme, je suis passée à 700 €, ce n’est pas possible. Je paye le crédit pour la maison de 600 €, je m’achète à manger et voilà… Je ne peux plus payer mes factures. Eau, gaz, électricité, ça fait deux mois que je ne les ai pas payées. C’est plus que ric-rac… » C’est Aurélia, aide pour enfants polyhandicapés dans une petite ville du Loiret, qui nous racontait son quotidien, après une énième réduction des droits des chômeurs, sous Gabriel Attal ou l’un de ses clones, je ne sais même plus. Elle enchaînait les CDD depuis dix ans et s’était retrouvée au chômage la veille. « Pourtant, j’ai toujours bossé, toujours payé mon loyer. Ça m’angoisse vraiment. On n’a rien, dans ma famille. Et je ne peux même pas aider mon fils.
— Tu manges à ta faim ?
— Les fins de mois sont compliquées… Mais je veux dire une chose : on n’est pas assistés. On n’est pas là pour mendier. Comment aider les autres si je ne peux pas vivre moi-même ? »
Aurélia a ensuite retrouvé du boulot, dans le social, comme médiatrice, « précaire à s’occuper des précaires ». « On voit des trucs horribles, vraiment. Psychologiquement, c’est compliqué. On remplace des institutions et des services publics où il n’y a plus personne. » Ces fameux services publics dont la courageuse Amélie de Montchalin vire les agents.
J’ai reçu un mail, voilà deux jours. Une maman qui ne pouvait pas inscrire sa fille de huit ans à la natation, parce que le pass Sport, l’aide jusque-là attribuée aux gamins pour rejoindre une association, a été supprimé, vidé de sa substance. Une autre décision pleine de courage. « Voilà, ma petite fille, faudra qu’elle attende encore six ans pour nager, à présent il faut avoir 14 ans pour en bénéficier… Je suis fatiguée, j’ai l’impression de passer ma vie à courir après les reliquats et autres promotions qu’on me jette pour vivre (lorsque l’on me permet de les récupérer). Je suis enseignante, bac+5, maman solo et clairement je vide mes comptes en banque, j’arrive dans le rouge tous les mois, en prenant pourtant des heures sup. Pourquoi ? Pour tenter de divertir et construire ma fille un tant soit peu, mais ça ne va bientôt plus être possible… »
Je vous révèle un scoop : je préfère le courage de cette maman, ou celui d’Aurélia, ou du père de famille qui, à l’usine ou intérimaire, ne voit pas grandir ses gosses, au « courage » d’Amélie de Montchalin, d’Édouard Philippe, de François Bayrou, d’Élisabeth Borne et Gabriel Attal réunis.
Il nous faudra juste un peu de courage supplémentaire pour les dégager, et ne plus dépendre de leur idéologie.