Le doublement des franchises médicales, une mesure inflammable en suspens
Les projets de décrets instaurant une hausse des sommes restant à la charge des patients sur les boîtes des médicaments ou les consultations médicales ont été rejetés par le conseil de la CNAM, dont l’avis est consultatif.

Un gouvernement en sursis peut-il faire passer, en toute dernière minute, la mesure inflammable d’une hausse des franchises médicales, les sommes restant à la charge des assurés sur les boîtes de médicaments ou encore les consultations médicales, qu’il entend doubler pour faire des économies sur la santé ? Le scénario met en tout cas en émoi médecins comme patients.
Les trois projets de décret actant cette mesure, parmi les plus contestées depuis que François Bayrou a dressé les grandes lignes de son projet de budget 2026, à la mi-juillet, ont, jeudi 4 septembre, été rejetés par le conseil de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM). Le gouvernement les lui avait soumis au début d’août.
Le verdict de cette instance, composée de représentants des syndicats de salariés, des employeurs ou encore des mutuelles et des associations de patients, et dont l’avis est consultatif, n’est pas une surprise : le conseil de la CNAM s’est dit défavorable à la hausse de la participation des assurés à leurs frais de santé, avec 21 votes contre, 12 votes pour, une abstention – les syndicats de salariés s’y sont opposés, contrairement aux organisations patronales (Medef, CPME), sauf l’U2P (artisans) qui s’est abstenue. Soit une opposition similaire à celle de février 2024, lorsque le précédent gouvernement avait saisi le conseil de la CNAM sur le même sujet, avant de doubler une première fois ces franchises.
Lire aussi | Budget 2026 : 5 milliards d’euros d’économies pour la santé, et des mesures sensibles
« Passage en force »
Une nouvelle marche pourrait être franchie à compter du 1er janvier 2026, selon les textes examinés jeudi, avec une franchise sur les boîtes de médicaments qui passerait de 1 euro à 2 euros, ou encore de 2 euros à 4 euros sur la consultation chez le médecin généraliste (on parle dans ce cas de « participation forfaitaire »). Les plafonds, établis à 50 euros par assuré et par an, depuis la création de ce dispositif, en 2008, seraient eux aussi doublés, pour atteindre 100 euros chacun (l’un porte sur les franchises, l’autre sur les participations), alors que ces derniers avaient été préservés en 2024.
A la clé, l’exécutif escompte, rien que pour la hausse des plafonds, quelque 700 millions d’euros d’économies, et possiblement plus de 2 milliards avec le doublement des franchises et participations, selon une source dans l’administration.
Dans les rangs des acteurs de la santé, largement opposés à ces hausses, cette accélération du tempo, à quelques jours du vote de confiance du 8 septembre, qui a de fortes chances d’aboutir à la chute du gouvernement, ne passe pas. « Pour contourner les incertitudes sur sa longévité et éviter tout débat sur la légitimité de ces mesures, le gouvernement s’apprête à publier les décrets en catimini », dénonce le premier syndicat chez les généralistes, MG France, brocardant un projet « injuste socialement, inefficace économiquement et irréalisable techniquement ».
Un « passage en force » dont s’est aussi émue la fédération de patients France Assos Santé. « Nous considérons que le fait de doubler les plafonds annuels des franchises et des participations, les faisant ainsi passer de 100 euros au total à 200 euros, ne garantit plus le droit à la santé pour tous », écrit l’organisation dans un communiqué. Le contexte politique paraît inédit. Le président du conseil de la CNAM, Fabrice Gombert, avait d’ailleurs demandé à la ministre de la santé, Catherine Vautrin, un report de l’examen de ces projets de décrets. Sans retour de sa part.
« Responsabilisation » des patients
Reste à savoir si le gouvernement va publier ces textes avant sa possible chute. Une subtilité juridique a son importance : « Il est possible de publier certains décrets – dits simples – dès le lendemain du vote du conseil de la CNAM, explique une source proche du dossier. Mais d’autres nécessitent un avis en Conseil d’Etat. » Leur publication ne pourrait dès alors avoir lieu qu’à partir de la deuxième semaine de septembre, soit après le vote de confiance. Sollicité, le ministère de la santé ne souhaite pas s’exprimer. Et après ? Le devenir de ces décrets pose en creux la question de ce que peut faire, ou non, un gouvernement démissionnaire : « Considère-t-on que le doublement des franchises relève, ou pas, de la gestion des affaires courantes ? », résume cette même source.
Lire aussi La piste d’une hausse des franchises médicales, un scénario politique inflammable
Si le dossier des franchises est aussi sensible, c’est qu’il touche au reste à charge des assurés, en premier lieu celui des plus malades – ceux qui ont le plus recours au système de soin. Les patients en affection longue durée, bien que pris en charge à 100 % par l’Assurance-maladie, n’en sont pas exonérés : seules certaines catégories le sont (comme les mineurs, les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire ou de l’aide médicale d’Etat). Réunis jeudi, les membres du conseil de la CNAM opposés à cette hausse ont brandi cet exemple symbolique : la boîte de Doliprane, dont le prix avoisine 2 euros, ne sera-t-elle dès lors plus remboursée ?
Pour défendre cette mesure, la ministre du travail et de la santé, Catherine Vautrin, a pointé la « responsabilisation » des patients, en appelant à ce que ces sommes, aujourd’hui prélevées par l’Assurance-maladie a posteriori, soient demandées directement au « comptoir » de la pharmacie, quand il s’agit de traitements prescrits par un médecin.
Au-delà de la question des franchises, l’incertitude touche à l’ensemble des mesures budgétaires en matière de santé évoquées ces dernières semaines par l’exécutif, alors que l’examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui se tient d’ordinaire à l’automne, pourrait être reporté. François Bayrou a promis un régime sévère au secteur, avec 5,5 milliards d’euros d’économies en vue.