Gaza: Les décès par défaut d’évacuation et par manque de soins ne sont pas pris en compte dans le bilan des victimes, pas plus que les morts du fait des épidémies

A Gaza, l’effroyable décompte des morts n’inclut pas les dizaines de milliers de victimes indirectes de l’offensive israélienne

Chronique

Les décès par défaut d’évacuation et par manque de soins ne sont pas pris en compte dans le bilan des victimes, pas plus que les morts du fait des épidémies, de la faim, de la soif qui accablent la population, écrit l’historien Jean-Pierre Filiu dans sa chronique.

Publié aujourd’hui à 07h00, modifié à 09h06  https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2025/09/07/a-gaza-l-effroyable-decompte-des-morts-n-inclut-pas-les-milliers-de-victimes-indirectes-de-l-offensive-israelienne_6639273_6116995.html?random=1733575100

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Une Palestinienne porte le corps d’un enfant devant l’hôpital Al-Shifa de Gaza, le 29 août 2025.
Une Palestinienne porte le corps d’un enfant devant l’hôpital Al-Shifa de Gaza, le 29 août 2025.  BASHAR TALEB/AFP

Durant le mois d’hostilités que j’ai vécu dans la bande de Gaza, du 19 décembre 2024 au 19 janvier 2025, au moins 1 407 Palestiniens ont été tués et 3 753 blessés par l’armée israélienne. Il s’agit d’un bilan minimum, obtenu sur la base de l’enregistrement des dépouilles dans les rares hôpitaux publics encore en activité dans la bande de Gaza. Un tel enregistrement donne lieu à la délivrance d’un certificat de décès, avec validation de l’ensemble de ces statistiques par le ministère de la santé de l’Autorité palestinienne, à Ramallah. Ce ne sont donc pas des « chiffres du Hamas », mais des données considérées comme fiables par les Nations unies et les organisations humanitaires.

Au cours de mon séjour, moins d’une centaine de malades gravement atteints ont pu bénéficier d’une évacuation médicale, alors qu’une douzaine de milliers le nécessitaient selon l’Organisation mondiale de la santé. Les décès par défaut d’évacuation et par manque de soins ne sont pas pris en compte dans le bilan officiel des victimes, pas plus que les morts du fait des épidémies, de la faim, de la soif et des multiples plaies qui accablent une population plongée dans des conditions infrahumaines. L’émotion internationale qu’avait suscitée, à la toute fin de 2024, la mort de huit nourrissons par hypothermie était vite retombée.

Vingt-trois chrétiens tués à l’intérieur d’églises

Une évaluation du rapport entre les victimes directes et indirectes de près de deux années d’offensive israélienne peut être tentée à partir de l’échantillon bien documenté de la minorité chrétienne de Gaza. Evaluée à un millier de personnes en octobre 2023, elle s’est vite réduite à quelque 800 du fait du départ de 200 chrétiens au début du conflit, départ facilité par la double nationalité d’une partie d’entre eux. Parmi les chrétiens, 600 sont demeurés autour de leurs paroisses dans la ville de Gaza et 200 autres se sont réfugiés dans le sud de l’enclave du fait des ordres d’expulsion. Même le propagandiste le plus éhonté pourrait difficilement accuser ces 800 chrétiens d’être liés d’une façon ou d’une autre au Hamas.

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Le bilan de leurs pertes est pourtant accablant. Vingt-trois chrétiens ont été tués par des frappes israéliennes à l’intérieur des églises où ils croyaient être protégés : 17 dans le bombardement de l’église orthodoxe Saint-Porphyre, le 19 octobre 2023, 3 par des tirs de snipers à l’intérieur de l’église catholique de la Sainte-Famille (1 le 13 novembre et 2 le 16 décembre 2023) et 3 dans le bombardement de cette même église, le 17 juillet 2025. Quant aux victimes indirectes, elles étaient déjà estimées à 21, dès l’été 2024, par le curé de la Sainte-Famille. Ce bilan n’a pu que s’aggraver depuis lors, tandis que le sort des 200 chrétiens du sud de l’enclave est encore plus incertain. Ce total minimum de 44 chrétiens ayant péri du fait du conflit correspond à une proportion de 5,5 %, répartie à moitié entre victimes directes et indirectes.

Des dizaines de milliers de victimes indirectes

Le plus récent bilan diffusé par les Nations unies est de près de 64 000 Palestiniens tués par l’armée israélienne dans la bande de Gaza, dont 46 % d’hommes, 16 % de femmes, 31 % d’enfants et 7 % de personnes âgées. Ce bilan correspond à au moins 3 % de tués dans la population de Gaza, sans inclure les milliers de dépouilles toujours ensevelies sous les décombres. Et il ne prend pas en compte les dizaines de milliers de victimes indirectes du conflit, du fait de la destruction du système de santé, du refoulement de la majorité de la population sur 12 % de l’enclave et de la résurgence des épidémies dans un territoire qui jouissait, jusqu’en octobre 2023, d’une couverture vaccinale pratiquement universelle.

Outre les centaines de morts de faim de ces dernières semaines, la malnutrition qui frappe un tiers de la population la rend totalement vulnérable aux blessures qui ne peuvent cicatriser ou aux infections qui dégénèrent, précipitant à chaque fois le décès. Une projection basée sur les 5,5 % de morts dans la minorité chrétienne aboutirait à un bilan total de plus de 115 000 morts. Un doublement du chiffre des tués par un nombre équivalent de décès indirects donnerait un bilan de près de 128 000 morts.

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L’hypothèse basse de 5 % de morts repose sur une estimation de 3 % de tués et de 2 % de décès indirects. Une telle proportion, fort probablement minimum, correspondrait dans la population israélienne à environ trois cent mille tués et deux cent mille morts indirectes. Pour mémoire, les attaques du Hamas et de ses alliés, le 7 octobre 2023, ont tué 1 148 Israéliens (dont 36 enfants) et 71 étrangers.

Les Israéliens tués ce jour-là étaient à 66 % des civils, alors qu’une récente enquête estime à 83 % la proportion de civils tués par l’armée israélienne à Gaza. Depuis octobre 2023, 456 militaires israéliens ont péri dans la bande de Gaza. Sur les 251 otages enlevés par le Hamas et ses alliés, 135 ont été libérés dans le cadre d’échanges, 8 l’ont été par l’armée israélienne et 5 unilatéralement par le Hamas. Alors que 20 otages seraient encore en vie, au moins 83 ont péri en captivité, la plupart tués par leurs geôliers, d’autres lors de frappes israéliennes.

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Israel Katz, le ministre de la défense israélien, vient de lancer une nouvelle escalade dévastatrice, affirmant que « le verrou des portes de l’enfer à Gaza a sauté ». Quant au premier ministre, Benyamin Nétanyahou, il entend bien poursuivre la guerre de Gaza durant encore au moins une année, ne serait-ce que pour préserver son alliance avec les suprémacistes jusqu’aux législatives d’octobre 2026.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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