Désertification médicale : une petite ville du Gard créée une formule originale pour garder ses médecins
Christophe Gattuso
27 décembre 2024 https://francais.medscape.com/voirarticle/3612255
REPORTAGE _ Pour garder ses médecins généralistes, Le Vigan, au cœur des Cévennes méridionales, a mis au point un système de cohabitation médicale originale. Depuis le 1er octobre dernier, le bourg de 4 000 âmes, a adjoint un nouveau centre de santé à la maison de santé (MSP) pré-existante – mais dont le nombre de médecins déclinait – préservant ainsi le village de la désertification médicale qui menaçait. Cette nouvelle organisation résulte d’un travail en bonne intelligence de l’ensemble des acteurs du territoire. Comment ce modèle original – qui peut en inspirer d’autres – a-t-il été rendu possible ? Reportage sur place de notre envoyé spécial.![]()
Quand nous sommes passés de 6 médecins à 4 dans la MSP, le niveau de charges est devenu insupportable. Si nous étions tombés à 3, nous aurions fermé. Dr Antoine Brun d’Arre
Une MSP qui perd ses médecins
Tout a commencé il y a environ deux ans quand le Jardin des Orantes, la maison de santé du Vigan – petite ville du Gard de 7 000 habitants (avec l’agglomération) –, qui compte alors six médecins généralistes vit, coup sur coup, un départ à la retraite puis le décès brutal d’un confrère. « Quand nous sommes passés de 6 médecins à 4, le niveau des charges est devenu insupportable. Si nous étions tombés à 3, nous aurions fermé », confie le Dr Antoine Brun d’Arre, médecin généraliste de 63 ans. Enfant du pays, il est revenu s’installer au Vigan en 2012 après un exil de quelques années en Maine-et-Loire, et y a créé une maison de santé (MSP), qui devait, selon lui, permettre de garantir sur le long terme une présence médicale sur le territoire.
« À l’époque, j’étais persuadé qu’une MSP était une condition sine qua non pour attirer les médecins mais pas une garantie », explique-t-il. Le Dr Brun d’Arre avait vu juste. Malgré les nombreux internes reçus en stage et tous les efforts pour promouvoir la maison de santé dont la construction a représenté un investissement de 900 000 euros, elle n’est pas parvenue à recruter de nouveaux médecins. « Les jeunes urbains n’ont plus de lien avec la campagne, affirme le Dr Brun d’Arre. Avant, ils y avaient un grand-père ou une grand-mère à qui ils rendaient visite. Désormais, les jeunes de Nîmes ou de Montpellier ne nous connaissent pas. »

Dr Antoine Brun d’Arre, médecin libéral à la MSP du Vigan
Des élus très engagés
La prise de conscience d’une possible disparition de la MSP s’est opérée progressivement dans les esprits. Mais, une réunion en mars 2022, au cours de laquelle Emmanuel Vigneron, un historien et géographe de la santé, qui vit sur ce territoire, expose devant un amphithéâtre rempli d’une centaine d’élus et de professionnels de santé, les projections sombres de la démographie médicale locale, provoque un électrochoc. « Nous avons créé un comité de pilotage avec des soignants volontaires pour mettre en œuvre une politique d’attractivité », relate Régis Bayle, président de la communauté de communes (com’com) du Pays Viganais, qui fédère une vingtaine de villages. Laquelle com’ com du Pays Viganais met en place dans la foulée une journée d’accueil des internes en médecine de Montpellier-Nîmes. Mais rejoint surtout le groupement d’intérêt public GIP « Ma Santé, Ma région », créé en Occitanie en juillet 2022 par la présidente de la région Carole Delga (PS), qui promeut, avec efficacité, la constitution de centres de santé (voir encadré) partout où les territoires sont privés de professionnels de la santé.
Une formule inédite, fruit d’un consensus
Dans le cas du Vigan, les échanges entre les différents acteurs, médecins, élus locaux, GIP « Ma Santé Ma Région », et l’ARS d’Occitanie sont très constructifs et permettent au projet de création d’un Centre de santé dans le village d’aboutir rapidement. Quelques réunions ont toutefois été nécessaires pour trouver la formule idéale qui convienne à l’ensemble des médecins.
Parmi les 4 médecins de la MSP, les deux plus jeunes désiraient devenir salariés du centre. Tandis que les deux généralistes les plus âgés, le Dr Brun d’Arre, 63 ans, et son confrère de 73 ans, le Dr François Joubert, proches de la retraite, souhaitaient rester médecins libéraux. Un changement de statut et l’application de la grille salariale selon l’ancienneté (bloquée à 24 ans) auraient entraînés une perte de revenus, concède le Dr Brun d’Arre, 32 ans de métier.
Tous les internes qu’on a reçus recherchent le modèle du salariat (Sylvie Arnal)
Au bout de plusieurs réunions, est apparue la solution de maintenir une offre de soins libérale en plus du nouveau centre de santé. La communauté de communes du Pays Viganais a racheté aux médecins les murs de la maison de santé pour un montant de 570 000 euros grâce notamment à des subventions de l’ARS d’Occitanie (270 000 euros) et de la région (215 000 euros). Tandis que les médecins du centre de santé ont une mise à disposition gratuite de trois bureaux et des espaces communs, les médecins de la MSP paient un loyer de 500 euros par mois pour leur cabinet.
Préoccupée de maintenir un accès aux soins aux habitants de sa commune, Sylvie Arnal, maire du Vigan, se réjouit de la solution trouvée. « Les jeunes médecins ne veulent plus travailler à l’ancienne, ils ont envie de concilier vie professionnelle et vie familiale. Tous les internes qu’on a reçus recherchent le modèle du salariat. Avec cette nouvelle organisation, il y a eu une volonté des élus de tenir compte des aspirations des médecins. »
Le salariat, prisé par les jeunes
« Nous avons eu la chance d’avoir des élus réactifs et dynamiques et une volonté politique forte de soutenir l’offre de soins sur le territoire », confie l’une d’entre eux, la Dre Bénédicte Gal. Cette médecin généraliste est désormais salariée du centre de santé après avoir exercé près de sept ans en libéral à la MSP du Vigan. Avec un plus d’un mois de recul, le Dr Gal qui n’imaginait pas, il y a deux ans, devenir médecin salariée, apprécie son nouveau statut. « Le salariat nous a soulagés en nous libérant des charges administratives et en nous permettant de recentrer notre activité sur la médecine. »
La généraliste travaille 24 heures en deux jours et demi au centre de santé pour conserver du temps pour ses autres activités. En novembre, elle est devenue chef de clinique en médecine générale à la faculté de médecine de Montpellier et elle assure des vacations ponctuelles en tant que médecin de crèche dans deux communautés de communes.
« La transition opérée en octobre n’a pas demandé d’effort particulier », observe-t-elle, satisfaite que la greffe ait pris. La généraliste voit le salariat comme une « voie d’avenir » pour tous les médecins qui ont peur de s’installer. « Ce peut être une étape pour se rassurer, trouver un confort et une qualité de vie, ou pour finir sa carrière avec moins de pression », souligne-t-elle.
« Sans le centre, nous n’aurions pas pu rester »
Son mari, le Dr Sébastien Joanny, médecin généraliste de 36 ans qui exerçait aussi en libéral à la MSP, est ravi de la solution trouvée au Vigan où il est lui aussi devenu médecin salarié au centre de santé et où il exerce trois jours par semaine. « Sans le centre de santé, nous n’aurions pas pu rester » considère-t-il aujourd’hui.
Le Dr Joanny est lui aussi persuadé que le salariat va devenir la norme. « Le salariat nous décharge d’une grande partie du travail administratif. Aujourd’hui, je gagne un peu moins (80% de mes revenus d’avant) mais j’ai gagné en liberté d’esprit. » Au 1er octobre, le centre a recruté un 3e médecin à mi-temps, un généraliste sorti de sa retraite pour prêter main-forte. Les médecins de la MSP et du centre de santé recevront aussi des internes qui pourront réaliser la moitié de leur stage en médecine libérale et l’autre en salariat.
Pour moi, ça ne change rien que ma médecin soit salariée ou exerce en libéral Eric, patient
« Ce projet, c’est de la haute couture »
Ce modèle mariant maison et centre de santé est-il susceptible de faire des petits ? Joint par Medscape édition française, Didier Jaffre, directeur de l’ARS Occitanie, porte en tout cas un regard très positif sur cette alliance public-privé.
Le succès du projet du Vigan concrétise avant tout la très bonne entente des différents acteurs, médecins, politiques et institutions (Pr Emmanuel Vigneron)
« Tout projet qui permet de maintenir ou de développer une offre médicale doit être soutenu, commente le patron de l’Agence. Au Vigan, il était hors de question de voir partir les médecins, qui sont bien implantés dans le territoire aux côtés de l’hôpital local. C’est la raison pour laquelle l’ARS a soutenu ce projet original. Il faut accompagner les territoires avec des initiatives sur mesure, c‘est de la haute couture ! »
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Le Pr Emmanuel Vigneron,
historien et géographe de la santé, a joué un rôle central dans ce projet
À la fois témoin et partie prenante de ce projet, Emmanuel Vigneron est également enthousiaste. « Ce projet est un formidable terrain d’expérience, affirme le professeur émérite à l’Université de Montpellier, auteur d’un ouvrage de référence sur les centres de santé. Il est écrit dans la constitution que la nation garantit à tous la protection de la santé. Cela concerne le remboursement des dépenses de santé mais aussi la mise en œuvre des moyens d’accéder aux soins. La santé, c’est l’affaire de tous. Cela suppose de faire s’entendre divers acteurs. Le succès du projet du Vigan concrétise avant tout la très bonne entente des différents acteurs, médecins, politiques et institutions. »
Des patients soulagés
La réussite de ce projet sur le long terme dépendra de l’entente des deux structures, chacune ayant son propre fonctionnement et de leur faculté à surmonter les éventuelles difficultés. Les médecins ont déjà identifié un petit désagrément ; RGPD oblige, ils ne peuvent pas partager de dossiers médicaux de patients entre la maison de santé et le centre de santé, même si le patient consulte les deux structures.
Les patients du Vigan, eux, sont soulagés de conserver une présence médicale dans leur ville. C’est le cas d’Éric, patient de la maison de santé : « Avant il m’est arrivé d’attendre deux semaines pour avoir un rendez-vous, là j’ai pu en avoir un tout de suite, confie-t-il dans la salle d’attente. Et pour moi, ça ne change rien que ma médecin soit salariée ou exerce en libéral. » Eddy, la cinquantaine, confie avoir craint de voir les médecins plier bagage. « Il aurait fallu aller à Ganges, à 20 kilomètres d’ici, cela m’aurait embêté. Je suis rassuré qu’ils aient trouvé une solution. »
Centres de santé : comment ça marche ?
Le principe des centres de santé accompagnés par un groupement d’intérêt public (GIP) est simple :
« L’interco ou le département met à disposition les locaux et en assure l’entretien. La région investit à 100% dans le matériel. Le GIP assure le fonctionnement, le salaire des médecins et des secrétaires », explique Sandrine Baylac, chargée de mission pour le développement des centres de santé au GIP « Ma Santé, Ma Région ».
Les centres de santé doivent remplir un cahier des charges (taille du cabinet, des toilettes, de la salle d’attente), répondre aux règles d’accueil du public et aux normes d’accessibilité, être ouverts de 8 heures à 20 heures, et idéalement le samedi matin si possible.
Les centres ne peuvent voir le jour que s’ils disposent d’au moins deux médecins. Un projet de santé est rédigé avec les médecins et validé par l’ARS. Les médecins perçoivent un salaire qui répond aux règles de la grille salariale hospitalière majorée qui évolue en fonction de l’ancienneté du médecin. « Le salaire commence à 4000 euros jusqu’à plus de 7000 euros à 24 ans d’ancienneté, plafond de la grille », précise Sandrine Baylac.
Les médecins sont déchargés des tâches administratives, leur assurance RCP est prise en charge mais ils doivent participer à la permanence des soins.
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