SOUS LA PRESSION D’ACTEURS PRIVÉS, LE RISQUE D’UN AFFAIBLISSEMENT DES MÉTHODES FORESTIÈRES DU LABEL BAS CARBONE
Sous pression des lobbys forestiers, le gouvernement affaiblit les méthodes du Label Bas Carbone : décryptage d’un volte-face aux lourds enjeux climatiques.
Publié le 26/08/2025Rédigé par Canopée

Le ministère en charge de la transition écologique est en train de céder à la pression des acteurs économiques : moins de six mois après avoir validé deux méthodes pour générer des crédits carbone forestiers, elles sont de nouveau remises sur la table. Décryptage de ce volte-face.
Une fierté vite ébranlée
Le 17 février 2025, Agnès Pannier-Runacher, ministre en charge de la transition écologique, ne cachait pas sa fierté en déclarant face à un parterre de financeurs de projets Label Bas Carbone :
« Ce que nous bâtissons avec les crédits biodiversité et les crédits carbone, c’est un cadre clair et exigeant, reconnu par l’État, pour financer des projets qui permettent très concrètement de lutter contre le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité. » Trois jours plus tôt, les nouvelles versions (dites V3 pour 3ème version) des deux principales méthodes forestières (« boisement » et « reboisement ») venaient officiellement d’être validées après avoir suivi la procédure réglementaire : consultation publique, puis avis du groupe scientifique et technique, pour intégrer les remarques formulées. Le fameux cadre « clair et exigeant » que la ministre citait alors en exemple est pourtant en train de voler en éclats, avec la remise en cause de cette décision et une nouvelle consultation publique, organisée en plein mois d’août.
La fragilité du scénario de référence
Pour comprendre ce qui se joue, il faut se plonger au cœur de la mécanique des crédits carbone et plus précisément du scénario de référence : autrement dit, ce qui se serait passé si le projet n’avait pas existé. Le calcul est simple en apparence : on mesure l’écart entre ce scénario théorique et la réalité observée, et l’on transforme cette différence en crédits carbone. Autant dire que plus le scénario de référence est tiré vers le bas, plus le nombre de crédits carbone grimpe et plus c’est intéressant pour les porteurs de projet.
D’où une tentation bien connue : manipuler ce scénario de référence. Et il ne s’agit pas là d’une faiblesse propre au Label Bas Carbone, mais de la faille béante de l’ensemble des certifications qui prétendent mettre des crédits carbone sur le marché (Chen Teo et al, 2023). Car l’avantage – ou plutôt le vice – de ce scénario de référence, c’est qu’il est par nature invérifiable. Résultat : chacun avance ses « bons » arguments pour l’affaiblir, et donc gonfler artificiellement le volume de crédits générés.
Dans le cas qui nous intéresse, la question est de savoir si l’humain fait beaucoup mieux que la nature lorsqu’une forêt est dégradée par une tempête, un incendie ou un problème sanitaire. Autrement dit : est-ce que planter des arbres est plus efficace que la régénération naturelle ?
Dans la V3 mise en consultation publique en mars 2024, le scénario de référence ne varie sensiblement pas de la V2 : le recru naturel est estimé à 1 m³/ha/an. Charge au porteur de projet de démontrer qu’il fera mieux.
Quand la science s’en mêle…
L’une des spécificités – et aussi l’une des grandes forces – du Label Bas Carbone est de s’appuyer sur un Groupe scientifique et technique. Cette instance indépendante d’expertise réunit des représentants d’établissements publics et de la société civile, et a pour mission de conseiller la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) sur l’élaboration de nouvelles méthodes, l’évaluation des méthodes existantes ainsi que sur le fonctionnement général du label. Canopée y siège au nom de France Nature Environnement, dont nous sommes membres.
Pour chaque méthode, des rapporteurs indépendants — en l’occurrence trois chercheurs de l’INRAE — sont désignés. Leur rôle est de rendre un avis fondé à la fois sur l’analyse de la littérature scientifique et sur les retours issus de la consultation publique. Cet avis est ensuite débattu au sein du groupe, avant que la DGEC ne prenne sa décision en toute connaissance de cause.
Et là, surprise : l’avis des rapporteurs est sévère. En analysant la littérature scientifique, ils pointent que la différence de croissance entre ne rien faire (la régénération naturelle) et planter des arbres est souvent mince. Ils concluent que la valeur retenue (1 m³/ha/an) leur semble « faible au regard de l’état des connaissances scientifiques » et l’évaluent plutôt entre 4,0 et 5,3 m³/ha/an pour la France continentale. Un écart de 1 à 5.
Le Centre National de la Propriété Forestière (CNPF), qui a porté la révision de cette méthode, est invité à revoir sa copie à la hausse. Ce qu’il fait : en se replongeant dans les données de l’observatoire des peuplements dévastés et mités, créé après les ouragans Lothar et Martin de 1999 pour mesurer la capacité des forêts à se reconstituer naturellement, il évalue le scénario de référence à 1,15 m³/ha/an pour les feuillus et 2,23 m³/ha/an pour les résineux sur 19 ans, extrapolés à 1,39 et 2,69 sur 30 ans (pour coller au cadre du Label Bas Carbone).
Des chiffres toujours très en deçà de la réalité comme le pointe les chercheurs de l’INRAE: « ils ne se basent que sur les arbres dits « recensables » (diamètre > 7.5 cm) ignorant la biomasse des autres arbres qui peuvent constituer l’essentiel pour de jeunes accrus ». Ce sont ces chiffres qui sont finalement retenus dans les méthodes validées en février 2025.
Une menace pour les intérêts économiques des porteurs de projet
Sur le moment, silence radio. Mais un mois plus tard, le CNPF organise un webinaire de présentation des méthodes validées. Et là, les hostilités éclatent. Une coalition d’opérateurs de projets — Fransylva, Alliance Forêts Bois, Société Forestière de la Caisse des Dépôts et Consignations, Sylvo, Néosylva, Stock CO2, Carbonapp, bientôt rejoints par Oklima, MaForêt.com et EcoTree — monte au créneau : la révision de ces méthodes entraîne une chute des crédits carbone de l’ordre de 30 à 70 % par rapport aux versions antérieures.
Ils écrivent à la ministre pour exiger la suspension des nouvelles méthodes. Branle-bas de combat : la ministre demande à la Direction Générale du Climat et de l’Énergie de recevoir les porteurs de projets pour éteindre l’incendie. Les réunions se multiplient, dans l’opacité la plus totale et en dehors de toute possibilité de contradiction. Le groupe scientifique et technique est soigneusement tenu à l’écart. Après une dernière réunion « coup de pression » au cabinet, en juillet 2025, la ministre cède et revient sur sa décision de validation. Officiellement, il s’agit de permettre quelques « ajustements ». En réalité, il s’agit de changements majeurs qui auraient dû faire l’objet d’une analyse par le Groupe scientifique et technique: retour au scénario de référence initial, autorisation d’un scénario sans accroissement naturel (0 m³/ha/an) pour un boisement sur friche où aucune reprise naturelle n’est constatée sur 10 ans, suppression du rabais de 5 % prévu pour refléter le risque de non-permanence des projets.
Soyons clairs : la frustration des opérateurs est en partie compréhensible et souligne surtout la nécessité de renforcer la transparence dans l’élaboration et la validation des méthodes du Label Bas Carbone. L’avis des rapporteurs, rendu après la consultation publique, n’a pas été communiqué aux opérateurs, ce qui a nourri l’incompréhension. S’il l’avait été, le débat aurait sans doute gagné en qualité et permis de prendre en compte des arguments réellement étayés.
Ainsi, tout en relevant sérieusement le scénario de référence général sur la base des meilleures données scientifiques disponibles, il aurait été possible de prévoir des mécanismes d’exception. La régénération naturelle varie en effet fortement d’une parcelle à l’autre, selon de nombreux facteurs : proximité d’une forêt, état du sol, présence d’une banque de graines, etc. Une manière de mieux refléter cette variabilité consisterait à adopter des scénarios de référence dynamiques, comme le font désormais les principales certifications internationales : par exemple, laisser 10 % de la surface des projets en régénération naturelle et observer ce qu’il s’y passe. Si la recolonisation naturelle est faible, le volume de crédits carbone généré sur le reste du projet pourrait alors être réévalué à la hausse ; à l’inverse, si elle est normale ou forte, ce volume devrait être ajusté à la baisse. Une approche plus robuste scientifiquement, mais évidemment moins séduisante pour des acteurs qui visent avant tout la rentabilité financière.
Qui décide du prix des crédits carbone ?
La question fondamentale que pose cette séquence est de savoir si le Label Bas Carbone doit être piloté par la demande ou par l’offre. La crainte de la ministre, sur laquelle ont joué les porteurs de projets, est qu’en renforçant les exigences du Label Bas Carbone, le prix des crédits augmente, franchisse la barre symbolique des 40 €/tonne et ne trouve plus preneur face à la concurrence de crédits internationaux à 10–20 €/tonne. C’est le pilotage par la demande : laisser le prix dicter les contraintes techniques.
Or, le marché du carbone est miné par les controverses sur les crédits fictifs générés en manipulant les scénarios de référence. Jusqu’à présent, le Label Bas Carbone avait été relativement épargné, même s’il est loin d’être exempt de critiques comme nous l’avons pointé dans notre rapport. Les méthodes sont élaborées et validées sur la base des meilleures données scientifiques disponibles et c’est ensuite aux porteurs de projet de trouver des entreprises souhaitant acheter des crédits carbone réputés plus robustes. C’est un pilotage par l’offre.
En écartant sciemment les arguments scientifiques, le gouvernement français est en train de prendre le risque de faire basculer le Label Bas Carbone dans un pilotage par le marché.
La décision d’ignorer la plus importante recommandation de nos rapports semble n’être justifiée que par la pression économique exercée par certaines parties prenantes. […] Cette logique est par principe inacceptableLes rapporteurs de l’INRAE
Dans le cadre de cette nouvelle consultation en plein été, les rapporteurs scientifiques de l’INRAE viennent de poster une contributionqui est une véritable alarme: « Nous, rapporteurs INRAE des méthodes « boisement » et « reconstitution », pensons qu’avec ces v3bis, le Label Bas Carbone cesse d’être un thermomètre objectif des réductions d’émissions. En effet, ces v3bis ignorent totalement la première recommandation de nos rapports portant sur un point pourtant purement technique : la croissance des friches et des régénérations naturelles post-perturbation » et ajoutent « Pour ces raisons, la décision d’ignorer la plus importante recommandation de nos rapports semble n’être justifiée que par la pression économique exercée par certaines parties prenantes. Sur un point purement technique et au sein d’un outil qui prétend mesurer objectivement l’atténuation du changement climatique, cette logique est par principe inacceptable« .
Ils concluent en insistant sur risque de saboter la crédibilité du Label Bas Carbone : « Même d’un point de vue pratique, fausser le thermomètre n’est pas une décision judicieuse. La réputation du LBC ne tardera pas à suivre celle des méthodes REDD+ de Verra, entraînant avec elle la valeur des crédits LBC sur le marché volontaire. «
Vers une financiarisation du Label Bas Carbone ?
Depuis la loi Climat et Résilience, en 2021, Air France est obligée d’acheter chaque année l’équivalent de 600 000 tCO₂, à un prix plafonné à 40 €/tonne pour compenser les émissions de ses vols intérieurs. Ce qui en fait, et de loin, le plus gros acheteur de crédits Label Bas Carbone. Le ministère en charge de l’écologie a bon espoir de convaincre Bercy de soumettre d’autres secteurs économiques à une obligation réglementaire d’acheter des crédits carbone, afin que ces financements privés prennent le relais de financements publics en baisse. Pour cela, il faut garder un tarif attractif mais aussi s’appuyer sur des intermédiaires financiers. Leur rôle : l’agrégation de projets et la vente en gros auprès d’acteurs comme Air France, qui n’a pas le temps de discuter avec chaque porteur de projet.
Parmi ces intermédiaires, Time To Act Capital, qui ambitionne de lever 100 millions d’euros et de devenir le « premier fonds français de reforestation Label Bas Carbone ». Leur promesse aux investisseurs ? Un taux interne de rentabilité supérieur à 10 % par an ! Alors que de nombreuses entreprises de la filière forêt-bois peinent à dégager de la rentabilité, faut-il vraiment laisser ces acteurs financiers capter de telles marges ?
Le modèle est simple : acheter des crédits auprès des porteurs de projets entre 10 et 20 €/tonne, et les revendre jusqu’à 40 €/tonne. Pour cela, Time To Act Capital a noué des partenariats stratégiques avec Fransylva, le syndicat des propriétaires forestiers privés, et avec la coopérative Alliance Forêts Bois, dont le modèle fondé sur la coupe rase et la plantation est de plus en plus contesté. Ces deux acteurs ont été parmi les plus actifs contre la révision des méthodes boisement et reboisement. Rien d’étonnant : si les crédits deviennent plus exigeants et donc plus chers, leur revente en gros devient moins rentable.
Le Label Bas Carbone à la croisée des chemins
Au-delà du débat technique sur les scénarios de référence, ce sont les intérêts économiques et le partage de la valeur qui sont en jeu. Et tous les porteurs de projets ne sont pas forcément alignés : certains ont compris le risque réputationnel qu’impliquerait un retour en arrière.
Le véritable stress-test de crédibilité aura lieu dans les prochaines semaines. Le 18 aout, la DGEC a envoyé un email indiquant « qu’il n’est à ce jour pas prévu d’organiser une nouvelle réunion du Groupe Scientifique et Technique » à l’issue de la consultation. Si cette décision était confirmée, cela constituerait une régression inacceptable et un signal clair d’une volonté de remettre en cause la crédibilité même du Label Bas Carbone. Le rôle du Groupe Scientifique et Technique est de rendre un avis indépendant des pressions des acteurs économiques. Un avis que la ou le ministre est libre de suivre ou non, mais en toute transparence et en assumant le cout politique d’aller contre la science.
Forêts : le gouvernement cède à la pression d’acteurs économiques et crée des crédits carbone fictifs
Le ministère de la transition écologique vient d’assouplir l’encadrement du label bas carbone. Cette décision, qui va à l’encontre de recommandations scientifiques, a conduit à la démission de chercheurs de l’Inrae d’un groupe de travail.

Le label bas carbone, l’une des certifications phares de la France en matière climatique, va-t-il perdre toute crédibilité ? La question se pose alors que le gouvernement s’apprête à revenir sur des normes destinées à mieux l’encadrer, quelques mois seulement après son entrée en vigueur. Cédant à la pression d’acteurs économiques, le ministère de la transition écologique a organisé en plein mois d’août une consultation publique débouchant sur ce retour en arrière, à rebours des recommandations scientifiques.
Si ce choix se confirme, il conduira à continuer de surestimer l’impact additionnel, en termes de stockage de CO2, des projets de reboisement « bas carbone », et donc à créer des crédits carbone fictifs. L’exécutif conteste cette analyse et assure travailler à améliorer l’intégrité environnementale de la certification dans une « démarche progressive » et en respectant « la logique de marché ».
Lire aussi le reportage | Pour préserver la biodiversité et le futur de la forêt, une start-up mise sur les crédits-carbone
Comment ce label fonctionne-t-il ? Créé en 2018, il certifie des projets permettant des réductions d’émissions de gaz à effet de serre, l’objectif étant d’inciter financièrement des acteurs (agriculteurs, forestiers…) à adopter des pratiques plus vertueuses pour le climat et d’attirer des fonds privés dans ces secteurs. Dans le cas de la forêt, le label est notamment attribué à des projets de reboisement consécutifs à un accident (tempête, incendie, maladie…) qui permettent de stocker davantage de carbone que si la parcelle était laissée en friche. Cette situation dans laquelle on laisserait le terrain se faire coloniser par la végétation, sans intervention humaine, est appelée « scénario de référence ». Le différentiel de CO2 stocké entre les deux situations (friche et projet) est transformé en crédits carbone, qui sont vendus à des entreprises ou des organisations souhaitant « compenser » leurs émissions.
Colère d’opérateurs de la filière
C’est ce scénario de référence qui est au cœur de la polémique actuelle. Plus il est bas, plus l’écart avec le projet de reboisement est important et plus des crédits-carbone sont générés. Lorsque la première version des règles encadrant le label est mise en place, en 2018, il est établi de manière totalement arbitraire, faute de référence scientifique, que la régénération naturelle sur les friches est d’un mètre cube de bois commercialisable par hectare et par an (m3/ha/an) – un seuil très bas, donc très favorable aux porteurs de projets.
Il y a près de deux ans, le ministère de la transition écologique lance des travaux pour réviser la méthode. Ecrite par le Centre national de la propriété forestière (CNPF), elle est soumise à consultation publique, mais aussi à l’avis de chercheurs de l’Institut national de recherches pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), membres du groupe scientifique et technique (GST) du label. Après avoir épluché la littérature scientifique disponible, ils affirment que la croissance spontanée de la végétation arborée est plutôt en moyenne, pour les forêts hexagonales, de 4 à 5,3 m3/ha/an, soit bien plus que la valeur retenue aujourd’hui. La première recommandation, dans leur rapport remis en mai 2024, est donc de rehausser fortement le scénario de référence. « En l’état actuel des connaissances, la productivité moyenne des friches représente environ 80 % de la productivité d’une forêt plantée », précise Laurent Augusto, l’un des trois auteurs.
Lire aussi | Des pistes pour stopper la destruction des forêts en réformant le système financier international
Six mois plus tard, en février, le ministère publie les valeurs de référence retenues après un dialogue avec le CNPF : 1,39 m3/ha/an pour la régénération naturelle des feuillus, 2,69 m3/ha/an pour les résineux et 4 m3/ha/an uniquement pour les peuplements de pins maritimes dévastés par une tempête, qui se repoussent très rapidement. « J’ai été attristé de voir que nos recommandations n’étaient que faiblement prises en compte, se souvient Valentin Bellassen, économiste et coordinateur pour l’Inrae au sein du GST. Cela a créé des doutes sur l’intérêt de notre participation à ce groupe de travail. »
Si l’évolution est insuffisante aux yeux des scientifiques, elle provoque la colère d’opérateurs de la filière. Une coalition regroupant des acteurs forestiers historiques (le syndicat de propriétaires Fransylva, la coopérative Alliance Forêt Bois…) et des start-up (EcoTree, Oklima, Carbonapp…) monte au créneau : lettre à la ministre Agnès Pannier-Runacher, réunions, menaces de ne plus lancer aucun projet sous le label bas-carbone… Ces acteurs dénoncent un manque de concertation, puisqu’ils ont découvert la hausse du scénario de référence au moment de la publication des nouvelles méthodes, et non lors de la consultation publique. Ils critiquent le fait que des valeurs moyennes soient retenues alors que « les dynamiques de recolonisation » sont « très hétérogènes d’une forêt à une autre » et rappellent, dans un texte signé par quatorze opérateurs que Le Monde a consulté, que le dispositif est « une source essentielle de financement pour régénérer la forêt française ».
Lire aussi | Les puits de carbone terrestres se sont effondrés en 2023
Face à la fronde, le gouvernement fait marche arrière. Le 11 août, il lance une consultation publique sur une version « 3 bis » des règles – close dimanche 31 août –, qui revient à la valeur initiale (1 m3/ha/an). Une décision politique qui remet en cause la crédibilité même du dispositif, alors que les crédits-carbone sont largement contestés sur le plan international. Pour les chercheurs de l’Inrae, le gouvernement « fausse le thermomètre ».
« La décision d’ignorer la plus importante recommandation de nos rapports semble n’être justifiée que par la pression économique exercée par certaines parties prenantes, écrivent-ils dans un courrier envoyé au GST. Sur un point purement technique et au sein d’un outil qui prétend mesurer objectivement l’atténuation du changement climatique, cette logique est par principe inacceptable. » « Cette métrique est devenue un instrument politique, cela pose un problème de crédibilité très sérieux », ajoute Valentin Bellassen. Les trois scientifiques de l’Inrae ont annoncé au ministère, lundi 1er septembre, qu’ils se retiraient du GST.
« Un risque pour la crédibilité du label »
« Nous considérons qu’il y a un risque pour la crédibilité et la robustesse du label et nous savons que des opérateurs et entreprises sont d’accord sur ce point », affirme aussi Olivier Picard, directeur en charge du service C + For au CNPF. Des associations environnementales, dont l’organisation de défense des forêts Canopée, dénoncent également cette volte-face.
Au cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, on conteste tout crédit fictif et on affirme que l’objectif est de tendre vers ce que préconisent les scientifiques tout en prenant en compte les « grosses inquiétudes » des acteurs du secteur. On rappelle également qu’outre le scénario de référence d’autres dispositions de la nouvelle méthode (sur la diversification des essences, l’effet de substitution…) améliorent la qualité environnementale du label. « Il faut s’assurer que les recommandations des scientifiques sont applicables et que les acteurs ne désertent pas le dispositif, justifie l’entourage de la ministre. Dans un cadre concurrentiel, celui-ci peut être très vite fragilisé et les financeurs peuvent se tourner vers d’autres initiatives, privées ou à l’international, moins exigeantes. »
A sa création, le label était uniquement destiné à des entreprises souhaitant s’engager dans la lutte contre la crise climatique en finançant, par exemple, des projets forestiers de proximité, dans le cadre d’un marché du carbone volontaire. Mais, en 2021, la loi Climat et résilience a obligé les compagnies aériennes françaises à « compenser » leurs vols intérieurs par l’achat de crédits-carbone, créant un appel d’air : pour ces entreprises, l’intérêt est d’avoir accès à de grands volumes de crédits à bas prix. Or une hausse du scénario de référence entraînerait une augmentation du prix des crédits-carbone. Un décret – qui pourrait être modifié – prévoit qu’Air France puisse se tourner vers des crédits non européens si elle ne trouve pas de crédits à moins de 40 euros la tonne.
Pour Canopée, la « question fondamentale » qui se pose désormais est de savoir si le label bas-carbone doit être piloté par la demande ou par l’offre. « Soit on reste sur un marché de qualité, qui attirera moins d’entreprises mais qui seront celles qui recherchent de la crédibilité, soit la priorité est d’avoir des prix bas et on va vers la création de crédits fictifs », insiste Sylvain Angerand, le coordinateur des campagnes de l’ONG.