Diane Strauss : « L’avenir, c’est moins de voitures en ville et des voitures électriques en zone rurale »
Propos recueillis par Nabil Wakim et Cécile CazenavePublié hier à 06h00, modifié hier à 18h54 https://www.lemonde.fr/chaleur-humaine/article/2025/09/04/diane-strauss-membre-du-haut-conseil-pour-le-climat-l-avenir-c-est-moins-de-voitures-en-ville-et-des-voitures-electriques-en-zone-rurale_6638844_6125299.html#:~:text=Diane%20Strauss%20%3A%20%C2%AB%20L’avenir,voitures%20%C3%A9lectriques%20en%20zone%20rurale%20%C2%BB
Entretien«
Les entretiens de “Chaleur humaine” ». La directrice de l’ONG Transport & Environnement décrit les freins au passage à l’électrique et propose des pistes pour accélérer la transition. Cet entretien est issu de notre podcast consacré au défi climatique.
En France, la voiture pèse pour environ 15 % de nos émissions de gaz à effet de serre – une part qui diminue peu. Alors que des dispositifs comme les zones à faibles émissions (ZFE) sont remis en cause, quelles sont les solutions pour diminuer la place de la voiture thermique ? Le véhicule électrique est-il la réponse la plus adaptée ?
Diane Strauss, directrice en France de l’ONG Transport & Environnement – et par ailleurs membre du Haut Conseil pour le climat, apporte des réponses dans cet épisode du podcast « Chaleur humaine », diffusé le 18 mars. Vous pouvez retrouver ici tous les épisodes du podcast et vous inscrire à l’infolettre « Chaleur humaine » en cliquant ici.
Tous les scénarios de transition climatique prévoient que le rôle de la voiture doit diminuer. Pourtant, ce n’est pas ce qui se passe. Pourquoi ?
Elle est partout dans nos vies, elle est incontournable pour beaucoup de monde : deux trajets sur trois sont réalisés en voiture. Elle est aussi un énorme point de crispation quand on parle de transition écologique et sociale.
La voiture représente environ 50 % des émissions de gaz à effet de serre du transport, tous modes confondus. Si on regarde plus spécifiquement les déplacements des Français, les trajets entre 10 et 100 kilomètres représentent à eux seuls la moitié de ces émissions. Sur ces distances, souvent pour aller au travail, la voiture est difficilement remplaçable. Pour les habitants qui vivent dans des zones périurbaines ou rurales, de tels trajets ne peuvent pas se faire à vélo, et il n’y a pas forcément de lignes ferroviaires.
La majorité des déplacements ne font que quelques kilomètres. Se passer de la voiture n’est-il pas suffisant ?
La majorité des déplacements font moins de 5 kilomètres, mais cela ne correspond pas à la majorité des émissions de CO2 ! Ce sont les déplacements de plus de 5 kilomètres qui sont les plus émetteurs. Il faut aussi compter tous les itinéraires intermédiaires : on va d’abord déposer ses enfants avant d’aller au travail, on fait les courses avant de rentrer. Se focaliser sur les distances peut être trompeur.
Ces trajets pourraient être réalisés en voiture électrique, mais elle est souvent jugée trop coûteuse…
Ce sont les entreprises qui détiennent plus de 100 véhicules qui peuvent basculer vers l’électrique et modifier le marché Elles achètent la moitié des voitures neuves chaque année ! Leurs objectifs d’électrification sont fixés par la loi, mais pour l’heure, elles ne les respectent pas. Ce qui empêche le marché de l’occasion d’être fourni en voitures électriques. Un approvisionnement d’autant plus lent qu’elles conservent leurs voitures de service ou de fonction entre trois et cinq ans. Or 80 % des ménages achètent leur véhicule sur ce marché. Sans la transition des sociétés, le marché de l’occasion ne s’électrise pas.
Mais ne serait-ce pas tout l’écosystème automobile qu’il faudrait revoir ?
C’est vrai, le « système voiture » a des conséquences au-delà du climat : que ce soit pour la congestion des villes due aux embouteillages, la pollution ou l’usage des ressources. La mobilité a été organisée autour de la voiture, avec tout un imaginaire de liberté associé. Des populations sont allées en zone périurbaine ou rurale parce que c’était plus confortable, moins cher. Aujourd’hui, elles se retrouvent captives de la voiture, elles ne peuvent pas s’en défaire, même si elles le souhaitent. Il ne faut pas oublier qu’un véhicule pèse lourd dans un budget : 1 200 euros de carburant en moyenne par an, plus l’assurance, plus la maintenance. La réalité pour la plupart des ménages, ce n’est pas le fantasme de la voiture heureuse et libre, plutôt celui de la contrainte. Il faut réfléchir aux infrastructures qu’il est possible de développer et aux moyens de décarboner la route.
Les politiques climatiques menées ces dernières années ont suscité des oppositions vives, qu’il s’agisse de la taxe carbone ou des ZFE. Est-ce parce qu’elles sont mal menées ?
D’abord, il faut comprendre les conducteurs d’un point de vue économique : ils abondent chaque année de plusieurs dizaines de milliards le budget de l’Etat, à travers les taxes qu’ils paient sur leur carburant. Quelles solutions ont-ils vu émerger en zone rurale et périurbaine ? Presque aucune. En plus d’avoir l’impression d’y perdre sur le plan économique, ils reçoivent cette injonction à se libérer de leur véhicule. Alors qu’ils n’ont en fait pas vraiment le choix.
Lire aussi le récit | Article réservé à nos abonnés Sur l’écologie, un grand renoncement à l’œuvre en France et dans le mondeLire plus tard
Là-dessus viennent s’ajouter les politiques comme les zones à faibles émissions. Elles sont très importantes d’un point de vue sanitaire : à cause de la pollution de l’air, les études constatent plus de pathologies respiratoires et d’AVC chez les jeunes, une plus grande prévalence des maladies d’Alzheimer, etc. Mais on s’est trompé dans le cadrage de la question. Comme si on avait pris la photo d’un paysage en en oubliant la moitié : le débat public s’est concentré sur les contraintes, le calendrier d’interdiction, alors que la discussion aurait dû être : « Comment faire pour que les gens qui ont besoin d’aller dans les villes pour travailler puissent entrer sans une voiture polluante ? » Ce débat n’a pas eu lieu. En partie à cause de la dilution de la responsabilité entre tous les acteurs : la métropole, les communes environnantes, la région. Quelle était la responsabilité des plus grandes métropoles dans la gestion du trafic ? Qui devait financer les solutions alternatives ? Est-ce que c’était la région ? Une chose est certaine : il n’y a pas eu les investissements nécessaires pour organiser ces flux. En fait, on a voulu interdire les voitures, mais on a oublié qu’il y avait des gens à l’intérieur.
Il y a aussi des lieux où des solutions de remplacement de la voiture existent, mais elles ne sont pas utilisées…
Les associations de consommateurs expliquent bien que l’usager des transports est très rationnel : il choisit le mode de transport le plus économique, le plus confortable et le plus sécurisant. La solution la plus écologique doit aussi répondre à ces critères. Quand les usagers prennent un vélo, c’est parce que les pistes cyclables sont bien sécurisées. Quand le car express entre Voiron et Grenoble (Isère) permet de se libérer des bouchons, de ne pas avoir à trouver une place de parking et d’arriver directement au centre-ville, il est très utilisé ! Les options ont beaucoup de potentiel, à condition qu’elles soient bien pensées et basées sur les flux qui ont réellement lieu. Ce n’est pas toujours le cas.
Pour l’instant, le basculement vers l’électrique n’a pas vraiment lieu. En France, il y a environ 1,4 million de voitures électriques pour près de 40 millions de voitures thermiques. Pourquoi l’accélération ne se produit-elle pas ?
En fait, la voiture électrique s’impose peu à peu, mais c’est une transition de long terme. Une voiture a quinze ans de vie en moyenne – donc on va mettre du temps à remplacer le parc complet. Si on regarde les achats de neuf, une voiture sur cinq est électrique, et cela concerne plutôt les ménages les plus aisés. Quand on a proposé à des ménages au revenu modeste une option de leasing social, pour se procurer sur le long terme une voiture électrique avec un loyer modéré, le programme a été souscrit en moins d’un mois ! Et les enquêtes montrent que les conducteurs sont satisfaits à 90 %. Je crois qu’il faut faire attention aux messages contradictoires et aux fausses informations qui circulent sur le sujet.
Pourtant, on ne peut pas résumer la transition climatique au remplacement des voitures thermiques par des électriques, non ?
Remplacer la totalité du parc actuel par son équivalent électrique, ça ne marche pas. Si, en 2050, on est encore bloqués dans des bouchons de voitures électriques, c’est qu’on aura raté quelque chose ! Il faut réfléchir sérieusement à notre système de mobilité de manière à trouver des solutions assez rapidement. Cela dit, d’un point de vue purement climatique, une voiture électrique, c’est plus intéressant qu’une voiture thermique. Même si vous prenez une batterie chinoise et que vous conduisez en Pologne, vous avez des réductions d’émissions de gaz à effet de serre importantes. Et si vous avez une batterie française et que vous conduisez en France, vous pouvez réduire jusqu’à cinq fois vos émissions de CO2 ! C’est colossal. On ne peut pas se priver de ce levier.
Le bilan carbone est meilleur, c’est désormais établi. Mais le véhicule électrique pose aussi d’autres problèmes environnementaux – notamment ses batteries, leur durée de vie, leur recyclage, etc.
Il n’y a pas de « voiture propre », c’est évident ! Mais il faut aussi reconnaître que l’Europe a fait un gros travail sur les conditions d’extraction des métaux, sur les batteries et leur empreinte. Une batterie peut avoir une deuxième vie pour stocker l’électricité des énergies renouvelables. Puis enfin être recyclée : on sait le faire à hauteur de 90 % pour la plupart des métaux et 70 % pour le lithium.
Mais faut-il y aller à tout prix ? Les voitures électriques vendues aujourd’hui sont plutôt des gros SUV qui utilisent une montagne de ressources…
Ces dernières années, les constructeurs ont plutôt misé sur de très grosses voitures électriques pour soigner leurs marges financières. Ils ont fait de très belles années. Mais on ne peut pas rester sur cette dynamique, parce que ce sont des voitures trop consommatrices de matières premières. Avec des voitures ayant autour de 350 kilomètres d’autonomie et un bon réseau de bornes de recharge, on pourrait réduire d’un quart nos importations de métaux critiques. Il faut aussi noter que 80 % des recharges se font au domicile ou au travail. Dans la vie quotidienne, on n’a pas besoin d’avoir une autonomie trop importante.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Climat : en France et en Europe, la grande panne de l’électrificationLire plus tard
On s’attend à voir arriver des voitures plus petites sur le marché. En effet, les constructeurs sont contraints par la réglementation climatique européenne de vendre de plus en plus de véhicules électriques. Pour cela, ils doivent étendre leurs cibles au-delà des ménages très aisés et séduire les classes moyennes. Ils vont donc être obligés de développer des formats plus petits et plus abordables. C’est le cas de la nouvelle R5 de Renault ou de la ë-C3 de Citroën, qui coûtent entre 20 000 et 30 000 euros. Cela reste cher, mais c’est moins que 40 000 ou 50 000 euros. Les constructeurs jugent ces modèles moins rentables. C’est pour cela qu’ils souhaitent ralentir le rythme de l’électrification. Ils sont un peu comme des enfants à qui on demande d’aller au bain : ils sont en train de jouer, ils n’ont pas envie, ils se roulent par terre, mais, une fois dans le bain, ils sont contents. Ils multiplient les messages contradictoires sur l’électrique, mais à la fin ils vont y arriver. Soyons clairs : retarder l’électrification peut soigner les marges des constructeurs à court-terme, mais ne ramènera pas les emplois en Europe.
Pour l’instant, ce sont surtout les difficultés qui sont visibles. L’exemple du leasing social le montre bien : on a voulu proposer des voitures électriques peu chères pour les plus modestes, mais il n’y avait pas de voitures françaises ou européennes qui entraient dans ces critères…
C’est vrai que ces modèles made in Europe arrivent tard, mais ils commencent à exister. Pour bien comprendre cette tentative de leasing social, il faut regarder la vie d’une voiture. Au début, elle est achetée par une entreprise, qui va la revendre au bout de trois ou quatre ans. Un foyer de classe moyenne va l’acheter et la revendre au bout de sept à dix ans. Les ménages les plus précaires vont en général acheter une voiture qui a déjà 12 ou 13 ans. Or on ne peut pas attendre aussi longtemps pour que les plus modestes aient accès à la voiture électrique ! C’est pour cela qu’il faut penser un système social qui permette de donner accès à l’électrique à ceux qui en ont besoin et qui n’en ont pas les moyens. Je suis favorable à quelque chose de beaucoup plus ambitieux : un vrai parc social automobile – comme on le fait du logement social – avec un million de véhicules mis à disposition, qui permette de récupérer des loyers, de gérer une flotte publique de voitures made in Europe.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Est-ce que le monde consomme moins d’essence grâce aux voitures électriques ?Lire plus tard
Au fond, c’est comme si on avait une agence de location publique qui achète des véhicules pour les louer. Sauf qu’elle s’engagerait à les louer longtemps, sur douze ou quinze ans – et pourrait moduler les loyers en fonction de la taille du véhicule. Tout le monde n’a pas les mêmes besoins, si on a trois enfants ou plus, un chien, on a besoin d’une voiture plus grosse, par exemple. Nous sommes en train d’explorer la viabilité financière de ce modèle.
L’autre piste sur laquelle vous travaillez, c’est le fait de pousser les entreprises à acheter plus de véhicules électriques pour leurs flotte, pour qu’ils soient ensuite vendus sur le marché de l’occasion. Comment faire ?
Des obligations légales existent déjà pour les entreprises qui détiennent plus de 100 véhicules. Mais beaucoup d’entre elles ne les respectent pas. Elles n’étaient qu’à 13 % d’électrification quand les ménages étaient déjà à 20 % en 2024. Elles sont loin derrière, alors qu’elles en ont les moyens, et que certaines ont une flotte de milliers de véhicules. Dans la plupart des cas, c’est moins cher pour elles de passer à l’électrique. Mais elles ne le font pas, parce que cette transition doit être gérée comme un projet en tant que tel, de la même manière que le basculement numérique ou la cybersécurité. Les entreprises doivent s’interroger sur les besoins de leurs employés, installer des bornes, se doter de référents en interne, etc. Pour les motiver à mettre en place ce projet, il est nécessaire d’instaurer des sanctions. De fait, ces derniers mois, depuis la mise en place de sanctions dans la loi de finances 2025 en mars, les entreprises se sont mises à accélérer sur leur électrification.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les entreprises se mettent aux voitures électriquesLire plus tard
Et au niveau individuel, basculer vers l’électrique est-il la bonne solution ?
Si vous en avez les moyens, que vous souhaitez acheter un véhicule et que vous roulez régulièrement, c’est une bonne idée. Mais la plupart des gens choisiront l’électrique quand ces voitures seront disponibles à des prix abordables sur le marché de l’occasion. D’ici là, qu’on les laisse tranquilles. On ne peut pas tout faire reposer sur les individus. Beaucoup de responsables politiques assurent que l’électrique, c’est inabordable. Mais c’est la voiture neuve en général qui est devenue trop chère pour la plupart des automobilistes !
Pourquoi ne pas réduire plus massivement la place des voitures en ville, où l’on peut se déplacer autrement, plutôt que d’insister sur les usages en milieu rural ou périurbain ?
Pour réduire la place des voitures en ville, la condition c’est que tous les gens qui viennent de zones périurbaines et qui n’ont pas d’autre choix puissent entrer dans le centre-ville. Cela veut dire qu’il faut des alternatives à la voiture, des parkings relais, des transports publics, etc. Réduire la place de la voiture en ville, c’est désirable pour beaucoup de monde ! Cela permettrait de vivre de manière plus apaisée et d’améliorer la santé également. Mais il faut l’organiser : fermer les portes de ville en interdisant à des voitures d’entrer, ça ne marche pas. L’avenir, c’est moins de voitures en ville, plus d’alternatives dans les zones périurbaines et des voitures électriques dans les zones rurales.
Comment financer tous ces changements ? Le fait de taxer l’essence n’est pas très populaire, comme l’ont montré les épisodes de la taxe carbone et le mouvement des « gilets jaunes »…
On a quand même beaucoup appris depuis, et j’espère qu’on ne refera pas les mêmes erreurs. Est-ce qu’une taxe carbone est désirable ? Je dirais « à terme, pourquoi pas ? ». Mais il y a beaucoup de conditions. La première, c’est de commencer par mettre en place les alternatives et d’avoir investi dans les infrastructures (cars express, covoiturage, bornes de recharge, voitures électriques pas chères). Ce qui veut dire qu’il faut commencer par dépenser de l’argent. Comment récupérer des capitaux ? On peut réfléchir à réorganiser les contrats de concession pour les infrastructures, on peut augmenter la taxe sur les billets d’avion – puisque ce sont principalement des ménages aisés qui prennent l’avion très souvent –, on peut augmenter la fiscalité sur les véhicules polluants pour les entreprises, taxer les croisières et taxer l’e-commerce. Il y a beaucoup de pistes qui permettent de récupérer des centaines de millions d’euros, voire plus, pour investir dans ce réseau d’alternatives.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Aurélien Bigo, chercheur : « La voiture a pris une telle place qu’il ne peut pas y avoir un seul mode de transport qui la remplace »Lire plus tard
Après, si on sent qu’on est prêt, que cette infrastructure est là et que les gens ont juste besoin d’un coup de pouce pour changer, on peut alors mettre une taxe carbone. Mais il restera toujours des ménages précaires qui seront dépendants de la voiture thermique et qui n’auront pas pu faire le changement. Il faudra absolument les aider, pour que ce soit indolore pour eux. Ce qui revient à récupérer une partie des revenus des ménages les plus aisés qui continuent à polluer et les redistribuer aux ménages les plus précaires.
Le fait de prendre en compte les inégalités sociales vous apparaît désormais comme un impératif, une condition de réussite de la transition climatique. Ce n’était pas toujours le cas des associations environnementales il y a quelques années. Avez-vous changé d’avis sur le sujet ?
Tout à fait. Je pense qu’on a fait notre mue et que maintenant la plupart des associations environnementales appellent à un nouveau contrat social pour la mobilité, un nouveau pacte social, dans le cadre duquel on organise la transition dans le temps. Elle commence par engager ceux qui en ont le plus les moyens, notamment les entreprises et les ménages aisés. Cela permet de mettre en œuvre les solutions décarbonées et de financer la transition vers des alternatives. Cette question est vraiment très importante parce que l’automobile est un sujet de crispation et qu’il faut prendre en compte la dimension sociale et culturelle de cette transition. Est-ce que les politiques publiques ont intégré ce changement de vision ? Cela reste encore à déterminer.
Qu’est ce qui vous donne de l’espoir, dans cette période troublée ?
La période est difficile, mais si quelque chose me donne de l’espoir, c’est cette meilleure compréhension des liens entre enjeux climatiques, sociaux et industriels qui fait émerger une « voie de passage » politique. Prenons comme exemple la nécessité d’électrifier les grandes entreprises. Nous avons reçu une écoute attentive de tous les partis, et un consensus politique a émergé pour ce projet, qui allie transition climatique, justice sociale et objectifs industriels. Je suis certaine que cet équilibre peut être trouvé sur de nombreux sujets. J’espère que les partis politiques seront capables de quitter des postures parfois caricaturales pour trouver cette voie de passage.Nabil WakimCécile Cazenave
Voir aussi:
Automobile : aux abois, les fabricants européens de batteries demandent encore plus de subventions
Face à leurs difficultés de production, ACC, Verkor et PowerCo alertent sur leur situation fragile avant une rencontre avec la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

A quelques jours du Salon de l’automobile qui se tiendra à Munich du 9 au 14 septembre et d’une rencontre de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avec les patrons de la filière, le 12 septembre, trois fabricants européens de batteries ont uni leurs forces pour alerter sur leur situation fragile.
Lire le reportage A Dunkerque, l’usine de batteries Verkor est longue comme « dix-huit Notre-Dame de Paris »
Deux d’entre eux sont des start-up françaises : ACC, filiale de Stellantis, Mercedes-Benz et Total, et Verkor, qui compte Renault à son capital. Le troisième n’est autre que la filiale de Volkswagen, PowerCo. Les trois se sont lancés, avec l’aide des Etats, des régions et de la Commission, dans la construction de gigantesques usines : à Douvrin (Pas-de-Calais) pour ACC, à Dunkerque (Nord) pour Verkor, à Salzgitter en Allemagne et à Valence en Espagne pour PowerCo. Leur problème : il leur faut beaucoup plus de temps que prévu pour monter en cadence, produire au rythme de leurs concurrents asiatiques (chinois, coréens ou japonais), avec peu de rebuts, ce qui pèse sur leur compétitivité.
Pour échapper au sort du suédois Northvolt, qui a fait faillite en mars, les trois espoirs européens de la batterie appellent à l’aide : « Sans un soutien immédiat et ciblé à la production locale, l’Europe court le risque de perdre son autonomie stratégique sur une technologie-clé du XXIe siècle », alertent les trois entreprises dans un communiqué commun. « Alors que les Etats-Unis et la Chine déploient des subventions massives pour soutenir leur production locale, les fabricants européens, encore en phase de montée en puissance, risquent d’être évincés avant même d’atteindre leur maturité », poursuivent-ils.
« Un savoir-faire artisanal »
La Commission pourtant les a entendus. Dans un plan d’urgence dévoilé en mars, elle a promis de mobiliser 3 milliards d’euros pour les aider, en plus des aides à l’investissement. En quatre mois, elle a mis sur pied un fonds pour l’innovation et attribué en juillet une première tranche d’aide, à hauteur de 852 millions d’euros. Un coup de pouce nécessaire, mais pas suffisant.
Lire aussi La voiture électrique, une « charge mentale » pour les automobilistes sur la route des vacances
« Aujourd’hui, nous répondons à des appels d’offres en vue d’une production en 2028-2029. Si nous ne sommes pas compétitifs par rapport aux Chinois ou même par rapport aux Américains, qui bénéficient des subventions à la production de l’Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden, nous n’aurons pas ces débouchés », explique Yann Vincent, le PDG d’ACC, qui a fourni de quoi équiper environ 10 000 voitures pour Stellantis, dont la DS N°8 de l’Elysée. « Avec l’IRA, chaque batterie produite aux Etats-Unis génère un crédit d’impôt de 35 dollars [30 euros] par kWh, soit un tiers du coût », explique Benoît Lemaignan, PDG de Verkor.
Chez ACC, la montée en cadence se poursuit et l’entreprise compte produire au cours du dernier trimestre de l’année 15 000 à 20 000 batteries. Verkor et PowerCo n’en sont pas encore là. « Démarrer cette industrie est plus coûteux et plus lent que ce que nous avions imaginé au début », reconnaît Yann Vincent, qui a fini par appeler à la rescousse la société chinoise EVE, un des fournisseurs de cellules de batterie de BMW. « Nous avons passé avec eux un accord de service pour nous accompagner », explique le patron, qui insiste sur « la valeur de l’expérience dans une industrie où il faut produire en grande série, mais avec un savoir-faire artisanal, un bon tour de main, pour ne pas perdre trop de matière ».
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés A Poissy, plongée dans la dernière usine de voitures d’Ile-de-France, aujourd’hui en sursisLire plus tard
Dans un communiqué de juin, l’ONG Transport & Environnement (T&E) soutenait la demande des fabricants européens : « Ce qui changerait la donne pour l’industrie européenne des batteries, c’est une aide à la production de type IRA, liée à des critères environnementaux et durables. » Elle regrettait que la Commission ne se dote pas d’un « bazooka pour l’industrie verte et les batteries, avec une aide simple, prévisible, qui permette de trouver des financements ».
Les limites du procédé
Si un consensus semble se dégager pour aider la filière batteries et desserrer la dépendance aux acteurs chinois, l’idée de subventionner la production est loin de faire l’unanimité à Bruxelles. Interrogé le 14 mai par la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux grandes entreprises, qui a remis son rapport le 11 juillet, Olivier Guersent, à l’époque directeur général de la direction concurrence de la Commission européenne, a bien exposé les limites du procédé.
Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les voitures électriques moins chères à l’usage que les véhicules thermiquesLire plus tard
« J’entends, par exemple, des propositions visant à octroyer des aides opérationnelles aux fabricants européens de batteries, a-t-il expliqué aux sénateurs. De quoi parle-t-on ? Concrètement, cela revient à ce que l’Etat couvre les pertes d’exploitation – autrement dit, qu’il finance les fins de mois – sans limite de durée. Et si l’on fait un rapide calcul à partir des demandes formulées aujourd’hui, on aboutit, sous un à deux ans, à une prise en charge publique de 100 % des coûts de l’entreprise. » Et celui-ci de poursuivre : « Si le débat porte sur la nationalisation de certaines industries stratégiques, soit. Mais il faut alors le poser clairement. Car à ce rythme, dans quelques années, l’Etat aura versé l’équivalent de 200 %, 300 %, voire 400 % de la valeur de certaines entreprises. Et le jour où ces entreprises deviendront profitables, il y a fort à parier que 100 % des bénéfices seront captés par les actionnaires privés. »
Les trois signataires du courrier à Ursula von der Leyen ont un contre-argument : « Il ne s’agit pas d’une subvention d’appoint, mais d’un pont vers la performance », le soutien serait dégressif, écrivent-ils. Surtout, à leurs yeux, le coût de l’inaction serait très élevé sur le plan géopolitique. « La tendance au renoncement que l’on observe aujourd’hui autour de la voiture électrique, en acceptant qu’il serait plus facile de produire en Chine, nous conduit vers des drames sociaux », martèle Benoît Lemaignan. Ils assurent enfin que leurs actionnaires font eux aussi un effort.