Les urgences en Aquitaine: le manque de lits d’aval provoque un effet bouchon qui allonge la durée de passage aux urgences

https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-09/NAR2025-043.pdf

SYNTHÈSE

Avec la présence de plusieurs établissements de santé de taille importante (dont le CHU de Bordeaux), la Gironde bénéficie d’une offre de soins riche et diversifiée. La densité de médecins généralistes par habitant (11,3 pour 10 000) y est supérieure à la moyenne régionale (9,6) et nationale (8,2). Néanmoins, malgré une démographie médicale favorable, des difficultés existent en matière d’accès en soins, notamment dans des zones rurales excentrées.

Le département dispose de 15 services d’accueil des urgences (2) qui ont enregistré 371 359 passages en 2023, avec des volumes d’activité très différents selon les établissements (21 passages par jour seulement à Sainte-Foy-La-Grande contre 126 à Libourne et 116 pour les urgences adultes de Pellegrin). En matière d’offre de soins d’urgence, la métropole bordelaise se caractérise par une très forte présence du secteur privé qui représentait 50 % des passages en 2023 contre seulement 18 % en 2022 dans l’ensemble de la France.

Un nécessaire chaînage entre la médecine de ville et l’hôpital

La couverture de la permanence des soins ambulatoires (PDSA), assurée par les médecins de ville les nuits, les week-ends et les jours fériés, est effective dans le département mais reste insuffisante pour désengorger les urgences. Le service d’accès aux soins (SAS) (3), qui a pour objectif de répondre aux besoins de soins urgents et non programmés lorsque le médecin traitant n’est pas disponible, est opérationnel en Gironde. Toutefois, malgré un nombre croissant d’omnipraticiens participant à ce dispositif, des difficultés persistent, notamment lorsqu’il s’agit de trouver des médecins pour effectuer des visites à domicile. Dans le département, l’activité des services d’urgence est d’ailleurs importante durant la période de PDSA (environ 48 % du nombre total de passages).

Les personnes accueillies aux urgences ont des profils très variés, allant des cas les plus graves à ceux qui, normalement, ne relèveraient pas d’une prise en charge hospitalière mais d’une simple consultation de médecine de ville. Cette proportion est d’ailleurs très élevée car, en 2023, 72 % des patients étaient classés en CCMU 4 ou 2, c’est-à-dire les moins graves, et seulement 3 % relevaient des CCMU 4 et 5 (les plus graves).

Des initiatives ont été prises pour optimiser la prise en charge en amont des urgences, mais elles demeurent insuffisantes

Dans le but de mieux répartir les flux entrants, un découpage sectoriel des services d’urgence a été mis en place en 2021. Plusieurs établissements hospitaliers disposent d’une maison médicale de garde à proximité immédiate des urgences. Cela permet d’orienter les patients dont l’état de santé ne justifie pas une admission hospitalière vers les généralistes libéraux présents au sein de ces structures. La mise en place de filières spécialisées contribue également à améliorer les prises en charge, notamment pour les personnes âgées qui ne passent plus systématiquement par les urgences avant d’être hospitalisées. Cela nécessite, toutefois, d’associer les professionnels de santé du secteur, les Ehpad et, bien sûr, les gestionnaires de flux qui doivent avoir une vision presque en temps réel des capacités d’accueil disponibles dans les services d’hospitalisation.

2 Y compris les urgences pédiatriques de l’hôpital des enfants mais sans compter les urgences cardiologiques de l’hôpital Haut-Lévêque, qui sont tous deux rattachés au CHU. 3 Accessible via la plateforme téléphonique du centre 15. 4 Classification clinique des malades aux urgences (CCMU).

Les temps de passage aux urgences augmentent et l’attente dans les véhicules de secours est préoccupante

Malgré les efforts déployés, le temps moyen de passage aux urgences dépassait 5h30 en 2023. Or, il est avéré qu’une attente élevée entraine une dégradation de la prise en charge et peut être source d’incompréhension de la part des patients. Cette situation est particulièrement critique pour les personnes âgées. Alors que la proportion de passages de plus de 8 heures représentaient 18 % du nombre total de passages en 2023, elle atteignait 37 % pour les patients âgés de 75 ans et plus.

Par ailleurs, en Gironde le recours aux ambulances des sapeurs-pompiers est élevé (environ 20 % des arrivées aux urgences) et le temps d’attente de ces véhicules sur les parkingsde certains établissements de santé est préoccupant dans la métropole bordelaise. En 2022, selon les données du SDIS5, la proportion des admissions réalisées après plus de 30 minutes d’attente était de 58 % au CHU, 56 % à la Polyclinique Bordeaux Nord Aquitaine (PBNA) et 69 % à la Polyclinique Bordeaux Rive Droite (PBRD).

La pénurie de personnel médical à la fois cause et conséquence des difficultés rencontrées

Les principaux problèmes rencontrés par les établissements de santé girondins sont globalement les mêmes que ceux constatés dans le reste de la France, à savoir des difficultés de recrutement de médecins et un manque de lits d’aval.

À partir du moment où les services d’urgences peinent à recruter, c’est un cercle vicieux qui s’instaure car les conditions de travail sont dégradées, ce qui rend les postes encore moinsattractifs. Les modalités de travail des médecins hospitaliers se sont fortement transforméesdurant la période sous revue, avec un recours accru au temps partiel et au statut de contractuel,plus avantageux financièrement. Cette crise d’attractivité ne concerne pas que les structurespubliques, bien que les conditions de rémunération soient plus attractives dans le privé où lespraticiens exercent généralement sous statut libéral.

Le manque de lits d’aval pénalise la fluidité du parcours du patient

L’organisation des flux de sortie constitue l’autre problème majeur auquel sont confrontés tous les établissements. L’agence régionale de santé (ARS) estime que le département de la Gironde souffre d’un déficit de capacités en lits de soins médicaux et de réadaptation comprisentre 461 et 585 lits. Ce manque de lits d’aval embolise les services d’hospitalisation qui ne sont alors plus en mesure d’accueillir les patients à la sortie des urgences. Malgré la mise en place degestionnaires de flux dans de nombreux établissements, la recherche de lits d’aval s’avère particulièrement chronophage pour les équipes soignantes. De plus, les unités d’hospitalisation de courte durée (UHCD), qui ont vocation à accueillir les personnes en provenance des urgences pour une durée inférieure à 24h, sont amenées à garder leurs patients bien plus longtemps, fautede places disponibles dans les services de médecine et de chirurgie.

Extraits

Un accès aux services d’urgence relativement aisé, à l’exception de certains territoires excentrés

En Gironde, l’offre en matière de soins d’urgence est composée d’un SAMU-centre 15, implanté sur le site du CHU Pellegrin, de sept services mobiles urgents de réanimation (SMUR) (9) et de 15 services d’accueil des urgences (dont un affecté aux urgences pédiatriques).

9 Bordeaux, Libourne (plus une antenne à Sainte-Foy-la-Grande), Langon, Arcachon, Ares, Blaye et Lesparre-Médoc.

La grande majorité de la population départementale se trouve à moins de 30 minutes en voiture d’un hôpital ou d’une clinique, même si dans quelques secteurs, comme en Sud-Gironde, la distance à parcourir atteint parfois une quarantaine de kilomètres (cf. annexe n° 4 : accessibilitédes services d’urgences). En revanche, compte tenu des caractéristiques géographiques du département (existence de zones à l’habitat dispersé), le rayon d’intervention de certains SMUR est vaste.

1.2.2 La forte présence du secteur privé est une particularité de l’agglomération

Dans l’agglomération bordelaise, les services d’accueil des urgences se répartissent sur sept sites géographiques (hors urgences pédiatriques et cardiologiques du CHU)(10). L’offre de soins d’urgence est assurée par les hôpitaux Pellegrin et Saint-André, rattachés au CHU, les polycliniques Bordeaux Nord-Aquitaine (PBNA) et Bordeaux Rive-Droite (PBRD) (11), la Nouvelle Clinique Bordeaux-Tondu (NCBT), la Maison de Santé Protestante de Bagatelle (MSPB) et la clinique mutualiste de Pessac. Parmi ces services d’accueil des urgences, cinq sont situés sur la rive gauche de la Garonne et deux sur la rive droite. Les équipes du SMUR sont, quant à elles, basées à l’hôpital Pellegrin.

10 Les urgences pédiatriques sont assurées par « l’hôpital des enfants », dans un bâtiment réservé à cette activité, situé sur le site de Pellegrin et les urgences cardiologiques sont prises en charge sur le site de Haut-Lévêque à Pessac. 11 Les polycliniques Bordeaux Nord Aquitaine (PBNA) et Bordeaux Rive Droite (PBRD) appartiennent toutes deux au groupe Bordeaux Nord Aquitaine (GBNA Santé) qui dispose de nombreux établissements de soins dans la région.

La place très importance qu’occupent les établissements de santé privés constitue l’une des caractéristiques de la métropole (cf. annexe n° 5 : structures des urgences par catégorie d’établissements). À part le CHU, l’accueil des urgences est assuré par trois cliniques et deux établissements à but non lucratif (la clinique mutualiste de Pessac et la Maison de Santé Protestante de Bordeaux Bagatelle). Avec l’ouverture du service d’accueil des urgences de la NCBT, en mai 2022, l’offre s’est étoffée sur la rive droite de la Garonne, zone à forte croissance démographique, concernée par d’importantes opérations d’aménagement (projet Bordeaux Euratlantique).

Alors qu’à l’échelle nationale le secteur privé (lucratif et non lucratif) ne représente que 18 % du nombre total de passages aux urgences (données 2022), sa part atteint 50 % dans l’agglomération de Bordeaux (cf. annexe n° 6 : nombre de passages par catégorie d’établissements). Si l’on ne tient pas compte de l’activité des urgences pédiatriques de l’hôpital Pellegrin, la part du secteur public tombe même à 37 %.

La part du secteur privé, qui est traditionnellement importante au sein de l’agglomération bordelaise, a eu tendance à s’accentuer au cours des dernières années. Le nombre total de passages aux urgences a diminué de 14 % dans la métropole entre 2019 et 2023 mais cette baisse atteint 22 % pour le secteur public, 18 % pour le secteur privé non lucratif et seulement 1 % pour le privé lucratif.

Cette évolution s’explique, en partie, par l’ouverture d’un service d’urgence à la Nouvelle Clinique du Tondu en 2022 mais également par l’instauration d’un accès régulé aux urgences adultes de Pellegrin, ce qui a contribué à faire diminuer le nombre de passages dans cet établissement.

Les urgences en Aquitaine: le manque de lits d’aval provoque un effet bouchon qui allonge la durée

La présence d’une maison médicale à proximité des urgences contribue à mieux orienter les patients

Plusieurs établissements hospitaliers disposent d’une maison médicale de garde (MMG) à proximité immédiate des urgences. C’est le cas, par exemple, des CH de Langon (depuis 2009), Libourne (depuis 2015) et Blaye (depuis 2019). Ce dispositif permet d’orienter les patients dont l’état de santé ne justifie pas une admission hospitalière vers des médecins généralistes libéraux.

Dans la métropole bordelaise, l’offre de soins est complétée par les centres de consultation de SOS Médecins20 et la présence d’une maison de santé implantée à l’hôpital Saint-André (CHU). Cette dernière, qui est ouverte en journée du lundi au vendredi ainsi que le samedi matin, contribue à alléger la charge de travail des urgences du centre-ville. Une filière de médecine générale se structure aussi à l’entrée des urgences adultes de Pellegrin avec une consultation possible pour les patients qui ne relèvent pas de la médecine d’urgence, tous les jours de 14 heures à minuit. Dans l’agglomération bordelaise, se sont également ouverts des centres de soins immédiats. Ces structures se situent à mi-chemin entre les cabinets de ville et les urgences où exercent des médecins urgentistes libéraux (qui pour certains travaillaient avant dans le secteur public). Ces centres, qui n’assurent pas le suivi médical des patients, accueillent les « petites urgences » dans des créneaux horaires assez larges mais qui ne comprennent pas la nuit profonde. Sans être intégrés à la permanence des soins ambulatoires, ils peuvent contribuer à la prise en charge des urgences « relatives » mais sont également source de difficultés pour lesservices d’urgence car ils s’avèrent attractifs pour les praticiens qui recherchent des horairesmoins contraignants et/ou des revenus supérieurs.

La mise en place de filières spécialisées permet d’optimiser la prise en charge de certains patients

Selon les données de l’observatoire régional des urgences, le taux d’hospitalisation après passage aux urgences est de 26 % en Nouvelle-Aquitaine et de 28 % en Gironde. Alors que cette part dépasse 50 % au CHU Pellegrin, elle est inférieure à 20 % dans des cliniques de l’agglomération bordelaise.

Afin d’optimiser la prise en charge de certains patients et leur éviter un passage prolongé aux urgences, des filières spécifiques ont été mises en place dans plusieurs établissements de santé.

À Libourne, par exemple, il existe un accueil sur place en pédiatrie et en psychiatrie et des lignes téléphoniques spécialisées en pédopsychiatrie et neurologie permettant de réaliser une première évaluation des cas pris en charge. Il en est de même en gériatrie pour les médecins extérieurs à l’établissement afin de favoriser un circuit d’entrée directe dans le service et donc de limiter les passages de patients âgés aux urgences (environ 80 appels par mois sur la période 2019-2022). Une réflexion est également en cours au CH Sud Gironde afin d’organiser des admissions directes en service de médecine pour les personnes âgées. La polyclinique Bordeaux Rive Droite dispose, quant à elle, d’un circuit spécifique pour les urgences de la main.

De telles initiatives contribuent à améliorer les prises en charge mais elles nécessitent d’associer les médecins libéraux, les Ehpad dans le cadre des personnes âgées, et les gestionnaires de flux qui doivent avoir une vision en presque en temps réel des capacités d’accueil disponibles dans les services.

UNE PRISE EN CHARGE DEGRADEE QUI AUGMENTE LE TEMPS DE PASSAGE AUX URGENCES

3.1 La fermeture temporaire de services provoque un « report de charge » sur d’autres établissements

Les discontinuités de service, liées au déficit de postes médicaux, ont été évaluées par l’ARS Nouvelle-Aquitaine pour les étés 2022 et 2023.

Durant l’été 2022, sur les 15 services d’urgence du département, le nombre de services concernés par des procédures adaptées a pu représenter jusqu’à neuf services la première semaine d’août (soit 60 % des services). La situation ne s’est pas améliorée en 2023 avec un nombre plus important d’établissements concernés. Ces procédures adaptées n’ont cependant pas toutes eu la même portée, selon qu’il s’agisse de suspension de service ou d’accès régulé aux services.

Beaucoup de services d’accueil des urgences disposent désormais de protocoles de fonctionnement en mode dégradé. Ainsi, par exemple, au CH Sud Gironde, l’activité du service est suspendue à compter de 16 heures en cas de carence à partir de 20 h 30, afin de pouvoir organiser le transfert des patients (retour à domicile, hospitalisation ou acheminement vers un autre établissement). Un circuit d’information spécifique à destination des autorités administratives, des services de secours et des médecins du territoire accompagne le déclenchement de cette procédure. Si l’un des deux urgentistes est absent, les urgences vitales continuent à être assurées avec une priorisation sur la ligne SMUR et une prise en charge par le médecin anesthésiste réanimateur de garde si l’urgentiste est amené à partir en intervention. À la clinique du Tondu, un protocole a également été mis en place mais l’effectif étant constitué d’un seul urgentiste, l’absence du médecin entraîne la fermeture du service et l’orientation des patients vers un autre établissement. L’arrêt de l’accueil des patients se fait à partir de 17 heures si lacarence médicale débute à 20 heures (garde de nuit) et à 6 heures si elle commence à 9 heures (garde de jour).

Afin de limiter les venues inutiles aux urgences et mieux faire face aux fermetures temporaires de services, l’ARS a mené une campagne de communication pour inciter les patients à contacter le centre 15 avant tout déplacement (cf. annexe n° 13 : campagne de communication ARS Nouvelle-Aquitaine).

Le fonctionnement en mode dégradé ne concerne pas que des établissements de taille modeste. Le CHU de Bordeaux a d’ailleurs été précurseur en matière de régulation à l’entrée des urgences. Confronté à la saturation de ses capacités d’accueil, il a expérimenté une régulation de l’accès aux urgences adultes de Pellegrin sur la période allant de mai à septembre 2022. Elle a consisté en la fermeture de l’accès direct aux urgences pour les patients se présentant spontanément dans le service. Un tableau reposant sur des critères de réorientation ou d’admission a été établi dans le but de normaliser la prise de décision et un poste d’assistant de régulation médicale spécifique a été déployé pour répondre aux appels des patients présents à l’entrée du service et ne pas confondre ces appels avec le flux courant géré par le centre 15. Le bilan de ces quatre mois d’expérimentation a conclu à l’efficacité de cette organisation, le nombre de passages ayant diminué de 26 % par rapport à la même période de l’année précédente.

L’établissement a décidé de renouveler cette pratique en 2023 et a instauré une régulation permanente de ses urgences adultes la nuit.

Le fonctionnement en mode dégradé, qui s’est généralisé dans de nombreux établissements de santé, fait désormais l’objet d’une disposition spécifique dans le code de la santé publique destinée à faciliter la régulation. L’article R. 6123-18-2, introduit par le décret n° 2023-1374 du 29 décembre 2023, prévoit qu’à titre temporaire et lorsque les circonstances locales le justifient, les établissements disposant d’une structure des urgences ou d’une antenne de médecine d’urgence peuvent être autorisés, par arrêté du directeur général de l’agence régionale de santé, à organiser l’accès à la structure selon des modalités spécifiques (régulation préalable ou orientation préalable en amont de l’accueil du patient par exemple).

En période d’alerte, de tension ou de crise, l’agence régionale de santé active la cellule de coordination du réseau territorial des urgences de Gironde qu’elle réunit hebdomadairement, en conviant les parties prenantes à l’organisation territoriale des urgences(21). Ce dispositif a notamment été en vigueur du 31 mai au 31 août 2022 et a été étendu du 25 avril au 31 août 2023.

Des solutions de solidarité entre établissements ont ainsi été promues dans un souci de mutualisation des ressources médicales.

En 2022, l’ARS a tenté d’aller plus loin en matière de coopération en proposant d’introduire un outil de mutualisation des effectifs mais cette démarche n’a pas abouti. La chambre régionale des comptes observe que le nombre élevé de services d’urgence et la proximité géographique de certaines structures au sein de l’agglomération bordelaise ne peuvent que rendre pertinent ce type d’initiative dans un contexte de rareté de la ressource médicale afin de permettre une continuité d’accueil sur une zone géographique donnée.

21 La cellule de coordination du réseau territorial des urgences de Gironde est composée d’un médecin régulateur du SAMU, d’un médecin urgentiste du CHU de Bordeaux, d’un médecin urgentiste du secteur public, d’un médecin urgentiste du secteur privé et d’un représentant de la délégation départementale de l’ARS.

Des durées moyennes de passage aux urgences qui augmentent mais qu’il convient d’interpréter avec prudence

Les durées moyennes de passage aux urgences sont très variables d’un établissement à l’autre. Elles correspondent au temps durant lequel le patient est pris en charge, de son enregistrement dans le service des urgences à son départ vers un service d’hospitalisation ou un retour à domicile.

Il s’agit d’un indicateur intéressant mais qu’il convient d’interpréter avec une certaine prudence. D’une part, cette durée n’intègre pas le temps d’attente en amont de la prise en charge, dans les ambulances par exemple. Ainsi, Le CH de Libourne enregistre un temps d’attente réduit pour les véhicules du SDIS mais en contrepartie sa durée moyenne de passage aux urgences est importante. D’autre part, la comptabilisation peut différer d’un établissement à l’autre en fonction des spécificités rencontrées dans les services. Ainsi, au CHU Pellegrin, il peut exister un décalage entre l’autorisation de sortie médicale et le positionnement physique du patient, en particulier lorsque l’unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD) est saturée. Le passage en hospitalisation sur brancard provoque la sortie administrative du patient qui demeure pourtant physiquement dans la structure d’accueil et de traitement des urgences. À Saint-André, les hospitalisations en UHCD sont généralement incluses dans la durée moyenne de passage aux urgences alors qu’en principe, elles ne devraient pas l’être

Une durée moyenne de passage élevée peut traduire des difficultés dans la gestion des flux de patients. Cette situation est le plus souvent liée à un sous-effectif médical et/ou à un manque de lits d’aval qui retarde l’orientation des patients vers un service d’hospitalisation.

Parfois, l’organisation mise en place ne permet pas, sauf urgence vitale, de réaliser des examens complémentaires à toute heure du jour et de la nuit. Ainsi, dans les polycliniques Bordeaux Nord et Bordeaux Rive Droite, l’imagerie médicale est assurée sous la forme d’une astreinte à domicile et non d’une garde sur place durant la période de permanence des soins. Ce n’est que dans les cas les plus urgents qu’un manipulateur en électroradiologie vient effectuer un cliché, transmis pour l’interprétation à un radiologue, lui aussi d’astreinte à domicile.

Sur la période 2019-2023, la durée moyenne de passage, tous établissements confondus, est relativement stable en Gironde mais demeure supérieure à celle enregistrée en Nouvelle- Aquitaine, avec des temps de passage assez contrastés dans l’agglomération bordelaise

La mise en place d’un circuit court destiné en principe à la petite traumatologie peut contribuer à réduire la durée de passage des patients les moins gravement atteints. Elle peut prendre différentes formes comme, par exemple, une orientation spécifique selon le type de pathologie ou de besoin (traumatismes légers, plaies bégnines, consultations urgentes…) ou la prescription d’un examen d’imagerie par l’infirmier(ère) d’orientation, avant l’intervention du médecin. Cette organisation est toutefois difficile à mettre en œuvre du fait de la rareté de la ressource médicale. Ainsi, dans les polycliniques Bordeaux Nord et Bordeaux Rive Droite, le circuit court ne fonctionne que durant une plage restreinte en journée (et seulement lorsqu’un deuxième médecin est présent dans le service des urgences de la polyclinique Bordeaux Rive Droite).

TOUS LES ÉTABLISSEMENTS DE SANTÉ DOIVENT FAIRE FACE A DES DIFFICULTÉS DE RECRUTEMENT ET A UN

MANQUE DE LITS D’AVAL

L’insuffisance des ressources humaines, à la fois cause et conséquence des difficultés rencontrées

Un constat partagé par tous les établissements

Les difficultés rencontrées pour recruter des médecins constituent un problème majeur à l’échelle nationale et qui est particulièrement prégnant en ce qui concerne les urgences, compte tenu des contraintes spécifiques liées au fonctionnement de ces services. Une étude publiée en 2022 par les Annales françaises de médecine d’urgence fait état d’un taux de vacance d’emploi de 23 %(23). À partir du moment où les services d’urgences peinent à recruter, c’est un cercle vicieux qui s’instaure car les conditions de travail sont dégradées, ce qui rend ces services encore moins attractifs. Or, selon l’étude précitée, la qualité de vie au travail constitue l’un des premiers facteurs d’attractivité.

Tous les établissements girondins interrogés dans le cadre de l’enquête font état dedifficultés pour recruter des médecins urgentistes.

Le CHU de Bordeaux, qui emploie les plus gros effectifs médicaux, constate une crise d’attractivité particulièrement marquée depuis 2020, notamment sur son site principal de Pellegrin (cf. annexe n° 14 : les difficultés de recrutement aux urgences du CHU). Cette situation a de fortes conséquences sur la capacité du service à faire face au niveau de demande d’activitéde ces dernières années. Au total, la diminution des effectifs médicaux des deux services des urgences adultes du CHU (Pellegrin et Saint-André) atteint 10 % entre 2017 et 2022 et la proportion de médecins seniors (tous statuts confondus) a tendance à diminuer sur la période (27 % en 2019 et 23 % en 2022). De ce fait, le schéma des effectifs cibles des médecins seniors24 n’a pas pu être respecté à Pellegrin compte tenu du nombre de postes vacants.

L’existence de postes médicaux vacants pourrait conduire à envisager une mutualisation plus poussée des effectifs à la fois sur les différentes fonctions du pôle urgences (accueil des urgences, SAMU et SMUR) mais également entre sites afin de permettre une meilleure adéquation entre les effectifs présents et les besoins en postes médicaux. La participation ponctuelle à l’activité des urgences des médecins positionnés au SMUR, qui constitue une pratique courante dans de nombreux établissements, suscite des réticences au CHU. Certains acteurs médicaux avancent que cela pourrait encourager le départ d’urgentistes, alors même qu’une telle mutualisation est susceptible d’améliorer les conditions de travail de la majorité des praticiens.

La crise d’attractivité ne concerne pas que les structures publiques. Elle touche également le secteur privé.

À la Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu, le démarrage de l’activité d’accueil des urgences a été difficile faute de ressources médicales suffisantes. Le modèle économique envisagé prévoyait de faire appel à des médecins libéraux, comme c’est le cas dans la grande majorité des cliniques, mais la faiblesse de l’activité a conduit à recruter des urgentistes salariés.

Alors que son service a ouvert le 19 mai 2022, la clinique a été contrainte de fermer ses urgences entre le 27 juillet et le 4 septembre 2022, à cause d’un manque de praticiens.

La polyclinique Bordeaux Rive Droite, où les médecins exercent tous dans le cadre d’un contrat d’exercice libéral, estime que son service d’accueil des urgences est victime d’une réputation historique de difficultés d’exercice, situation aggravée en raison du planning désormais en vigueur imposant de lourdes contraintes de présence du fait du nombre réduit de médecins. Ce service qui était composé de neuf médecins en 2021 n’en comptait plus que six en 2022 et cinq en 202325. Le planning théorique, qui prévoit une couverture médicale de deux médecins en journée, un de nuit, plus un médecin affecté à l’unité d’hospitalisation de courte durée en journée, n’a pas pu être honoré à plusieurs reprises durant la période sous revue. Le resserrement du nombre de praticiens a eu logiquement un impact sur l’évolution de leurs honoraires (218 000 € en moyenne par praticien ayant une activité significative en 2022) mais également sur leur charge de travail.

Un recours accru au temps partiel et aux contrats temporaires

Les modalités de travail des médecins hospitaliers se sont fortement transformées durant la période sous revue avec un recours accru au temps partiel et au statut de contractuel. Ainsi, au CHU, sur le site de Pellegrin le nombre de « médecins séniors » exerçant à temps partiel est passé de quatre personnes au 31 décembre 2018 à 21 au 31 décembre 2022. Le phénomène estidentique à Saint-André avec un médecin à temps partiel au 31 décembre 2018 et huit en 2022.

La part des médecins contractuels a également beaucoup augmenté.

Des difficultés de recrutement ont aussi été signalées au CH Sud Gironde où le président de la commission médicale d’établissement regrette que le dispositif réglementaire consistant à plafonner la rémunération des intérimaires ne soit pas applicable dans les structures privées, qui peuvent continuer à recruter des praticiens à des tarifs plus élevés.

Pour certaines spécialités, dont fait partie la médecine d’urgence, une forte concurrence territoriale existe, ce qui place les hôpitaux devant une forme de « chantage » à l’embauche pratiqué par certains médecins remplaçants. Créés en 2022, les contrats dits de type 2 permettent de recruter des médecins en leur proposant des rémunérations bien plus élevées que celles des praticiens hospitaliers qui sont payés en fonction de leur échelon et de leur ancienneté(26)

. Or, le nombre de contrats de type 2 a beaucoup augmenté dans les hôpitaux depuis l’entrée en vigueur du plafonnement de la rémunération des médecins intérimaires. Les praticiens titulaires étant moins bien rémunérés que leurs confrères remplaçants, cela peut les inciter à abandonner leur statut ou à solliciter un temps partiel pour pouvoir exercer dans plusieurs établissements et bénéficier de la prime de solidarité territoriale (PST). Cette dernière permet de valoriser financièrement une activité effectuée par un praticien au-delà de ses obligations de service dans un autre établissement public de santé que son établissement employeur. Par dérogation, l’ARS peut autoriser le versement de cette prime à des praticiens n’exerçant pas à temps plein, ce qui est le cas en Nouvelle-Aquitaine. Selon le CHU, le dispositif de PST ne joue pas en sa faveur car il n’a enregistré qu’un candidat à ce titre (qui n’a du reste pas donné satisfaction) alors qu’en sens inverse, entre cinq et dix praticiens du CHU exercent à l’extérieur de l’établissement. Si les activités des praticiens exerçant dans le cadre de la PST sont mesurables, il n’en est pas toujours de même pour les praticiens à temps partiel qui travaillent, en parallèle, dans le secteur privé car ces derniers n’en informent pas systématiquement leur établissement d’origine, bien que la réglementation le prévoie(27)

26 Le décret n°2024-1133 du 4 décembre 2024 est venu préciser les conditions de recours aux contrats mentionnés au 2° de l’article R. 6152-338 du code de la santé publique. 27 L’ordonnance n° 2021-292 du 17 mars 2021 visant à favoriser l’attractivité des carrières médicales à l’hôpital a assoupli les règles de droit commun en matière de cumul d’activités des praticiens. Désormais, tout praticien exerçant entre cinq et neuf demi-journées par semaine peut développer une activité privée rémunérée en dehors de ses obligations de service et de son établissement d’affectation, sous réserve d’en informer son employeur. 28 cf. par exemple, l’étude de Yonathan Freund (médecin urgentiste à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris) et Mélanie Roussel (UFR Santé de Rouen-Université Rouen-Normandie), qui indique qu’une nuit passée sur un brancard aux urgences augmente de près de 40 % le risque de mortalité hospitalière des personnes âgées (communiqué de presse de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris du 6 novembre 2023).

Le manque de lits de gériatrie dégrade la prise en charge des patients âgés

Le manque de lits en gériatrie est un problème majeur et récurrent qui est néfaste à la bonne fluidification des sorties d’hospitalisation et se répercute in fine sur les services d’urgence.

Dans une étude publiée en mars 2017, le ministère chargé de la santé (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques – Drees) faisait observer que « Parmi les personnes accueillies aux urgences, les patients âgés constituent un groupe spécifique mobilisant les équipes d’urgence de façon particulière. […] Leur prise en charge comporte un nombre d’actes plus élevé, une hospitalisation plus fréquente en unité d’hospitalisation de courte durée (UHCD),et se caractérise par une durée de passage plus longue que celle des patients plus jeunes »29

En Gironde, ce phénomène de temps de passage long pour les personnes âgées semble particulièrement prégnant (cf. annexe n° 15 : proportion de passages de plus de 8 heures chez les 75 ans et plus). Les passages de plus de 8 heures représentent 18 % du nombre total de passages mais cette proportion atteint 37 % pour les patients âgés de 75 ans et plus, ratio bien supérieur à celui constaté à l’échelle régionale (28 % selon les données 2023 de l’ORU Nouvelle Aquitaine).

29 Les personnes âgées aux urgences : une patientèle au profil particulier, Drees, Études et résultats n° 1007, mars 2017.

Les unités d’hospitalisation de courte durée sont souvent utilisées pour pallier le manque de lits d’aval

Les unités d’hospitalisation de courte durée (UHCD) ont vocation à accueillir des patients en provenance des urgences pour une courte durée (maximum 24 h). Ces unités ont pour objectifs d’organiser la surveillance des patients, de poursuivre les soins et d’affiner le diagnostic afin d’autoriser le retour à domicile ou d’orienter le patient vers le service le mieux adapté à son état de santé.

Les établissements qui disposent d’UHCD ont parfois recours à ces structures pour des durées supérieures à 24 heures, faute de solution en aval des urgences. C’est notamment le cas pour les cliniques PBNA et PBRD. Selon les données transmises par l’ARS Nouvelle-Aquitaine, ces deux polycliniques font partie des cinq établissements dont la proportion d’hospitalisations en UHCD est la plus élevée au plan national (30 % en 2021 et 2022 pour PBNA et 34 % en 2023 pour PBRD).

Dans les établissements publics également, les unités d’hospitalisation de courte durée portent de moins en moins bien leur nom. Ainsi, au CH Sud Gironde, les séjours supérieurs à 24 heures ont sensiblement augmenté depuis 2018 (+ 56 %) et au CHU l’unité d’hospitalisation de courte durée est amenée à jouer un rôle de substitution d’unité traditionnelle, ce qui ne permet pas la rotation rapide des patients qu’elle prend en charge.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire