Les laboratoires pourraient notamment allonger les délais de péremption et mieux adapter le conditionnement des boîtes pour éviter le gaspillage.

Au moins 560 millions d’euros de médicaments partent à la poubelle chaque année

Dans un rapport publié le 4 septembre, la Cour des comptes pointe l’aberration financière et écologique des médicaments non utilisés et jetés. Les laboratoires pourraient notamment allonger les délais de péremption et mieux adapter le conditionnement des boîtes pour éviter ce gaspillage.

Rozenn Le Saint

4 septembre 2025 à 20h https://www.mediapart.fr/journal/france/040925/au-moins-560-millions-d-euros-de-medicaments-partent-la-poubelle-chaque-annee?utm_source=quotidienne-20250904-181510&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250904-181510&M_BT=115359655566

EntreEntre 561 millions d’euros et 1,735 milliard d’euros : une manne d’argent public aujourd’hui dépensé inutilement. Il s’agit de la fourchette basse de l’estimation de la valeur des médicaments non utilisés et mis à la benne chaque année. Un chiffre calculé par la Cour des comptes, dans son rapport* sur le bon usage des produits de santé, rendu public jeudi 4 septembre.

*https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/2025-09/20250905-Bon-usage-des-produits-de-sante.pdf

Et encore, il repose seulement sur une évaluation de la valeur des gélules récupérées via le dispositif de collecte en pharmacie de ville, Cyclamed. Celui-ci présume que huit Français sur dix rapportent leurs boîtes de cachets dont la date de péremption est dépassée.

Or, les laboratoires pharmaceutiques ont intérêt à ce que cette échéance soit relativement courte, de manière à susciter de nouveau l’achat. Pour obtenir le feu vert des autorités sanitaires afin de commercialiser leurs produits, il est demandé aux fabricants de médicaments de tester leur stabilité : en général, ils fournissent des données sur une période de trois ans, dont découle la date de péremption. Au-delà, cela ne veut pas dire que le cachet ne fonctionne plus ou qu’il est dangereux pour la santé, mais simplement que son vendeur n’a pas cherché à le savoir.

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Des médicaments périmés dans une poubelle Cyclamed à Colomiers (Haute-Garonne), le 23 mars 2023.  © Photo Valentine Chapuis / AFP

L’UFC-Que choisir, elle, a testé 30 médicaments stars des pharmacies, à base de paracétamol et d’ibuprofène, supposés périmés entre 2015 et 2024 : l’analyse de l’association de consommateurs et consommatrices montre qu’ils restent efficaces des années, voire des décennies après, d’où la nécessité d’étendre leur durée de vie.

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À l’aberration financière s’ajoute l’absurdité écologique, d’autant plus que la fabrication des produits de santé représente près de 5 % des émissions de gaz à effet de serre émis par la France chaque année, comme le rappellent les sages de la rue Cambon. Sans compter le traitement de leurs eaux usées, coûteux.

Les industriels devraient être incités « à retenir des délais de péremption optimisés », et ce « lors des négociations sur la tarification des produits de santé » avec les pouvoirs publics. Les médicaments les moins susceptibles d’être gaspillés pourraient être achetés un peu plus cher, ce qui même dans cette hypothèse susciterait des économies sur ce gros poste de dépenses de la Sécurité sociale qu’est celui du remboursement des produits de santé : en 2023, l’État a versé dans ce cadre 36 milliards d’euros aux laboratoires, soit 12 % de plus qu’en 2019.

Aucune sanction

De la même façon, pour éviter que des plaquettes de gélules à moitié entamées encore valables ne soient jetées, dans un contexte de pénurie croissante, la Cour des comptes propose d’actionner ce même levier de l’incitation pour les laboratoires qui adapteraient leurs conditionnements aux recommandations des autorités sanitaires.

Car, si la Haute Autorité de santé préconise un cachet par jour pendant sept jours pour soigner une maladie, proposer des boîtes de médicaments de plus de sept cachets comme c’est généralement le cas engendre forcément du gâchis.

Jusqu’ici, la carotte est privilégiée au bâton puisque, à la connaissance de la Cour des comptes, le ministère de la santé n’a jamais déclenché de sanction contre des laboratoires pour un conditionnement « manifestement inadapté », alors qu’il en a la possibilité depuis 2020 (voir la boîte noire).

« Il faut une volonté politique claire de s’attaquer aux véritables dépenses inutiles en santé, de challenger les industriels sur les dates de péremption des médicaments trop courtes et les conditionnements inadaptés qui provoquent du gaspillage, insiste Yann Mazens, chargé de mission pour France assos santé. Au lieu de cela, on tape sur le plus facile, les patients, avec le doublement de la franchise médicale, en insistant sur leur responsabilité, eux qui auraient les armoires à pharmacie pleines, alors qu’ils n’y sont pour rien. »

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Des pharmaciens corréziens pratiquant la dispensation à l’unité hors des clous ont été sanctionnés par l’ordre régional des pharmaciens à la suite de la parution d’un article de Mediapart. Un rapport spécifique sur cette mesure de bon sens devrait être publié par la Cour des comptes d’ici à la fin 2025.

Par ailleurs, les médicaments distribués à l’hôpital ne sont même pas comptés dans l’évaluation de la Cour des comptes, faute de remontées centralisées des données des établissements, ce qu’elle déplore. Elle invite à mieux évaluer cette perte afin de mieux cibler les mesures pour la limiter. D’autant que les produits de santé délivrés à l’hôpital, comme les anticancéreux, sont ceux qui font le plus flamber l’addition présentée chaque année par les laboratoires à l’assurance-maladie.

Rozenn Le Saint

Boîte noire

Le rapport de la Cour des comptes sur le bon usage des produits de santé publié le 4 septembre précise : « La Haute Autorité de santé (HAS) peut également émettre un avis pouvant déclencher une sanction à l’encontre des laboratoires, dans le cas où le conditionnement commercialisé d’un produit apparaîtrait comme manifestement inadapté. Cette possibilité existe depuis plusieurs années pour les médicaments et depuis peu pour les dispositifs médicaux. Aucun des acteurs interrogés n’a cependant été en mesure de citer d’application de ces dispositions pour les médicaments. »

Sollicités par Mediapart, le ministère de la santé et le Leem, le lobby des entreprises du médicaments, n’ont répondu.

Rapport de la Cour des comptes sur le bon usage des produits de santé (Document)

04/09/2025 https://toute-la.veille-acteurs-sante.fr/236049/rapport-de-la-cour-des-comptes-sur-le-bon-usage-des-produits-de-sante-document/

Émis par : Cour des comptes

Les produits de santé, entendus comme les médicaments et dispositifs médicaux à usage individuel, sont prescrits et dispensés aux patients afin d’établir un diagnostic ou les soigner. 

En 2023, près de 15 000 références de médicaments étaient prises en charge par l’assurance maladie. Les dispositifs médicaux, eux, constituent un vaste ensemble de produits très hétérogènes comprenant par exemple les pansements, les fauteuils roulants et les seringues. La notion de « bon usage » recouvre dans ce rapport une triple dimension.

La première est celle de l’utilisation effective des produits de santé et correspond aux produits prescrits, dispensés et remboursés, mais détruits sans être utilisés. La deuxième est celle de la conformité de la consommation d’un produit de santé aux recommandations sanitaires. La troisième concerne l’efficience de la consommation des produits de santé en termes de rapport qualité/prix.

La notion de « bon usage » retenue ici dépasse donc largement l’acception courante d’absence de « gaspillage ». 

Le bon usage des produits de santé, un enjeu qui n’est pas seulement sanitaire et financier

Le bon usage des produits de santé constitue un enjeu majeur, non seulement en termes de santé publique et de maîtrise des dépenses, mais aussi en raison de l’émergence de préoccupations environnementales et de l’apparition de tensions d’approvisionnement. Les dépenses de remboursement des produits de santé par l’assurance maladie ont représenté 36,05 Md€ en 2023 (en montants nets), soit une hausse de près de 12 % par rapport à 2019. Cette dynamique se concentre plus particulièrement sur les dépenses de médicaments ainsi que sur les produits dispensés en ville mais issus de prescriptions hospitalières.

Concernant les enjeux sanitaires, un mauvais usage des médicaments et dispositifs médicaux peut se traduire pour le patient par des effets indésirables, allant de simples inconforts à des réactions plus graves, y compris mortelles ; en témoignent des crises de santé publique ayant pour origine directe un usage inapproprié de médicaments, comme le benfluorex (affaire du Médiator®).

L’émergence des préoccupations environnementales et le respect des engagements internationaux en matière de transition écologique renforcent également l’exigence de bon usage des produits de santé. Les secteurs sanitaire et médico-social représentent en effet 50 à 60 millions de tonnes d’émissions de gaz à effet de serre, soit 8 à 10 % du total des émissions de la France.

De même, la présence de résidus issus des médicaments dans les eaux est généralisée ; il pourrait en résulter à l’avenir à une augmentation des coûts de traitements des eaux usées. Enfin, depuis la crise du covid-19, l’approvisionnement en produits de santé connaît des tensions, voire parfois des épisodes de pénurie et de rupture. En 2023, l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé a recensé près de 5 000 signalements de ruptures de stock ou de tensions d’approvisionnement en France, soit presque deux fois plus qu’en 2021 où 2 760 signalements avaient été comptabilisés.

Une large méconnaissance des usages des produits de santé à laquelle il faut remédier

Pour améliorer le bon usage des produits de santé, il est indispensable de mieux connaître et maîtriser leurs modalités de prescription et de dispensation. La Cour recommande pour cette raison de communiquer de façon régulière aux établissements de santé des informations portant sur les pratiques prescriptives de leurs professionnels ou encore d’intégrer dans le dossier médical partagé du patient les données relatives aux médicaments dispensés. Il est également nécessaire de comprendre pourquoi certains produits sont détruits sans être consommés ni utilisés.

Bien qu’il soit difficile de connaître précisément les montants et la nature des dépenses de médicaments qui auraient pu être évitées, la Cour a procédé à une évaluation globale de la valeur financière des médicaments non utilisés et jetés en ville, à partir des tonnages collectés par l’éco-organisme Cyclamed. Elle aboutit, avec cette méthode de calcul, à une estimation comprise entre 561 M€ et 1,735 Md€ par an, selon que sont inclus ou non les médicaments les plus onéreux. La Cour recommande donc d’améliorer la connaissance des produits de santé jetés en réalisant, en ville, des études de caractérisation des déchets, et dans les établissements de santé, une remontée d’information centralisée.

Le renforcement indispensable d’actions contribuant au bon usage des produits de santé

Afin de favoriser le bon usage des produits de santé, différents leviers peuvent être mobilisés au niveau de leur prescription, de leur dispensation et de la fixation de leur prix. Parmi les mesures mises en œuvre par les pouvoirs publics, le présent rapport analyse celles qui pourraient être renforcées, tant du côté de la demande de produits de santé – c’est-à-dire des prescripteurs et des pharmaciens, que du côté de l’offre – c’est-à-dire des industriels. Les actions menées par l’assurance maladie auprès des prescripteurs sont essentielles mais pourraient être améliorées.

C’est pourquoi la Cour recommande à la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) d’étendre le dispositif d’accompagnement de la prescription à d’autres médicaments présentant un fort risque de mésusage que ceux pour lesquels il existe actuellement. Le rôle des pharmaciens d’officines doit aussi être renforcé. Ces professionnels peuvent en effet contribuer à réduire les dépenses de l’assurance maladie en substituant, lors de la dispensation, un médicament générique à un médicament de référence plus onéreux. Ils réalisent également de plus en plus de tests (jusqu’à 370 000 en octobre 2024) pour déterminer notamment si une angine est d’origine virale ou bactérienne et si une prescription d’antibiotiques est opportune.

Des actions doivent également être menées auprès des industriels pour les inciter à adapter les conditionnements des produits de santé et à retenir des délais de péremption optimisés. Cela permettrait d’éviter non seulement la délivrance d’un volume de médicaments surévalué par rapport à la posologie, mais également les conséquences d’un délai de péremption trop court.

La Cour préconise à cette fin d’inclure la question des délais de péremption et des conditionnements dans le cadre des négociations relatives à la tarification des médicaments. Enfin, la production de produits de santé devrait s’inscrire dans une perspective de développement plus durable. La re-dispensation des médicaments non utilisés constitue une mesure prometteuse, en particulier pour les médicaments coûteux.

Certains dispositifs médicaux pourraient également être réutilisés après avoir été remis en bon état d’usage ou retraités. C’est pourquoi la Cour recommande d’élargir les possibilités de réutilisation effective des produits de santé, en facilitant
la re-dispensation des médicaments les plus onéreux et le réemploi de certains dispositifs médicaux.

Consulter le rapport et sa synthèse

Contacts presse
Julie Poissier – directrice de la communication – julie.poissier@ccomptes.fr
Mendrika Lozat-Rabenjamina – responsable relations presse – mendrika.lozat-rabenjamina@ccomptes.fr

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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