Le gouvernement tente un passage en force pour doubler les franchises médicales
Pour économiser 700 à 800 millions d’euros, le gouvernement veut doubler les franchises médicales et tente de faire passer la mesure par des décrets au plus vite. Malgré l’avis largement négatif que vient de rendre le conseil national de l’assurance-maladie.
4 euros payés de sa poche pour une consultation médicale, au lieu de 2 ; 2 euros par boîte de médicament au lieu de 1 ; 8 euros pour un trajet en transport sanitaire au lieu de 4 ; jusqu’à 200 euros par an au maximum au lieu de 100… : le gouvernement veut doubler le montant des franchises médicales et des participations forfaitaires payées par les patient·es pour de très nombreux actes de soins.
Ces franchises et participations s’appliquent de manière indéterminée, quel que soit le revenu des personnes, y compris celles qui comptent à l’euro près. La mesure est donc parfaitement calibrée pour creuser les inégalités de santé entre riches et pauvres.

Cette hausse est au cœur du projet de loi austéritaire de financement de la Sécurité sociale préparé par le gouvernement de François Bayrou, qui doit être discuté au Parlement à l’automne. Il ne le sera probablement jamais, en raison de l’échec annoncédu vote de confiance du 8 septembre.
Le premier ministre semble en avoir pris acte depuis longtemps. Il a donc tenté un passage en force, par des décrets envoyés pour avis au conseil de la Caisse nationale de l’assurance-maladie (Cnam), dès le 6 août.
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Ce conseil se prononce sur les grandes orientations de l’assurance-maladie. Il est paritaire. Y siègent les organisations syndicales, le patronat, les associations de patient·es, familiales, ainsi que les mutuelles. Il s’est réuni, jeudi 4 septembre, et s’est prononcé très largement contre l’augmentation des franchises : 21 membres ont voté contre la hausse, 12 pour, et 3 se sont abstenus.
Seuls les représentants du patronat ont voté pour cette augmentation des franchises médicales, à une exception : l’Union des entreprises de proximité, qui représente les patrons des petites et moyennes entreprises, s’est abstenue. Le docteur Christophe Prudhomme, qui siégeait pour la CGT, raconte « un très long débat, tendu ».
« On est tous un peu à cran, parce que le gouvernement veut faire payer les malades chroniques », confirme Féreuze Aziza, qui représentait France assos santé, l’Union nationale des associations agréées d’usagers et usagères du système de santé.
Pour un malade grave, 72 euros de plus par an
L’association a obtenu un chiffrage du coût de ces mesures pour les patient·es : elles vont coûter 44 euros de plus en moyenne par an, et même 72 euros pour les personnes qui ont une affection de longue durée, c’est-à-dire une maladie grave et/ou chronique.
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« En 2004, la première participation financière du patient à la consultation médicale était de 1 euro, elle est de 4 aujourd’hui, rappelle Féreuze Aziza. Les franchises et les participations avaient déjà augmenté l’année dernière, mais on nous avait expliqué que les personnes en ALD [affection longue durée – ndlr], celles qui consomment le plus de soins, étaient préservées, car le choix avait été fait de ne pas toucher au plafond de 100 euros. Un an plus tard, cette réserve a sauté. » Pour l’assurance-maladie, l’économie serait de 700 à 800 millions d’euros.
« C’est très limite de faire passer ça sans débat démocratique », dénonce Féreuze Aziza. « La majorité des membres du conseil pensent qu’ils ne devraient pas trancher une question aussi importante, renchérit Christophe Prudhomme, pour la CGT. C’est à la représentation nationale de s’exprimer. Le gouvernement s’assoit sur la démocratie. Toutes les organisations syndicales sont d’accord : le gouvernement attise la colère, celle qu’on voit dans les assemblées générales qui préparent le mouvement social du 10 septembre. Cela peut partir dans tous les sens. »
Une entourloupe juridique
Pendant la séance, le cadre juridique de ce vote a été discuté. « On a compris l’entourloupe du gouvernement, poursuit le médecin. Parmi les trois décrets, un seul doit passer le Conseil d’État. » C’est celui qui augmente le plafond annuel des franchises et participations à 200 euros. Les deux autres, qui augmentent leur montant unitaire, sont « des décrets simples », poursuit le représentant de la CGT. « Ces deux décrets simples peuvent être publiés dès demain », soit avant le 8 septembre.
Car le gouvernement peut passer outre l’avis négatif du conseil national de l’assurance-maladie, qui n’est que consultatif. « Tant que le gouvernement est de plein exercice, je ne vois pas d’obstacle à la parution des décrets simples », analyse le professeur de droit public Mathieu Carpentier.
Mais en ce qui concerne le décret sur les plafonds, qui doit passer en Conseil d’État, « si son avis intervient après le 8 septembre, et que le gouvernement est démissionnaire », il ne voit pas « comment le gouvernement pourrait le prendre », poursuit-il. « Cela excéderait, selon [lui], le champ des affaires courantes », qui est celui d’un gouvernement démissionnaire, souligne le juriste.
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Le 9 septembre, le conseil national de l’assurance-maladie se réunit de nouveau pour examiner d’autres décrets, qui viseront cette fois à réformer l’aide médicale d’État (AME). S’ils paraissaient, ces décrets priveraient des dizaines de milliers d’étrangers et d’étrangères en situation irrégulière, en particulier des femmes, de toute couverture santé.
Ce serait un recul sans précédent, très au-delà des affaires courantes gérées par un gouvernement démissionnaire. « Mais bien sûr, prévient Mathieu Carpentier, un nouveau gouvernement pourrait reprendre le chantier en l’état. »