DÉFENSE ET DIPLOMATIE ENQUÊTE
Ventes d’armes : le boom des exportations françaises, y compris vers Israël
Mediapart s’est procuré le rapport 2025 sur les exportations d’armement de la France. Avec 21,6 milliards de commandes, l’industrie militaire a connu sa deuxième meilleure année. Dans le même temps, les exportations à destination de l’État hébreu ont atteint un montant inégalé depuis huit ans. Et ce malgré le génocide en cours.
4 septembre 2025 à 13h00 https://www.mediapart.fr/journal/international/040925/ventes-d-armes-le-boom-des-exportations-francaises-y-compris-vers-israel?utm_source=quotidienne-20250904-181510&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250904-181510&M_BT=115359655566
L’année 2024 a été une année exceptionnelle pour les exportations d’armes françaises : avec 21,6 milliards d’euros de prises de commandes, l’industrie militaire connaît sa deuxième meilleure année, après le pic de 27 milliards d’euros de 2022. Un chiffre en nette augmentation par rapport à 2023 (8,3 milliards), qui représente deux fois la moyenne des dix années précédentes (11,5 milliards par an).
Ces éléments sont dévoilés dans le rapport 2025, émanant du ministère des armées, sur les exportations d’armement de la France, actuellement non public, mais que Mediapart s’est procuré (lire l’intégralité du document en annexes). En intégrant les commandes aux forces armées françaises, c’est près de 40 milliards d’euros qui ont été enregistrés. Plusieurs éléments expliquent ce quasi-record : d’abord, les ventes de Rafale en Indonésie et en Serbie et de sous-marins d’attaque aux Pays-Bas.

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Dans la préface du rapport, le ministre des armées, Sébastien Lecornu, met en avant les « programmes industriels structurants tels que le Rafale, les sous-marins Barracuda, les canons Caesar, ou encore les frégates et hélicoptères ».
Les ventes aux pays européens battent des records. Pour Sébastien Lecornu, 2024 a été « une grande année européenne pour la France ». Qu’ils soient membres ou non de l’Union européenne (UE), les pays du continent ont représenté 60 % des contrats à l’export. Comme l’indique le document, « le besoin de certains pays européens de compenser des décennies de sous-investissement et de remplacer les matériels cédés à l’Ukraine offre à la France l’opportunité de nouer de nouveaux partenariats en matière d’armement ».

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Parmi les États qui connaissent une année record de commandes d’armes françaises, il y a Israël. Alors que la guerre et le génocide font rage à Gaza, les prises de commandes d’Israël ont été de 27,1 millions d’euros en 2024. Même s’il s’agit d’un montant bien moindre que pour d’autres pays de la région (1,25 milliard pour l’Irak, 718 millions pour les Émirats arabes unis ou 170 millions pour l’Arabie saoudite), il s’agit d’une somme inégalée depuis 2017. Au-delà des commandes, les livraisons à Israël représentent 16,1 millions d’euros, un chiffre dans la moyenne des dix dernières années.
La question des ventes d’armes à Israël fait l’objet d’intenses débats depuis près de deux ans. La France est signataire de plusieurs textes interdisant de livrer des armes en cas de risque d’utilisation pour commettre des crimes de guerre ou des attaques dirigées contre des civil·es. En septembre 2024, le Royaume-Uni avait annoncé la suspension de certaines licences vers Israël. En août, c’est l’Allemagne qui annonçait suspendre les exportations d’armes qu’Israël pourrait utiliser à Gaza, après l’annonce du plan israélien pour le contrôle de la ville.

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En juin, le média Disclose avait révélé que la France s’apprêtait à livrer des équipements pour mitrailleuse vers Israël. Le réseau militant Progressive International avait également publié un rapport basé sur les données d’importation des douanes israéliennes, qui accusait Paris de livrer de manière « régulière et continue » du matériel militaire à Israël.
Face à ces révélations, Sébastien Lecornu s’était défendu. Un encadré spécial du rapport reprend d’ailleurs ses justifications : « Dans le contexte de la guerre à Gaza, la France ne livre pas d’armes à Israël mais exporte des composants ayant vocation en particulier à être intégrés dans des systèmes défensifs ou à être réexportés vers des pays tiers. »
Le ministère minimise l’augmentation des prises de commandes israéliennes, qui ne représentent que « 0,13 % du total des commandes enregistrées ». « Ces commandes correspondent pour les deux tiers à des composants qui seront intégrés dans des matériels réexportés dans des pays tiers, en cohérence avec la hausse de la demande généralisée pour des équipements de défense et la place de l’industrie israélienne au niveau mondial. »
En mars, dans une réponse écrite au sénateur communiste Fabien Gay, le ministre écrivait que les exportations de matériel étaient d’abord des « composants élémentaires » liés à « l’importance de l’industrie de défense israélienne, qui intègre puis exporte des produits participant aux outils de défense de partenaires de la France ». La « très faible part des exportations qui s’avèrent effectivement être destinées aux forces armées israéliennes » est constituée de matériels de défense aérienne destinés au « Dôme de fer ». Pour appuyer ses dires, le ministre avait déclassifié en juin un document consulté par l’AFP.
Le montant des licences accordées a doublé
L’exportation d’armes connaît plusieurs étapes. Une licence doit d’abord être délivrée à l’industriel en fonction des pays vers lesquels il souhaite exporter. Les licences, qui peuvent fixer des conditions, ne donnent pas forcément lieu ensuite à une commande ou à une livraison. Le rapport indique qu’en 2024 la France a notifié vingt-deux refus (les pays concernés ne sont pas précisés). Par ailleurs, trente-deux demandes ont fait l’objet d’une absence de réponse, ce qui équivaut à un refus implicite.
Le nombre de licences accordées vers Israël a diminué, passant de 75 en 2023 à 50 en 2024. Mais dans le même temps, le montant autorisé a plus que doublé, passant de 176,2 à 387,8 millions d’euros. Le ministre justifie cela par « le besoin d’autoriser, comme cela se produit environ tous les trois ans, un flux de composants pour munitions qui seront réexportés vers la France afin de satisfaire des besoins nationaux ». En clair : la France autorise l’envoi en Israël de composants pour des munitions destinées elles-mêmes à être exportées, notamment en France.
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En 2024, deux licences pour 122 millions d’euros ont ainsi été accordées dans la catégorie ML3 (« munitions et dispositifs de réglage de fusées »).
Pour Aymeric Elluin, responsable plaidoyer armes à Amnesty International France, « cela pose question » : « La France est-elle capable d’assurer que les composants exportés en Israël ne seront pas détournés ? Peut-on faire confiance à un État qui est accusé de commettre un génocide à Gaza et dont le premier ministre fait l’objet de mandats pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité ? » Le passé récent a montré que, malgré les dénégations de nos dirigeants, des armes françaises vendues à l’Arabie saoudite avaient été utilisées au Yémen.
En 2024, six licences représentant 6,4 millions d’euros ont par ailleurs été délivrées pour du matériel ML5 (« conduite de tir, de surveillance et d’avertissement ») et trois licences, soit 5 millions d’euros, pour la catégorie M15 (« matériel d’imagerie ou de contre-mesures »). D’après Aymeric Elluin, « ces éléments d’imagerie et de conduite de tirs sont indispensables à la conduite d’opérations terrestres ».
Il regrette que l’effort de transparence sur le détail des livraisons d’armes à l’Ukraine ne soit pas fait sur les autres pays. Par ailleurs, Amnesty International continue de demander « un embargo total sur les ventes d’armes à Israël, comme c’est le cas pour d’autres pays, comme la Russie ou l’Iran ».