La justice européenne a enjoint l’État d’actualiser les protocoles d’évaluation et d’autorisation des pesticides, et revoir les autorisations de mise sur le marché sous vingt-quatre mois. 

La justice contraint l’État à mettre à jour l’évaluation des risques induits par les pesticides

Par une décision du 3 septembre 2025, la justice a enjoint l’État d’actualiser les protocoles d’évaluation et d’autorisation des produits phytopharmaceutiques, ainsi qu’à revoir les autorisations de mise sur le marché sous vingt-quatre mois. 

Agroécologie  |  Aujourd’hui à 18h21  https://www.actu-environnement.com/ae/news/justice-pour-le-vivant-etat-evalution-risques-induits-pesticides-46715.php4

|  C. Girardin Lang

La justice contraint l'État à mettre à jour l'évaluation des risques induits par les pesticides

La cour a jugé que l’Anses en ne se fondant pas systématiquement sur les données scientifiques disponibles les plus récentes n’assurait pas une mise en œuvre satisfaisante du règlement européen.

La décision a été attendue tout l’été par les associations (1) à l’origine du recours. Le prononcé, initialement fixé à la mi-juillet, avait été repoussé à la fin du mois d’août. C’est donc dans un air de rentrée que la cour administrative d’appel de Paris a reconnu une nouvelle fois, par une décision du 3 septembre 2025, la responsabilité de l’État dans l’existence d’un préjudice écologique résultant de l’usage des produits phytopharmaceutiques, mais en imposant, en plus, à l’Etat d’actualiser les protocoles d’évaluation des pesticides et de revoir les autorisations de mise sur le marché.

En janvier 2022, les cinq associations avaient attaqué l’État pour sa responsabilité dans l’effondrement de la biodiversité. Par un jugement du 29 juin 2023le tribunal administratif de Paris l’avait reconnue, du fait de ses manquements en matière de gestion des pesticides. Les associations requérantes, insatisfaites de l’absence de mesure ordonnant à l’État de revoir le processus d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, ainsi que la ministre de l’Agriculture avaient fait appel du jugement.

Les associations estimaient que la procédure d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché était insuffisante au regard des obligations du règlement européen concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, et que l’évaluation conduite par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) était lacunaire et conduisait à mettre et maintenir sur le marché des produits présentant un effet inacceptable pour l’environnement. Les requérantes considéraient que le lien de causalité entre la procédure défaillante d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits et la survenance du préjudice écologique,ou son aggravation, était direct et certain, quand bien même elle n’en constituait pas l’unique cause.

Prendre en compte les données scientifiques disponibles les plus fiables

Concernant la procédure d’évaluation des risques des pesticides, la cour indique que le règlement relatif à la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques opère une entière harmonisation des règles s’agissant tant de la procédure d’évaluation que des informations devant être transmises dans le cadre d’une demande d’approbation d’une substance active ou d’autorisation de mise sur le marché d’un produit. De ce fait, les États membres « ne peuvent édicter d’autres règles que celles prévues par le règlement européen ».

De plus, le principe de précaution, qui est rappelé dans le règlement, impose aux États de procéder à «une évaluation globale fondée sur les données scientifiques disponibles les plus fiables ainsi que les résultats les plus récents de la recherche internationale ». Si le règlement fait référence à l’utilisation des documents d’orientation adoptés parla Commission européenne disponibles au moment de la demande, la cour précise qu’il est impossible d’en déduire que les États membres doivent se limiter à fonder leur évaluation des risques sur les seulsdocuments disponibles, lorsque ces derniers ne reflètent pas suffisamment l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques. 

Les associations requérantes soutenaient justement que l’Anses, lorsqu’elle réalisait la procédure d’évaluation des produits, s’appuyait uniquement sur ces documents d’orientation, qui se révélaient souventobsolètes. Ces faits ont été étayés par… l’Anses elle-même, qui, dans un avis de son conseil scientifique, publié le 10 mars 2023, soulignait l’important « décalage temporel » existant entre l’évolution des connaissances scientifiques et l’adoption des documents-guide actualisés à l’échelon européen. Ce faisant, l’agence ne se conformait pas à l’état actuel des connaissances scientifiques et allait à l’encontre du règlement.“ Cet arrêt met en adéquation le droit français avec le droit de l’Union européenne en faisant respecter le principe de précaution. Il est une consécration de la rationalité scientifique ”Dorian Guinard, maître de conférences en droit public et porte-parole de l’association Biodiversité sous nos pieds

Au vu de ces éléments, la cour a jugé que l’Anses nefondait pas systématiquement son évaluation des risques sur les données scientifiques disponibles les plus récentes. De ce fait, l’agence n’assurait pas une mise en œuvre satisfaisante du règlement européen.

« Cet arrêt met en adéquation le droit français avec le droit de l’Union européenne en faisant respecter le principe de précaution. Il est une consécration de la rationalité scientifique », s’est réjoui Dorian Guinard, maître de conférences en droit public et porte-parole de l’association Biodiversité sous nos pieds.

Contamination généralisée, diffuse, chronique et durable de l’environnement

La cour confirme le jugement de 2023, qui a reconnul’aggravation du préjudice écologique résultant de l’usage des pesticides. Le tribunal avait reconnu « l’atteinte non négligeable aux éléments des écosystèmes, résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols, la diminution de la biodiversité et de la biomasse, et l’atteinte aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement par ces substances »en raison de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques.

Si le Gouvernement estime que la contamination des sols et des eaux, le déclin de la biodiversité et de la biomasse ont des causes multiples, ce qui ne permettrait pas de tenir l’État comme responsable du préjudice écologique qui en résulte, la cour juge, en revanche, que les carences de l’État dans l’évaluation des risques présentés par les produitsphytopharmaceutiques ont nécessairement eu pour effet de contribuer à l’aggravation de ce préjudice.

« La décision de la cour administrative d’appel de Paris est historique en ce qu’elle reconnaît un lien de causalité entre une évaluation réglementaire des pesticides défaillante et les impacts néfastes sur la biodiversité et la santé », affirme Pauline Cervan, toxicologue chez Générations futures.

Pas de faute de l’État quant aux objectifs de réduction

Conformément au règlement européen, les États doivent prendre un plan d’action national qui fixe les objectifs quantitatifs, les cibles, les mesures et calendriers en vue de réduire les risques et les effets de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques. En France, ce plan national est retranscrit au travers des plans successifs Ecophyto, dont le dernier en œuvre est la Stratégie Ecophyto 2030.

Les associations requérantes soutenaient que l’Étatn’avait atteint ni l’objectif intermédiaire de diminution de 25 % en 2020 ni l’objectif final de diminution de 50 % en 2025. 

À ce sujet, la cour juge qu’une certaine latitude estofferte aux États membres pour mettre en place ces plans nationaux, et que les objectifs fixés dans les plans ne comportent pas de caractère normatif. Ellerelève également que la dernière version du plan d’action national a reporté à 2030 l’objectif de réduction de 50 %.

Deux ans pour réexaminer les autorisations de mises sur le marché déjà délivrées 

La cour, suivant les conclusions de la rapporteure publique, a enjoint à l’État d’opérer une évaluation des risques induits par les produits phytopharmaceutiques à la lumière du dernier état des connaissances scientifiques et de procéder, le cas échéant, au réexamen des autorisations de mises sur le marché déjà délivrées et pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme à ces exigences, dans un délai de vingt-quatre mois. Il devra par ailleurs communiquer dans les six mois à la cour le calendrier prévisionnel de réexamen des autorisations de mises sur le marché concernées élaboré par l’Anses.

« C’est une véritable révolution juridique et scientifique, s’est félicité Notre Affaire à tous. […] C’est une décision qui va tout changer : dans les pratiques agricoles, les politiques publiques, et la façon dont l’État considère enfin la santé et l’environnement […]. Le Gouvernement doit désormais tout mettre en œuvre pour respecter cette décision de justice. Il en va de la sauvegarde de la biodiversité, de la santé publique, mais aussi du principe même d’État de droit », a-t-elle ajouté. 

L’État garde toutefois la possibilité de se pourvoir en cassation. Ce que les associations lui demandent de ne pas faire.1. Il s’agit des associations Notre affaire à tous, Pollinis, Biodiversité sous nos pieds, l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières Truite-Ombre-Saumon (Anper-TOS) et l’Association pour la protection des animaux sauvages et du patrimoine naturel (Aspas).

L’État condamné par la justice à mieux évaluer la dangerosité des pesticides avant de les autoriser

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Victor Tribot Laspière

Publié le mercredi 3 septembre 2025 à 14:50 https://www.francebleu.fr/infos/environnement/l-etat-condamne-par-la-justice-a-mieux-evaluer-la-dangerosite-des-pesticides-3127173

La cour administrative d’appel de Paris a condamné l’État ce mercredi à revoir ses procédures d’autorisation des pesticides, estimant qu’elles sont insuffisantes pour garantir la protection de la santé et de la biodiversité. Une « victoire historique » saluée par plusieurs associations.

La cour administrative d’appel de Paris a condamné ce mercredi l’État à revoir ses procédures d’autorisation des pesticides. La cour les a jugées insuffisantes pour garantir le maintien de la biodiversité et la protection de la santé. Une décision saluée par plusieurs associations de défense de l’environnement. L’une d’elle, Pollinis, a salué une « victoire historique » et appelle le gouvernement à se plier à cette décision, sans saisir la juridiction suprême, le Conseil d’État.

La cour ordonne de procéder « dans un délai de 24 mois » à « un réexamen des autorisations de mise sur le marché déjà délivrées« , pour réparer un « préjudice écologique résultant de l’usage des produits phytopharmaceutiques« , notamment envers « la santé humaine« , a-t-elle résumé dans un communiqué accompagnant la décision. « Il est enjoint à l’État de mettre en œuvre une évaluation des risques présentés par les produits phytopharmaceutiques à la lumière du dernier état des connaissances scientifiques, notamment en ce qui concerne les espèces non ciblées« , indique l’arrêt.

Les services de l’État se voient reprocher d’avoir méconnu les exigences du règlement européen qui encadre la commercialisation des pesticides, édicté en 2009. Ce texte oblige les pesticides à ne pas avoir « d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine ou animale » ni « d’effets inacceptables sur les végétaux ou sur l’environnement ». L’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), chargée d’évaluer et d’autoriser la mise sur le marché des pesticides, « a commis une faute en ne procédant pas à l’évaluation des produits phytopharmaceutiques au vu du dernier état des connaissances scientifiques« , souligne la cour administrative d’appel dans son communiqué.

« Réexamen des autorisations »

L’État est donc sommé de « procéder, le cas échéant, au réexamen des autorisations de mises sur le marché déjà délivrées et pour lesquelles la méthodologie d’évaluation n’aurait pas été conforme à ces exigences, dans un délai de vingt-quatre mois« . Le nombre de produits concernés reste à déterminer. L’État a six mois pour communiquer une liste à la cour administrative d’appel.

La cour administrative d’appel de Paris va plus loin que le tribunal administratif qui, en première instance, en juin 2023, avait « enjoint au gouvernement de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique« . Les associations, partiellement satisfaites, avaient alors fait appel en espérant « obliger l’État à combler les failles des méthodes d’évaluation des risques des pesticides« . C’est ce qu’elles ont obtenu mercredi.

Le succès en juillet d’une pétition contre la loi Duplomb, signée par plus de 2,1 millions de personnes, avait montré l’hostilité aux pesticides d’une bonne partie de l’opinion publique française. L’organisation professionnelle Phyteis, lobby de 18 producteurs de pesticides dont les filiales françaises de Bayer, BASF ou Syngenta, plaidait dans le dossier « Justice pour le vivant » l’absence de « faute » de l’État. Ce dernier devra verser 3.000 euros au titre des frais de justice, à répartir entre six associations.

L’Etat sommé de revoir ses procédures d’autorisation des pesticides dans l’affaire Justice pour le vivant

Dans une décision « historique » pour les défenseurs de la nature, la cour administrative d’appel de Paris juge que l’usage de ces produits entraîne un « préjudice écologique » envers l’environnement et la santé. Les autorisations de mise sur le marché doivent être réévaluées. 

Par Publié le 03 septembre 2025 à 13h27, modifié hier à 11h18 https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/09/03/l-etat-somme-de-revoir-ses-procedures-d-autorisation-des-pesticides-dans-l-affaire-justice-pour-le-vivant_6638748_3244.html

Temps de Lecture 4 min.

Manifestation d’associations de défense de la nature contre la loi agricole Duplomb, qui prévoyait notamment la réintroduction de pesticides dangereux pour la santé, à Paris, le 8 juillet 2025.
Manifestation d’associations de défense de la nature contre la loi agricole Duplomb, qui prévoyait notamment la réintroduction de pesticides dangereux pour la santé, à Paris, le 8 juillet 2025.  BABETH ALOY/HANS LUCAS VIA AFP

C’est une décision inédite et l’aboutissement d’un long combat mené par des associations de défense de la nature. Pour la première fois, la justice ordonne à l’Etat de revoir ses procédures d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytosanitaires, responsables d’un « préjudice écologique » envers l’environnement et la santé humaine.

Dans une décision rendue mercredi 3 septembre, elle lui enjoint de mettre en œuvre une évaluation des risques conforme au « dernier état des connaissances scientifiques » et aux « exigences du règlement européen de 2009 », confirmant ainsi les lacunes de la procédure actuelle. Ce texte indique que les produits ne doivent pas avoir d’« effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine ou animale » ni d’« effets inacceptables sur les végétaux ou sur l’environnement ».

La cour administrative d’appel de Paris impose également à l’Etat de réexaminer, au cours des deux prochaines années, l’ensemble des autorisations de mise sur le marché déjà délivrées et pour lesquelles la méthodologie n’aurait pas été conforme à ces exigences. Elle précise que le gouvernement a six mois pour lui communiquer un calendrier prévisionnel de réexamen des autorisations concernées.

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Dans cet arrêt, la justice reconnaît également l’existence d’« une contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols » par les produits phytopharmaceutiques. Elle affirme que leur usage entraîne une « diminution de la biodiversité et de la biomasse » et une « atteinte non négligeable aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement ». Ces bénéfices sont à la fois les ressources que l’homme tire de la nature et la santé des populations qui dépendent d’un environnement sain.

Si elle était exécutée, cette décision pourrait avoir des conséquences majeures et conduire au retrait d’autorisations de certains pesticides – 2 820 produits étaient autorisés en France en 2022, et 319 substances actives avaient fait l’objet d’au moins une autorisation en 2021. Les cinq associations à l’origine de cette affaire baptisée Justice pour le vivant (Pollinis, Notre affaire à tous, l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières, Biodiversité sous nos pieds et l’Association pour la protection des animaux sauvages) ont aussitôt salué une « victoire historique », la justice ordonnant à l’Etat de « rendre plus protecteurs les protocoles d’évaluation des pesticides ». Le gouvernement peut encore saisir le conseil d’Etat.

« La rationalité scientifique a été consacrée »

« Nous sommes très émus et très heureux, réagit Emilien Capdepon, chargé de campagne pour Notre affaire à tous. Cette décision a une dimension symbolique avec la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans la contamination généralisée des eaux et des sols, mais il y a aussi une dimension très concrète concernant les protocoles, qui sont la pierre angulaire d’une lutte efficace contre les pesticides les plus dangereux. »

« La justice appelle à mettre le droit français en adéquation avec le droit européen pour respecter le principe de précaution, se réjouit également Dorian Guinard, porte-parole de Biodiversité sous nos pieds et maître de conférences en droit public. C’est la rationalité scientifique qui a été consacrée, loin de tout dogmatisme militant. »

En enjoignant à l’Etat, mercredi 3 septembre, de remettre en chantier l’évaluation des risques des pesticides pour les abeilles, pour les pollinisateurs et pour les autres organismes non ciblés, la cour administrative d’appel de Paris prend acte des nombreuses alertes scientifiques qui s’accumulent depuis plus de vingt ans.

Ces procédures d’autorisation sont au cœur du recours en justice depuis son lancement, au début de 2022. Les substances actives utilisées dans les produits phytopharmaceutiques sont approuvées au niveau européen, puis la mise sur le marché des produits eux-mêmes est validée au niveau des Etats. En France, c’est l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) qui approuve la commercialisation des produits.

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Les experts connaissent de longue date les failles des processus d’autorisation des produits phytosanitaires, en particulier les dangers qu’ils représentent pour les pollinisateurs. Mais ils ont peiné à se faire entendre des autorités.

Depuis des années, les associations, mais aussi les scientifiques et les instances réglementaires elles-mêmes, dénoncent les failles béantes de cette procédure : les espèces utilisées pour les tests ne sont pas représentatives ou pas pertinentes ; les effets chroniques, sublétaux, indirects et additionnels ne sont pas pris en considération ; la méthodologie ne tient pas compte de l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques…

Une méta-analyse publiée, en février, dans la revue Nature Communications démontre, par exemple, que les insecticides, les herbicides et les fongicides ont des impacts négatifs sur la croissance, la reproduction, le comportement et d’autres biomarqueurs physiologiques d’espèces animales et végétales non cibles. « Nos résultats remettent en question la durabilité de l’utilisation actuelle des pesticides et soutiennent la nécessité d’améliorer les évaluations des risques afin de réduire ceux-ci pour la biodiversité et les écosystèmes », écrivent les auteurs.

« Insuffisances »

Lors de l’audience en appel du 6 juin, la rapporteuse publique, Gaëlle Dégardin, a confirmé qu’il existait bien des « éléments sérieux et concordants » sur les lacunes de l’évaluation des produits phytosanitaires. « Ces insuffisances ont nécessairement contribué à aggraver les atteintes à l’environnement », a-t-elle relevé. En février, déjà, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé les autorisations de mise sur le marché de deux insecticides à base de sulfoxaflor, une substance apparentée aux néonicotinoïdes, au motif que les autorisations de l’Anses étaient « entachées d’illégalité » et non conformes au droit européen.

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Comme lors de l’audience de première instance, le ministère de l’agriculture ne s’est pas exprimé en appel et a laissé l’avocat du syndicat professionnel Phyteis, qui représente 18 entreprises de produits phytopharmaceutiques, plaider sa cause. Eric Nigri a mis en avant, le 6 juin, le délai incompressible entre l’acquisition d’un savoir scientifique et sa transformation en méthode de quantification des risques. Il a surtout renvoyé les insuffisances mises en lumière par les associations aux procédures au niveau européen, arguant d’une faible marge de manœuvre des autorités françaises.

Ces arguments n’ont pas été retenus par la cour, qui écrit que l’Anses « ne peut être regardée comme assurant une mise en œuvre satisfaisante du règlement européen dans le respect du principe de précaution » et « ne fonde pas systématiquement son évaluation des risques sur les données scientifiques disponibles les plus récentes ». Mercredi 3 septembre, Phyteis a estimé que le processus d’évaluation des produits et leur autorisation de mise sur le marché « ne sont pas remis en cause » de manière systématique par la décision, tout en reconnaissant que les produits devraient subir un « passage en revue ».

Contrairement au tribunal de première instance, la cour d’appel n’a, en revanche, pas retenu deux autres fautes. Elle considère que les objectifs de baisse de l’usage des pesticides inscrits dans les plans Ecophyto depuis 2009 n’ont pas de portée contraignante et que le fait de ne pas les avoir respectés n’est donc pas constitutif d’une faute. Elle ne confirme pas non plus le non-respect de l’obligation de l’Etat à protéger les ressources en eau, la rapporteuse publique ayant estimé que les critiques des associations étaient « très générales » sur ce point.

Celles-ci appellent désormais le gouvernement à respecter cette décision de justice. « Si l’Etat se pourvoit en cassation, cela témoignera d’une volonté de ne pas respecter le droit de l’Union européenne et de ne pas vouloir protéger l’environnement et la santé. Ce serait un signal déplorable », conclut Dorian Guinard.

Mise à jour le 4 septembre à 11 h 18 : ajout de la réaction de Phyteis.

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Pesticides : la justice administrative tire les leçons de vingt ans d’alertes des scientifiques sur les risques pour la biodiversité

Analyse

Publié le 03 septembre 2025 à 19h00, modifié hier à 08h30  Temps de Lecture 3 min. https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/09/03/pesticides-la-justice-administrative-tire-les-lecons-de-vingt-ans-d-alertes-des-scientifiques-sur-les-risques-pour-la-biodiversite_6638800_3244.html

Manifestation de défenseurs de l’environnement  contre un assouplissement de l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles », devant le Conseil d’Etat, à Paris, le 9 mars 2021.
Manifestation de défenseurs de l’environnement contre un assouplissement de l’interdiction des pesticides néonicotinoïdes « tueurs d’abeilles », devant le Conseil d’Etat, à Paris, le 9 mars 2021.  GONZALO FUENTES / REUTERS

Lire aussi |  L’Etat sommé de revoir ses procédures d’autorisation des pesticides dans l’affaire Justice pour le vivant

L’incapacité des procédures réglementaires à identifier les dégâts des pesticides sur la biodiversité est connue de longue date des firmes, des scientifiques et des agences d’expertise : le maintien de ces méthodes de test déficientes n’est pas le fruit de la négligence ou de l’ignorance des décideurs – à l’échelon national comme européen –, mais d’une volonté de ne pas trop entraver l’entrée sur le marché de nouvelles substances, même dangereuses pour la biodiversité.

Réuni en 2001 par le ministère de l’agriculture, le premier groupe d’experts à s’être penché sur le premier des insecticides néonicotinoïdes (l’imidaclopride) avait déjà identifié le problème, il y a vingt-deux ans. Dans son rapport de 2003, le comité scientifique et technique de l’étude multifactorielle des troubles de l’abeille constatait l’inanité des procédures réglementaires en vigueur, et appliquait sa propre méthode d’évaluation à l’imidaclopride. Le comité estimait alors que les abeilles pouvaient être exposées, en situation réelle, à des doses jusqu’à 190 fois plus élevées – et plus de 3 000 fois dans les cas extrêmes – que les plus petites doses délétères. Les tests réglementaires, eux, ne décelaient aucun problème.

Toxicité chronique non évaluée

Le rapport formulait déjà des recommandations pour corriger l’évaluation : tester la toxicité chronique des molécules, et pas seulement leur toxicité aiguë ; identifier les dangers de leurs produits de dégradation, etc. « Il sera nécessaire de développer des protocoles standardisés pour les études de toxicité par traitement réitéré, écrivaient les scientifiques. Ces protocoles devront être établis par des experts en apidologie. » Non seulement leurs recommandations ont été ignorées par le ministère, mais les experts ont dû faire face à des pressions politiques.

Consultée par Le Monde, la correspondance interne du comité scientifique et technique montre que l’administration de tutelle du groupe avait fait circuler une version préliminaire contrefaite du rapport, avant de chercher à le réécrire. En vain. Le directeur général de l’alimentation, Thierry Klinger (mort en 2014), leur refusera in fine le tampon ministériel, sans pour autant contester la teneur de leur travail.

En 2012, un autre groupe d’experts est réuni, par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), pour plancher sur la question, à la demande de la Commission européenne. Constat identique : les tests réglementaires sous-estiment de manière considérable les risques réels pour les abeilles et pour tous les autres pollinisateurs. La toxicité chronique des substances n’est pas évaluée, la toxicité sur les larves non plus, et les effets sublétaux (sur la fertilité, la capacité de reproduction, la production de miel, le système immunitaire, la capacité d’orientation, etc.) ne sont pas plus recherchés. Aucun test n’est demandé sur les espèces de pollinisateurs sauvages (bourdons, abeilles solitaires, papillons…), l’évaluation de l’exposition réelle des insectes dans la nature est fausse, etc. La liste des manquements occupe 275 pages.

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L’année suivante, en 2013, l’EFSA prend sur elle d’établir un « document-guide » posant le cadre d’une évaluation rigoureuse des risques. Lui reste alors, pour avoir une existence réglementaire, à être formellement adopté par les Etats membres et par la Commission européenne. Ce ne sera jamais le cas. Entre 2013 et 2019, le document sera mis 27 fois à l’ordre du jour du Comité permanent des végétaux, des animaux, des denrées alimentaires et de l’alimentation animale (Scopaff), l’instance de l’Union européenne réunissant les Etats membres et la Commission, chargée d’adopter les nouvelles règles : la majorité des Etats membres y seront hostiles.

Valeurs-seuils

L’association Pollinis – membre de Justice pour le vivant, la coalition d’ONG à l’origine du recours administratif – a mené une longue bataille juridique pour obtenir l’accès aux correspondances internes du Scopaff. Les documents obtenus indiquent une forte pression de l’agro-industrie. En particulier, les firmes agrochimiques sont conscientes des risques que ferait peser sur leurs affaires l’évaluation de leurs produits menée selon les principes stricts du « document-guide » de 2013.

En 2017, dans un symposium réunissant les grandes sociétés agrochimiques, leurs experts détaillent l’impact qu’aurait le seul test de toxicité chronique sur les abeilles domestiques : « Pour cette évaluation, 79 % de tous les usages d’herbicides, ainsi que 75 % des usages de fongicides, ne passent pas le test, de même que 92 % des usages des insecticides »écrivent-ils. Au total, dans 82 % des cas, les molécules seraient considérées comme à haut risque pour l’abeille, et des données supplémentaires, très coûteuses à obtenir (études en plein champ, etc.), pourraient être exigées par le régulateur.

Lire aussi (en 2023) :    « Justice pour le vivant » : en soutien de l’Etat, les fabricants de pesticides défendent le processus d’évaluation des risques

En 2019, la Commission européenne cède et demande finalement à l’EFSA de revoir sa copie. Ce qui sera fait en 2023, sous les critiques des associations, qui y voient une version rendue plus laxiste, ouvrant la porte à davantage de molécules. Les discussions se poursuivent au niveau européen pour établir une série de valeurs-seuils (taux acceptables de perte de population, etc.) permettant une véritable refonte de l’évaluation des risques. Le tout, sous l’œil des scientifiques et des organisations non gouvernementales qui, face à l’écroulement des pollinisateurs et des arthropodes, plaident pour un renforcement de la protection de la biodiversité. Avec l’arrêt du 3 septembre, la justice administrative française vient leur prêter main-forte.

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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