10 Septembre: seulement 1/4 de gilets jaunes

Le mouvement du 10 septembre « est structuré presque exclusivement autour de sympathisants de la gauche radicale »

Antoine Bristielle, chercheur en science politique, a mené une enquête dans les boucles du mouvement du 10 septembre sur les réseaux sociaux. Il en ressort que seuls 27 % des répondants affirment avoir été « gilets jaunes » en 2019, explique-t-il dans un entretien au « Monde ». 

Propos recueillis par Publié le 31 août 2025 à 17h53, modifié hier à 11h01 https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/08/31/bloquons-tout-est-un-mouvement-structure-presque-exclusivement-autour-de-sympathisants-de-la-gauche-radicale_6637915_823448.html

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Une assemblée générale départementale au cours de laquelle sont dicutés les actions à mener pour le  mouvement « Bloquons Tout » , le 10 septembre. A Nantes, le 30 août 2025.
Une assemblée générale départementale au cours de laquelle sont dicutés les actions à mener pour le mouvement « Bloquons Tout » , le 10 septembre. A Nantes, le 30 août 2025.  ESTELLE RUIZ / HANS LUCAS VIA AFP

Directeur de l’observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès, Antoine Bristielle a fait circuler un questionnaire, entre le 15 et le 23 août, sur les conversations en ligne du mouvement Bloquons tout. Son travail, réunissant 1 089 réponses, donne des indications sur le profil démographique et politique de ses participants. Loin de la démographie des « gilets jaunes », les répondants sont moins dans « l’expérience vécue de la précarité économique » que dans « une forte politisation à gauche et une volonté d’engagement “pour les autres” », affirme-t-il.

Présenté à ses débuts, en juillet, comme un mouvement épars et hétérogène, mêlant influences souverainistes et messages de gauche, Bloquons tout continue de susciter beaucoup de questions, y compris sur sa matérialité. Comment le décrivez-vous après l’avoir sondé ?

Ce qui m’a étonné, c’est que ce mouvement, souvent présenté comme celui de « gilets jaunes » 2.0, apparaît finalement assez éloigné du profil des manifestants de 2019. J’ai plutôt trouvé un profil de militants de gauche radicale classique. Près de 70 % des répondants ont voté pour Jean-Luc Mélenchon [La France insoumise] à la dernière élection présidentielle, 10 % ont voté pour Philippe Poutou [Nouveau Parti anticapitaliste].

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Sur une échelle gauche-droite allant de 0 à 10, 86 % des répondants se déterminent comme très à gauche, entre 0 et 2. Ce sont des chiffres frappants, qui évoquent un mouvement structuré presque exclusivement autour de sympathisants de la gauche radicale. Les revendications – lutte contre les inégalités, environnement, pouvoir d’achat – rejoignent aussi ce corpus, tandis que les préoccupations identitaires et sécuritaires sont quasiment absentes.

Ce mouvement, plus politisé que celui des « gilets jaunes », est-il aussi différent sous l’angle de la sociologie ?

Un peu plus d’un quart (27 %) des répondants affirme avoir été « gilet jaune » en 2019, mais une large majorité dit ne pas avoir participé au mouvement, tout en le soutenant de l’extérieur (61 %). En ce qui concerne le profil sociologique, on ne retrouve pas la diversité de cette « mini-France » précarisée qui se rassemblait sur les ronds-points, mais un profil plus jeune, mieux intégré et plus diplômé que la moyenne.

Masculin à 56 %, le mouvement s’ancre particulièrement dans les petites et moyennes communes, moins dans les métropoles. Les ouvriers et les retraités, deux groupes centraux parmi les « gilets jaunes », sont sous-représentés. A l’inverse, les cadres et les étudiants, les lycéens ou les inactifs y sont surreprésentés. S’il existe une frange modeste, avec 20 % des répondants déclarant disposer de moins de 1 250 euros par mois, Bloquons tout se caractérise par une surreprésentation des catégories intermédiaires touchant 1 251 à 2 000 euros par mois. C’est moins l’expérience vécue de la précarité économique qu’une forte politisation à gauche et une volonté d’engagement « pour les autres » qui semblent motiver leur mobilisation.

Malgré leur politisation, les acteurs de Bloquons tout partagent avec les « gilets jaunes » une forte défiance à l’égard des acteurs politiques…

C’est le principal point de convergence, oui. Derrière le vote pour Jean-Luc Mélenchon, les personnes qui m’ont répondu partagent une défiance abyssale envers les partis. Elles utilisent les moyens à leur disposition pour porter leurs causes, le vote le cas échéant. Mais à d’autres occasions, face à un système électoral perçu comme verrouillé, la rue, la grève, la contestation directe et l’invention de nouvelles institutions démocratiques plus directes sont citées comme modes d’action légitimes. Le rejet d’Emmanuel Macron et du premier ministre est en tout cas extrêmement fort ; certains appelant à la destitution, voire à un changement complet de régime.

Le long de la Garonne, à Bordeaux, le 25 août 2025.
Le long de la Garonne, à Bordeaux, le 25 août 2025.  CHRISTOPHE ARCHAMBAULT/AFP

Derrière la radicalité de ce discours, comment la mobilisation se dessine-t-elle concrètement ?

Quand on demande « qu’est-ce que vous comptez faire le 10 [septembre] », une quantité de personnes disent « je n’en sais rien, je verrai ». C’est très singulier, le mot d’ordre est déjà une modalité d’action et pourtant ces personnes ne savent pas trop quoi faire. C’est nébuleux, ça tâtonne encore. Cela peut aussi ne déboucher sur rien, le 10 septembre. Pour certains, il s’agira de rester chez soi et de débrancher sa box Internet.

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Dans le même temps, une part non négligeable (44 %, deux fois plus que dans la population générale) considère la violence comme un mode d’action légitime, dans une vision de confrontation directe avec le pouvoir. Au-delà de ces pistes d’action, le collectif reste très virtuel, quoiqu’il y ait des tentatives de rendez-vous pour s’organiser. Certains profils donnent l’impression d’être plus politisés et habitués à la lutte, et ils deviennent de fait les leaders des groupes.

Vu la proximité partisane que vous décrivez, les appels à la grève générale de Jean-Luc Mélenchon, pour qui, le 10 septembre, « la France du travail écrit son calendrier de libération du libéralisme », ont-ils des chances d’être entendus ?

Le message aux accents révolutionnaires de Jean-Luc Mélenchon est assez cohérent avec les mots d’ordre cités parmi les membres de Bloquons tout. Toutefois, ces derniers prennent soin de ne relier la mobilisation à aucun parti politique, ce qui est compréhensible. Ils ont le souci d’apparaître autonomes pour que le mouvement soit le plus large possible. Par ailleurs, si le leader de La France insoumise a annoncé son soutien au mouvement pendant que je menais l’enquête [le 22 août], son annonce n’a pas modifié la démographie des répondants, il n’y a pas eu d’arrivée en masse de militants « insoumis », la proximité idéologique était préexistante.

Quelles pistes d’évolution envisagez-vous ?

Ce mouvement peut encore changer. Ce qui est sûr, c’est qu’il jouera un rôle dans un mois de septembre tendu, en lien avec la journée du 8, choisie par [le premier ministre] François Bayrou pour solliciter la confiance [de l’Assemblée nationale]et la mobilisation du 18 décidée par les syndicats. Je me garderai bien de faire des pronostics, mais j’ai du mal à penser qu’une mobilisation aussi marquée politiquement puisse avoir la même répercussion qu’un mouvement « creuset » comme l’était celui des « gilets jaunes ».

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Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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