> Janvier 2025, article inédit
Quinze ans d’instabilité au Yémen
par Quentin Müller
En 2011, dans le sillage des contestations populaires à travers le monde arabe, le président Ali Abdallah Saleh est contraint de lâcher le pouvoir. Jusqu’en 2014, une période de grande instabilité politique et sociale accentue les divisions identitaires qui minent le Yémen. Le président Abd Rabbo Mansour Hadi, élu en 2012 lors d’un scrutin où il est le seul candidat, cède à une demande du Fonds monétaire international (FMI) sommant son gouvernement de baisser ses subventions sur les carburants. La qualité de vie, déjà fortement dégradée, après les guerres successives menées contre les houthistes dans le nord du pays au début des années 2000, et trois ans d’incertitude politique, se détériore davantage. Dans un pays où 90 % de la nourriture est importée, le pouvoir d’achat baisse de nouveau, et l’inflation flambe. Descendus opportunément de Sa’dah pour accroître leur popularité lors d’échanges spontanés avec la jeunesse mobilisée pendant la révolte populaire, les houthistes mènent un coup d’État militaire depuis leur province. Leur offensive est fulgurante et ne rencontre pas beaucoup d’opposition. Elle atteint Aden, la capitale du Sud, en seulement quelques mois. Alors que la résistance avec ce qu’il reste de l’armée nationale, dont une partie a rejoint les houthistes, flanche, l’Arabie saoudite forme une coalition pour repousser les rebelles dont Riyad prétend qu’ils seraient des agents iraniens en raison de leur confession proche du chiisme. Face à cette internationalisation du conflit, les houthistes se tournent vers Téhéran pour obtenir armes et conseillers militaires. Les aviations saoudienne et émiratie parviennent à repousser les houthistes vers les anciennes frontières du Yémen du Nord. Les positions d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) sont également progressivement éradiquées.
En parallèle, les Émirats arabes unis jouent leur propre partition. Sous couvert de la guerre contre les houthistes, Abou Dhabi recrute, forme, arme et finance de nombreuses milices locales qui lui sont fidèles. La force fédératrice de ces groupes a un nom : le Conseil de transition du Sud (CTS). Les Émirats misent sur le ressentiment des populations du Sud envers les dirigeants du Nord pour créer à terme un Yémen du Sud indépendant sur lequel ils pourraient avoir une influence directe. Chaque port et chaque position stratégique au bord de la mer d’Arabie et à l’entrée du détroit de Bab Al-Mandeb sont investis. Pour ce faire, le CTS entre en conflit direct avec son propre gouvernement déjà très affaibli par l’offensive des houthistes. Les Émiratis soutiennent militairement ce coup d’État dans le coup d’État. Riyad, isolé sur la scène internationale notamment après l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, change alors de stratégie et devient une puissance médiatrice entre le CTS, le gouvernement central et… les houthistes. Depuis 2022, les lignes de front se sont figées. Aucun camp ne réalise de gains territoriaux même si les affrontements restent fréquents. Progressivement, les Saoudiens se désengagent jusqu’à négocier un accord de paix avec les rebelles soutenus par l’Iran. Mais, depuis le 7 octobre 2023 et le déclenchement de la guerre à Gaza, les houthistes semblent cependant avoir gelé toute discussion avec l’Arabie saoudite en raison de son alliance tacite avec Israël.
Quentin Müller
Journaliste.