Russie, Japon, Corée du Sud : l’économie face au défi du déclin démographique PIB et croissance du Japon, de la Russie et de la Corée du Sud 2025
Les économies de la Russie, du Japon et de la Corée du Sud ont été moins frappées que celles de l’Occident par la crise du Covid et la crise de 2022. La Russie a évité, et de loin, « l’écroulement économique » qui lui avait été promis par Paris et Washington, les sanctions ayant certainement davantage pénalisé les pays occidentaux. Moscou, Tokyo et Séoul poursuivent depuis leur croissance, mais à des niveaux faibles, nettement inférieurs à 2 %. La guerre économique lancée par Trump en imposant de lourds de droits de douane va certainement impacter les deux pays asiatiques. Ce n’est pas rassurant pour leur équilibre interne ni pour leur avenir économique, d’autant que ces pays font face à une chute démographique irréversible et lourde de conséquences. On vous explique tout.
publié le 28/08/2025 https://elucid.media/analyse-graphique/pib-croissance-russie-japon-coree-sud/russie-japon-coree-du-sud-l-economie-face-au-defi-du-declin-demographique
Par Olivier Berruyer

1- Russie : un « écroulement » annoncé facilement évité
2- Japon : la stagnation économique perdure
3- Corée du Sud : une économie en retournement
Élucid vous propose cet été une série d’analyses sur les économies des grands pays d’Europe et des BRICS. Si vous appréciez ce type de suivi original et inédit, n’hésitez pas à vous abonner sur notre site ou notre application mobile, afin de nous aider à poursuivre notre travail d’information dès la rentrée prochaine. Merci d’avance pour votre soutien !
Russie : un « écroulement » annoncé facilement évité
En Russie, l’observation du Produit Intérieur Brut (le fameux PIB, c’est-à-dire, en simplifiant, la valeur de ce que le pays a réellement produit) montre clairement les lourdes crises qu’a traversées le pays depuis un demi-siècle, et qui expliquent beaucoup de ses difficultés actuelles.
La très grave dépression des années 1990 a durement frappé la Russie, avec une brutale division par 2 du niveau de vie et une hausse dramatique de la mortalité. En parallèle, le pillage du pays par les nouveaux oligarques – notamment grâce aux privatisations à très bas prix qui ont spolié les citoyens – a laissé de lourdes traces dans la population russe.

Cependant, l’économie russe sait faire preuve d’une importante résilience, et malgré les troubles actuels, le PIB russe a atteint au dernier trimestre 2025 son plus haut historique. La crise économique de 2020 a été d’une ampleur nettement plus faible que dans la plupart des autres pays européens.
La situation s’est normalisée en quelques mois à peine et l’économie s’est remise à croître. La croissance a ralenti au 1er trimestre 2025, en raison de l’inflation persistante et des taux d’intérêt élevés.

Le déclenchement de la guerre d’Ukraine et le lot de sanctions occidentales qui l’a accompagné ont, au final, eu un impact très limité sur l’économie russe, avec une baisse du PIB d’à peine -2,1 % en 2022. Cette baisse a été très largement compensée en quelques mois à peine avec un fort rebond de +3,6 % en 2023, en particulier en raison de la hausse des prix de l’énergie (largement alimentée par des sanctions contre-productives…) et de +4,3 % en 2024.
En 2025, la croissance russe devrait nettement ralentir, les prévisions tournant autour de +1 % à +2 %.

Avec -2 % de croissance pendant seulement 1 an, la situation est assez éloignée de la fameuse promesse de Bruno Le Maire qui, le 1er mars 2022, nous annonçait l’écroulement de l’économie russe :
« Les sanctions économiques et financières sont d’une efficacité redoutable.[…] Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie. […] Le peuple russe en paiera aussi les conséquences. […] Nous visons toute l’économie russe. Nous avons donc préparé un train de sanctions […] Ces sanctions doivent frapper vite et fort. Et on en voit déjà les effets.
Le rouble s’est effondré de 30 %. Les réserves de change russes sont en train de fondre comme neige au soleil et le fameux trésor de guerre de Vladimir Poutine est réduit à presque rien. […] La Banque centrale n’a pas eu d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt de 10 % à 20 %, ce qui veut dire que les entreprises ne pourront pas emprunter, sauf à des taux très élevés, pour investir et pour développer l’économie. Nous allons donc provoquer l’effondrement de l’économie russe. »
Mais ce fiasco géostratégique (analysé à l’époque dans notre article sur l’échec des sanctions occidentales contre la Russie) est en réalité peu surprenant, même au-delà du cas particulier de la Russie (très grosse économie, exportateur majeur d’hydrocarbures, soutien des BRICS…).
En effet, les sanctions économiques n’atteignent pratiquement jamais leurs objectifs, comme l’ont montré Bryan Early ou Nicholas Mulder par exemple. Les problèmes entre grandes nations se résolvent généralement bien mieux par la négociation diplomatique que par la contrainte ou la force.
Plus largement, depuis une dizaine d’années, hors crises, la croissance russe fluctue entre +2 % et +4 % par an.

L’analyse des contributions sectorielles à la croissance au cours des dernières années révèle que la croissance russe est largement entretenue par la consommation des ménages. Contrairement à ce que l’on pourrait penser pour ce pays très exportateur, le commerce extérieur a, en moyenne, une contribution assez faible à la croissance du PIB (mais il a une très importante contribution dans la valeur du PIB).

Une évolution du PIB par habitant désormais proche de celle du PIB global
Le recours au PIB trimestriel par habitant permet de mieux analyser l’évolution du niveau de vie moyen. Il est en effet important de tenir compte de la croissance démographique : si le PIB augmente de +1 % et que la population augmente de +2 %, la richesse par habitant baisse en réalité de -1 %. Cet indicateur est donc beaucoup plus pertinent pour apprécier la croissance réelle d’une économie.
La Russie connaît depuis quelques années un renouveau de son problème démographique. Alors que l’évolution de la croissance annuelle de la population avait repris un sens positif entre 2006 et 2017, elle est repartie à la baisse depuis.
La population russe a atteint son maximum en 2020 avec 146,5 millions d’habitants, et décroît depuis lors, à un rythme atteignant actuellement -0,5 % par an (soit environ 750 000 habitants de moins). Le solde naturel, c’est-à-dire les naissances moins les décès, s’établit à -600 000 Russes en 2024, et le solde migratoire était cette même année de -180 000 (rappelons qu’il était de +300 000 en 2021 et +770 000 personnes en 2022 en raison de la guerre en Ukraine).

La population russe déclinant faiblement, la prise en compte du facteur démographique change peu l’analyse : la croissance par habitant évolue de manière régulière.

Au cours de la dernière décennie, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant en Russie reste relativement robuste, fluctuant entre +1 % et + 4 % ; elle a atteint +5,1 % début 2024. Cependant, le déclin démographique va finir par se ressentir sur ce chiffre au fil du temps (l’ONU estime la décroissance démographique annuelle à -0,3 % dans les 20 prochaines années).

Sans surprise, au vu de son retard de développement durant les années 1990, l’économie russe superforme assez nettement par rapport à celle de la France depuis les années 2000.

Conséquence de l’histoire contemporaine plus que troublée du pays : le PIB par habitant de la France est 30 % supérieur à celui de la Russie (exprimé en Parité de Pouvoir d’Achat), quasiment comme en 1989. La Russie rattrape son lourd retard depuis 1998, quand le PIB par habitant français valait 2,5 fois celui de la Russie, ce dernier s’étant littéralement effondré après l’effondrement du bloc soviétique.

La croissance russe reste faible par rapport aux besoins de développement du pays
Pour prendre du recul sur la dynamique de croissance russe, on peut observer la croissance décennale depuis les années 1960. L’échec du système communiste est patent dès la fin des années 1970. Le redécollage économique des années 2000 a laissé de très bons souvenirs aux Russes, mais les tensions géopolitiques avec l’Occident se sont fait sentir à partir des années 2010, et ont entraîné depuis lors une croissance moyenne inférieure à 2 %.

Sur le temps très long, et hors périodes de guerres, la Russie a finalement connu une croissance soutenue depuis 1890, mais elle partait de très bas.

Son développement se poursuit toujours, mais à une allure très modérée depuis 20 ans, qui la freine pour combler le fossé qui la sépare de l’Occident : le revenu moyen par habitant en Russie atteint cependant 70 % de celui en France, ce qui représente en fait le revenu moyen par habitant en France durant les années 1980. À 1 % de croissance moyenne, la Russie atteindra le niveau actuel de la France dans 30 ans, à 2 % dans environ 15 ans et à 3 % dans 10 ans seulement.
La Russie connaît cependant de très fortes disparités de développement, avec des villes au niveau de vie presque occidental et des campagnes toujours pauvres. La poursuite du développement dans de meilleures conditions est donc un des enjeux majeurs du pays pour les prochaines décennies.
Japon : la stagnation économique perdure
L’économie du Japon connaît un très fort ralentissement depuis les années 1990. Le pays, alors gros exportateur, a très fortement souffert de la crise de 2008, dont il ne s’est remis qu’en 2013.

Il a également souffert de la crise du Covid, mais avec retard en raison de la fermeture de ses frontières. Il n’a guère été impacté par la crise de 2022, puisque ses sanctions contre la Russie sont restées limitées. Cependant, la croissance japonaise reste faible, et le PIB réel au début de 2025 est quasiment le même que celui de 2019.

Si l’on s’intéresse à la croissance du PIB japonais (c’est-à-dire à la valeur de sa hausse ou de sa baisse), on constate bien que la chute de 4 % de 2020 a mis trois ans à être compensée. La croissance n’était que de +1,2 % en 2023 et de +0,1 % en 2024.
En 2025, la croissance devrait rester atone, les prévisions tournant autour de +0,5 %. La conjoncture économique connaît en effet un ralentissement marqué, pénalisée par les mesures protectionnistes de Donald Trump, qui a imposé une surtaxe douanière de 15 %, comparable à celle frappant l’Europe.

En moyenne, la croissance japonaise, hors crise, fluctue globalement entre +0 % et +2 % par an depuis une dizaine d’années.

Au niveau des contributions sectorielles, la croissance japonaise est en général entretenue par la consommation des ménages et par l’investissement. Le commerce extérieur avait en moyenne une faible contribution avant 2020, et cette dernière reste faible sur les récents trimestres.

Une évolution du PIB par habitant renforcée par le déclin démographique
Le Japon est depuis 2010 en décroissance démographique, et ce déclin s’approfondit gravement. Le Japon perd actuellement 1 % de sa population tous les 2 ans, ce qui est colossal. Ce sont ainsi 650 000 Japonais qui ont « disparu » en 2024 (soit la population du Luxembourg ou du département des Côtes-d’Armor).
Le solde naturel a quant à lui été négatif de -800 000, ce qui n’a été que partiellement compensé par les +150 000 immigrés nets. L’ONU prévoit une augmentation de ce déclin dans les prochaines décennies (allant jusqu’à -0,8 % par an vers 2060).

En conséquence, l’évolution du PIB par habitant du Japon devient logiquement un peu plus vigoureuse que celle du PIB.

Au cours de la dernière décennie, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant au Japon (hors crise) s’est maintenue, se situant entre +1 à +3 % par an.

Sur longue période, l’économie du Japon a une évolution très proche de celle de la France depuis la crise de 2008.

Conséquence de cette « panne de croissance » : le PIB par habitant au Japon est désormais redevenu près de 20 % inférieur à celui en France, alors qu’ils étaient proches au début des années 1990. Le pays partait de loin car en 1960, le PIB par habitant de la France était le double de celui du Japon (exprimé en Parité de Pouvoir d’Achat).

Depuis 60 ans, une croissance japonaise en diminution constante
Sur le temps long, on s’aperçoit que la croissance japonaise a commencé à décliner dès les années 1970, avant de rentrer en crise en 1992. La croissance par habitant stagne depuis lors entre 0,3 % et 1,3 %.

Cette baisse est liée à différents facteurs. Les très forts niveaux de croissance des années 1950 et 1960 ont été induits par la forte mécanisation du pays et l’introduction de techniques ayant fait exploser la productivité. Mais il est désormais de plus en plus dur de continuer à l’augmenter.
Sur le temps très long (et hors guerre), cet affaiblissement progressif de la croissance du PIB par habitant se vérifie : il faut remonter à la fin du XIXe siècle pour retrouver une croissance du PIB par habitant aussi faible sur l’ensemble d’une décennie.

À l’échelle d’une vie humaine, on a l’impression qu’on vit une « panne » de la croissance. Les responsables politiques baratinent sans cesse la population, promettant le « retour de la croissance » pour peu qu’on les élise. Bien entendu, ceci n’arrive jamais, pour la simple et bonne raison que la croissance a retrouvé son très bas niveau historique. « L’anomalie », c’était les Trente Glorieuses.
Corée du Sud : une économie en retournement
L’économie de la Corée du Sud connaît une hausse relativement constante du PIB depuis les années 1980.

Elle a subi un choc modéré lors de la crise du Covid en 2020. Cependant, elle s’en est assez rapidement relevée et elle poursuit depuis lors une croissance dynamique.

Le pays n’ayant pas procédé à de lourdes sanctions économiques contre la Russie en 2022, sa croissance a atteint les +1,6 % en 2023 et +2,0 % en 2024. En 2025, la croissance devrait nettement ralentir, les prévisions tournant autour de +0,8 %.

Hors crise, la croissance coréenne fluctue globalement entre +2 % et +4 % par an depuis une dizaine d’années. L’économie connaît actuellement un net retournement, en raison de la guerre commerciale déclenchée par Trump (le pays est frappé d’un droit de douane additionnel de +15 %, comme l’Europe).

Au niveau des contributions sectorielles, comme au Japon, la croissance coréenne est en général entretenue par la consommation des ménages et par l’investissement.Le commerce extérieur avait en moyenne une faible contribution avant 2020, mais celle-ci est plutôt positive depuis deux ans (essentiellement en raison d’une déprime des importations avec un maintien des exportations).

Un PIB par habitant désormais impacté par le déclin démographique coréen
La Corée du Sud connaît le triste parcours démographique de beaucoup de pays développés d’Asie : sa population s’est mise à baisser en 2021, très faiblement (-0,1 % environ). Le solde naturel en 2024 a été d’environ -120 000 et le solde migratoire a été positif, avec +75 000 personnes ayant immigré (en valeur nette). La baisse est donc légère, mais c’est hélas très provisoire.
Comme la Corée du Sud détient le record mondial du taux de fécondité le plus bas (0,7 enfant par femme), l’ONU prévoit une très forte accélération de ce déclin démographique, pour atteindre des niveaux dramatiques : -0,5 % par an vers 2035, -1 % vers 2050, -1,5 % vers 2070. Ainsi, les 52 millions de Coréens du Sud ne devraient plus être que 45 millions en 2050, 32 millions en 2075 et 22 millions en 2100…

Le PIB par habitant de la Corée du Sud a longtemps évolué moins vite que le PIB, mais la différence s’estompe désormais.

Au cours de la dernière décennie, la dynamique de croissance du PIB trimestriel par habitant en Corée du Sud a été un peu plus dynamique qu’au Japon, pour se situer entre +2 % à +3 %.

Sur longue période, l’économie de la Corée du Sud a eu une évolution beaucoup plus dynamique que celle de la France, même si l’écart se resserre.

Le rattrapage du retard économique de la Corée ne faiblit pas : alors que son PIB réel par habitant était 10 fois plus faible que celui de la France en 1960, l’écart est tombé à 5 fois en 1980 et 2 fois en l’an 2000. Actuellement, il n’est plus inférieur (en Parité de Pouvoir d’Achat) que d’environ -13 %.

Depuis 50 ans, une croissance coréenne qui atterrit
Sur le temps long, on s’aperçoit que la croissance coréenne diminue régulièrement, comme si elle avait entamé un « atterrissage » : elle perd ainsi 1 à 2 % chaque décennie depuis 1970.

Au final, la croissance du PIB par habitant en Corée du Sud est retombée à 2 % par décennie, ce qui est le plus bas niveau depuis les années 1920-1930. Bien entendu, c’est un niveau qui est classique dans les pays occidentaux, mais il demeure assez pénalisant dans un pays où le revenu moyen par habitant reste encore assez nettement inférieur à celui de la France.

Il est vrai que tout ceci serait sans doute de bon augure pour la Planète. Mais pour que cela soit également bon pour les citoyens, il conviendrait de réorganiser en profondeur l’économie, afin de conserver notre prospérité avec une croissance bien plus faible que par le passé.
Voir aussi:
Voir aussi:
Les sanctions occidentales ont favorisé la monnaie russe !
Depuis le 24 février et l’invasion russe en Ukraine, l’Europe est en guerre. Emmanuel Macron s’est érigé en interlocuteur de premier plan dans ce conflit, proférant des « condamnations fermes » et exigeant de Vladimir Poutine « une cessation immédiate » des hostilités sous peine de sanctions. Hélas, la guerre, quand elle n’est pas évitée en amont par une diplomatie efficace, ne peut s’arrêter ni par de belles paroles, ni pas des sanctions économiques. Concernant ces dernières, on peut dire qu’elles n’ont absolument pas porté leurs fruits, et pénalisent même en partie la France.
publié le 02/06/2022
Par Olivier Berruyer

Le 24 mars dernier, Emmanuel Macron déclarait « L’économie russe à l’heure où je vous parle est en cessation de paiement, sa monnaie a dévissé, son isolement est croissant ».

Emmanuel Macron: « L’économie russe est en cessation de paiement, (…) son isolement est croissant »
Ces propos d’Emmanuel Macron faisaient suite à ceux, encore plus brutaux, tenus par Bruno le Maire le 1er mars :
« Les sanctions économiques et financières sont d’une efficacité redoutable. […] Nous allons livrer une guerre économique et financière totale à la Russie. […] Le peuple russe en paiera aussi les conséquences. […] Nous visons toute l’économie russe. Nous avons donc préparé un train de sanctions […] Ces sanctions doivent frapper vite et fort. Et on en voit déjà les effets. Le rouble s’est effondré de 30 %. Les réserves de change russes sont en train de fondre comme neige au soleil et le fameux trésor de guerre de Vladimir Poutine est réduit à presque rien. […]
La Banque centrale n’a pas eu d’autre choix que d’augmenter les taux d’intérêt de 10 % à 20 %, ce qui veut dire que les entreprises ne pourront pas emprunter, sauf à des taux très élevés, pour investir et pour développer l’économie. Nous allons donc provoquer l’effondrement de l’économie russe. »
Très offensif, Bruno Le Maire compte « livrer une guerre économique et financière totale à la Russie » et « provoquer l’effondrement de l’économie russe », ajoutant que « le peuple russe en paiera les conséquences. » (via
Où en sommes-nous 3 mois plus tard ?
La première leçon est que « l’efficacité redoutable » des sanctions est à relativiser, vu qu’elles ont totalement échoué à atteindre leur but : faire cesser la guerre. Ceci est d’ailleurs peu surprenant, il n’y a guère d’exemples historiques où une décision politique de cette ampleur a pu être modifiée en raison de sanctions économiques. La raison en est simple, comme l’a par exemple expliqué le professeur de relations internationales de l’université Harvard, Stephen M. Walt :
« Les États ne peuvent pas savoir avec certitude ce que les autres peuvent faire à l’avenir, ce qui les rend réticents à se faire confiance et les encourage à se protéger contre la possibilité qu’un autre État puissant tente de leur nuire dans l’avenir. […] Dans un monde où chaque État est en fin de compte livré à lui-même, signaler que l’on peut être victime de chantage peut encourager le maître chanteur à formuler de nouvelles exigences. »
C’est également ce qu’expliquait en substance Ali Laïdi, spécialiste de la guerre économique, dans notre entretien YouTube.
En plus d’avoir échoué sur le plan politique, ces sanctions ont même parfois eu des résultats contreproductifs au plan économique. Pour comprendre pourquoi, rappelons dans un premier temps quelles ont été ces sanctions, sachant que ce lundi 30 mai a été adopté un sixième lot de sanctions par l’Union européenne :
– 23 février, premier lot : 351 députés et 27 responsables et oligarques russes sont frappés par une interdiction de voyager sur le territoire européen, et leurs avoirs en Europe sont gelés – c’est la conséquence de se retrouver sur les listes des sanctions européennes. De fortes restrictions sont imposées sur le commerce avec les zones du Donbass sous contrôle séparatiste. Plus important encore, l’UE interdit le financement de certaines institutions russes, comme la banque centrale, en limitant leur accès aux capitaux européens ;
– 25 février, deuxième lot : Vladimir Poutine et le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov sont placés sur la liste des personnalités sanctionnées, avec d’autres membres du Conseil national de sécurité de la Fédération de Russie. Des sanctions visent à limiter drastiquement les échanges commerciaux dans les secteurs des technologies, de l’énergie et du transport aérien et de l’industrie spatiale ;
– 28 février, troisième lot : des membres du gouvernement russes, des responsables militaires et plusieurs autres oligarques et hommes d’affaires des secteurs pétrolier, bancaire et financier sont visés par les sanctions. Les transactions avec la banque centrale de Russie sont prohibées et ses avoirs, environ 300 milliards de dollars, sont gelés pour limiter sa capacité à défendre la valeur du rouble. L’espace aérien de l’UE est interdit à tous les avions russes. Plusieurs grandes banques russes sont exclues du système d’échanges Swift, limitant leurs possibilités de réaliser des transactions avec l’Occident. La diffusion des médias RT et Sputnik est interdite dans l’UE ;
– 15 mars, quatrième lot : les transactions avec certaines entreprises détenues par l’État russe sont interdites, ainsi que les exportations de biens de luxe ;
– 15 avril, cinquième lot : La liste des personnes placées sous sanctions est encore élargie, concernant au total près de 1 000 individus et entités. Tous les navires battant pavillon russe sont bannis des ports de l’UE et les opérateurs de fret routiers ont interdiction de travailler dans les frontières européennes. Les sanctions touchent désormais les échanges commerciaux de secteurs tels que l’informatique, les semi-conducteurs, mais aussi le bois, la vodka ou le caviar. Le charbon russe est également placé sous embargo ;
– 30 mai, sixième lot : interdiction d’ici fin 2022 du pétrole russe acheminé par voie maritime et réduction volontaire de certains pays du pétrole acheminé par oléoduc (90 % des importations de l’UE). Exclusions de nouvelles banques russes de Swift et interdiction de la diffusion de trois radiodiffuseurs russes. Interdiction des services de conseils ou de comptabilité à des entités russes. Allongement de la liste des personnalités sanctionnées.
L’annonce des premières sanctions a eu un effet rapide sur le rouble qui a donc perdu 30 % de sa valeur. Cependant, la Russie se préparait depuis longtemps à ces sanctions, en particulier en accumulant des réserves de change qui dépassaient 600 milliards. Elle a rapidement pris les mesures suivantes :
– la banque centrale russe a relevé son taux directeur à 20 % contre 9,5 % ;
– les entreprises russes ont eu obligation de vendre 80 % de leurs devises étrangères ;
– les capitaux étrangers ont eu interdiction de quitter les entreprises russes ;
– les achats de gaz des pays occidentaux doivent désormais être réglés en roubles ;
– la Russie a opéré de gros rabais (25 %) pour vendre son pétrole à la Chine et à l’Inde ;
– certaines entreprises étrangères ne voulant plus travailler en Russie ont été nationalisées de fait (récupération des 2,2 milliards des actifs de Renault en Russie par exemple) ;
– des accords ont été trouvés avec les banques chinoises pour utiliser leur système international de paiement, CIPS, concurrent de Swift.
Au final, toutes ces mesures ont fini par faire remonter le rouble, le propulsant même bien au-delà de son cours d’avant-guerre :

Le fait que les recettes d’exportation se maintiennent (en particulier les hydrocarbures, les produits miniers et les produits alimentaires) alors que les importations et voyages sont limités par les sanctions explique aussi cette situation.
En conséquence, le taux d’intérêt de la banque centrale a récemment été abaissé de 20 % à 14 % et le pourcentage de vente obligatoire des recettes en devises est passé de 80 % à 50 %. Cela permet aux entreprises de se financer un peu moins durement. Le budget russe bénéficie par ailleurs de la forte hausse des prix du pétrole et du gaz, bien supérieure aux rabais accordés.

Beaucoup de pays européens ayant refusé de signer des accords d’approvisionnement à long terme avec la Russie, ils doivent payer le gaz aux prix libres du marché. La moitié des recettes d’hydrocarbures attendues pour 2022 ont déjà été perçues en mai.
Toutefois, la situation économique en Russie est loin d’être bonne : le pays reste touché par une inflation importante, attendue à plus de 20 % en 2022, l’économie devrait décroitre de 3 % à 10 % ce qui constitue un choc très fort, et les pénuries de composants électroniques et autres pièces détachées perturbent la production industrielle russe.
Enfin, comme souvent, on constate que les sanctions sont loin d’être indolores pour les pays s’y adonnant. On pense évidemment aux prix des carburants – et le sixième paquet de sanctions (dont on n’attend, à terme, qu’une hypothétique baisse des ventes de pétrole de la Russie de 10 %) devrait encore plus le pousser à la hausse :

Mais, en affaiblissant nos économies et en alimentant l’inflation, les politiques de sanctions touchent également la valeur de notre monnaie, qui a perdu 10 % de sa valeur face au dollar, renchérissant d’autant nos importations :

L’inflation touche donc fortement l’Occident, à des niveaux inconnus depuis la fin des années 1970, sans que la BCE ne réagisse.

En conclusion, on assiste à un nouvel exemple d’inefficacité des sanctions économiques à obtenir des résultats politiques. Ne reste que la propagation de la dévastation économique, bien entendu en Russie (à des niveaux bien plus limités qu’attendu), mais également, sous forme d’un retour de flamme, en Europe.
Les fortes baisses de pouvoir d’achat qui vont frapper les populations européennes en 2022 vont faire chuter une croissance qui se remettait à peine de la crise du Covid, prélude à une multiplication de problèmes économiques et sociaux.
Photo d’ouverture : Le président russe Vladimir Poutine participe à une réunion avec son homologue biélorusse dans la station balnéaire de Sochi, sur la mer Noire, le 23 mai 2022 – Ramil Sitdikov – @AFP