Accord UE/États-Unis : l’Europe sacrifie son Green Deal pour répondre aux préoccupations des États-Unis 

La Commission européenne et les États-Unis ont publié leur déclaration conjointe établissant un cadre sur le commerce et les investissements transatlantiques. Des régressions notables sur les réglementations environnementales sont à craindre. 

Gouvernance  |  22.08.2025  | https://www.actu-environnement.com/ae/news/accord-ue-usa-green-deal-preoccupations-etats-unis-46659.php4#ntrack=cXVvdGlkaWVubmV8MzgzMg%3D%3D%5BNDExMDgz%5D

 C. Girardin Lang

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Accord UE/États-Unis : l'Europe sacrifie son Green Deal pour répondre aux préoccupations des États-Unis

© cegliL’accord UE/États-Unis approuve un nouveau recul pour les règles de durabilité des entreprises et leur devoir de vigilance.

« Il est tout à fait clair que cet accord commercial ne respecte pas l’État de droit dans l’UE », affirme l’avocat suédois David Frydlinger (Cirio Law Firm). Ce jeudi 21 août 2025, l’Union européenne et les États-Unis ont publié une déclaration conjointe (1)établissant un cadre pour un commerce et des investissements transatlantiques « équitables, équilibrés et mutuellement bénéfiques ». Cette déclaration entérine l’accord politique conclu par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président américain, Donald Trump, le 27 juillet dernier.

L’imposition de droits de douane à hauteur de 15 % sur plusieurs produits européens (2) exportés vers les États-Unis a été très remarquée. La ministre française de l’Agriculture, Annie Genevard, a ainsi qualifié l’accord de déséquilibré et comme portant atteinte aux intérêts français et européens en matière agricole. Mais peu ont prêté attention à « l’éléphant dans la pièce » qu’est le recul des réglementations environnementales (CSRD, CS3D, MACF et règlement déforestation) en réponse aux « préoccupations des États-Unis ».

Un énième recul pour les règles de durabilité et de diligence des entreprises

Déjà fortement affaiblies par le paquet « Omnibus », l’accord approuve un nouveau recul pour les règles de durabilité des entreprises et leur devoir de vigilance.

La directive CSRD prévoit une obligation pour les entreprises de déclarer leurs informations en matière de durabilité. En février 2025, en annonçant son paquet « Omnibus », la Commission avait réduit cette obligation aux grandes entreprises de plus de 1 000 salariés, et prévu la possibilité pour les PME de déclarer ces informations de façon volontaire si elles souhaitaient préparer un reporting simplifié.

La directive CS3D, quant à elle, est relative au devoir de vigilance. La date d’entrée en vigueur de ces obligations, qui s’appliquent à plusieurs tailles d’entreprises à des échéances différées, a été repoussée d’un an. Lors du sommet Choose France de Versailles, en mai dernier, le président français avait estimé que « la CS3D et quelques autres régulations ne [devaient] pas être simplement repoussées d’un an, mais écartées ». En somme, la pérennité de ces réglementations était déjà fortement perturbée, et elle risque de l’être d’autant plus si l’accord avec les États-Unis est mis en œuvre (3) .

Dans la déclaration conjointe, l’Union s’est engagée à « déployer des efforts pour garantir que la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises (CS3D) et la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises (CSRD) n’imposent pas de restrictions excessives au commerce transatlantique. […] Cela implique de s’efforcer de réduire la charge administrative pesant sur les entreprises, notamment les PME, et de proposer des modifications à l’exigence d’un régime harmonisé de responsabilité civile pour les manquements au devoir de vigilance et aux obligations liées à la transition climatique. L’Union s’engage à répondre aux préoccupations des États-Unis concernant l’imposition d’exigences de [la directive CS3D] aux entreprises de pays tiers dotés d’une réglementation pertinente de haute qualité ».

Le 15 août dernier, Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne (BCE), mettait pourtant en garde le Parlement européen contre une réduction trop importante des exigences en matière de reporting et de diligence raisonnable des entreprises, précisant que cela pourrait affaiblir la capacité de la BCE à gérer les risques financiers liés au climat. Les négociateurs de l’accord n’auront donc pas tenu compte de son avertissement…

« Depuis quand les accords commerciaux privent-ils les colégislateurs de leur souveraineté et présupposent-ils le contenu des lois européennes ? » s’est étonné Richard Gardiner, responsable des politiques européennes chez ShareAction, organisation londonienne visant à améliorer le comportement des entreprises sur les questions environnementales, sociales et de gouvernance.

Les réglementations relatives au MACF et à la déforestation également menacées

Autre écueil observable, en plus de l’augmentation de l’exception de minimis, la Commission permet une « flexibilité » (4) aux petites et moyennes entreprises quant à la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Dans un question-réponse publié sur le site de la Commission, cette dernière précise qu’il s’agit uniquement « d’assouplir » la mise en œuvre de cette réglementation pour toutes les entreprises, en particulier pour les PME, qui est déjà en cours de simplification, mais indique qu’il n’y aura pas de modifications spécifiques du MACF ni de traitement favorable accordé aux États-Unis.

De plus, « reconnaissant que la production des produits concernés sur le territoire des États-Unis présente un risque négligeable pour la déforestation mondiale », l’Union dit « s’engager à œuvrer pour répondre aux préoccupations des producteurs et exportateurs américains concernant le règlement sur la déforestation, en vue d’éviter tout impact excessif sur les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’UE », sans toutefois préciser quelles seront les mesures envisagées pour répondre à ces préoccupations. En 2023, l’Union européenne s’est dotée d’un règlement sur la déforestation importée, qui rentrera en vigueur à la fin de l’année 2025. Ce règlement classe les pays en fonction du niveau de risque (faible, standard ou élevé) qu’ils présentent en la matière. Les États-Unis étaient déjà classés parmi les pays présentant un risque faible, et les mesures du règlement ne devaient pas grandement les affecter. Mais qu’en sera-t-il si tous les pays venaient à renégocier l’applicabilité du règlement au prétexte qu’ils sont classés comme présentant un risque faible de déforestation ? D’autant que le règlement est déjà soumis à un risque de simplification, proposée par l’Autriche et le Luxembourg. La mesure négociée de cet accord risque d’encourager à simplifier, voire dénaturer, le règlement.“ Nous avons besoin de toute urgence que la Commission européenne clarifie ses intentions ”Pierre Leturcq de l’Institute for European Environnemental Policy (IEEP)

Enfin, afin de promouvoir une coopération entre l’Union européenne et les États-Unis et pour garantir un approvisionnement énergétique « sûr, fiable et diversifié », notamment en s’attaquant aux barrières non tarifaires susceptibles de restreindre les échanges bilatéraux d’énergie, il est prévu que l’Union européenne acquiert du gaz naturel liquéfié, du pétrole et des produits nucléaires américains, pour un volume d’achat estimé à 750 milliards de dollars (environ 646 milliards d’euros, à la date de rédaction de cet article) d’ici à 2028.

« Il est fortement préoccupant de voir que les « flexibilités » concernant [ces règlementations] sont explicitement mentionnées dans la déclaration conjointe.(…) Nous avons besoin de toute urgence que la Commission européenne clarifie ses intentions (s’agit-il d’un geste diplomatique/procédural, ou d’une réelle volonté de renoncer à des protections environnementales fondamentales ?) [et qu’elle] réaffirme son engagement à préserver l’intégrité et l’ambition du Pacte vert et sa dimension extérieure. Nos réglementations environnementales ne sont pas à vendre. Elles ne peuvent pas devenir une monnaie d’échange dans les accords commerciaux. La crédibilité des ambitions climatiques de l’UE en dépend », s’indigne Pierre Leturcq, du laboratoire d’idées belge Institute for European Environnemental Policy (IEEP).

1. Consulter la déclaration conjointe
https://www.actu-environnement.com/media/pdf/news-46659-declaration-conjointe-ue-usa.pdf

2. Sont notamment concernés les produits de la filière viticole, pharmaceutique et automobile.

3. S’il s’agit d’un accord politique auxquels les parties s’engagent, côté européen, une mise en œuvre juridique est nécessaire, rappelle la Commission européenne.4. La déclaration n’indique pas dans quelles mesures s’applique cette « flexibilité ».

Camille Girardin Lang, journaliste
Éditrice – rédactrice juridique

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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