Il y a donc urgence à ce que la Commission européenne donne un coup d’arrêt tout de suite.

EUROPE ANALYSE

Face à Trump, une Europe sans boussole

L’encre des accords commerciaux entre les États-Unis et l’Union européenne était à peine sèche que Donald Trump est reparti à l’attaque, visant toute la législation numérique européenne. De plus en plus de voix s’élèvent pour contester à la fois cet accord commercial humiliant et les ambiguïtés de la présidente de la Commission.

Martine Orange

31 août 2025 à 18h34

Même si la Commission européenne ne veut rien en laisser paraître publiquement, elle est déstabilisée. Attaquée de toutes parts pour avoir accepté sans se battre un « accord » commercial jugé comme une humiliation, elle espérait pouvoir au moins mettre en avant les avantages d’un cadre stable et prévisible dans les relations entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis. Elle ne peut que désenchanter : tous ses calculs se révèlent erronés.

L’encre des accords commerciaux signés le 21 août entre les États-Unis et l’UE était à peine sèche que déjà Donald Trump repartait à l’attaque. Dès le 25 août, le président états-unien s’en est pris à tous les pays qui ont instauré des réglementations et droits sur les activités numériques, destinés, selon lui, « à nuire ou à discriminer la technologie américaine ». La menace est très claire : tout pays qui maintient de telle législation se verra imposer des droits de douane supplémentaires de 30 %, quels que soient les accords douaniers passés auparavant.

Afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté, Donald Trump a mentionné explicitement la « Digital Services Legislation », et les « Digital Markets Regulations ». En un mot : toutes les directives européennes adoptées depuis 2022 par l’UE pour réglementer les activités numériques dans le marché unique.

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Ursula von der Leyen face à Donald Trump à Washington, le 19 août 2025.  © Ukrainian Presidency / Handout / Anadolu via AFP

Depuis le début, nombre d’observateurs se sont étonnés de l’absence de ce sujet dans les négociations entre États-Uniens et Européens : Donald Trump s’est fait le porte-parole des géants du numérique. Au nom de la « liberté d’expression », il exige la suppression de toute taxation, de toute législation européenne qui pourrait venir brider les activités des groupes américains de la high-tech.

Une singulière omission

Comment expliquer que ce dossier, devenu un des chevaux de bataille de la Maison-Blanche, ne figure pas dans les discussions transatlantiques ? Sur la défensive, la Commission européenne a juré qu’ils ne se trouvaient pas dans l’accord. Elle l’a répété après la signature de celui-ci, soulignant que la législation européenne sur le numérique resterait inchangée, bien que l’administration Trump dise le contraire.

« La présidente de la Commission sait que la législation sur le numérique est un sujet explosif. Elle peut tout perdre si elle le met publiquement sur la table », note un connaisseur du monde européen. « Mais il y a mille manières pour la Commission européenne de contourner un problème politique, en le transformant en un dossier technique et juridique », poursuit-il, notant qu’Ursula von der Leyen a mené seule les négociations avec Donald Trump et n’a jamais exposé totalement le contenu de l’accord.

Soupçonneux, il pointe le projet de révision du règlement sur les marchés numériques lancé ces derniers jours et qui devrait aboutir en décembre. « Quelle merveilleuse occasion pour vider les directives européennes de leur substance, sans que rien n’y paraisse ! », grince-t-il.

L’obéissance préventive ne sert à rien face au président américain.

Esther Duflo, économiste

Les dernières menaces de Donald Trump donnent en tout cas des arguments supplémentaires à tous ceux qui, à l’instar de Mario Draghi, critiquent « la capitulation » de l’Europe et le renoncement à tous ses principes pour n’être qu’un « grand marché ».

« L’obéissance préventive ne sert à rien face au président américain. […] Trump ne respecte pas ses engagements », écrit l’économiste Esther Duflo dans Challenges. Déjà certain·es pronostiquent que rien n’arrêtera le président états-unien. Après le numérique, d’autres exigences suivront sur la défense, la finance, les cryptomonnaies. D’autant que « Bruxelles n’a jamais indiqué publiquement quelle est sa ligne rouge, celle qu’il refuse de dépasser », constate l’eurodéputée Place publique Aurore Lalucq. Pour elle, il y a donc urgence à ce que la Commission européenne donne un coup d’arrêt tout de suite.

Alors que nombre de gouvernements européens gardent toujours le silence, Emmanuel Macron s’est institué en chef de file des contestataires. « Si de telles mesures étaient prises, elles relèveraient de la coercition et elles appelleraient une réponse des Européens », a-t-il déclaré en marge du sommet franco-allemand du 29 août. Le chef de l’État est favorable à des mesures de rétorsion européennes immédiates.

La vice-présidente de la Commission européenne, l’Espagnole Teresa Ribera, se montre plus déterminée encore. Elle demande à l’UE d’être « courageuse » et de se préparer à abandonner l’accord commercial de l’été avec Donald Trump si jamais ce dernier s’en prenait aux règles européennes du numérique. « Nous pouvons être gentils, polis pour résoudre certains problèmes, mais nous ne pouvons pas accepter n’importe quoi », a-t-elle expliqué dans un entretien au Financial Times.

Vent de révolte au Parlement européen 

L’hypothèse de renoncer à un accord commercial transatlantique, qui semblait impossible il y a encore quinze jours, n’est plus tout à fait à écarter. Car, au fur et à mesure que les eurodéputé·es découvrent les aspects du texte, un vent de révolte monte au sein du Parlement européen. Les dernières menaces de Donald Trump ont encore alourdi le climat : la confiance à l’égard de l’administration états-unienne s’est totalement évaporée.

Or la Commission a besoin de l’approbation des eurodéputé·es pour faire adopter une partie des dispositions prises dans le cadre de l’accord commercial avec les États-Unis. Lors de sa rencontre avec Donald Trump en Écosse, Ursula von der Leyen s’est notamment engagée à supprimer une partie des réglementations et des droits de douane européens visant les importations industrielles et agricoles américaines.

Elle a promis de le faire au plus vite pour répondre aux demandes des constructeurs automobiles allemands : l’administration Trump exige la suppression de « toutes les barrières » qui font obstacle aux produits américains avant d’abaisser à 15 % les droits de douanes qui frappent les importations automobiles européennes, taxées aujourd’hui à 27,5 %.

Dès le 28 août, une série de de modifications et d’aménagements a donc été présentée au Parlement européen. Ces mesures visent à supprimer « les droits de douane sur les produits industriels américains et accorderaient un accès préférentiel au marché à une gamme de produits de la mer et de produits agricoles américains non sensibles», a expliqué la Commission européenne dans un communiqué.

L’Europe reste à la merci des décisions imprévisibles de la Maison-Blanche.

« Je ne suis pas sûr que le Parlement acceptera la proposition », a d’emblée prévenu l’eurodéputé Bernd Lange. Sa voix porte au sein des instances européennes : membre du SPD allemand, il est président de la commission du commerce international au Parlement. Son soutien est important pour faire avancer l’accord avec les États-Unis.

Pour lui, le texte est totalement déséquilibré, n’offre aucune sécurité juridique, et l’Europe reste à la merci des décisions imprévisibles de la Maison-Blanche. Le cas des droits de douane de 50 % frappant les exportations européennes d’acier et d’aluminium est pour lui le parfait exemple de cet accord mal fait. Non seulement l’administration Trump n’a donné aucun engagement sur la suppression des droits de douane frappant les exportations d’acier, mais elle a obtenu en retour la suppression de tout droit de douane sur ses propres exportations d’acier et d’aluminium.

De plus, elle a changé les règles du jeu après l’accord. Début août, l’administration a décidé de taxer à la même hauteur tous les produits importés contenant de l’acier ou de l’aluminium européen. Résultat : des importations qui normalement devraient être taxées à 15 % se retrouvent avec des droits de douane à 34 %.

Au fil des jours, les gouvernements européens découvrent la multiplication des droits de douane spéciaux imposés à leurs exportations. C’est le cas pour les fromages italiens, taxés à plus de 27 %, pour les machines-outils, pour certains produits industriels…

Les méthodes d’Ursula von der Leyen contestées

La Commission feint de croire que ces résistances ne sont pas un problème. À l’entendre, ce n’est pas le résultat de la procédure de révision, mais simplement le fait de l’enclencher qui est déterminant dans le cadre des négociations avec les États-Unis. Le simple fait de déposer un texte visant à supprimer les droits de douane pour les principales importations états-uniennes doit suffire à inciter l’administration Trump à abaisser les droits de douane sur les exportations automobiles, comme elle s’y est engagée.

Il n’est pas assuré que l’administration états-unienne goûte les subtilités juridiques et procédurales de la Commission européenne. Toutes les déclarations et les décisions de Donald Trump indiquent même le contraire.

Les ambiguïtés volontaires de la Commission autour des négociations commerciales s’inscrivent dans la continuité de cette mandature, commencée en juillet 2024. Divisée par de multiples fractures et frictions, évoluant sous la pression des partis d’extrême droite qui contestent jusqu’à son existence, elle navigue à vue, évolue sans boussole politique, au gré des vents et des circonstances.

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Réélue à la présidence de la Commission grâce à des jeux de couloir, Ursula von der Leyen a déjà fait l’objet d’une motion de censure. Elle a résisté mais en est sortie fragilisée. Au-delà de ses choix politiques, elle se retrouve sous le feu des critiques par la façon dont elle exerce le pouvoir : secrète, solitaire, entourée juste d’un petit cercle d’intimes au sein duquel son directeur de cabinet, Bjoern Seibert, fait la pluie et le beau temps.

La crise provoquée lors de la présentation du budget – et qui est loin d’être achevée – était déjà un avertissement pour Ursula von der Leyen. La façon dont elle a conduit les négociations commerciales avec Donald Trump en est un second, bien plus grave. De plus en plus de voix s’élèvent contre les méthodes de la présidente de la Commission. Elle ne peut s’engager au nom de tous les Européens et Européennes, sans s’expliquer publiquement, en donnant le sentiment de ne défendre que quelques intérêts particuliers – celui des constructeurs automobiles allemands en l’occurrence. Si rien ne change dans la conduite de l’UE, qui paraît n’être plus qu’un grand marché, l’Europe court un grand danger.

Martine Orange

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

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