Gaza, Cisjordanie: les Arabes ne disent rien. Ils restent silencieux.

Gaza et le silence du monde arabe face au Grand Israël

Les récentes arrivées de nourriture n’ont rien changé à la situation de famine, constate dans sa chronique le journaliste et traducteur Ibrahim Badra. Et les Palestiniens se battent seuls face à l’expansionnisme israélien.

Ibrahim Badra

31 août 2025 à 18h03 https://www.mediapart.fr/journal/international/310825/gaza-et-le-silence-du-monde-arabe-face-au-grand-israel?utm_source=quotidienne-20250831-181506&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250831-181506&M_BT=115359655566

Un soldat de l’armée d’occupation l’a appelé et lui a dit : « Sortez, vous et vos enfants. Votre tente est visée par le canon du char. »

Mon voisin à Khan Younès, Abou Alaa, a répondu : « Quelle différence cela fait que nous mourions frappés par l’obus d’un char ou par la frappe d’un missile ? La mort ne nous quitte jamais, pas même un instant. Où puis-je aller ? Je n’ai plus la force de faire la queue pour remplir un seau d’eau. J’ai été déplacé plus de vingt fois. Je resterai dans cette tente jusqu’à notre mort. La mort est plus facile que cette vie. »

À quel niveau de désespoir les gens sont-ils arrivés ?

Ils ont demandé plus de cinq fois à ma famille et à mes voisins de Khan Younès d’évacuer la zone, mais personne n’a accepté. Tout le monde est désespéré, épuisé et vidé par les déplacements constants. Chaque fois que nous devons déménager, nous sommes obligés de le faire sous les tirs, et la mort est devenue plus facile que le déplacement. Nous avons commencé à préférer la mort au déplacement.

Chaque fois que nous sommes déplacés, nous devons trouver un nouvel endroit, construire une nouvelle tente, endurer de nouvelles souffrances, de nouvelles séparations et de nouvelles pertes. Le déplacement n’est pas simplement un déménagement vers un autre endroit ; c’est une blessure dans le cœur et le corps, une perte de sécurité et un déchirement de l’âme.

Illustration 1
© Illustration Mediapart

Les enfants ne connaissent plus le sens du mot stabilité. Chaque nouveau jour apporte avec lui la peur de perdre un être cher, de voir une autre tente s’effondrer sous les bombardements, ou une nouvelle lutte pour trouver de l’eau ou de la nourriture. Je me demande si nous avons perdu le sens même de la stabilité.

Que signifie la stabilité ? Est-ce vivre au même endroit avec sa famille ? Vivre dans une maison permanente ? Vivre en sécurité ? Vivre sans être déplacé, loin des chars et des bombardements ? Trouver de l’eau pour l’usage quotidien ? Trouver les aliments les plus simples ? Dormir paisiblement sans se réveiller des dizaines de fois pendant la nuit, terrifié par l’avancée des chars, ou mourir dans une tente obscure ? Ou oublier les visages des membres de notre famille et de nos amis qui ne sont plus là ?

Gaza, ville zombie

À chaque déplacement, le sentiment d’impuissance grandit. Nous avons l’impression de n’être que des numéros sur la carte d’une guerre sans fin, où la paix est devenue un luxe et où la vie se résume à deux options : vivre et souffrir, ou mourir et échapper à un monde injuste.

Parmi les actes les plus répugnants et les plus brutaux de l’occupation : des soldats israéliens ont utilisé un Palestinien âgé, équipé de béquilles, comme bouclier humain. Ils kidnappent des civils et les forcent à marcher devant les troupes dans des zones soupçonnées d’être piégées avec des explosifs. À quoi vous attendiez-vous ? On nous traite comme des chiens policiers. Les chiens policiers ont-ils plus de valeur que les habitant·es de Gaza ?

La ville est devenue une ville zombie. Il n’y a pas de nourriture, et personne ne s’en soucie. Les gens s’effondrent dans les rues et dans les hôpitaux. Des centaines d’évanouissements dus à la famine sont signalés chaque jour aux services d’urgence de Gaza. Selon le complexe médical Al-Shifa de Gaza, ces évanouissements répétés sont dus au fait que les gens, en particulier les enfants, souffrent d’émaciation, d’épuisement et de faim, car leurs familles sont incapables de les nourrir depuis des jours. Les équipes médicales leur fournissent des formules de nutrition d’urgence, mais même celles-ci sont en train de s’épuiser. 

Je ressens du dégoût envers ceux qui, en dehors de Gaza, tentent d’embellir l’image de la famine. Qu’ils comprennent bien : la catastrophe est immense. En seulement vingt-quatre heures, dix personnes sont mortes de faim.

À LIRE AUSSIFamine à Gaza : le crime était annoncé

23 août 2025

Au cours des deux derniers jours, après cent quarante-trois jours de fermeture de la frontière, nous avons vu entrer des dizaines de camions de farine, mais cela n’a rien changé à la famine. Seulement 1 % de la population de Gaza a reçu quelque chose. Il y a une grave pénurie de denrées alimentaires essentielles telles que la farine, le riz et les légumes.

En toute honnêteté, il n’y a plus de nourriture à Gaza.

Le peu qui reste est rare et inabordable. De nombreuses familles ne survivent plus qu’avec des soupes, et celles qui ont réussi à obtenir un sac de farine n’ont rien à manger pour l’accompagner. Même les falafels sont devenus inabordables : un falafel coûte désormais 1 shekel, alors qu’avant la guerre, on pouvait en acheter huit ou dix pour le même prix.

Quand on parle de Gaza, on ne peut ignorer la présence de 60 000 femmes enceintes, 67 000 bébés nés pendant la guerre, 12 000 patient·es atteints de cancer, 250 000 malades chroniques, plus de 150 000 blessé·es de guerre, environ 700 à 1 000 patient·es atteint·es d’insuffisance rénale, 17 000 veuves et 37 000 enfants orphelins. Ces groupes vulnérables sont confrontés à une mort certaine par famine.

Gaza défend l’ensemble de la nation arabe, payant le prix au nom de tout le monde arabe, face à un cancer expansionniste qui ne montre aucune pitié.

Allô ? Il y a quelqu’un ? Sommes-nous vivants ? Ne sommes-nous que des chiffres ? Connaissez-vous seulement Gaza ? Nous avons des mains, des jambes, une tête, des yeux, un esprit, des oreilles, etc. Nous avons un corps comme le reste du monde !

Selon la chaîne israélienne Channel 12 :

  • Le plan commencera par l’occupation complète de la ville de Gaza, et l’armée demandera à ses 900 000 habitant·es de partir.
  • Les opérations à Gaza seront précédées de plusieurs semaines de préparatifs logistiques afin d’accueillir la population déplacée.
  • Le cabinet de sécurité israélien discutera de la question de l’annexion de l’ensemble de la région à Israël. Il y a quelques jours à peine, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, s’est dit « attaché »à l’idée de Grand Israël. Celui-ci englobe dans sa version maximaliste toute la Palestine, le plateau du Golan, la péninsule du Sinaï, des parties de la Jordanie, de la Syrie, du Liban, de l’Égypte, de l’Irak, du Koweït, de l’Arabie saoudite.

À LIRE AUSSIGaza : Trump se met au service de la brutalité de Nétanyahou

28 août 2025

Devant la menace d’annexion de tous ces pays, on peut clairement affirmer que Gaza défend l’ensemble de la nation arabe, payant le prix au nom de tout le monde arabe, face à un cancer expansionniste qui ne montre aucune pitié. Nétanyahou dit ressentir un lien émotionnel avec la vision du « Grand Israël ».

Trump déclare : « La superficie de l’entité est trop petite par rapport au monde arabe, et je m’efforcerai de l’agrandir. »

La Knesset a adopté une résolution visant à annexer la Cisjordanie. 

Les Arabes ne disent rien. Ils restent silencieux.

Et la question cruciale demeure : qui a rendu le sang palestinien si bon marché, et quand, comment et pourquoi ? Pourquoi la vie de nos enfants est-elle devenue si bon marché pour nous d’abord, puis pour notre peuple, nos voisins et le reste de notre nation ? Pourquoi ?…

Ibrahim Badra

Publié par jscheffer81

Cardiologue ancien chef de service au CH d'Albi et ancien administrateur Ancien membre de Conseil de Faculté Toulouse-Purpan et du bureau de la fédération des internes de région sanitaire Cofondateur de syndicats de praticiens hospitaliers et d'associations sur l'hôpital public et l'accès au soins - Comité de Défense de l'Hopital et de la Santé d'Albi Auteur du pacte écologique pour l'Albigeois en 2007 Candidat aux municipales sur les listes des verts et d'EELV avant 2020 Membre du Collectif Citoyen Albi

Laisser un commentaire